Chapitre 3
Gwendolyn
Je soupirai d'aise, heureuse de pouvoir profiter du calme ambiant de ma maison. J'avais la chance de pouvoir rentrer chez moi le week-end. Ce système avait été mis en place pour permettre aux étudiants de se déconnecter du stress scolaire. Grâce à cette coupure, je pouvais me détendre dans mon jardin, protégée par l'ombre rassurante de notre manoir.
Celui-ci, en périphérie de la capitale, avait été bâti peu avant la Grande Guerre de 1838, il était donc récent et ne connaissait pas encore les méfaits du temps. Imposant et somptueux, il reflétait la noblesse de notre rang social. Des dorures, sculptées sur la devanture, soulignait également cet aspect.
Allongée dans l'herbe de mon jardin, je regardais le soleil se coucher. Les dégradés d'orangés m'hypnotisaient alors que je me concentrais sur les événements du matin. Mon cerveau peinait à trouver une explication rationnelle et je commençais à me demander s'il en existait vraiment une. L'état de malaise qui m'avait étreint plus tôt ne semblait pas vouloir me lâcher, je me sentais faible et tremblante.
Les yeux fermés, j'écoutais le chant relaxant des cigales. Malheureusement, pour moi, des voix interrompirent cet idyllique moment. Je me redressai, tout en posant un coude contre la pelouse. Mes longs cheveux bruns glissèrent le long de mon épaule et caressèrent mes omoplates. Je finis par m'asseoir correctement car mon bras n'arrivait pas à me soutenir. Je reconnus le timbre sérieux de mon père :
— La reine a tort de croire que Clade va rester les bras croisés.
— Elle est bornée je te rappelle. Et ce n'est pas parce les chaînes du sceau sont en train de lâcher qu'elle va agir rapidement.
— Elle n'a pas compris qu'une fois le sceau détruit, Clade va essayer de provoquer une nouvelle guerre pour pouvoir régner en maître à sa place !
— Non et tant que l'Annonceuse ne sera pas apparue, elle n'ouvrira pas les yeux.
Je n'avais jamais entendu cette voix grave et charismatique. À qui pouvait-elle bien appartenir ? Je ne m'attardai pas sur ce détail, leur discussion me semblait bien plus importante ! De qui parlaient-ils ? Mais surtout qu'est-ce qui les préoccupait ainsi ? Je ne comprenais pas grand chose à cette discussion, tout me paraissait flou, embrouillé, même surréaliste. Mon coeur palpitait et j'avais l'impression que ma bouche ne produisait plus de salive.
Reprenant possession de mes moyens, je me levai et partis me poster à côté de la fenêtre afin d'épier leur conversation. C'était mal, j'en avais parfaitement conscience, mais ma curiosité prenait le dessus sur ma raison. Le coeur battant à tout rompre et les jambes tremblantes, je suivais avec attention leur conversation.
— Il faut que tu informes tes filles et ta nièce, elles risquent de mal prendre autant de secrets.
— As-tu déjà informé ton fils ?
— Il sait sa véritable identité. Essaie d'imaginer un seul instant le choc lorsqu'elles apprendront.
— Elles n'ont rien à voir avec les Sentinelles.
— Ça, tu n'en sais rien...
La voix de l'inconnu mourut alors que je m'avançais pour mieux comprendre. Une main me tira brusquement à l'intérieur. Je criai de surprise, effrayée que l'on m'ait prise en flagrant délit d'espionnage. Un homme, âgé d'environ trente-six ans, se trouvait devant moi.
J'eus un mouvement de recul en apercevant la couleur de ses yeux, un rouge écarlate brillant. Quelques mèches de cheveux noires, parsemées de gris, encadraient la partie gauche de son visage. Il me rappelait étrangement quelqu'un... Le nouveau.
— Gwendolyn ? Mais que fais-tu là ? s'exclama mon père.
— J'étais dans le jardin.
Mon père haussa un sourcil avant de désigner le nouvel arrivant. Celui-ci réajusta sa veste et me tendit respectueusement sa main. J'étais fascinée par les reflets carmin de ses pupilles.
— Bonjour, jeune fille, dit-il simplement.
— Je te présente Pierre de Villiers, un vieil ami.
— Enchantée, Monsieur.
Je continuai de détailler le physique athlétique de cet homme lorsque ma tante, Claire Verdi, entra. Elle ressemblait beaucoup à Alice. Elles possédaient les mêmes cheveux blonds bouclés ainsi que des prunelles vertes.
Après le décès de son mari, ma tante avait décidé de venir vivre avec nous. Une épreuve difficile qui avait beaucoup affecté Alice. Perdre un proche, son père de surcroit, était toujours compliqué et malgré notre soutien, les deux femmes avaient eu du mal à surmonter cette épreuve.
À cette époque-ci, ma mère, dont j'avais hérité le doux prénom, était partie avec un autre homme. J'avais dix ans. J'avais toujours eu le sentiment qu'elle nous avait abandonnés. Mon père avait tout fait pour que Isabelle et moi ne manquions de rien. Il avait fait de son mieux, mais rien ne pouvait remplacé la présence et l'amour d'une mère. En grandissant, j'avais réalisé que cette femme était restée avec mon père uniquement pour son argent et son titre de conseiller royal. Pardonner était difficile, mais je ne voulais pas d'une rancoeur qui m'empêchait d'avancer.
— Peux-tu nous laisser, Gwendolyn ? me demanda mon père.
Cet ordre, dissimulé sous une question, me tira de mes souvenirs sombres. Je hochai de la tête et sortis de la pièce après avoir brièvement salué ma tante et Pierre de Villiers.
À peine avais-je quitté la pièce qu'un sentiment de profonde angoisse m'étreignit. Mes mains tremblaient et ma gorge était bloquée par une pierre, ce qui m'empêchait de déglutir. Malgré ceci, un goût bileux se répandait sur ma langue alors que de nombreuses questions me faisaient tourner la tête. Que me cachait mon père ? Qui était Clade ? Que manigançait la reine ? J'aurais pu continuer de me poser ce genre de questions si quelqu'un ne m'avait pas bousculée. Je vacillai légèrement et quelqu'un me rattrapa par le poignet.
— Désolé, Gwendolyn.
Mon regard noisette s'encra dans celui pourpre du nouveau. Ses prunelles rouges me fascinèrent par leur éclat brillant. Elles étaient cachées par des mèches noir corbeau. Les plus longues allaient jusqu'au menton et tombaient sur son visage d'une incroyable finesse. J'eus un mouvement de recul devant la force de ses pupilles. Cette couleur, rouge comme le sang, était tellement inhabituelle chez un humain. Ça me surprenait depuis que je connaissais ce garçon. Elles ressemblaient tellement à celui de l'inconnu parlant à l'instant à mon père.
— Qu'est-ce que tu fais là ? demandai-je.
— J'ai accompagné mon père.
Son sourire me fit rougir. J'étais incapable de répondre, il me faisait perdre mes moyens alors qu'il se contentait d'un rictus séducteur. D'un geste nerveux, je passai un main dans mes cheveux, essayant ainsi de reprendre contenance. Je tentai de dire quelque chose mais je ne parvins qu'à bafouiller des paroles peu claires.
— Ta chère cousine nous a interrompus hier matin, commença-t-il.
— À propos du bal ?
— C'est ça. J'y serai, c'est promis.
Je sentis ma bouche s'étirer en large sourire, mais je n'ajoutai rien, refusant de briser la quiétude qui régnait entre nous deux. Les soucis qui me tourmentaient quelques minutes auparavant semblaient oubliés, comme si ce garçon parvenait à calmer mes angoisses.
J'avais le sentiment de le connaitre, nous étions liés par son indéfinissable regard vermeil. Nos âmes, connectées par une chaine ancestrale, semblaient se mélanger au fil des minutes qui passaient. Tout était ralenti, je n'avais plus aucune notion du temps, seul ce contact comptait, le reste importait peu. Un coup de vent fit voler mes cheveux devant mes yeux, je les fermai instantanément, rompant le contact qui m'unissait au nouveau.
J'entendis faiblement mon père et l'inconnu arriver. Je me sentais affaiblie, comme si le lien que nous avions crée pompait toute mon énergie. Comment était-ce possible ? Je n'arrivais pas l'expliquer, tout cela était tellement mystérieux... Alors que mon cerveau réfléchissait sur une éventuelle réponse, la voix de l'inconnu s'éleva :
— Ah, Kaede, enfin te voilà !
— Tu voulais me parler de quelque chose ? réagit le nouveau.
— Pas maintenant.
La ressemblance entre ces deux hommes était frappante. Mêmes yeux, mêmes cheveux, même visage, tout était identique. La seule chose qui les différenciait était bien leur âge. L'aura sombre qu'ils dégageaient ne me laissait aucun doute, quelque chose clochait. Ils n'étaient pas... humains. À peine cette constatation avait-elle effleuré mon esprit que je la repoussai. C'était impossible, je me faisais des films. Et si finalement ce n'était pas le cas ?
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