CHAPITRE 10

" I think I'm gonna lose my mind,

Something deep inside me, I can't give up,

I think I'm gonna lose my mind. "

- Fireproof, One Direction


Tess a les mains froides. Ma nuque frissonne dès qu'elles s'y posent. Tess a les mains froides, et des lèvres chaudes et moites, qui s'éparpillent sur ma peau comme des milliers de petits cadeaux. Elle frotte son nez contre ma nuque et ça me fait rire.

On regarde un film, et je n'ai absolument rien suivi de l'intrigue. Il y avait un acteur qui ressemblait un peu au garçon du banc, mais il est mort au bout d'une demi heure, alors depuis, je ne regarde plus rien.

Tess m'embrasse encore, juste sous l'oreille et d'un commun d'accord on éteint la télé pour rejoindre ma chambre. Il n'est pas loin d'une heure du matin et toutes mes soeurs dorment. On rigole comme des gamins en se cachant sous la couette, et c'est surement plus bruyant qu'autre chose.

Ensuite, on fait l'amour, et c'est encore un petit moment de bonheur volé. Une bulle de douceur et de candeur.

Nos deux corps sont emmêlés dans les draps. J'aime bien l'odeur de notre sueur, qui porte encore les relents d'un amour que nous n'avons jamais consumé. Je pose ma tête sur le ventre de Tess et elle glisse ses doigts dans mes cheveux. Sa voix est un peu rauque, ça me fait sourire.

" Tu es heureux Louis ?

Je me redresse un peu, elle tire sur la mèche qu'elle tient, pour me rapprocher d'elle.

- Pourquoi tu me demandes ça ?

- Pour savoir...

Je repose ma tête sur son ventre, et je souffle sur son nombril, ça l'a fait rire. Elle s'endort très vite, et je regarde son visage apaisé, ses petites mèches de cheveux qui glissent le long de son cou, la courbe de ses cils. Elle est très belle. Elle ne m'aime pas. Je ne l'aime pas non plus. On fait l'amour. On est heureux ensemble. Est ce qu'on est heureux ensemble ? Et est ce que je suis heureux tout seul ? Non. J'ai toujours froid.

- - -

Je rejoins le banc à 16h38 exactement. Le soleil filtre doucement entre les branches mortes des arbres, et l'air a cette odeur singulière, mélange de terre et d'eau, qui annonce le printemps. J'ai le coeur léger, pour la première fois depuis des mois. Je m'assois sur le bois humide, et j'attends.

J'aime bien attendre. J'aime bien voir les secondes défiler sous mes yeux, et me dire que j'ai le temps. J'ai tellement le temps, depuis un an. Il était celui qui régulait ma vie, qui me faisait me dépêcher, douter, reculer, courir ; et maintenant qu'il n'est plus là, j'attends. J'attends doucement que le temps passe, s'effiloche, et ne laisse d'autres traces dans ma vie que le souvenir qui s'enfuit.

Et puis le bruit de ses pas me sort de ma torpeur.

D'habitude, il est toujours le premier arrivé, mais il n'a même pas l'air surpris de me voir assis. Il ne sourit pas. Il va simplement s'adosser au réverbère, et allume une cigarette avec une lenteur singulière. Tous ses gestes ont l'air mesurés. Tous ses gestes ont une importance évidente, à ses yeux. Je le regarde du coin de l'oeil. Il est beau. Il est très beau. Il a la beauté anguleuse de ceux qui savent qu'ils plaisent. Il a la beauté merveilleuse de ceux qui n'ont rien à faire d'autre que paraître.

Il porte la cigarette à sa bouche, et tire dessus, longtemps. Le nuage de fumée entre ses lèvres s'échappe, et se perd dans la brume naissante du soir. Il me regarde enfin. Il me détaille. Et comme la dernière fois, je crois qu'il est déçu. Si moi je le trouve magnifique, je dois lui sembler terne. Il a ce regard si vide et si froid, qui me fait détourner la tête. Il y a un long silence, que je passe à compter les oiseaux qui dansent dans le ciel.

Et puis il me propose de marcher un peu, alors j'accepte. Comme hier, on arpente le parc sans rien dire, perdu dans nos pensées, mais avec la sensation rassurante d'une présence à nos côtés. Son bras me frôle parfois, sa peau est nue sous sa chemise, et j'ai envie de le toucher. J'ai envie de sa chaleur.

Il ne sent presque pas la vanille, seulement l'éfluve a peine perceptible du tabac qu'il utilise, et un parfum de fleur, que je n'arrive toujours pas a reconnaitre.

On s'arrête après avoir fait un tour complet, et il m'adresse un sourire penché. Ses yeux sont à nouveau pleins de chaleur, et j'ai envie de lui dire merci. Mais bien sur, ce serait idiot, alors je me contente de lui rendre son sourire. Il jette sa cigarette.

" Je m'appelle Harry.

- ... Moi c'est Louis.

- Ok. A demain, Louis. "

Je suis incapable de répondre. Je le regarde s'éloigner, lui et ses longues jambes, lui et ses cheveux bouclés, son odeur particulière. Il shoote dans les feuilles et se rallume une cigarette, puis disparaît totalement de ma vue. J'ai froid.

Et c'est la premiere fois que quelqu'un prononce parfaitement mon prénom, sans hésitation. C'est la première fois que quelqu'un le prononce avec autant de délicatesse, comme pour ne surtout pas l'effriter.

Et c'est la première fois depuis longtemps que je passe plus d'une heure sans penser a lui, sans penser a Rudy.

- - -

Jeanne est étalée sur mon lit de tout son long lorsque je rentre de ma balade quotidienne. Elle ne me regarde meme pas, mais le sourire moqueur qu'elle affiche sur son visage me fait clairement comprendre qu'elle n'est pas la pour rien.

Je dépose ma veste sur la chaise de mon bureau, et je balance mes Converse a l'autre bout de la pièce.

" Je peux avoir une place sur mon propre lit ou c'est trop te demander ?

Elle rit un peu et roule sur le coté. Je m'allonge, elle pose sa tête sur mon ventre.

- Tu étais ou ?

- Au parc.

- C'est moi ou tu passes ta vie au parc en ce moment ?

- C'est moi ou je passe ma vie a attendre qu'elle daigne se terminer ?

Jeanne lève les yeux au ciel mais ne relève pas ma remarque. Elle déteste quand je dis ce genre de choses parce que, merde ' Louis tu n'es pas un putain de suicidaire '. Non. Parce que je suis déja mort a l'intérieur, depuis un an. Mais ça, je ne le lui ai jamais dit.

Le silence s'éternise, et elle finit par céder la première.

- Bon... Louis, je voulais juste te prévenir qu'Hortense venait le week end prochain.

- Cool...

- Allez ! Je compte sur toi pour être sympa. Et puis elle vient avec son 'colocataire'.

Elle entoure le mot de guillemets imaginaire et ça me fait sourire.

- Au fait, ça va au travail ?

- Ouais, je suis bien. C'est tranquille et mes collègues sont gentilles.

- C'est avec Emily que tu vas au parc ?

J'hésite un court instant. La question de Jeanne n'a rien de pernicieuse. Et je sais aussi qu'elle n'aime pas vraiment Tess, et qu'elle serait ravi que je la quitte pour une autre.

- Non. Ce n'est pas avec Emily... en fait, c'est avec personne.

- Louis... Tu sais que ce serait bien que tu...

- Que je rien du tout ! Putain Jeanne, tu es venu jouer à la maman c'est ça ? Je n'ai besoin de personne pour me promener dans un parc non ?!

- Je voulais simplement dire, Louis, que ça fait un an que la seule personne que tu daignes voir - a part nous - est Tess, et qu'une de tes collègues m'a l'air super gentille et qu'il serait temps que tu sortes de ta léthargie pour t'ouvrir aux autres et je sais pas... lui proposer un rendez vous ?

Je me redresse d'un bond, et Jeanne recule. Je n'ai jamais crié sur ma soeur, mais je refuse que quelqu'un me parle de la sorte, ou me dise ce que je devrais faire ou non. C'est ma vie, et si j'ai envie de me laisser crever de solitude, je le ferais. Et puis elle se prend pour une agence matrimoniale ou quoi là ? Si j'ai besoin d'un rendez vous, j'appelle Meetic, certainement pas mademoiselle j'ai-les-cheveux-roses-comme-une-princesse.

- Sors de ma chambre.

- Non.

- SORS DE MA CHAMBRE JEANNE.

- Louis... Calme toi, je voulais pas que tu le prennes mal, c'est juste...

- Mais casses toi putain ! Je n'ai pas besoin de ta pitié ou de n'importe quoi d'autre, je n'ai pas besoin que tu me dises ce que je sais déja, je n'ai pas besoin que tu me répètes jour après jour que je rate toute ma vie, parce que je m'accroche trop au passé, à des fantômes, des souvenirs, et que je suis incapable de faire autrement ! Tu crois que ça m'amuse ? Tu crois que je trouve ça drole, que j'en fais exprès ? Tu crois que je ne veux pas moi aussi, que ses putains de yeux bleus quittent mon esprit pour une journée au moins ? Tu crois que je n'en ai pas marre de me sentir dépendant, totalament dépendant, d'un mort, d'un putain de mort qui ne m'a jamais aimé, alors que je crève pour lui même un an après... "

Ma voix se brise et je retombe sur le drap froid de mon lit. Il y a un silence, très long. Je n'avais jamais dit tout ça à quelqu'un, et je n'arrive même pas à avoir mal au coeur. Je suis vide, je suis un corps gonflé d'air, agitant ses membres décharnés par la tristesse, je suis un pantin grimaçant, dont le sourire tombe en ruine au moindre coup de vent.

Elle quitte ma chambre en silence, et le simple bruit de la porte qui se ferme déclenche les larmes qui ne voulaient pas couler.

Parfois, je provoque moi même ma solitude. Et elle m'étouffe. Elle m'étouffe tellement.

Et c'est trop tard pour en sortir.

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