Victor

Victor n'avait jamais aimé la vie. Même du haut de ses quatre ans, il l'avait su dès son premier jour d'école.
Personne au monde ne l'avait jamais détesté comme il se haïssait lui-même.
Pourquoi diable avait-il la peau marron ?
Pourquoi n'avait-il pas le teint beige comme son copain Clément ?
Ou même la peau plus jaune comme Jessy ?
Non, lui avait la peau marron et c'était comme ça. On ne pouvait rien n'y changer.
C'était ce qui l'énervait le plus. Il ne pouvait rien y changer. C'était comme ça.
Il avait demandé une fois à sa mère, pourquoi il avait la peau marron. Elle lui avait répondu que c'était parce qu'elle-même était noire et que son papa était blanc. Le mélange des deux lui avaient donné ce que sa maman appelait "métis".
À cet instant, Victor avait tout comprit. Il avait tapé sa mère sur le bras de ses petits poings. C'était elle le problème. C'était de sa faute si sa peau était bizarre.
Il avait répondu à sa mère que plus tard, quand il serait grand, il changerait de peau. Il deviendrait beige comme Clément.
Les parents du petit garçon avait fait les gros yeux et avaient grondé leur enfant. À leurs yeux, Victor déshonorait la famille. Mais l'enfant lui, avait une notion bien différente de l'honneur. Pour lui, l'honneur était une question de réputation, pas de fierté. À l'école, dans la cour, les rumeurs allaient bons trains. Ses camarades évitaient Victor. Quelqu'un, une semaine auparavant, avait expliqué que si Victor avait la peau marron, c'était parce qu'il ne se lavait pas et que du coup, sa peau était pleine de caca. Tout le monde y avait cru et depuis, plus personne n'osait toucher Victor. Si les mots étaient blessant, les regards que ses camarades lui lançaient étaient encore pire.

Un jour, pendant la récré, alors qu'il était encore seul, assit dans un coin, Inès vient s'installer à ses côtés.

Inès était une petite fille, nouvelle depuis la veille, dont le regard clair avait attiré l'attention de Victor. Mais Victor avait très vite remarquer que la peau d'Inès n'était pas non plus noire. Comme Clément, elle était blanche.

Aussitôt, Victor s'écarta, par respect pour elle, plus que par envie. Il pensait que, comme les autres, elle allait lui demander de se décaler.
Mais Inès se décala à son tour vers lui, se retrouvant à quelques centimètres de lui.
- Tu veux que je m'en aille ? demanda timidement la petite fille. Tu dis si je te dérange, hein ?
Victor était estomaqué. Pour la première fois, quelqu'un de sa classe s'était assis à côté de lui et avait même poussé jusqu'à lui parler.
- Euh... Non... Je... Je veux bien que tu restes...
La petite fille retrouva instantanément son sourire et, pensant avoir cassé les barrières, posa la question qui la taraudait.
- Pourquoi t'es toujours tout seul ?
Victor se crispa mais répondit tout de même.
- Parce que j'ai la peau marron et que les autres disent que c'est la couleur du caca. Du coup, ils veulent plus me parler.
Inès écarquilla les yeux et ses joues devinrent toutes rouges.
- Ils ont pas le droit de dire ça ! Et en plus c'est raciste !
Victor n'avait pas la moindre idée de ce que voulait dire le mot "raciste" mais le fait de voir quelqu'un le défendre lui fit chaud au cœur.
- Ils disent que je suis pas normal... Continua timidement le petit garçon.
- Bah c'est quoi normal alors ? Interrogea Inès.
- Bah... Comme eux quoi...
Inès soupira et se rassit.
- Tu es comme moi ou eux, expliqua-t-elle. On reste humain, qu'importe soit notre couleur de peau, de cheveux ou d'yeux. Il y a des tests qui ont été fais et on sait que tout le monde est normal.
Victor regarda la petite fille avec admiration.
- Comment tu sais tout ça ?
- Ma maman, elle est docteur et ce matin elle m'a dit "Lui, il n'est pas bien. Il observe ses mains comme s'il en avait honte." Après, elle m'a dit de venir de te voir et de t'expliquer pourquoi tu es bien comme tu es.
Le petit garçon ouvrit de grands yeux et sourit.
- J'aimerais bien voir ta maman... Demanda-t-il.
- Elle aussi, elle voudrait bien. Si tu veux, on ira la voir ce soir, à la sortie.
Victor était ravi. Il avait rencontré sa sauveuse.
- Je peux rester avec toi pendant la journée ? Demanda Inès. Je connais personne sauf toi.
Le petit garçon ne se fit pas prier. Il était heureux d'avoir une nouvelle amie.
Le soir, à la sortie, tout deux s'était précipités vers la maman d'Inès.
Celle-ci attendait sa fille à la sortie et en voyant les deux gamins se précipiter sur elle, ne pu s'empêcher de sourire.
Lorsqu'ils furent arrivés à sa hauteur, elle s'accroupit et prit les enfants dans ses bras, l'un après l'autre. Puis, elle s'adressa à Victor.
- S'il se moque de toi parce que tu es différent, tu peux te moquer d'eux parce qu'ils sont tous pareils... Parce qu'ils sont tous différents.
Le petit acquiesça.
Soudain, il vit Inès lui tendre quelque chose. En regardant de plus près, Victor distingua un petit carré de chocolat.
- Tiens, regarde, lui dit elle. Moi je trouve que tu ressembles à du chocolat parce que vous avez la même couleur et en plus, vous êtes bon tous les deux...
Victor sourit. Être comparé à du chocolat, ça n'arrivait qu'une fois dans une vie, il en était sur.
Alors il prit le chocolat qu'on lui tendait et l'enfourna dans la cavité de sa bouche.
En le sentant fondre sur sa langue, le petit garçon sourit.
Inès avait raison.
C'était bon, le chocolat.

Maintenant, il allait essayer d'être aussi bon que le chocolat.

Et puis, même Bigflo&Oli l'avait dit : "Je sais, j'suis différent.
Donc au final, j'suis comme les autres."

Victor le savais, à présent. La normalité n'existait pas. C'était la maman d'Inès qui l'avait dit.

Écrit le 01/06/19

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