" Fuck yeah give it to me this is heaven, what I truly

Want'

It's innocence lost

Innocence lost " - God's & Monsters, Lana del Rey

Il descend les escaliers d'un pas lent, presque mécanique. Il a fait l'erreur de poser sa main sur la rampe, et ne peut depuis pas cesser de la frotter sur son jean. Collant. Il n'ose même pas imaginer ce que c'est.

Il a quitté l'appartement précipitamment, mais de toute façon, c'était l'heure. Il entend encore les cris, les gestes trop grands pour être honnêtes. Son maquillage avait coulé. Si ce n'était pas sa mère, il l'aurait frappé. Elle fait n'importe quoi. Lui aussi. Il soupire, la lumière automatique s'éteint et il descend la dernière flopée de marches dans le noir. La vie n'a aucun sens.

Il y a le néon brillant au dessus de la porte d'entrée. EXIT. Il sourit, juste pour lui même. En fait si, la vie a un sens. Il suffit de lever les yeux pour le voir. EXIT. Fin du voyage. EXIT. Fin des problèmes.

Un reniflement.

Il détourne la tête, bute dans un corps assis sur la marche. Il grogne, parce qu'il n'y voit rien, et cherche l'interrupteur sur le mur.

" C'est qui ?

La lumière s'allume, blafarde. Il cligne des yeux, passe nerveusement sa main dans ses boucles folles. Gabrielle. Il s'agenouille devant elle, le front plissé. La jeune fille renifle, et à la manière dont elle cache son visage dans son pull, il devine facilement qu'elle pleure.

- Gaby ? Qu'est ce qu'il se passe ? Eh... C'est moi. C'est Harry.

Elle lève son visage. Harry ne dit rien. Il n'y a rien à dire. C'est juste bleu, violacé, et ça s'étend sous un oeil, prenant toute la place. Sa peau est diaphane. Il hoche simplement la tête, et mordille sa lèvre inférieure.

- Qui t'as fait ça ?

- Haz...

Elle éclate en sanglot et il la laisse le prendre dans ses bras. Il entoure son corps tremblant. Son visage mouille son cou, mais il s'en fout. Il a le goût du sang dans la bouche.

- Gaby, dis moi qui t'as fait ça...

- N... Non... Non.

Il grogne un peu et la repousse. Elle se débat, il prend son visage entre ses mains. Elle renifle encore. Elle aussi, a son maquillage qui a coulé. Mais c'est un autre genre de tristesse que celle de sa mère. Il caresse le bleu de son pouce. Elle grimace.

- C'est récent ?

Son regard fuit. C'est récent.

- C'est qui ?

- Personne... Laisse moi Harry.

- C'est qui ?

- Josh.

Il la lâche et se lève. Elle se lève à son tour, se remet à trembler. Elle a peur, il sort une cigarette, pour se détendre. Josh est un connard, il l'a toujours détesté de toute façon.

- J'irais le voir.

- Non.

- Si. De toute façon tu n'as rien à dire... Tu ferais mieux de rentrer chez toi et d'aller prendre une douche.

- Non ! Harry ne vas pas le voir ! Ne vas pas le voir s'il te plaît !

Elle se remet à pleurer, il lève les yeux au ciel, excédé. Harry n'a aucune patience, mis à part envers lui même.

- Mais putain Gaby, je vais pas le laisser te frapper sous prétexte que tu es une fille et que tu peux pas te défendre face à ses quatre vingt kilos de muscles ?!

Elle sert ses bras contre sa poitrine, et son regard rougi de larmes fuit à nouveau. Harry aime bien Gaby, même si elle a tendance à toujours traîner avec des personnes qui ne lui conviennent pas. Elle se rassoit sur une marche, et il fait de même. Ils partagent la cigarette. La lumière s'éteint à nouveau, il ne reste que le EXIT. Alors elle parle, en fixant le vide. C'est plus facile, dans l'obscurité.

- On sort ensemble depuis trois jours tu sais... Je l'aime. Je l'aime vraiment. J'attendais ça depuis tellement longtemps, de l'avoir juste à moi. Je suis heureuse dans ses bras... On est bien. Et... Et ce soir, il avait juste bu... il a pas fait exprès. Ne vas pas le voir Haz, je l'aime. Il va me larguer si tu vas le voir, je veux pas. Je l'aime.

- ... Pourquoi tu pleurais ?

- Je sais pas... Parfois, on a besoin de pleurer non ?

- ...

- Tu ne pleures jamais Harry ?

Il se relève maladroitement, elle le suit du regard sans rien dire. Elle savait qu'il ne répondrait pas. Harry est comme ça, insaisissable, incompréhensible. Parfois, Gabriel se demande ce qu'il fout dans cette cité, elle se demande pourquoi la vie a été aussi injuste envers lui. Il a de l'or entre les doigts, et tant d'amour dans ses pupilles vertes. Harry est merveilleux, et il ne s'en sortira jamais, parce qu'il est né ici, avec eux. Elle croise les jambes et tire sur la cigarette, en lui souriant légèrement. Parler lui a fait du bien, et elle sait qu'il ne fera rien.

- Tu allais dehors ?

- Oui. Je sors.

- Tu sors souvent ces temps-ci...

Il fronce les sourcils.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Je sais pas, c'est ce qu'on m'a dit... Je sais plus qui. Peut être ta mère. Je sais plus.

- Je ne sors pas plus que d'habitude.

- Tu vas ou ?

Il hausse les épaules et fixe le EXIT. Nulle part. Partout. Vivre. Essayer de mieux respirer.

- Tu as rencontré quelqu'un Haz ?

Oui. Si tu savais. Il a des yeux bleus océans, tellement tristes et vides que c'en est gênant. Il est parfait, plus que n'importe qui ici. J'ai envie de le dessiner, j'essaie, j'essaie, j'essaie, et il m'échappe sans cesse. Il est mon obsession, et j'ai tellement peur qu'il s'en aille avant que je n'ai eu le temps de l'esquisser vraiment sur le papier, je veux pas qu'il se rende compte qu'il a pas besoin de moi, parce qu'il redonne cette vie à mes doigts, ce fourmillement d'artiste et sans ça, je crève. Je crève.

- C'est un interrogatoire ?

Elle se met à rire et hausse les épaules. Non. Bien sur que non. Elle lâche la cigarette et elle se relève. Elle a un peu froid maintenant. Harry la prend à nouveau dans ses bras, et ils restent collé l'un à l'autre, dans la semi obscurité du hall gelé. Ils ne parlent pas, et écoutent leurs souffles qui se mêlent, au milieu des bruits et des odeurs de l'immeuble.

Elle est la première à reculer, et ils ont ce regard un peu gêné, qu'ont les gens qui se sont rapprochés trop vite. Elle passe la main dans ses cheveux, elle lui dit merci, du bout des lèvres et il ne répond rien. Il sort, elle le rappelle.

- Harry ?

- Oui ?

- Fais attention à toi.

- Toi aussi, Gaby. "

Ils se sourient, et dans ce sourire passe tout ce qu'ils ne se diront jamais, et tout ce qu'ils voudraient hurler.