CHAPITRE 16

Si Harry avait compté vingt six jours, à présent, j'en dénombre trois. Trois soirs où je ne me suis pas rendu au banc. Trois soirs où j'ai évité à tout prix de le voir, de croiser son regard vert d'eau, de fixer ses mains blanches ou ses lèvres un peu trop roses. C'est long, trois soirs. Mais j'en avais besoin, pour réfléchir. Je fais que ça, réfléchir, comme si ma vie avait un sens compliqué qu'il me fallait démêler à tout prix, alors qu'au fond, il n'y a rien de particulier à dire. En fait, je suis certain que je me prends la tête pour rien, et parfois, oui, parfois, j'aimerais tellement me laisser aller et laisser faire le temps. Sauf que j'en suis incapable.


J'ai passé trois jours allongé sur le canapé du salon, à regarder des programmes débiles à la télé et à écouter Jeanne râler parce que " ce n'est pas sérieux de jouer au malade quand on a un travail ". Mais je m'en fous. Est ce que je suis censé faire passer le boulot avant moi ? Est ce que je suis censé m'inquiéter de ma vie professionnelle quand toutes mes émotions sont en miettes et que je ne sais plus comment faire pour avancer sans me prendre un mur ? Je n'ai pas envie d'être le genre de personne qui se tue à la tâche, et de toute façon, je n'ai jamais su me prendre en main. Je suis comme un petit enfant qui attend que quelqu'un vienne l'aider, le problème c'est que j'ai vingt et un ans et que je suis censé savoir quoi faire de ma vie seul mais que j'y arrive pas parce que j'ai trop peur. Et que personne ne comprend que je ne vais pas bien, que j'en fais pas exprès, et que j'ai vraiment l'impression d'étouffer.


Alors je reste sans rien faire, et j'attends. J'attends quoi ? J'en sais rien, mais j'attends. C'est mieux que de bouger inutilement. Je fixe le mur devant moi, comme si il allait me donner des réponses à mes questions, et je soupire. Je repense à Harry. C'est étrange, parce que d'habitude, dans mes moments de... déprime, je pense essentiellement à Rudy. Je pense tellement à lui que je pleure jusqu'à n'avoir plus de larmes, et que je vomis tout ce que j'ingurgite. Pas cette fois. Pourtant la tristesse est la même, noire et gluante, absolument dégueulasse. Elle m'entraîne vers le fond de la même façon, mais la différence, c'est que je pense à Harry. Pas que à lui, mais beaucoup. Suffisamment pour que je me demande ce qu'il y a de changé, pourquoi lui et pas un autre. Je fais le point dans ma tête, je fais la liste de tout ce que je sais à son propos, je le dessine sur un bout de papier (et il est très laid), j'écris des paragraphes et des paragraphes dans mon carnet, juste pour décrire ses mains, et peu à peu, je vais mieux.


Aujourd'hui c'est samedi, et je m'occupe de ma petite sœur.


Alice sort de la maison en courant et je la suis en tentant de lui enrouler son écharpe rose autour du cou. Il a neigé cette nuit. Un duvet blanc recouvre le trottoir et c'est juste magnifique. Ma sœur me prend la main, et nous nous engageons tout les deux sur la route, en essayant de ne pas glisser sur les plaques de verglas. C'est amusant. Alice n'arrête pas de rigoler et lorsqu'on décide d'aller au parc pour faire de la balançoire, je la prends sur mon dos et je me mets à courir. J'ai le vent qui fouette mon visage, et les cheveux d'Alice qui caresse mes joues. Je suis bien. J'ai l'impression que toute cette blancheur immaculée qui nous entoure, vient d'anesthésier tout ce qui m'étouffait depuis des mois, et que je peux enfin respirer sans que cela ne me crève les poumons. J'ai envie de rire jusqu'à en avoir mal au coeur, et d'oublier Rudy, Harry, toutes ces choses qui me prennent la tête et qui m'empêchent d'être pleinement heureux. J'ai envie de tout recommencer à zéro, de me construire un monde plus beau.


Dans le parc il n'y a personne et on roule sur la pelouse gelée en riant. Alice fait des boules de neige, mais elles sont ridiculement petites. Au bout de dix minutes, on ne sent plus nos doigts, alors on retourne vers la balançoire en courant. J'aide Alice à s'installer et je la pousse doucement. On regarde les arbres face à nous, tellement hauts qu'ils ont l'air de toucher les nuages gris.


" Il est ou Harry ?


Je rate le dos d'Alice et elle repart dans le vide un peu moins vite que les autres fois.


- Il ne vient pas le matin tu sais, juste le soir.

- Pourquoi il vient pas le matin ? Il veut pas jouer avec nous ? "


Je ne réponds rien, mais je sens mon coeur se liquéfier dans ma poitrine, comme si Alice venait d'y introduire un poison brûlant. Je ne comprends pas pourquoi elle me parle d'Harry... c'est, inattendu. Je sais qu'elle a pris l'habitude de le voir avec moi le samedi, elle lui a même un peu parlé, un soir où il nous as raccompagné jusqu'à notre rue, mais je ne pensais pas qu'elle se souvenait de son prénom. Et c'est con, mais jusque là j'avais l'impression que Harry n'existait que pour moi, qu'il était une sorte d'image mouvante et trouble, et voilà que je comprends que ce n'est absolument pas le cas. Il est présent pour elle aussi, il est devenu un de ses souvenirs, comme il remplit les miens. J'arrête de la balancer et elle ne dit plus rien. Je suppose qu'elle est déjà passé à autre chose puisqu'elle saute au sol et retourne jouer dans la neige.


Harry est un être humain, comme moi. Harry n'est pas un espèce d'ange étrange. Harry existe, il respire, il a des rêves, des espérances, et j'ai besoin de lui pour aller bien, j'ai besoin de lui pour avoir un but le matin. Je l'ai fui, comme un con, je l'ai fui alors que je lui ai promis inconsciemment d'être toujours là. " JE SUIS LA. " c'est ce que j'ai écrit non ? Je suis là. Non. Pas du tout. Je ne suis pas là. Je n'ai jamais été là pour lui, alors qu'il est celui qui a appelé à l'aide en premier. Je suis celui qui était censé le soutenir, et à la place, je disparais à la première dispute qui nous écarte. Qu'est ce que je sais d'Harry au final ? Qu'est ce que je sais de sa vie, de ses peurs, de ce qui l'effraie ? Je ne connais même pas réellement ce qui l'a poussé à écrire sur le banc.


Alors au final, la vraie question ne serait pas : est ce que je suis près à m'accrocher à lui, sachant qu'il pourra un jour me laisser tomber ? Non. Ce serait : est ce que je suis près à connaître un peu mieux Harry, est ce que je suis près à l'aider, est ce que je suis près à essayer que nous allions mieux à deux, pour ensuite nous séparer heureux ?


Je crois que j'en ai envie.


- - -


Lorsque l'on rentre à la maison, couverts de neige, Jeanne agite le téléphone en sautillant sur place. Je me penche pour aider Alice à enlever son manteau.


" Hortense arrive dans une heure, et elle emmène son " colocataire ".


Je ne peux pas m'empêcher de sourire en la voyant faire des guillemets imaginaires au dessus de sa tête, même si la nouvelle n'a rien pour me réjouir. On le savait pourtant. C'était aujourd'hui. Avec mes trois jours d'ermitage, j'avais quasiment oublié ce détail. Je la déteste d'arriver comme ça et de tout me balancer en face, alors que je commençais à aller mieux. Je monte dans ma chambre sans rien dire, et j'attrape mes affaires pour aller à la douche.


Hortense.


Un an de plus que moi. Tout pour plaire, tout ce que je n'aurais jamais, parce que je suis un putain de minable. Je me déshabille lentement et je me regarde dans le miroir. Je fixe mes cuisses abimées, dangereusement lacérées. Parfois, j'ai envie de recommencer, mais ça aussi, c'est tellement minable. Et puis je n'ai pas le droit de faire ça à mes sœurs, alors qu'elles comptent sur moi pour aller mieux. Je m'agenouille sur le sol et je me force à respirer correctement. Aller. Mieux. Je dois faire ça. Je peux y arriver non ? Pourquoi j'y arrives pas moi ? Bordel, ça fait un an. Une putain d'année entière que je me traîne comme un zombie parce que le mec dont j'étais fou amoureux a préférer crever le soir où j'allais tout lui avouer. Une putain d'année à pleurer corps et âme, à me détruire minutieusement... Pour devenir quoi ?


Un raté.


Un mec qui n'a rien d'autre à faire que s'allonger sur le carrelage de sa salle de bain, à regarder sa peau détruite, et à tenter de ne surtout pas pleurer.


Je me hais.


Sans m'en rendre vraiment compte, je fonds en larme. Tout ce que j'avais miraculeusement réussi à retenir depuis trois jours me tombe dessus, et j'halète tellement fort que ma respiration se bloque. Je me traîne sous le jet d'eau et j'asperge mon visage mais rien n'y fait. Mes jambes tremblent tellement que je suis obligé de me rasseoir dans le baquet. Je pleure. Je pleure longtemps, sans penser à rien, parce que j'en suis au point où je n'ai même pas besoin d'avoir un motif pour me noyer dans mes larmes. C'est comme d'habitude. Je me vide lentement, et peut être que mes yeux bleu océan vont finir par être totalement asséchés à la longue.


Je ne sais pas combien de temps je reste comme ça, mais l'eau finit par être gelé et je ressors péniblement, le corps secoué de frissons. Je m'enroule dans une serviette et je m'appuie contre la porte. J'entends les bruits de la maison, et je me demande pourquoi personne ne vient m'aider. J'aimerais tellement pourtant, un soutien, n'importe quoi.


Mais je suppose qu'on est pas censé demander ça, quand on est adulte.


Je suppose que je fais chier tout le monde, avec ma putain de mélancolie.


Mon portable vibre. Je lève les yeux, j'hésite un peu. Je n'ai pas envie de parler, mais peut être que c'est important. Peut être que c'est Tess, ou Emily ? Il vibre une deuxième fois, je soupire et me redresse. J'ai la tête qui tourne, mais je me sens étonnamment léger, comme sur un nuage. Vide. J'essuie mes mains et déverrouille mon écran.


De Jeanne à Louis

- J'aimerais bien prendre ma douche alors si tu pouvais bouger ton cul et libérer la place princesse. xx

- HORTENSE EST LA GROUILLE :////


Une seconde d'apesanteur, de souvenirs qui remontent. Je lâche mon portable et je cours aux toilettes.


Même après une heure passé à pleurer, j'arrive toujours à vomir, c'est rassurant.


- - -


Je pense que l'on a tous notre manière de gérer la douleur. Il y a des gens, qui sont capables de faire bonne figure, tout le temps. Parce qu'ils sont assez forts mentalement ou parce qu'ils n'ont pas le choix, ils ne veulent pas avoir l'air faibles. Soit ils ne parlent pas, s'enferment dans un mutisme à tout épreuve, soit ils sourient, parlent de tout et de n'importe quoi, sauf d'eux, parce que les sujets intimes leur rappelleraient la douleur qu'ils veulent à tout prix ignorer.


Il y en a d'autres, à qui la douleur donne envie d'hurler et ceux là sont capables de folies. Ils font passer leur douleur sur les autres, ou sur eux mêmes, blessent physiquement pour que les saignements de leur âme se mêlent à ceux de la chair. Ils s'imaginent sans doute qu'ils pourront remplacer un mal être par un autre, moins pénible, mais en vérité ils auront à supporter les deux.


Enfin il y a ceux qui ne sont tout simplement pas fait pour la supporter, cette douleur. Alors ils pleurent. Ils traînent leur tristesse comme un boulet à leur pied, et ils appellent inlassablement à l'aide parce qu'ils ont mal, ils ont besoin d'amour, tellement besoin putain, la solitude elle les étouffent, et leurs larmes avec. Ils ont besoin de bras pour les réchauffer, les rassurer. Ils ont besoin que quelqu'un s'arrête et leur disent " je t'aime, tout va s'arranger. " Le problème c'est que cette catégorie de gens n'est pas apprécié, puisqu'indéniablement, les gens heureux n'ont pas envie de s'attarder sur la tristesse de quelqu'un et de la porter avec lui. La société fait que l'on a pas le droit d'être faible.


Je suis un mélange des trois.


C'est depuis tout petit. Ca ne s'explique pas vraiment, mon psy dit souvent que cela vient de ma situation familiale, du départ de mon père, de ma mère absente, mais personnellement je ne pense pas. C'est juste comme ça, on y peut rien. J'ai toujours été triste pour tout et rien, j'ai toujours été le plus petit, le plus fragile, j'ai toujours été celui que l'on met à l'écart parce qu'il n'est pas drôle.


C'est comme ça.


J'ai toujours eu peur d'affronter mes problèmes, et de me prendre la vérité en face.


Hortense est un problème parce qu'elle sait la vérité.


Et j'ai peur.



- - -



Minuit trente trois.

Les mêmes insomnies, depuis des mois.


Harry laisse tomber sa cigarette sur le sol, à plusieurs mètres sous lui. Il regarde la petite lueur orangée s'éteindre lentement et referme finalement la fenêtre. Il y a tellement de lumières autour de lui, tellement de gens qui, comme lui, ne peuvent pas dormir. Alors pourquoi personne ne l'entend putain ? Pourquoi ce monde est il si hermétique à la douleur, pourquoi ce monde fait il comme si tout tourne rond, alors que la moindre chose se casse la gueule en permanence.


Il soupire et se laisse tomber sur son lit, au milieu des feuilles à moitié utilisées et des bouteilles de bières. Il ferme les yeux un instant, dans l'appartement d'en haut, éclate le bruit sourd d'une dispute. Il n'a pas envie de l'entendre, il n'a envie de rien, alors il se relève et part chercher son IPod. Pink Floyd. Shine On You Crazy Diamond. Il se laisse bercer par la musique, et son corps n'est plus qu'un nuage en apesanteur, il ondule au milieu des sons, et oublie, oublie Louis et ses yeux bleus, oublie que sa vie est merdique, que dehors il pleut, il fait froid, et rien n'est beau, rien n'est chaud, juste faux. Il oublie et se noie dans la mélodie, dans le bruit écorché de la guitare, dans les voix languissantes.


Il oublie et parfois c'est bon d'oublier, juste un peu.


Jusqu'à ce que son portable vibre contre sa cuisse. Il rouvre les yeux, tendu. Il n'a pas envie de répondre, mais peut être que c'est Angelo... Il laisse l'objet vibrer encore deux fois avant de le sortir et de sa poche, et la lumière de l'écran lui agresse la rétine. Il ne connaît pas le numéro. Des nombres qui dansent sous ses yeux, et ce mot " inconnu ". Inconnu. C'est peut être pour ça qu'il décroche, finalement, parce qu'on a tous besoin qu'un inconnu vienne un jour percer le silence de nos nuits.


Ou peut être parce qu'il pressentait que l'inconnu ne l'était pas tant que ça.


" Allo ?


Un silence. Long. Entrecoupé de sanglots à l'autre bout de la ligne. Quelqu'un pleure, quelqu'un appelle son prénom, doucement, comme une plainte, et bien sur, Harry sait de qui il s'agit. Son estomac se serre douloureusement et il se redresse, s'asseyant en tailleur sur son lit.


- Louis ? Est ce que... ça va ?


Le jeune homme ne répond pas, il continue de pleurer et de prononcer son prénom, au milieu de mots qui ne veulent rien dire du tout. Harry ne sait pas quoi faire. Il joue avec une canette de bière, et il attend. Mais Louis continue de pleurer et le temps passe. L'oreille d'Harry le brûle à force d'être collé à l'appareil, alors il se racle la gorge et recommence à parler. Il parle parce que lui aussi attendait que quelqu'un se manifeste, l'aide à combattre cette nuit trop noire, se souvienne qu'il existe, et au fond, il savait que cette personne serait Louis. Même si cela fait trois jours qu'il n'avait plus de nouvelles de lui.


- Tu sais, l'autre jour, tu m'as demandé pourquoi j'avais écrit cette phrase sur le banc. Je t'ai dit que c'était parce que j'avais lu un bouquin d'Anna Gavalda qui s'appelait comme ça. Et c'était vrai. Je sais que ça t'as vexé, que tu penses que je ne te dis pas la vérité, mais c'est juste ça, vraiment. Je trouvais le titre beau alors je l'ai écrit, parce que je pense que tout le monde a envie un jour que quelqu'un l'attende quelque part. Pas forcément moi, tout le monde. Le problème c'est que j'étais certain que ce tout le monde s'en foutrait de ma phrase, mais non, toi tu es venu, tu as répondu, et pire, tu te rendais au banc tout les soirs et je sais pas... C'est bizarre. J'ai trouvé ça gentil. J'ai eu envie de te connaître, de comprendre pourquoi, pourquoi tu t'obstinais, et à quel point tu devais être détruit et seul pour passer du temps avec quelqu'un comme moi et...


Il s'arrête un instant, les yeux perdus dans le vide. A l'autre bout du fil, le souffle de Louis se fait plus régulier. Il ne pleure plus. Lui aussi écoute, il écoute ce silence qui les séparent, et qui ne lui a jamais semblé aussi profond auparavant.





- Louis, je sais que c'est bizarre de te demander ça comme ça, mais j'ai envie, besoin, enfin bref, je veux te dessiner. Est ce que tu me laisserais te dessiner ?


Louis ne répond pas. Il fixe son mur, il a mal à la tête et ne comprend absolument pas. Le dessiner ? Pourquoi le dessiner ? A quoi cela servirait il ? Il ferme les yeux.


- Si ça peut te faire plaisir... "





" Un jour, j'aimerais quelqu'un passionnément et je

chercherais un chemin vers lui, ainsi, avec précaution,

avec douceur, la main tremblante... "





- - -





HEYYYYY.


JE L'AVAIS PROMIS, LE VOILA. Donc désolé pour la loooongue attente. Je vais essayer de poster aux plus vite les chapitres de Sensations dorénavant mais j'avoue qu'avec mes révisions pour le bac + tous mes autres petits projets à côté... J'ai un peu de mal. (Merci aux gens qui suivent toujours cette histoire mais aussi tous mes autres OS, vous êtes formidables. <3)

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