Chapitre 21
Gwendolyn
Je n'aurais pas imaginé une seule seconde que sortir de la chambre soit si compliqué. Caro ne s'endormit pas avant 22h30, ce qui fut réellement problématique, je ne pouvais pas lui fausser compagnie sans qu'elle ne le remarque.
Je partis en courant rejoindre les autres, j'étais en retard. Gerd nous attendait avec une voiture, devant le portail de l'école. Les quatre autres étaient déjà là, comme d'habitude j'étais la dernière.
Gerd nous avait assuré qu'il avait réglé le problème avec le directeur, je n'étais pas certaine de ça, mais je ne dis rien. Après une demi-heure de route nous arrivâmes devant le château, il ressemblait beaucoup à Versailles.
J'avais l'impression qu'il scintillait dans la nuit, j'étais impressionnée, ça devait être incroyable de vivre dans un endroit comme celui-ci. Mais en même temps, ça devait être quelque peu angoissant au vu de la grandeur de l'endroit. Au deuxième étage une lumière brillait plus que les autres, je supposais que ça devait être la chambre de Fried. Planqués derrière des arbres, je regardai Gerd lancer un sac à Julius
— Enfile ça. Et n'oublie pas tes cheveux.
Mais qu'est-ce qu'ils fichaient ? Nous devions sortir Fried de là, pas faire un changement de style ! Ce n'était vraiment pas le moment. J'essayai de protester, mais Gerd me stoppa. Je fermai la bouche jusqu'à ce que Julius dise :
— Je ne peux pas, c'est au dessus de mes forces.
— Allez un peu de courage, dit Gerd.
Je voyais bien qu'il essayait de ne pas rire et je me demandai bien pourquoi. J'entendis un soupire de derrière l'arbre où Julius était allé se changer. Je restai bouche bée en le voyant.
— Oh, t'as trop la classe comme ça, rigola Kaede.
— Ce n'est pas drôle, réagit Julius en appuyant chaque mot.
Portant une robe noire avec un tablier blanc, il était perché sur des talons de dix centimètres. Ses cheveux étaient détachés et il avait un bandeau noir avec de la dentelle blanche. Je commençais à comprendre le plan de Gerd et je savais que ça n'allait pas se passer comme prévu.
— Je ne peux pas me montrer comme ça, se plaignit Julius. C'est trop la honte.
— Je vous présente Julia, la nouvelle femme de chambre de la reine ! s'exclama Gerd, ignorant les contestations de Julius.
Julius rougit, tandis qu'Alice et Isa le maquillèrent pour qu'il ait l'air plus féminin. Kaede se raccrochait à un arbre pour ne pas s'écrouler de rire, quant à moi j'étais trop stupéfaite pour rire. Accoutré comme ça, Julius ressemblait vraiment à une femme.
Gerd, excellent dans les sceaux magiques, avait créé un marque sur le poignet de Julius et sur le mien. Cela renforça notre lien, je ressentais un sentiment étrange, comme si les émotions de la Sentinelle d'or étaient les miennes. Je sentais cet équilibre précaire dû aux talons, cette appréhension provoquée par le doute, ainsi que l'angoisse d'un échec imminent.
Je me voyais, vacillante, au travers des yeux sombres de Julius. Cette vision était floue, comme si je me concentrais sur le vide. J'entendais Gerd parler, par mes oreilles mais une résonance bourdonnait, tel un écho. L'ouïe de Julius s'étendait à la mienne.
Le jeune homme semblait tout aussi troublé que moi. Entendait-il, voyait-il, percevait-il les choses de la même manière que moi ? Je me convainquis que oui, et fixai mes yeux noisette dans les siens orage. Je n'y lus pas grand chose et après un bref signe d'encouragement, je laissais Julius se diriger vers le château.
Son pas était mal assuré et un poids pressait ma gorge, voulant sans doute écraser mon coeur. J'inspirais lentement, ou plutôt était-ce Julius qui inspirait ainsi, pour calmer cet étrange ressentiment. Mes jambes ne semblaient ne plus me tenir au moment où nous toquâmes à la porte. Un homme vêtu d'une queue de pie ouvrit le lourd battant.
— Ah, c'est toi la nouvelle femme de chambre ? demanda-t-il en reluquant Julius.
— Oui, je m'appelle Julia.
Je sentis au regard de l'homme qu'il aurait voulu enlaça la taille de Julius. Pourtant, devant l'air gêné de mon ami, il ne fit rien, se contentant d'un sourire provocant. Il invita sa nouvelle recrue à entrer alors que la reine descendait élégamment l'escalier recouvert d'un tapis pourpre. Elle contempla calmement Julius et croisa ses mains sur son ventre.
— S'agit-il de ma nouvelle femme de chambre ?
— Oui, répondit le majordome.
— Jeune fille, ayez un horaire plus respectable, 23h00 n'est pas une heure pour se présenter, fit remarquer la reine.
— Veuillez m'excuser votre Altesse, je ne pouvais guère arriver plus vite. Les trains ne sont que très peu conciliants.
Julius s'inclina respectueusement, essayant de donner du crédit à son excuse. La reine eut un petit hochement de tête avant de lui ordonner de la suivre. Le poids sur mon coeur se relâcha légèrement, j'étais soulagée, que pour un court instant toutefois. Les tableaux au cadre doré ne m'apparaissaient pas clairement, un voile translucide atténuait l'ensemble du décor. Le fou-rire de Kaede, appuyé contre le tronc d'un arbre et dans un état irrécupérable, n'aidait pas à ma concentration.
Les couloirs s'enchainaient tel un dédale de rouge et d'or. Les lustres de cristal éclairaient notre passage tandis que leur lumière se reflétait sur les vitres. La souveraine s'arrêta alors devant une chambre.
— Préparez ma chambre pour la nuit.
— Bien madame.
La reine s'éloigna dans le couloir. Quand elle eut tourné à l'angle, Julius la suivit discrètement après avoir enlevé ses chaussures, de peur que les talons ne fassent trop de bruit. Mon pouls, ou alors était-ce celui de Julius, battait intensément contre mes tempes, me donnant le tournis.
Une porte entre-ouverte se dressa finalement devant nous. Les détails de fer s'enroulaient contre le bois, comme s'il voulait le retenir prisonnier. Appuyée contre le mur, je me contentais d'écouter, grâce à l'ouïe de Julius, ce qui se passait dans la pièce. L'entrebâillement des battements n'était pas assez conséquent pour regarder à l'intérieur.
— Décidément, tu ne me poses que des problèmes, soupira la reine.
Je supputai qu'elle s'adressait à Fried.
— Tu ne m'avais pas dit que tu avais à nouveau contact avec la cadette des Shardhose, reprit-elle d'un ton doux. Je t'avais interdit de la revoir et toi tu me désobéis sans vergogne.
Fried ne répondit rien, jusqu'à ce que la souveraine déclare :
— Maintenant tu vas rester avec moi.
Nous entendîmes un choc et je compris aussitôt : le prince avait percuté le mur avant de retomber sur le sol.
— As-tu toujours envie d'outrepasser les règles ? demanda la reine.
— Oui, parce que je l'aime, ah mais j'oubliais tu ne sais pas ce qu'est l'amour ! Ton mariage était forcé.
Je posai une main sur ma bouche, quelque peu choquée par cette réponse. Jamais je n'aurais osé répondre ça.
— Ne redis jamais ça, j'aimais ton père, et tu le sais.
Un gémissement s'éleva alors que Julius s'aplatissait de plus contre le mur.
— Oh mais tu as mal, tu l'as cherché, mon fils, dit-elle.
— Ne m'appelle pas comme ça, rétorqua Fried. Maman je ne te reconnais plus depuis un certain temps.
— Tais-toi, sinon...
— Sinon quoi ?
Ma vision tremblota, Julius se déplaçait alors que des pas se rapprochait de la porte. La Sentinelle d'or se cacha derrière des rideaux. À une seconde près, la reine sortit, tenant Fried par la nuque. Une expression insensible était placardée sur son visage, celle d'un fou. Dans un geste de rage, elle ouvrit brusquement une chambre dans laquelle elle projeta son fils.
— Tu n'es pas claustrophobe, j'espère, car tu vas y rester un bon moment.
Elle ferma la porte en affichant un air cruel, Fried se releva en vitesse et tambourina à la porte.
— Laisse-moi sortir !
La reine s'éloigna. Je me sentais nauséeuse, mais était-ce seulement dû à cette horrible scène ? Peut-être était-ce l'effet du sceau ? Quoi qu'il en soit, nous n'avions pas une seconde à perdre, il fallait libérer notre ami.
Julius se précipita vers la chambre de Fried, devant laquelle il sortit un petit couteau de son tablier et força la serrure de la porte. Au bout d'un moment, elle céda, et il entra en trombe dans la pièce. Il y trouva Fried, appuyé contre son lit, la tête posée sur ses genoux et entre ses bras.
— Fried, c'est moi Julius.
Fried releva la tête, pendant que Julius fermait la porte.
— Comment es-tu arrivé là ? Et c'est quoi cette tenue ? demanda Fried en souriant malgré lui.
— C'est une longue histoire, et la priorité est de te sortir de là.
Il se dirigea vers la fenêtre et l'ouvrit, il fit un signe du pouce, Kaede s'approcha, essayant de contenir un rire. Il laissa sa nature démoniaque prendre. Par les yeux de Julius, je vis les pupilles de notre ami rougeoyer alors que ses ailes d'ange déchu apparaissaient. D'un mouvement gracieux, il s'envola jusqu'à la fenêtre et tendit une corde à Julius qui l'attacha au pied du lit. Vérifiant une dernière fois que la voie était libre, nous indiquâmes à Fried de sortir.
Je retins mon souffle, l'angoisse m'étouffant. Je ne me détendis que lorsque Julius et Fried nous eurent rejoins. Isabelle sauta dans les bras du jeune prince, soulagée qu'il aille bien.
Gerd se tourna vers Julius, qui commençait déjà à enlever ses chaussures.
— Il est temps d'enlever ce sceau.
S'approchant de moi, il saisit mon poignet et passa un doigt sur la marque. Alors qu'un éclair de chaleur traversait mon avant-bras, je sentis un goût bileux sur ma langue. Oh pas maintenant ! Je m'écartai brusquement et vidai mes tripes dans un buisson. En me relevant, je m'aperçus que Julius avait fait de même, probablement les effets secondaires de cette magie.
***
Il était plus 00h00 lorsque nous arrivâmes au lycée. J'étais exténuée, mes yeux me brûlaient et j'avais la nette sensation d'être malade. J'avais à nouveau vomi en arrivant dans les toilettes du dortoir. Je m'étais dépêchée d'aller me coucher avant que Caro ne remarque mon absence.
La soirée n'avait pas été vaine, Fried était sain et sauf... la reine ne lui avait rien fait. Son comportement m'avait paru étrange, mais je ne poussais pas sa réflexion plus loin, le sommeil m'emporta.
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