Chapitre 14. A

Les hautes murailles d'un blanc immaculé s'élevaient dans le ciel. Après avoir franchi l'immense porte, des milliers de lumières aveuglèrent la jeune ange. À travers les barreaux de sa cage, elle pouvait apercevoir tous types de personnes. Des mendiants dans les coins crasseux des rues, des enfants, friandises ou jouets dans les mains, courant les uns après les autres telles des meutes. Ou encore des adultes qui discutaient paisiblement -ou non- près de diverses tavernes et auberges. Les gardes circulant étaient armés, mais joviales et heureux comme le reste de la population. Au fur et à mesure du chemin qu'ils empruntaient, les esclavagistes et la Hogo s'enfonçaient dans les rues chics de la capitale. De nombreux nobles étaient magnifiquement habillés et accompagnés de leurs amis, ou encore de toutes sortes d'animaux exotiques pour parader. Sur les murs des maisons et des villas étaient accrochées des tas de guirlandes colorées et de lanternes de toutes tailles. Chaque guirlande reliait des bâtiments entre eux, créant une espèce de toile d'araignée sophistiquée. Après plusieurs minutes à contempler ce spectacle, tourner dans diverses rues, le groupe traversa un pont. La jeune ange put apercevoir un bâtiment ressemblant à une maison, peut-être une caserne, à sa droite. A sa gauche, par contre, s'élevait une structure bien plus imposante et grandiose. C'était un amphithéâtre, de plusieurs mètres de haut et de long, de forme circulaire. Elle ne l'avait auparavant pas remarqué car elle s'était focalisée sur la joie et bonne humeur environnante présente dans les rues de la ville, mais ce bâtiment, lui, émanait un sentiment de fierté non dissimulée, mais surtout d'honneur. Aurore n'avait pas à franchir l'une des différentes entrées de cet amphithéâtre, connaissant déjà chaque recoin. Son maître lui avait raconté des dizaines d'anecdotes sur cet incroyable édifice, mais aussi sur les combats qu'il avait vécu dans l'arène qu'était au centre de cet amphithéâtre. Les sons, les odeurs, les images, Aurore les imaginaient parfaitement. Alors que le groupe d'anges tournait dans une intersection près d'un deuxième pont et d'un cours d'eau, la jeune Hogo se promit de combattre un jour, dans cette arène. Pour l'honneur de sa famille et le souvenir de son maître.

L'amphithéâtre disparut dans son dos, et la cage s'arrêta de bouger. Tandis que ses geôliers s'éloignaient pour partir vers l'espèce de caserne qu'Aurore avait remarqué, le garçon blond et muet resta près de la cage. Les seules sources de lumière présentes étaient au niveau de la rue principale, derrière le bâtiment et au niveau de l'arène, et une simple torche devant l'entrée de ce même bâtiment. Les deux anges étaient dans la pénombre, et les seuls bruits environnants étaient les clapotis de l'eau du fleuve, et parfois une chouette qui hululait. Le garçon s'approcha d'Aurore pour lui tapoter le genoux. L'esclave se tourna vers lui :

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Elle avait chuchoté, mais son ton avait été abrupt. Elle s'en rendit compte à la seconde où le garçon lui lança un regard noir. Elle n'eut pas le temps de s'excuser car il tâta de nouveau sa jambe pour toucher le sabre de la jeune fille. Alors qu'elle allait parler, il lui fit signe de lui donner d'un mouvement de main. Elle s'outra :

- Comment ça tu veux le prendre ? Tu vas le garder pour toi ?

Il lui lança un nouveau regard glacial. Après avoir observé les alentours, comme s'il avait peur que quelqu'un arrive, il attrapa la jeune fille au col. Elle fut surprise, et cria presque. Il rapprocha sa tête des barreaux et tira celle de la jeune femme aussi. Il pointa ses cheveux et ses yeux, pour qu'Aurore les observe de près. La gêne s'installa pendant de longues secondes durant lesquelles Aurore fixa les cheveux, puis les yeux, puis de nouveau les cheveux du muet. Lorsqu'elle le regarda de nouveau dans les yeux, il semblait penser ''Comprends ! Tu dois comprendre! '' C'était ce qu'elle imaginait avant de comprendre qu'elle entendait bien ces paroles. Pourtant, les lèvres du jeune homme restaient figées, comme ses yeux qui fixaient ceux de la Hogo.

-Tu es télépa-

Ses pensées se furent coupées par d'autres plus puissantes.

-Dans un sens oui.

-Pourquoi tu n'as pas communiqué de cette façon plus tôt alors ?

-Tu crois que c'est simple de transmettre des pensées à quelqu'un qui possède un tourbillon d'images et de sons dans sa tête ?

C'était un reproche. C'était bel et bien un reproche.

- Désolée d'être émerveillée.

- Tu ne vois que la vitrine de cette ville. Mais passons. Je peux enfin te parler. Je n'ai pas beaucoup de temps alors écoute moi.

Les deux jeunes gens continuèrent à se fixer, mais leurs pensées filèrent à toute vitesse.

- Je vais prendre ton sabre pour le mettre en sûreté. Je sais que tu ne me fais pas confiance, mais tu le reverras un jour, j'en suis certain. Les deux autres idiots en ont peur car ils ne peuvent pas le toucher sans se faire électrocuter, mais pas moi.

- Comment ça, le sabre les électrocute ?

Le garçon eut un sourire.

- Ne t'en fais pas, tu sauras un jour.

Il y eut un nouveau silence, avant qu'Aurore continue :

- Mouais. Je ne te fais pas trop confiance, c'est vrai... Mais rien que le fait que ces abrutis possèdent ou vendent mon sabre m'horripile... J'ai le choix entre la peste et le choléra.

Elle attrapa son sabre et le retira de sa cachette. Elle le tendit au garçon, puis reprit à voix haute :

- J'espère que tu en prendras soin...

Son coeur se serra. Son maître avait tellement eut confiance en elle, et maintenant elle gâchait tout. Mais avait-elle le choix ? Pouvait-elle garder ce sabre sans que personne ne s'en aperçoive ? Non, elle serait surveillée, et au moindre geste de travers, ses geôliers en profiteraient. Elle était prise au piège, devait faire confiance à un inconnu. Pourtant... Pourtant, ce garçon pouvait la laisser croupir comme une simple ordure, un objet sans valeur. Alors... Pourquoi ?

- Mais... Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu m'aides ? Les autres me considèrent comme une moins que rien... Pourquoi pas toi ?

Il ne lui transmit aucune pensée, mais un sourire en biais se dessina sur son visage. Il semblait dire ''Qui sait ?''

Le blond s'éloigna pour s'envoler sur un toit alentour et disparaître dans la nuit, laissa la Hogo seule dans l'obscurité quasi totale.

Quelques minutes passèrent avant qu'il ne revienne, et encore une ou deux minutes pour que les autres anges reviennent de l'étrange caserne. Le groupe était accompagné d'un autre homme, grand et costaud. Ils s'approchèrent de la cage et discutèrent :

- Elle sait se battre j'espère ? Je n'achète aucun boulet. Fit le nouveau venu.

Il semblait assez âgé, mais toujours bien portant. Ses bras étaient musclés et il ne semblait pas avoir froid alors que la nuit était fraîche. Celui à la capuche, aussi grand, répondit dans une voix caverneuse :

- Oui c'est une furie. Je ne pensais pas trouver d'aussi bonne qualité en pleine campagne, mais la voici. J'ai tout de suite pensé à toi dès que nous l'avons immobilisée.

- Elle est obéissante ?

- Il y a du travail à faire, mais elle le sera. Je ne doute pas de tes méthodes.

L'acheteur se rapprocha pour mieux observer la jeune femme à travers les barreaux, et elle lui lança un regard noir. Les bras croisés, elle restait en position de refus.

- Pourquoi a-t-elle les mains détachées ?

Le brun à la cicatrice lui répondit :

- Elle se plaignait. Ça devenait énervant durant le voyage.

Le costaud eut un sourire.

- Une combattante qui se plaint ? Quelle ironie.

Il continua à la scruter. Ses vêtements, son attitude, ses cheveux et son visage.

- Bon, je la prends. Le prix que vous m'avez demandé me convient.

L'homme encapuchonné donna les clefs de la cage à l'acheteur, en échange d'une bourse bien pleine.

- C'était le bon choix.

- Je sais.

Tandis que son nouveau propriétaire s'installait au devant la cage pour ordonner à la bête d'avancer, l'homme à la capuche regarda Aurore pour une dernière fois. Elle pouvait voir ses nombreuses cicatrices sur son visage, ce qui lui donna des frissons.

Elle ne savait pas si elle devait être heureuse de ne plus être accompagner de cet homme ou non.

Le vieille homme ajouta à son vendeur :

- Tu pourras venir récupérer cette cage avec ton animal demain matin. Vous devriez tous passer une nuit à l'auberge pour vous reposer après ce voyage. Bonne nuit.

Les esclavagistes disparurent dans le noir de la nuit, tandis que le nouveau propriétaire d'Aurore dirigea la cage vers son bâtiment. Ils franchirent un portail avec une arche en pierre. La jeune Hogo aperçu à la lumière de diverses torches une cour en sable ou en gravier, entourée par différents bâtiments. L'homme arrêta la bête et la cage près de l'un d'eux, puis s'approcha de son nouvel esclave.

- Bon, je vais t'expliquer comme ça fonctionne ici.

Il regarda droit dans les yeux l'ange, qui resta impassible. Elle avait compris. Elle était un objet, rien de plus. Elle s'était émerveillée sur les lumières, la joie de cette ville, mais elle n'en profiterait pas. Le muet avait raison, cette ville avait une magnifique vitrine.

- C'est simple, la cloche du matin indique l'heure du réveil. Tu dois être levée dans les minutes qui suivent, et si je trouve que tu es trop longue je viendrai te réveiller moi-même avec un seau d'eau. Si tu as été sage les journées précédentes, tu pourras manger juste après, sinon tu attendra la cloche du midi pour la pause déjeuner. La cloche du soir c'est pour la fin de la journée de travail. Tu pourras manger si tu as bien travaillé, tu devras te laver et ranger l'équipement avant la dernière cloche qui désigne l'heure du coucher. Si je te vois dehors après ce couvre-feu, ça va chauffer pour toi.

Il prit les clefs de la cage pour l'ouvrir, pour la première fois depuis qu'Aurore était dedans. Elle ne tenta rien, car cet ange imposant bloquait l'unique sortie qu'elle pouvait emprunter.

- Certaines choses sont bien entendu interdites. Se rebeller contre moi en fait partie, mais je pense que je n'ai pas besoin de le dire. Il est aussi interdit de parler de son passé. Ici vous êtes tous identiques, des esclaves qui doivent le respect et l'obéissance. Si tu avais un grade, tu ne l'as plus. Si tu avais un rang, tu ne l'as plus. Si tu avais un nom, tu ne l'as plus. Si tu avais des terres, tu ne les possèdes plus. Si tu souhaites tout cela à nouveau, tu vas devoir le gagner en te battant contre les autres dans l'arène.

Il s'écarta de la porte de la cage pour laisser la jeune ange sortir. Lorsqu'elle s'exécuta, il continua :

- J'avais oublié, comment tu t'appelles ?

Il y eut un petit silence, avant qu'Aurore réponde dans un sourire, éclairé par la lumière d'une torche à proximité.

- Je croyais que je n'avais plus de nom.

- Tu es une fille intelligente. Tu as le droit de choisir ton prénom de naissance ou un nouveau comme je ne le connais pas. Je m'en fiche un peu. Tu n'as simplement pas le droit de parler de ton passé à tes camarades.

- Je vois... Très bien.

Elle hésita quelques secondes avant d'annoncer :

- Ça sera Victoire.

Ce fut au tour du vieil ange de sourire :

- Je vois. Dans ce cas, bienvenue Victoire. Je vais te montrer ta chambre.

Il l'amena vers un bâtiment un peu plus loin, pour monter des escaliers en pierre. Il dépassa quelques portes pour arriver au bout d'un couloir à ciel ouvert et la dernière porte disponible. Près des murets en pierre étaient à la même hauteur un toit en tuiles. Tandis que son maître ouvrait la porte, Aurore -ou plutôt Victoire- observa les alentours. En face du bâtiment où ils étaient se trouvait une autre structure similaire, aux escaliers et murets en pierre, mais il y avait moins de portes. L'ange ordonna à la jeune de rentrer. Il y avait un lit simple, une petite table, une bougie sur celle-ci et un pot près du lit. Dans un coin se trouvait une petite fenêtre ressemblant à un simple trou dans le mur qui donnait sur l'extérieur. Ce trou était trop petit pour passer, mais laissait l'air entrer dans la pièce.

- Bon, je te laisse t'installer. A demain.

Le vieil ange referma à clef la porte après être sorti, laissant la jeune seule dans cette petite chambre noire. La lumière de la ville s'infiltrait par l'unique ouverture de la pièce, décrivant des ombres mouvantes sur le mur d'en face. Victoire repéra des allumettes au niveau de cette fenêtre et se rapprocha pour les prendre. Elle en craqua une pour allumer la bougie. Elle plaça celle-ci sur la fenêtre, ce qui atténua voire fit disparaître les ombres mouvantes. A la place, se dessina très nettement l'ombre de la jeune ange. Elle l'observa quelques secondes avant de se retourner et de s'asseoir sur le lit près d'elle. Elle fixa la petite source de lumière, pour presque pleurer de douleur avant de l''éteindre. Pourquoi n'arrivait-elle pas à pleurer ? Elle était seule, avait perdu sa famille, sa liberté. Des images de flammes dansaient désormais dans son esprit, leur crépitement résonnait dans son crâne, et pourtant. Pourtant elle n'arrivait pas à pleurer toutes ces pertes. Elle avait versé des larmes, sous le choc, mais maintenant ? Avait-elle assez pleuré ? Devait-elle se sentir triste ? Coupable ? En Colère ? Son esprit était si rempli de pensées, mais son cœur semblait être vide.

Elle attrapa la chaîne qu'elle portait autour du coup, pour tâter l'anneau en or qui y était attaché. Elle n'en était pas digne.

* * *

Un garde en amure installé dans le jardin du palais près de la muraille intérieur entendit un bruissement près d'un buisson. Il pensa que c'était un animal, mais par conscience il préféra s'approcher et tendit sa lanterne pour observer un quelconque autre mouvement. Il se retourna trop tard quand une ombre sauta de l'arbre voisin pour lui mettre un coup derrière la tête. Cette silhouette continua son chemin vers l'aile du palais la plus proche, un objet dans l'une de ses mains. Un autre garde se fit assommer près des bâtiments, alors que cette même ombre l'attaqua en sautant d'un arbre. Plusieurs cloches sonnèrent l'alarme, et la silhouette se retourna. Le garde dans le jardin avait été découvert ou s'était réveillé, et avait donné l'alerte. L'ombre devait se dépêcher d'accomplir son dû. Elle repéra différents balcons sur lesquels il pouvait sauter, et s'exécuta. À la lueur d'une torche, ses cheveux blonds brillèrent une fraction de seconde. C'était un visage masculin. Il s'approcha d'un balcon en particulier, et entendit au loin le cliquetis et le grincement des armures des soldats dans le jardin. Il déposa l'objet qu'il avait en main sur ce balcon pour ensuite taper sur la double-porte fermée. Il sauta sur le toit quelques secondes plus tard, alors qu'il entendit du bruit dans la pièce. Une femme blonde sortit en trombe, en chemise de nuit, épée à la main, et observa les alentours.

- Qui est là ? Montrez-vous !

Elle remarqua l'objet au sol et se stoppa net devant celui-ci. Le garçon sur le toit passa sa tête pour entrevoir les mouvements de cette femme. Elle ramassa l'objet lentement, comme s'il était irréel. Elle le scruta sous toutes les coutures, retira le fourreau qui le protégeait -s'était donc une arme- pour le remettre rapidement. Après un long silence, elle chuchota dans le vent :

- Merci.

La silhouette fit un sourire, et disparut après avoir sauté de toit en toit.

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