Chapitre 32

Gwendolyn

Je n'avalai strictement rien de mon souper, j'étais trop inquiète pour Fried. Pourquoi dès qu'il y avait un problème, ça tombait sur lui ? Et puis cet aigle sur sa poitrine, me perturbait, quelle était sa signification ? Julius et Kaede semblaient également préoccupés par les événements, ce qui n'empêchait pas Kaede de manger.

Adams semblait encore plus angoissé que les deux Sentinelles. Peut-être pensait-il avoir failli à sa mission ? Il ne resta pas longtemps dans le réfectoire et retourna auprès du jeune prince. Julius attendit son départ avant de dire :

— Je ne vous en avais pas parlé avant, mais je pense que maintenant, c'est indispensable.

— De quoi tu parles ? demandai-je.

— Clade descend du roi de la légende des Sentinelles, par conséquent, la mère de Fried aussi. Ce qui veut dire que Fried a un lien de famille avec Clade, expliqua Julius.

Le problème était complexe, mais ce que disait Julius était vrai, pourtant je n'y avais jamais fait attention. C'était impardonnable, soupirai-je intérieurement. Pierre de Villiers m'avait prêté sa version du conte, je l'avais lue plusieurs fois, et je n'avais jamais relevé ce détail.

— Mais l'aigle, que vient-il faire quoi dans l'histoire ? interrogea Kaede.

— L'aigle est un symbole que les métamorphes utilisent, il y a une page entière sur ça dans le livre d'histoire.

— Tu sais, l'histoire et moi, c'est pas le grand amour. Alors forcément, je n'ai pas feuilleté le livre, commenta Kaede.

— Mais comment Clade a pu imposer le symbole sur Fried ? questionnai-je.

Julius réfléchit un instant et dit :

— La famille royale a un grand nombre de pouvoirs, il se peut que Fried ait le pouvoir de la métamorphose, mais qu'il ne s'en soit pas aperçu. D'après ce que j'ai appris sur les métamorphes, un aigle apparait sur leur corps dès que le pouvoir se développe. Il parait aussi qu'une personne qui a un lien de sang avec métamorphe peut lui imposer le symbole de l'aigle pour bloquer ses pouvoirs encore faibles.

Il en savait des choses. Julius était sûrement le plus intelligent de nous sept, et j'étais impressionnée par ses connaissances. Il m'avait perdu en chemin, mais j'avais au moins compris l'essentiel.

— Il y a un moyen pour enlever le symbole ? interrogea Isa.

— Oui... mais...

— Mais ?

— La personne qui a imposé le symbole doit mourir.

— On doit tuer Clade ? m'étonnai-je.

— Si c'est lui qui a imposé le symbole, oui. Je suppose qu'il y a d'autres solutions, mais je n'en sais pas plus.

Un silence oppressant s'installa entre nous six. Pour tuer Clade, ça risquait de poser problème. J'étais loin d'être puissante, et d'après ce que j'avais pu voir des pouvoirs de notre ennemi, lui l'était. Nous n'avions aucune expérience dans l'art du combat malgré les entrainements que nous dispensait Gerd.

Une angoisse sourde avait pris place dans ma gorge, m'empêchant de respirer ou de déglutir. J'avais la nette impression de me noyer, d'être submergée sous mes émotions. Ce qui ne fit qu'empirer lorsqu'Alice demanda :

— Mais si Fried ne peut plus ouvrir la brèche, comment allez-vous faire pour aller en 1793 ?

La panique qui s'était emparée de moi, ne fit que raffermir ses griffes sur mon coeur. Je n'allais pas pouvoir résister à l'angoisse très longtemps. Si les garçons n'avaient pas été là, j'aurais craqué depuis bien longtemps.

— Je crois que je sais comment régler le problème, dit Julius.

— Comment ? m'écriai-je en même temps que les autres.

— Si je me souviens bien, Fried a un cousin. Ils sont du même sang et ont donc les mêmes pouvoirs, Redmond pourrait remplacer Fried.

— Et on le trouve comment ? interrogea Isa.

— Il est en niveau E.

Je l'avais déjà sûrement croisé dans les couloirs sans vraiment m'en rendre compte.

— Il faudrait mieux aller chercher la Marque dès ce soir, dis-je.

***

— Vous voulez que je vous aide à rechercher une Marque ? s'étonna Redmond.

— Oui.

— Eh bien, oui je peux vous aider mais ce n'est pas Fried qui se charge de ça normalement ?

— Euh... Comment dire... Fried est hors circuit, expliqua Kaede.

— Pardon ?

Julius lui répéta ce qu'il nous avait dit tout à l'heure. Au fur et à mesure qu'il parlait, Redmond pâlissait.

— C'est d'accord je vais vous aider. À quelle heure ?

— Ce soir, répondit Isa.

Redmond ne dit rien et il se contenta de hocher la tête. Finalement il finit par dire :

— Attendez-moi vers la petite église, ce soir à... disons 21h00, ça vous va ?

— Parfait, en tout cas merci, conclut Julius.

— De rien, tout ce que je veux, c'est que mon cousin se remette rapidement.

— Ah encore une chose, tu sais comment annuler le symbole des métamorphes ? demanda Julius.

— Une des solutions est de tuer la personne qui à imposer le symbole, une autre est de transférer le sang d'un proche. Je ne sais pas s'il en existe d'autre.

— Crois-tu que tu peux donner de ton sang à Fried ? demanda Isa avec espoir.

— Moi ? Non je ne peux pas, nous ne sommes que cousins, quand je parlais de proches, je parlais des parents.

Les épaules d'Isa s'affaissèrent, je comprenais sa déception. De plus, la reine « actuelle » n'était pas la vrai reine, alors la transfusion de sang était une solution à oublier.

— Il faut que je vous laisse, à ce soir, conclut-il.

***

Je rejoignis les autres à 21h00 pile, je n'avais pas encore crée de tenues, j'attendais que les autres soient là, et puis je ne savais pas comment les nobles s'habillaient à l'époque de la révolution française. Je laissais Julius s'occuper de ça, il devait sûrement le savoir.

Je remarquai que Isa n'était pas là, je me demandai où elle pouvait être, sûrement auprès du prince. Adams avait décidé de ne pas venir, préférant surveiller Fried, et Isabelle par la même occasion, afin de s'assurer qu'il ne lui arrive rien de plus grave.

— Qu'est-ce que je dois créer ?

Je croisais le regard bleu irréel de Redmond tandis que des images d'habits d'époque apparaissaient dans mon esprit. Le déclic se fit immédiatement.

— Tu es télépathe.

— C'est exact, crée les vêtements que tu as vus, me répondit-il.

Je commençai par créer les vêtements des garçons. Le premier ensemble était composé d'un gilet gris foncé avec des spirales, une veste avec le même imprimé et un pantalon noir, ainsi qu'un jabot blanc. Le deuxième était composé d'un gilet rouge avec des imprimés, une queue de pie noire, et d'un jabot noire. J'entrepris de crée ma robe, je commençai par créer un jupon rouge avec un bustier noir, des gants noirs, ainsi qu'une ribambelle de colliers en perles noirs.

— Voilà, m'écriai-je.

Je tendis le premier ensemble à Julius et le deuxième à Kaede, j'enfilai ma robe avec l'aide de Redmond qui noua le corsage dans mon dos. Je ne me sentais pas à l'aise dans cette tenue. Pourtant il restait un détail à régler : les coiffures.

Nous nous étions mis d'accord pour ne pas porter de perruques, question que ce soit plus pratique, enfin surtout plus esthétique... Les cheveux de Kaede étaient toujours en bataille, Julius avait gardé sa queue de cheval en hauteur, tandis que les miens restèrent détachés. Des coupes de cheveux qui n'allaient pas passer inaperçues au XVIII siècle.

— Laissez, je m'occupe de vos cheveux, annonça Redmond.

Je le regardai comme s'il venait de dire une énormité.

— Ce n'est pas parce qu'on fait partie de la famille royale, qu'on aime la politique et tout ce qui est en rapport.

Avec des mouvements experts et du gel, il plaqua les cheveux indisciplinés de Kaede en arrière. Pour ceux de Julius, il opta finalement pour une tresse plaquée sur le côté gauche du crâne, il laissa la queue de cheval en hauteur, mais mit un ruban noir pour donner un peu d'élégance. Et enfin vint mon tour, il réfléchit longtemps, comme s'il avait de la peine à trouver une idée convaincante. Au bout d'un long moment il me demanda :

— Pourrais-tu créer un chapeau rouge ?

— Euh oui.

Il m'envoya l'image par télépathie, et je m'empressai de réaliser ce qu'il m'avait montré. Il me fit un chignon assez compliqué, mais qui rendait très élégant. Il finit par incruster le chapeau avec l'aide de petites pinces. Il me maquilla légèrement, faisant ainsi ressortir mes yeux noisettes.

Redmond m'adressa un sourire avant de s'asseoir. Fermant les yeux pour se concentrer, il commença à ouvrir la brèche. Il dégageait une énergie spectaculaire, bien plus que Fried.

— Vous pouvez y aller, bonne chance, nous dit-il.

Je n'eus pas le temps de lui adresser un sourire qu'un crochet me tira derrière le nombril. Un vent tiède enroba ma peau alors que je chutais. J'entendais mon coeur tambouriner dans mes oreilles ainsi que dans ma poitrine.

J'atterris, bien plus en élégance que les précédentes missions, sur un sol pavé. Une lumière dorée sembla nous envelopper de douceur alors qu'une légère odeur printanière me titilla les narines. Au loin, le ruisseau murmurait comme pour nous souhaiter la bienvenue.

Devant nous, entouré d'orbes luminescentes, le château étincelait. Je ne le reconnaissais pas, ce n'était pas Versailles. De la musique s'échappait de fenêtre et envoutait les invités qui arrivaient. Les talons de mes chaussures claquaient sur les pavés lissés par les années. Une odeur fruité attira mon attention. Des femmes, se pavanant dans leur robes de couleurs vives, rajoutaient du parfum dans leur cou. Leur maquillage criard, les faisant ressembler à des pots de peinture, dépareillaient du mien plutôt léger.

Je détournai mon attention des deux nobles, et tournai sur moi-même, essayant de trouver les deux Sentinelles. Nous avions convenu que Kaede serait mon partenaire, Julius nous avait demandé pour aller seul de son côté.

— Ah te voilà.

Kaede arriva à se frayer un chemin parmi les femmes et me tendit son bras. Je l'agrippai et je commençai à chercher Julius et ce que je vis me fis rire.

— Vous n'avez pas de partenaire ! Mais quel dommage ! Peut-être seriez-vous d'accord de m'y accompagner !

Une jeune femme, probablement une noble de bonne famille, faisait de l'oeil à Julius et agrippa le bras du jeune homme. Celui-ci nous adressa un discret clin d'oeil avant de se laisser entrainer par sa partenaire.

Kaede et moi nous dirigeâmes vers la salle, suivant les autres couples, pour finalement arriver dans une grande salle de bal. Les couleurs éclatantes, presque aveuglantes, me firent mal à la tête. La lumière faisait étinceler les détails d'or et le cristal des lustres. Les brouhahas assourdissants des invités masquaient la musique des violons.

Dans la foule, je réussis à repérer Robespierre. Élégamment habillé, le tyran discutait en compagnon d'hommes aux perruques ridicules. Il se trouvait à l'autre bout de la pièce, il allait falloir se rapprocher de lui. Je descendis l'escalier au bras de Kaede. Une pointe de stress cisaillait mon estomac alors que le démon m'entrainait danser. J'avais comme un goût bileux dans la bouche, l'odeur sucrée du punch n'arrangeait rien.

Une voix grave nous interrompit tandis que je m'inclinais devant Kaede, signe que la danse était terminée.

— Votre partenaire est magnifique jeune homme.

Robespierre se tenait devant nous, une étincelle de cruauté dans le regard. Il ne pouvait pas s'intéresser réellement à moi ? Je sentis la main de Kaede se crisper sur mon poignet alors qu'il affichait un sourire de façade.

— Je vous remercie Monsieur.

— M'accorderiez-vous cette prochaine danse mademoiselle ? J'en serais honoré.

Je m'inclinai devant le tyran, et acceptai son offre, décelant parfaitement l'ordre sous cette demande.

— Avec plaisir.

Il valait mieux pour tout le monde que je ne prenne pas la Marque maintenant. Robespierre me saisit par la taille en m'entraina sur la piste de danse. J'étais mal à l'aise, ses doigts étaient trop bas sur ma colonne vertébrale. Il m'adressait un regard qui aurait dégoûté n'importe quelle femme. Ses yeux avec un éclat luxurieux me donnaient des sueurs froides. 

La valse se termina sur les dernières notes du violons. Je n'avais pas eu grande occasion pour récupérer la Marque, ce qui commençait à m'inquiéter car je ne savais pas quelle puissance Redmond devait mettre en oeuvre pour tenir le portail ouvert. Je passai donc aux grands moyens. D'une voix mielleuse, je demandai :

— Monsieur, n'auriez-vous pas quelque chose de plus excitant à me proposer qu'une simple danse ?

— Vous avez des idées avant-gardistes madame, déclara-t-il avec un sourire. Venez avec moi.

M'entrainant par le poignet, il partit en direction des appartements privés. En le suivant, je fis de grands gestes pour attirer l'attention de Julius et Kaede. Nous n'allâmes cependant pas très loin. Alors que nous atteignions la fin du couloir, quelqu'un surgit en s'exclamant :

— Monsieur ! On a tenté d'attenter à la vie d'un de vos amis !

— Je crains madame que votre surprise ne doive être repoussée.

Le tyran rebroussa chemin et retourna dans la salle de bal. Je déglutis difficilement et tentai de sentir les liens de mes Sentinelles. Ceux de la Sentinelle d'or et noire se firent plus solide alors que celle d'argent était plus faible. Mais que se passait-il ? Je ne m'attardais pas plus et suivis Robespierre.

Des bruits de verre se firent entendre ainsi que certains chocs. J'eus un regard désespéré en apercevant Kaede en train de se battre. Il n'avait aucune blessure, mais l'homme qu'il frappait avait de nombreuses contusions au visage. Mais qu'est-ce qu'il faisait ? J'étais trop loin pour intervenir et mon démon fut arrêté. Il fallait que je récupère la Marque, et vite.

Le tyran s'éloignait alors que j'étais emportée par le flot de femmes qui courraient vers la sortie. Elles m'entrainaient loin de ma cible et je ne pouvais rien faire. Je me sentis terriblement angoissée par la proximité de ces femmes. À nouveau, j'avais l'impression de me noyer. Une main me tira en avant alors que je commençais à suffoquer. Robespierre m'attira contre son torse avec un sourire espiègle.

— Comptez-vous déjà me quitter ?

— Non, bien sûr que non.

Je me contentai d'un pâle rictus alors qu'il donnait quelques cordes à ses soldats. Kaede leva les yeux au ciel, et j'eus presque peur qu'il n'utilise ses pouvoirs démoniaques. Il n'en fit rien et m'adressa un signe de tête. Plusieurs nobles me regardèrent avec mépris, ils m'avaient vue arriver en compagnie de Kaede. Julius s'approcha, mais ne m'atteignit jamais. Le tyran fit repartir le bal et me tira pour une nouvelle danse. Alors qu'il me tendait la main, je murmurai :

— Je me sens toute chose, peut-on sortir prendre l'air ?

— Est-ce ce criminel qui vous met dans cet état ?

— Il se peut que ce soit cela...

Nous sortîmes discrètement par l'une des portes-fenêtres. L'air qui s'était refroidi me fit le plus grand bien, les mains moites du tyran sur mes hanches me révulsaient. J'inspirai un grand coup. Nous étions, seuls, c'était le moment d'y aller.

Fried m'avait dit que la Marque était sur le bras gauche, je ne pouvais cependant pas la voir, elle était masquée par l'épais tissu de ses habits. Il allait falloir jouer la comédie... Je passai une main sur son avant-bras, essayant de remonter la manche tout en affirmant d'une voix mielleuse, qui ne me correspondait pas :

— Vous êtes bel homme.

Il sourit. Un simple sourire, froid et antipathique. Je frissonnai mais continuai le mouvement de ma main. Elle rencontra un bouton. Je n'arrivais pas à le défaire ! La panique commença à pointer le bout de son nez alors que le tyran plongeait presque du nez dans mon décolleté. Ses mains cherchaient impatiemment l'ouverture de ma robe dans le dos. Son souffle saccadé caressait ma peau à mesure qu'il rapprochait son visage. L'odeur de son parfum m'écoeurait et m'empêchait de me concentrer. La manière dont il me regardait m'obligeait presque à reculer, je ne bougea cependant pas, essayant ainsi de ne pas montrer mes failles.

— Puis-je vous aider monsieur ?

La voix de Julius s'éleva derrière nous. Robespierre se retourna brusquement, le visage étonné puis contrarié. Son geste me surprit et, ne prenant plus la peine d'y aller délicatement, je déchirai le tissu. Avant que le tyran ne se retourne, j'imposai la main sur la Marque.

Je fus aspirée par le vent. Mon esprit se retournait alors que l'ascension progressait, elle me parut interminable, j'avais l'impression d'être restée bloquée entre les mains de Robespierre. Je sentais encore ses caresses, comme si elles étaient encrées dans ma peau. Le portail nous éjecta et je me retrouvai accolée au mur de la chapelle. Julius et Kaede étaient assis près de moi tandis que Redmond se trouvait un peu plus loin.

— C'est bon, dis-je en montrant mon poignet droit.

— Tu es formidable Gwendolyn, murmura Kaede.

— Merci toi et tes complications !

— Cet homme t'a traité de trainée ! Je n'ai fait que te défendre

Je ne répondis rien, sur le moment je n'en vis pas l'utilité. Essayant de me remettre de mes émotions, je secouai la tête tout en remerciant Redmond pour son aide. Soulagée, je retournai tranquillement aux dortoirs afin de profiter du peu de sommeil qu'il me restait.

Il nous restait deux Marques à trouver, et il fallait aussi retrouver la reine, sinon Fried resterait avec cet aigle et ne pourrait pas utiliser ses pouvoirs. Je soupirai et me dis que l'on verrait ça demain. J'avais eu suffisamment d'angoisse pour aujourd'hui. Le plus important était de ne pas craquer et si je continuais à passer des nuits blanches, je ne tiendrais pas le coup.

Alors que je fermais les yeux, je sentis un souffle au coeur. Nous devions recevoir les résultats des examens dès demain. Je n'arrivais pas à m'endormir tellement le stress me tenaillait. Je n'eus d'autre choix que de prendre un somnifère, empêchant les souvenirs de cette mission remonter.

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