CHAPITRE 11

" Sept milliards d'habitants. Six continents.

La lune et le soleil, les planètes en orbites.

Les étoiles qui meurent et ressuscitent.

Et le monde qui explose, en d'infinis morceaux, et les coeurs qui s'effritent, car si la vie a une limite, elle est cruelle et triste. "


Je suis allongé sur mon lit, les genoux repliés contre ma poitrine. J'ai trop pleuré, et je suis devenu un bout de nuage, flottant n'importe comment. J'ai ce creux dans mon estomac, qui n'est pas encore assez important pour que j'ai envie de vomir. Mais ça viendra. Chaque chose en son temps.


Jeanne n'est pas revenu me voir. Personne n'est venu me voir. En bas, j'entends mes soeurs qui rigolent. Maman rentre trop tard, et personne ne leur dira de se coucher avant onze heures, surement pas moi. De toute façon, j'ai besoin du bruit qu'elles font pour ne pas tomber, j'ai besoin de ce petit bout de bonheur qui me serait accessible, si je descendais les escaliers. Oui, j'ai besoin de savoir qu'il existe. Alors j'écoute, et je pense. Je pense trop. Je pense trop, tout le temps.


La guitare est juste devant mes yeux, j'ai l'impression qu'elle me nargue. Je ne sais pas si je veux la toucher. Je ne sais même pas jouer. Et puis ce serait idiot, ça me ferait à nouveau pleurer, comme si je ne suis pas déjà une épave trouée. Je revois ses doigts, ses doigts à lui, pleins de bagues, qui couraient sur les cordes avec l'agilité d'une araignée. Sa musique était si belle alors, si douce, si pleine. Elle me faisait frémir, elle me donnait envie de lui dire " je t'aime " et d'embrasser sa peau blanche. Elle me donnait envie de me plonger dans ses bras pour l'éternité, et de ne jamais me réveiller.


C'était ce soir là, je ne me rappelle même plus le nom du bar, parce qu'on en changeait tout le temps. Par contre, j'ai le souvenir très net de l'alcool qui me faisait planer, et des corps qui se mouvaient partout autour de moi. Je me souviens très bien de lui, debout sur la scène, qui jouait pour nous, pour lui, et un peu pour moi. Je me souviens de ses yeux qui m'avaient frôlés, et je me souviens m'être dit qu'il était toute ma vie.


C'est quelques heures après qu'il est mort.


Je me redresse d'un bond, et je cours aux toilettes. Je reste un quart d'heure penché devant la cuvette, mais rien ne vient. Les larmes brûlent mes paupières, s'accumulent, mais ne coulent pas. J'ai mal. J'ai les doigts qui tremblent. J'ai mal. Pourquoi j'ai si mal dès que je pense à lui ? Pourquoi son souvenir ne peut il pas être quelque chose qui me ferait sourire, me rappeller des temps heureux ?


Je suffoque tellement que je crache un peu, parce que la salive obstrue ma gorge. C'est douloureux. Je n'ai plus rien à renvoyer. Mes mains se posent sur mes cuisses, et sans vraiment le vouloir, je frotte le tissu de mon jogging. C'est mécanique, je n'y pense presque pas, jusqu'à ce que mon doigt rencontre cette aspérité un peu plus large, et j'ôte immédiatement mes mains. Il ne faut pas. Je n'ai pas le droit. Plus maintenant. Je ne peux pas, je ne peux pas, je ne peux pas...


J'ai besoin de parler à quelqu'un. Je quitte les toilettes après m'être épongé le front avec une serviette et je cherche mon portable dans mes couvertures. Mes mains tremblent tellement qu'elles se couvrent de sueur, et c'est difficile d'utiliser le tactile de mon écran. La lumière me fait mal aux yeux, et je me dépêche de baisser la luminosité pour pouvoir lire les noms qui s'affichent. Je n'ai presque pas de contacts. Tout les amis que j'avais ce sont... comment dire... évaporés, après l'accident. D'habitude j'appelle Tess. Mais elle ne me comprend jamais et elle s'en fout en plus.


Une sonnerie. Deux. Je regarde l'heure sur mon horloge, il n'est pas loin de dix heures trente. Peut être qu'elle dort déjà ? Trois. Quatre. Merde. Je vais raccrocher... je sais même pas quoi dire si je tombe sur son répondeur et-


" Allô ?

- ...

- Louis ?

- ...

- Heu, Louis ? Y a quelqu'un ? Tu... Louis ? Tu pleures ?! Louis ? Louis c'est toi ? Pourquoi tu pleures ? T'es ou ? Louis, réponds moi !


J'hoquète dans le téléphone sans arriver à aligner un mot. Emily parle sans arrêt. Elle me dit de respirer, de regarder ma main, et de me concentrer sur chacune des aspérités de ma peau. Elle me dit que tout va bien, qu'elle est là, qu'elle ne raccrochera pas, et qu'elle est en train de lire un bouquin très intéressant sur la culture du riz en Chine. Et ça me calme. Au bout de un quart d'heure, je renifle moins. Elle s'en rend compte, et je l'entends soupirer. Je ne sais pas si c'est de soulagement ou d'énervement. Sa voix est très calme, et à présent, j'ai envie de raccrocher. Je ne sais pas pourquoi je l'ai appelé elle, mais c'était une mauvaise idée. Remarquez, le jour où j'aurais une bonne idée, il tombera de la merde.


- Louis ? Tu veux bien m'expliquer ce qui se passe...


Je l'imagine, toute seule dans un grand lit, avec son livre à la main, et son front plissé. Je me demande si elle s'inquiète un peu pour moi, ou si elle est juste curieuse, ou si elle me trouve ridicule. Elle répète.


- Louis, si tu ne veux pas m'en parler, ça ira mais tu sais... Je pourrais t'aider.

- Tout le monde veut m'aider...

- Et tu n'acceptes pas cette aide ?

- Non.

- Pourquoi ?

- ... ça me regarde.

- Okey. On va au café demain ?

- ... Heu, oui, bien sur...

- Cool ! Bon. Je vais te laisser, j'ai un livre à finir ! A demain Louis, dors bien. "


Et elle raccroche.

Je ne me suis jamais senti aussi con de toute ma vie.


- - -


Il est allongé sur le canapé, ses grandes jambes sur les coussins roses. Il observe la flamme de la bougie, qui vacille depuis quelques minutes. Il attend qu'elle s'éteigne. Il aime bien le petit filet de fumée que cela dégage. Il aime bien l'ombre, après la lumière.


" Harry, tu voudrais aller m'acheter un pack de bières demain ?


Il tourne la tête, légèrement surpris. Les vieilles boivent de la bière maintenant ? Il s'appuie sur son coude, pour la regarder plus facilement. Il aime bien la voir comme ça, penchée sur sa couture, avec ses petites lunettes rondes et dorées. Il a l'impression d'avoir une grand mère.


- Vous buvez ?

- Pas moi voyons, mon fils.

- Il vient ?

- Oui, avec sa copine, elle s'appelle Kate, il paraît qu'elle est très gentille ! Je suis sure qu'elle te plaira.

- Je ne viendrais pas...

- Oh, Harry, ça me ferait plaisir...

- Pas à moi.


Il se tourne à nouveau, et enfouit son visage dans l'oreiller. Il a une odeur de poussière, qui lui donne envie de tousser. Il n'aime pas le fils de Mme Berry, personne ne l'aime dans le quartier. Il a réussi à partir lui, il vit dans les quartiers chics, dispose d'une décapotable et d'une maison toute neuve. Il a réussi, mais pas d'une bonne manière. Il traîne dans tellement d'affaires louches... Mme Berry le sait, bien sur, mais c'est son fils.


- Harry... Tu m'achèteras ces bières ?

- Oui, bien sur... Mais j'ai plus de monnaie.


Elle relève la tête et ôte ses lunettes. Harry soupire. Elle est peut être vieille, mais pas si conne que ça.


- Tu ne travailles pas ?

- J'ai acheté un truc hier, je suis fauché.

- Tu as été voir Jim ?

- Ouais.


Cette fois, c'est elle qui soupire. Elle avait entendu que Jim venait, mais osait espérer que Harry n'y serait pas allé. Qu'en c'en était fini de cette merde, qu'il avait compris. Apparemment, on a ne peut pas se débarasser si facilement de ses démons.


- Harry... Tu en as pris beaucoup ?

- Comme ça.


Il soulève sa main et fait un geste approximatif dans l'air. Elle soupire. Elle n'a aucune idée de ce que cela veut dire, mais surement au moins assez pour tenir le mois. Surtout si il y a laissé son salaire... Ils se dévisagent un instant. Elle, avec ses yeux myopes, ses rides et son odeur de vieille. Elle qui se demande ce qu'elle peut faire pour lui, pour ce garçon brisé, à qui elle tente à sa façon d'apporter un peu d'amour, elle qui n'y connaît rien en drogues, en substances illicites, mais qui voit bien les tremblements, l'énervement, et les pupilles dilatées. Elle qui n'a pas le fils qu'elle aurait souhaité, et qui voit en Harry tout ce qu'elle voudrait. Et puis lui, dans ce corps d'adolescent un peu trop grand, avec ses failles dont il ne veut même pas parler, ce besoin qu'il a de tenir un crayon, et les fourmillements dans ses doigts pour n'importe quel raison. Lui qui n'arrive plus à le tenir, le rythme, lui qui n'arrive plus à vivre sans un point de mire, un truc à l'horizon, n'importe quoi. Lui qui enfile, dans le creux de ses nuits, les sachets, les tasses des thés, et les clopes mal roulées.


Ils se dévisagent, et peut être qu'il n'y a pas tant de différence que ça.


Sa vie est sur le point de se clore, la sienne n'a jamais vraiment commencé.

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