Chapitre 40
Isabelle
Déjà une journée s'était écoulée depuis l'échec de notre mission. Julius n'avait donné aucune nouvelle et Alice s'enfonçait dans une déprime dont je ne parvenais pas à la sortir. Ça m'alarmait et les autres avaient bien compris que tant qu'elle n'aurait pas revu son petit ami, il serait impossible de lui redonner le sourire.
Lundi, le jour le plus maudit d'une semaine, me semblait être arrivé trop rapidement. Je n'avais aucune envie d'y retourner, je préférais rester à la maison et aider Fried pour ses peintures, mais nous n'avions pas le choix. Et puis l'envie de revoir Daemon me tiraillait, le jeune homme me manquait...
Après le déjeuner, il n'y eut aucune hésitation de la part de nos parents : il fallait retourner en cours. Assise dans la voiture, je regardai par la fenêtre et contemplai le ciel gris. Fried porta la main à sa nuque et remarqua qu'il ne pouvait plus jouer avec ses mèches. C'était le problème des cheveux trop courts.
— Je m'y habituerai jamais, ronchonna-t-il.
— T'inquiète les cheveux courts ont beaucoup d'avantages, rigola Kaede.
En arrivant devant l'école, Alice semblait plus tendue que jamais, je savais qu'elle espérait apercevoir Julius. Malheureusement, elle, comme moi ne vîmes rien.
Après cinq minutes, Julius arriva. Le visage fatigué, il ne semblait pas avoir passé un très bon week-end. Il s'approcha de nous d'une élégante démarche. Il embrassa tendrement Alice tout en murmurant :
— Considère ce bisou comme le dernier, du moins jusqu'à ce que je trouve une solution.
Sans laisser le temps à Alice de répondre, il s'éloigna ne prenant même pas quelques instants pour nous expliquer ce qu'il se passait. La jeune fille s'effondra dans les bras d'Adams et je tentai de la réconforter mais rien à faire, elle était inconsolable.
— Mais qu'est-ce qui lui prend enfin ? s'étonna Kaede.
— Ça, c'est un mystère, répondit Fried.
Les deux garçons échangeaient plusieurs théories pour expliquer le comportement de Julius, mais M. Snow, le surveillant des garçons, les interrompit en lançant d'une voix froide :
— M. de Villiers une lettre pour vous.
Kaede le remercia et le regardait s'éloigner alors qu'il jouait avec le papier.
— Oh merde, c'est ma mère ! Mais quand est-ce qu'elle va me foutre la paix ?
Dans un excès de rage, que seul Gwen pouvait comprendre visiblement, il envoya un grand coup de poing dans un mur. Le crépi se fissura et quelques morceaux tombèrent au sol. Les yeux du jeune démon brillaient d'un sombre éclat et il s'apprêtait sûrement à détruire ce mur lorsqu'un cri, provenant de la fenêtre du première étage, s'éleva :
— De Villiers, venez dans mon bureau !
— Non mais je rêve là, le destin s'acharne contre moi.
Kaede s'éloigna d'un pas furieux alors que les filles murmuraient sur son passage. Je me dirigeai vers la salle de cours, seule, car Kaede étant chez le directeur, ne manquerait pas de sécher les cours une fois sorti de là-bas. Je m'assis et sortis mes affaires, ayant eu le réflexe de préparer mon sac le soir d'avant, je n'avais rien oublié.
Le cours commença et la voix somnifère du prof m'endormait. Mes yeux se fermaient déjà lorsque la porte s'ouvrit et laissa le directeur apparaitre en compagnie de Daemon, le fils de Clade.
— M. Richter, je viens de me rendre compte que les jumeaux Blent étaient dans la même classe et ce n'est pas possible, j'ai décidé de transférer M. Blent dans cette classe.
Une explication toute bête et valable, mais pas tout à fait crédible, un élément ne collait pas. Il venait de se rendre compte de ça, alors que ça faisait plusieurs semaines que la répartition avait été faite. Je regardai le directeur partir sans un mot de plus.
Daemon avait la tête penchée en avant et ses cheveux cachaient une bonne partie de son visage. Était-ce à cause de ses yeux vairons ? Le professeur lui demanda de venir s'asseoir à côté de moi car comme je l'avais prévu, Kaede n'était pas venu en cours. Daemon s'exécuta et s'installa en silence.
— Comme vous le savez, cette semaine il y aura notre tournoi entre les écoles Stark et Welton. La journée commençant par un bal, nous allons apprendre une danse traditionnelle que l'on pratique dans le monde de la magie. Je vous demanderai de me suivre dans la salle de danse.
Je n'étais pas au courant de ce tournoi entre école et d'après ce qu'ajouta le prof, le bal était ce soir. Je soupirai, j'aimais bien danser, mais voir Alice déprimée m'enlevait tout envie de faire la fête.
Entrant dans la salle de danse, trop grande pour une école, le prof nous demanda de nous mettre par deux. Par chance nous étions un nombre pair, car Kaede n'était toujours pas apparu. Je me retrouvai avec Daemon. En échauffement, le prof nous imposa une valse.
Alors que les autres couples commençaient à danser, je regardai Daemon et remarquai un gros bleu sur sa joue. Je ne lui demandai rien, je ne le connaissais pas assez pour m'immiscer dans sa vie, même si je l'appréciais énormément. Posant une main sur son dos, je la retirai aussitôt lorsqu'il tressaillit.
— Je t'ai fait mal ? demandai-je.
— Ce...n'est rien.
— Pourquoi as-tu une marque au visage ?
Il ne répondit rien et se contenta de mener le rythme de la danse. S'il ne voulait rien dire, c'était qu'il y avait quelque chose de grave, alors j'insistai. Le jeune homme craqua rapidement et dit, assez doucement pour que je sois la seule à entendre :
— Mon père m'a donné une sacré leçon parce que je vous ai aidés à sortir du souterrain.
— Attends t'es pas sérieux ?
— J'ai l'air de plaisanter ?
Honteuse de remettre sa parole en doute, je baissai la tête. Horrifiée par ce qu'il venait de dire, je l'entrainai à l'écart pour qu'il continue.
— Mon père m'a toujours dénigré à cause de mes yeux vairons, je ne suis qu'un incapable vois-tu. J'obéis à ses ordres depuis des années, mais maintenant c'est fini, je vais me battre et vous aider. Je... j'ai appris en écoutant à la porte, que le directeur et mon père comptaient tuer Gwen pendant le bal, en empoisonnant les gâteaux. S'ils font ça, toute l'école risque d'y passer. Je sais que Kaede aime cuisiner, demande lui d'aller aux cuisines et d'intercepter le poison, s'il n'y arrive pas, j'ai l'antidote.
Il arrêta de parler, ses yeux faisaient des allés-retours entre moi et le prof, il semblait passablement nerveux. Surprise, je le contemplais et suivais le rythme qu'il m'imposait. J'approuvai son idée, je n'avais pas vraiment le choix à vrai dire. Je ne pus pas changer de partenaire et dansai avec Daemon jusqu'à la pause de midi, ce qui me ravit.
Daemon et moi rejoignîmes les autres et leur expliquâmes ce que nous avions prévu pendant que nous dansions. Pour remercier Daemon, Gwen l'invita à manger avec nous, le jeune homme accepta avec plaisir. Kaede, qui n'était pas arrivé depuis longtemps, se leva et se planta devant le fils de Clade.
Il n'y avait qu'à voir le comportement de Daemon pour savoir qu'il avait peur de Kaede. Le jeune démon ne faisait rien pour le mettre en confiance, il était froid et ses yeux brillaient de manière inquiétante. Il leva une main, et pendant le court instant où ce geste dura, je crus qu'il allait le frapper. Mais au contraire, il lui tendit la main.
— Merci pour tout ce que tu fais, c'est courageux. La devise tel père tel fils ne s'applique pas à toi on dirait.
— Quand on a un père comme le mien, je préfère ne pas lui ressembler.
— Ça fait longtemps que ton père te dénigre ?
Kaede engagea la discussion avec le jeune homme. Le démon était peut-être une tête de mule, mais il savait reconnaitre les personnes honnêtes. Les deux garçons parlèrent très longtemps et peaufinèrent le plan de ce soir dans les moindres détails.
***
Une heure avant le bal, Kaede fonça aux cuisines. J'étais dans la cour et je regardai les élèves de Stark arriver. Beaucoup étaient surpris de voir Fried, le prince du royaume dans une école des plus normales ne devait pas être banal. Adams avait été réquisitionné pour la sécurité et gardait un oeil dans la salle, les danses commencèrent, les élèves des deux écoles avaient le plus grand mal à se mêler les uns aux autres et il fallut batailler pour ouvrir le dialogue avec les garçons de Stark. Kaede réapparut enfin, le visage sombre.
— Je n'ai rien vu de suspect, mais le directeur avait l'air d'attendre quelqu'un, il se dirigeait vers la chapelle. Ah au fait il y a du changement avec Julius ? demanda-t-il.
— Non aucun, il nous évite, déclara Alice.
Alice était désormais plus en colère qu'en déprime, elle ne comprenait pas l'attitude de son prétendu petit ami. Ma cousine allait ajouter quelque chose quand Julius apparut alors, comme par miracle. Il avait les yeux cernés, le teint blafard et la voix rauque.
— Je... suis désolé. Mon père ne voulait pas que je reste avec vous, parce que soi-disant, vous aviez une mauvaise influence sur moi. Mais je t'aime et je ne le laisserai pas intervenir. Alors m'accorderais-tu cette danse ? demanda-t-il en tendant une main à Alice.
Grand gentleman, il rejeta ses cheveux en arrière, les faisant briller sous les lumières cristallines des chandeliers. Alice sourit et accepta, malgré la colère qui devait l'étouffer.
Fried, ravi que son ami ait pris son courage à deux mains sourit et m'invita à son tour.
Danser avec le prince était un honneur que peu avait et je n'étais pas idiote au point de refuser, simplement parce qu'il fallait surveiller les petits gâteaux. Je savais que ma soeur détestait danser, mais je souris en voyant qu'elle avait accepté l'invitation de Kaede, elle s'était décidée à mettre sa fierté de côté.
Pendant plus d'une heure et demi, l'amusement était de mise même si nous restions sur nos gardes. L'ambiance se ternit brusquement lorsque j'aperçus Gwen s'arrêter soudainement de danser, je suivis son regard et remarquai un homme près du buffet. Dans ses mains, une fiole aux reflets violets inquiétants luisait. Il jetait des regards en direction de ma soeur et aussi discrètement que possible, renversa le flacon non pas dans les gâteaux mais dans les boissons, un moyen beaucoup plus simple de propager un poison. J'eus comme l'impression qu'il faisait tout pour être visible de ma soeur.
Sans réfléchir ne serait-ce qu'un instant, Gwen et Kaede s'élancèrent vers lui, suivi par Julius et Alice. Voyant que Fried partait à son tour, je laissai mes pensées de côtés et enchaînai le pas des autres sans me soucier de ceux qui nous entouraient.
Sans grand étonnement, Clade nous conduisit à la chapelle et nous découvrîmes un passage qui, même après avoir chercher des heures un levier ou un moyen de l'ouvrir, ne s'était pas révélé. Nous n'avions aucune stratégie, et nous y pénétrâmes toujours en poursuivant notre ennemi. J'avais le souffle court et les poumons en feu, j'avais l'impression qu'en continuant ainsi, j'allais m'écrouler, mais rien ne pouvait m'arrêter, je ne devais pas cesser de courir.
Après une courte ininterrompue dans un passage sombre et exigu, nous arrivâmes finalement dans une grande salle éclairée par des torches, celle où nous avions retrouvé la reine. L'air, comportant toujours cette odeur de moisissure, était électrique, comme si un orage allait exploser. Sur sa jambe gauche, la Marque apparaissait, elle semblait aspirer les ténèbres de la pièce comme un aimant.
— Gwendolyn, tu sais parfaitement que vous n'avez aucune chance, vous n'êtes que des adolescents. Ne faites pas de la résistance et donnez-moi les quatre Marque et vous aurez la vie sauve, dit-il.
— Jamais !
Crachant ses paroles comme du venin, ma sœur lui sauta dessus et essaya de le blesser avec le couteau qu'elle venait de créer. Elle s'était beaucoup améliorée avec son pouvoir. Elle tenta une première attaque, que le métamorphe n'eut aucun mal à esquiver. Ma soeur se retrouva face au mur et Clade la désarma facilement. Étant ainsi en position de force, il la menaça avec son propre couteau.
— GWEN !
Kaede cria. Sa voix était plus que rauque, et sans que les autres Sentinelles ne puissent réagir, sa nature démoniaque explosa. Ses dents devinrent des crocs, ses oncles de véritables lames, ses réflexes s'aiguisèrent et ses ailes d'ange déchu le protégeaient de toutes attaques.
— Toujours incapable de se contrôler jeune démon, c'est fou ce que la jeune génération est...faible. Ne fais pas un seul geste ou je lui tranche la gorge.
Kaede se raidit, mais ne reflua pas sa nature démoniaque. Il ne comptait pas nous attaquer, il était étrangement calme, un trait de caractère qui ne lui allait pas. Il sourit et appuya la lame contre la jugulaire de ma soeur. Un perle carmin glissa sur sa peau tandis qu'elle grimaçait. Une tension électrique régnait dans l'atmosphère, le pouvoir de foudre de Kaede n'y était pas pour rien.
J'entendis alors un déclic. Ce bruit m'était inconnu, ce n'était ni une goutte d'eau tombant au sol, ni celui d'une porte se fermant. C'était plutôt... métallique. D'un pas maitrisé, je me retournai pour apercevoir Adams. Le bandit avait enlevé son cache-oeil et braquait son revolver sur Clade. Un air froid et dangereux avait remplacé celui calme qu'il arborait d'habitude.
— Lâche-la.
— Adams, je suppose ? Que fais-tu avec eux ? Ce n'est pas la place que tu devrais occuper, déclama Clade.
— Ah oui ? Et à quelle place devrais-je être ?
— Tu es un vainqueur, rejoins-moi.
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