Chapitre 11. Y

Yoen avait essayé de tirer des informations à sa mère, mais celle-ci resta muette telle une carpe. Elle répétait qu'il ne fallait pas s'inquiéter, mais le démon savait qu'il y avait anguille sous roche.

- Maman ! Je vous ai vu utiliser la télépathie avec papa ! Ne me fais pas croire qu'il n'y a rien, vos têtes étaient presque livides !

Il en était à son vingt-cinquième essai -ou peut-être vingt-sixième ?- pour la faire parler, sans succès.

- Yoen, je te dis qu'il n'y a rien ! Nous n'avons formulé que de simples hypothèses, et ton père interrogera ton oncle sur les raisons de la perte de son armure. Il n'y a aucune raison de s'inquiéter.

Elle était en train de désherber un pan du jardin où se trouvait des rosiers qui lui arrivaient à la taille. Son fils tenait une épuisette, retirait des feuilles et toute sortes d'impuretés du bassin rectangulaire.

Le garçon savait qu'une approche de face ne servirait plus. Il tenta dans son imprudence de soutirer des informations de l'esprit de sa mère par télépathie. Il fut rejeté sèchement à la première seconde de son intrusion, et il faillit en perdre son équilibre et tomber. Sa mère ne se retourna même pas pour lui parler :

- Ne retente plus jamais ce genre de chose mon fils. Tu ne sais pas ce qui peut t'attendre dans l'esprit d'un autre, et tu ne risque que ta propre vie en tentant d'y entrer comme un dragon survolant une cité.

Sa voix était devenue froide comme celle de son père. Yoen en eut des frissons, il n'avait jamais ressentit sa mère aussi glaciale. Elle continua, sa voix était maintenant presque étouffée :

- C'est pour ta sécurité que je dis ça Yoen. Un esprit qui fusionne à un autre ne peut jamais redevenir libre, et le savoir est une arme à double tranchant.

Yoen sentit un mouvement de l'air à sa gauche, juste derrière lui. Il eut à peine le temps de se retourner que sa mère avait mit une main sur son épaule. Le bosquet de rosiers était pourtant à plusieurs mètres à sa droite. Sa mère maîtrisait t-elle la téléportation ? Il n'eut pas le temps d'y penser, Naori déclara :

- Ne refais jamais ça, vraiment. Tu connais les règles sur la télépathie. Je ne dirai pas que je les ai toujours acceptées et respectées, mais il vaut mieux pour toi de ne plus l'utiliser. La téléportation est un don encore plus précieux que la télépathie, et elle t'accordera plus de sécurité que ta curiosité.

Yoen fixa le sol de grès qui bordait le bassin. Sa fierté venait d'en prendre un coup. Sa mère s'assit au sol, ses jambes tendues et croisées. ses pieds au bord de l'eau, ses bras derrière son dos maintenaient de leurs main son corps. Elle observa les ondes qui recouvraient la surface de l'eau faites par la fontaine tournant autour de l'arbre à gauche du bassin et arrêtait sa course juste au dessus de lui.

- Tu sais, lorsque j'avais ton âge...

Yoen s'assit à son tour aux côtés de sa mère, lui en tailleur. Il aimait les récits de sa mère sur son passé.

- Je savais que ma télépathie était un grand pouvoir. Mes parents m'avaient dit que c'était une lointaine faculté provenant de mes ancêtres, comme ma téléportation. Je ne pouvais malheureusement pas user de mon don comme je le voulais à cause des restrictions le concernant. Les gens me craignaient à cause de lui, et m'ordonnaient de me mêler de mes oignons lorsque j'approchais trop d'eux. Tout cela me frustrait.

Elle marqua une pause, fixant maintenant le ciel.

- Et puis, malgré ma solitude, comme toutes les jeunes filles qui se respectent... J'ai aimé un garçon.

Elle s'arrêta une nouvelle fois et soupira.

- La plupart des filles avaient le béguin pour lui à l'époque. Il était beau gosse, intelligent, et surtout, c'était le fils cadet du Dirigeant du clan. Beaucoup se rapprochaient de lui pour les liens politiques qu'il avait et non pas ce qu'il était. Et, même si je l'aimais pour son air parfait et que j'étais une très bonne élève à l'académie, le fait que je ne sois pas populaire me retirait tout espoir de pouvoir lui adresser la parole. Et un jour... Un jour, j'ai usé de ma télépathie pour connaître ses préférences en matière d'amour. J'étais cruellement jalouse, je ne vais pas mentir !

Elle éclata d'un rire cristallin que Yoen avait très peu entendu durant sa vie.

- Et cela a été un échec cuisant ! Nous étions en plein cours d'histoire, et il s'était retourné dans tous les sens pour savoir ce qui lui arrivait. Il s'était rendu compte de mon visage pivoine et m'avait regardé quelques secondes. Puis, il a continué à suivre le cours comme si de rien n'était. Dans ma mégarde, j'ai fait une chose que je n'ai compris qu'avec le temps : J'avais lié mon esprit au sien. Ils ne s'étaient pas fusionnés, mais ils étaient toujours en contact. On pourrai considérer que des esprits fusionnés sont tels des disques superposés, et bien là,  seule une partie l'étaient. Un cinquième, voir un quart peut-être. Mais le mal était déjà fait.

Elle s'allongea plus confortablement, ses mains derrière son crâne, juste au dessus de sa nuque.

- Je pouvais parfois entendre ses pensées, et ressentir ses émotions. Lorsqu'il faisait un cauchemar, j'avais des bribes de celui-ci dans ma tête et je dormais mal la nuit, si ce n'était que je me réveillais carrément. Je pense qu'il ressentait la même chose, car un jour il est venu m'en parler après les cours, lorsqu'il n'y avait plus personne pour nous espionner. C'est à ce moment que nous avions conclu que nos esprits étaient liés. Il était très bouleversé à cette idée que quelqu'un pouvait savoir ce qu'il ressentait, et j'étais aussi très gênée. Nous n'en avons jamais parlé à d'autres personnes.

- C'est bien gentil de me raconter les histoires d'amour de ta jeunesse, mais qui est ce garçon ? Tu es toujours lié à lui ? S'impatienta Yoen.

- Les liaisons de ce genre ne se rompent jamais.

Elle esquissa un sourire en coin.

- Et ce garçon est aujourd'hui ton père.

Le jeune démon fixa sa mère, sa bouche formait un "O".

- Vraiment ! Ouah ! Ce genre de liaison peut aller jusque là ?

Le sourire de Naori s'élargit, elle avait captivé son fils :

- Après plusieurs mois, nous ne firent plus très attention à cette connexion. Je ressentais toujours des choses pour ton père, mais j'arrivais à les cacher au plus profond de moi. Et puis... Et puis ton père est allé au front avec son frère aîné et leur propre père. Lui devait avoir aux alentours des soixante-dix ans, et son frère avait dépassé sa majorité. J'ai toujours pensé que faire la guerre avant d'être adulte était une folie, mais je ne pouvais rien dire au propre dirigeant de mon clan !

Elle sembla dans ses pensées pendant un instant, comme si elle se remémorait un souvenir.

- Malgré la distance qui nous séparait à ce moment, j'ai ressenti son chagrin lors de la perte de son père à la lisière de la forêt d'Hogo ce jour là. Sur le coup, cela n'était pas si grave, j'avais juste ressentit des frissons. Mais avec le temps... Avec le temps, il commençait à sombrer dans le désespoir. Son frère avait prit les rênes du clan, laissant sa haine le guider, enveniment de plus en plus de gens. Lui ne souhaitait pas cela, et se morfondait sur sa vie complètement ratée.

Elle leva son poing de frustration pour continuer :

- Ah je te jure ! Je ressentais ses émotions qu'importe l'endroit ou le moment ! Je me mettait à pleurer en plein repas, rêvait de sang la nuit, et j'en passe ! Il menait la vie dure, et la mienne avec ! Pourtant je ne savais quoi faire, n'y comment m'y prendre pour l'aider ! Un jour... Il a voulu une chose que je n'avais jamais pensé malgré ma propre solitude. Il voulait mette un terme à sa vie. Je n'avais pas compris ce sentiment au départ, ne l'ayant jamais ressentit par moi-même. Je pensais que c'était un sentiment de désespoir, mais plus puissant. J'avais distingué à travers mes pensées les murailles de la ville, mais de haut. Je ne savais pas ce qu'il faisait, ses émotions étaient toutes brouillées -il était ivre en réalité, le lâche ! Je m'était levée et habillée par précaution, car il est rare en pleine nuit d'être sur les rempart pour un civil. J'étais à peine sortie de ma maison qu'il était au bord du mur ! C'est à ce moment que j'ai réellement compris ce qu'il se passait. Sans attendre une seconde, je me suis téléportée. Il avait dû ressentir mon angoisse et ma douleur car il avait arrêté son pied avant de sauter. Par chance j'avais réussi à me téléporter à quelques mètres de lui. J'étais éreintée d'avoir parcouru cette distance en quelques seconds, mais à ce moment là, je n'ai pas réfléchi et je l'ai pris par le col pour lui faire le serment du siècle ! Malheureusement il était saoul et j'ai appris plus tard qu'il ne s'en était pas souvenu. Je crois que je n'ai jamais autant pleuré de ma vie que durant cette nuit là. J'avais laissé mes sentiments exploser et je pense qu'il s'en était rendu compte le jour levé.

Elle pouffa :

- Si tu l'avais vu le matin après cette nuit ! Je l'avais par prudence amenée dans ma chambre pour qu'il ne retente pas le coup. Lorsqu'il l'avait remarqué, il s'était empourprée jusqu'aux oreilles ! Pendant plusieurs années j'ai dû l'aider pour remonter la pente de la dépression, mais il n'a plus jamais attenté à sa vie. Nous nous sommes rapprochés au fur et à mesure du temps malgré les jalousies et messes basses des autres et nous avons fini par être amants, et nous marier. Ton oncle à ensuite arrêté son poste de chef du clan et ton père à prit sa place. Ils n'avaient pas les mêmes idées d'avenir mais chacun respectait celles de l'autre. Tu es ensuite venu au monde et je suis entrée dans les services secrets.

- Eh bien ! En voilà une de sacrée histoire !

- Et oui ! Elle s'est certes bien fini, mais nous ne voulions pas de ce lien au départ. Cela a été très dur pour nous deux de vivre avec les émotions de l'autre. Beaucoup ne souhaite pas de ce genre de liaison et en finissent tués ou fous. C'est pourquoi je te mets en garde Yoen.

Elle se leva :

- Bon, je dois continuer à faire le ménage ! Je suis sûre que les poussières n'ont pas étés faites depuis belle lurette !

Yoen se releva à son tour et tenta de se remémorer les dires de sa mère et... Il était vrai qu'il ne se souvenait plus exactement. Heureusement que les domestiques étaient là... Naori s'éloigna et son fils l'interrompit :

- Merci !

Un sourire se dessina sur son visage, et sa mère le lui rendit lorsqu'elle se retourna :

- Mais de rien !

* * *

Le crépuscule tombait lorsque Yoen s'entraînait à la calligraphie dans son bureau. Il avait presque fini son parchemin lorsque la porte s'ouvrit à la volée, il sursauta.

- Yoen !

Sa mère se tenait dans l'encadrement de la porte, haletante :

- Fichu téléportation... Ah Yoen ! Tu dois partir, vite !

Elle posa trois sabres sur son bureau, n'ayant rien à cirer à ce qu'il y avait sur celui-ci. Le garçon en reconnu deux, les siens. L'autre était plus luxueux, le pommeau étant décoré d'or et d'onyx noires. Son fourreau était d'un noir aussi jais que ses propres cheveux.

- Qu'est-ce que tu veux que je fasse avec ça maman ?! Je dois partir ? Tu es ivre ma parole ! Va te-

Elle l'attrapa par l'une de ses épaules, elle était vêtue uniquement de noir. Seul son visage clair laissait refléter la faible lueur des rayons du soleil. Elle avait deux dagues à sa ceinture et un masque dans l'autre main. Il était aussi blanc que de la porcelaine, incurvé au niveau des bords du front et du nez, ressemblant un peut à une tête d'oiseau. Sa mère le lui donna :

- Protège ce masque et cette dague au péril de ta vie comme je l'ai fait. Prends un sac avec des provisions et éloigne toi le plus loin d'ici. Va vers le Nord ou le Sud, mais ne revient plus jamais ici.

Sa mère était t-elle folle ? Non, il l'avait trop énervée lorsqu'il avait voulu lire dans son esprit, et elle l'avait banni... Non ! Non pas ça !

- Je suis désolé maman, je ne voulais pas t'énerver, maman non...

Les larmes menaçaient de dévaler ses joues.

- Quoi ? Que me racontes-tu là ?

- S'il te plaît maman ne me banni pas...

Elle eut une mine affligée, celle que l'on ne souhaite pas avoir face à un enfant ignorant. Ses yeux se fermèrent, et elle colla son front contre celui de son fils :

- Je ne te banni pas Yoen. Je ne ferai jamais ça. J'aurais tant aimé t'expliquer ce que je sais et l'importance de ce que nous sommes... Seulement nous n'avons pas assez de temps.

Une larme coula le long de sa joue et elle déclara d'une voix enrouée :

- Pardonne moi mon fils... Je t'aime.

Elle ouvrit les yeux, laissant leur clarté surnaturelle aveugler Yoen. Tout le reste se passa dans son esprit.

Je pensais que partir vers le Nord ou le Sud était la meilleure solution, mais la vérité est que tu ne pourrais survivre dans les territoires démoniaques. Part vers l'Est. Évite les grandes zones peuplées ou reste loin des affaires importantes. Prends de quoi te nourrir pour un minimum d'une semaine, et garde secrète l'existence du masque que je t'ai donné. Porte le lors de la prochaine pleine lune. Ne donne à personne la dague, et garde la comme le masque au péril de ta vie. Dissimule tes ailes par cette cape, même si elle est plus utile en hiver qu'en été. Que les Ombres te protègent, mon fils. Maintenant, Va !

Un filtre flou masquait la vue et les pensées du garçon lors de son réveil. Il était seul. Il aurait pourtant juré que... Non, il n'y avait rien. Il prit la cape posée sur le bureau, chercha un sac dans sa chambre juste à côté et rangea ses sabres dans leur fourreau au niveau du bas de son dos. Il positionna ma dague à sa ceinture et s'en alla vers les cuisines.

----------

Notes de l'auteur :

Mon dieu cette fin !

J'ai aussi beaucoup apprécié raconter le passé des parents de Yoen !
Et vous, qu'est-ce que vous en pensez ?

Lexique :

Nous avons dans ce chapitre Naori qui raconte un peu comment fonctionne la télépathie, en particulier lorsque deux esprits sont connectés.

Il est possible de connecter deux esprits voir plus par inadvertance ou bien volontairement mais cela n'est pas sans conséquences. Cela dès que l'on atteint le stade deux de la télépathie, donc si l'on souhaite connaître des pensées cachées.
Comme la démone nous l'a décrit, les deux êtres peuvent ressentir les émotions, sentiments et pensées de l'autre. Mais cela est plus grave plus les esprits sont fusionnés.
J'ai décidé de faire un exemple avec des disques pour que cela soit plus simple à expliquer. Les disques de Naori et Yasaki sont superposés à un quart voir un tiers, ils partagent donc une partie de leur esprit.
Il faut savoir que plus les esprits sont fusionnés, moins les gens à qui ils appartiennent n'ont d'identité personnelle. On peut donc considérer que dès que deux esprits sont complètement fusionnés, ils ne font plus qu'un et que les deux personnes n'ont qu'une identité, tel deux disques superposés ou une éclipse. Cette issue mène donc souvent à la folie.
Lorsque deux esprits sont liés, il peut arriver que leur liaison grossisse, devienne par exemple de un tiers à la moitié du disque, jusqu'au disque complet. Voilà pourquoi les gens aux esprits liés ont tendance à tuer l'autre personne pour garder leur identité personnelle par crainte. Ici Naori et Yasaki ne l'on pas fait car ils n'étaient qu'enfants.

Parlons ensuite des âges. angéliques et démoniaques.

Lorsqu'un ange ou un démon a 5 ans, on considère que c'est pour les humains un an.
10 ans revient à 2 ans, 15 ans à 3 ans, ainsi de suite, toujours de 5 en 5. La majorité reviens à 100 ans angéliques ou démoniaques et vingt ans pour les humains. Après vingt ans, cela se complique. Cela diffère en fonction du régime et de ma manière de vivre de l'ange ou du démon.
(Considérant les Niku vieillissant plus rapidement et les Hogo le contraire.)

J'espère que ce chapitre vous à plus, à la prochaine !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top