Chapitre 1

Gwendolyn

— Tu as entendu ! Un nouveau ! C'est la meilleure nouvelle depuis le début de l'année !

Le piaillement suraigu des filles de cette classe me fit mal à la tête. Je n'écoutais pas réellement ma cousine. Les garçons, ça ne m'intéressait pas, enfin je disais ça parce que je n'avais pas encore rencontré celui qui saurait faire battre mon coeur.

Mais toutes mes pensées allaient vers le bal qui se déroulerait prochainement. Je détestais ça. La société évoluait, et à l'aube de l'année 1900, l'organisation de bals était une pratique démodée et inutile. Pourtant notre souveraine continuait d'en programmer pour montrer la grandeur de son Empire. Je soupirai, ce n'était qu'une soirée, après je serais tranquille. Un mauvais moment à passer...

Le cours allait commencer lorsque la porte s'ouvrit sur un jeune homme aux cheveux noirs. Je sentis un sentiment de malaise m'envahir alors que le nouvel élève posa son regard sur moi. Leur couleur rare me terrifia, elle était tellement anormale... Mes paumes étaient moites et je ne sus pas pourquoi un tel sentiment d'angoisse m'étreignait.

Tandis qu'il s'avançait dans la classe, j'eus l'impression d'être foudroyée, comme si mon corps ne répondait plus à aucun de mes ordres. Je ne comprenais pas ce qu'il m'arrivait, c'était étrange, tout comme ce nouveau. Quelque chose chez lui clochait, mais je ne saurais pas dire quoi. Était-ce ses yeux ou cette aura de mystère ambiant ? Je me sentais faible et tremblante, un oisillon face à son prédateur.

— Gwen, tu m'écoutes ?

— Pardon, Alice, non je n'ai pas vraiment écouté, dis-je sans même lui lancer un regard.

Ma cousine regarda du coin de l'oeil le jeune homme aux cheveux noirs et j'étais persuadée que si ses yeux étaient des pistolets, celui-ci serait déjà mort fusillé. Serait-elle jalouse ? Peu de garçons lui résistaient et il semblait que le nouveau faisait partie de cette rare catégorie. Je ne m'étonnais pas du succès d'Alice, elle était magnifique avec ses longs cheveux blonds et ses yeux verts en amande, mais je me réjouis silencieusement qu'elle ne plaise pas à ce garçon.

— C'est à cause de lui ? demanda-t-elle.

— Non, pas du tout ! répondis-je précipitamment.

— Prends-moi pour une idiote ! Tu crois que je ne t'ai pas vu l'observer ?

— Parce que toi tu ne l'as pas fait peut-être ?

Je lui lançai un regard qui se voulait froid, mais je n'y arrivai que moyennement et me contentai d'un sentiment d'agacement. Si un garçon pouvait me regarder, je n'allais pas m'en plaindre. Je n'avais pas la chance d'être aussi belle que ma cousine, j'étais fade par rapport à elle, un tableau raté en quelque sorte. Je me contentai de ce que j'avais, après tout rien ne pouvait changer du jour au lendemain. Mais je vis rouge à l'instant où Alice chuchota :

— Tu vois ça, Isa, notre chère Gwen commence à s'intéresser aux garçons ! Résolution de l'année 1900 peut-être ?

Ma soeur, Isabelle, se mit à rire alors que je rougissais, énervée par les paroles de ma cousine. Tout comme la blonde, Isa avait du succès auprès des garçons mais elle n'acceptait aucune avance, car sa dernière rupture restait douloureuse.

Je marmonnai quelque chose et me désintéressait volontairement de la discussion. Tout en faisant cliqueter mes ongles sur le bureau, j'essayai de ne pas prêter attention au regard insistant du nouveau. Son aura mystérieuse semblait emplir la salle. Son visage montrait clairement qu'il aurait aimé être ailleurs. Il regardait par la fenêtre, sans suivre le discours monotone du professeur.

J'avais la gorge sèche, sûrement la soif provoquée par cette chaude journée de printemps. Mais comme indiqué dans le règlement, les bouteilles d'eau étaient interdites en classe, je n'avais donc rien à boire.  Je sentis un fourmillement dans le bout de mes doigts, comme si le sang ne parvenait plus à les irriguer. Je les agitai et faillis renverser le verre d'eau qui venait d'apparaitre subitement devant moi.

Je me reculai rapidement, le coeur battant à tout rompre. Une goutte de sueur froide glissa le long de ma nuque alors que je tremblais, inquiète à l'idée que quelqu'un n'ait remarqué cette soudaine apparition.

Comment ce verre avait-il pu se retrouver sur mon bureau ? Je n'arrivais plus à aligner des pensées cohérentes. Je voulus saisir le récipient, mais dans la cohue que provoquait mon cerveau, je le bousculai. Je fis un brusque mouvement pour tenter de le rattraper mais avant qu'il n'atteigne le sol, il disparut. J'écarquillai les yeux et passai un main sur le carrelage, il n'était pas mouillé, pas même humide. Qu'est-ce qui m'arrivait ? J'avais des hallucinations, j'étais folle !

Je tentais vainement de calmer les battements affolés de mon coeur. Mes mains tremblaient, mes oreilles bourdonnaient et j'eus comme une nausée au moment où je me relevais. J'étais dans un tel état de malaise que je ne remarquai pas la présence de mon professeur.

— Voulez-vous de l'aide, mademoiselle Shardhose ? demanda-t-il avec ironie.

— Non... non tout va bien.

Je réussis à bégayer cette brève réponse alors que l'enseignant levait les yeux au ciel. Il reprit son discours de début d'année comme s'il ne s'était absolument rien passé. Je priais intérieurement pour que personne n'ait remarqué mon malaise et la disparition du verre. La chance ne semblait pas de mon côté car le nouveau me fixait de ses yeux surnaturels.

M'avait-il percée à jour ? Je n'arrivais pas à déterminer quoi que ce soit sur son visage, il portait un masque impassible. Ce garçon était décidément étrange, de par son apparence et son comportement.

Un mauvais pressentiment m'étreignit, je décidai sciemment de ne pas le suivre. Peut-être aurais-je dû...

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