6 Le projet
La Dodge circule avec une certaine aisance sur la Callowhill Street. Un coup de chance, car souvent, elle est en proie aux embouteillages, même à cette heure matinale. Les devantures des magasins défilent les unes derrière les autres, dans un jeu de lumières dont les nuances côtoient avec des espaces plus sombres.
Philly se dévoile entre beauté et violence, dans une alternance de sans-abris et de grosses cylindrées, de mendiants et de prostituées, dont une forte proportion de clients possède un siège pour bébé à l'arrière. Un quotidien bien amer de toutes les facettes tordues de l'être humain. Entre représentants en surchauffe, toujours à la hâte, avec les cours de la bourse comme unique objectif, et sans domicile fixe dont le quotidien reste la survie au jour le jour, une petite boîte de conserve secouant trois, quatre dollars en bataille.
Ceux qui ont la faim au ventre, accueillent le froid en guise d'une bénédiction ou d'une libération, dans l'espoir d'une accélération vers le passage de l'autre côté. Harry se gare à proximité du magasin "Cocktails of Heaven", puis coupe le moteur.
— Bon, allez viens, Maria.
— Pfff... C'est du délire total.
Le quarantenaire ferme sa portière et la rejoint côté trottoir. Elle sort, toujours peu emballée par cette idée farfelue. Il ferme le pick-up et le duo entre dans le magasin.
Le contraste en termes de température la saisit de suite, une agréable chaleur apaise quelque peu Maria. Elle regarde les étals d'habits en tout genre. L'ambiance et les petites lumières ont un effet positif sur elle, fan de tenues vestimentaires chic. La mode, elle adore. Le propriétaire arrive.
— Oh là là, mais qui que voilou, mon p'tit Harry !
L'homme, ou la femme, difficile de déterminer, dégaine quatre bises au chef de chantier, qui semble usité à la chose. Maria reste scotchée sur place, même après les précisions de Harry à ce sujet, voir le type habillé en robe, la décontenance un peu. Il, ou bien elle, s'approche de Maria dans un fort déhanché, une main sur son menton, index tendu.
— Tu me présentes cette belle plante mon p'tit Harry.
Il l'accompagne et tend le bras.
— Mon amie, Maria, qui a besoin de tes talents.
La jeune italienne reste sans voix au qualificatif employé par Harry. Amis ? Toutefois, elle accepte avec plaisir son nouveau statut, pourquoi pas ?
— Maria, voici une grande amie à moi, Régina.
Les deux se serrent la main, Régina exécute un baise-main. Maria sourit et semble à ses aises au final. Beaucoup de frou-frou orne ce personnage transgenre.
— Tournez, tournez, demande Régina presque avec anxiété.
La jeune femme effectue alors une rotation lente, Harry expose des joues gonflées au passage de son arrière-train, avec des grands yeux. Régina le regarde, tout sourire.
— Mon Dieu, mon Dieu, une beauté pareille, dit-il-elle d'un geste en va-et-vient d'une main devant son visage.
Maria rigole un peu, Régina lui fait très bonne impression.
— Bon, je vais m'occuper de toi mon bichon. Nouvelle identité, nouvelle coupe de cheveux et nouvelle vie.
— Ok, allons-y alors.
La réponse de Maria satisfait au plus haut point Harry.
— Il me la faudrait pour dix heures chez Hermanz.Co, si tu es toujours partante bien entendu ? Ça reste ton choix avant tout.
Elle acquiesce. Il lui tend son portable.
— Pourquoi ?
— Le tien doit être détruit. Tu me le rendras en toute discrétion plus tard, pas de soucis. On échange que par SMS, mon numéro de portable pro est inscrit dans le répertoire, à mon nom : Bosco. Tu ne réponds à personne. Et du coup, il me faut mon veston, on frôle le suspicieux ou le favoritisme si tu te pointes à l'entretien d'embauche avec ça sur le dos, avec mon prénom d'inscrit au niveau de l'épaule.
Maria lui rend son manteau.
— N'oublie pas, tu ne sera pas la seule candidate tout à l'heure, je vais t'aider, ça va le faire. Et surtout, n'utilise pas tes atouts corporels, je connais mon patron, il déteste ça.
— Je sais pas si je vais y arriver.
— T'es intelligente, j'ai pas le moindre doute. Mon boss priorise une approche plutôt pratique de la chose.
— C'est-à-dire ?
— Taille d'objets, d'engins, de matériaux, poids de ceux-ci, en bref, soit logique.
Maria semble un peu perdue, tandis que Régina, grâce à son coup d'œil d'expert-e, vient de dégoter un tailleur proche de ses mensurations.
— Allez, je te laisse entre des mains expertes. N'oublie pas, dix heures, ça sera mieux que les onze annoncées hier. T'auras le temps de t'acclimater comme ça.
Il lui colle une bise sur la joue, un sentiment très étrange envahit soudain le corps de la jeune femme.
Il sourit, presque gêné, puis rougit.
— Allez ma belle, Régina, je suis sûr que tu vas faire des merveilles.
— Oh mon p'tit cœur, sans problème.
Harry rejoint la Dodge et reprend l'Interstate 676 en direction du nord de Philly. Il appelle son ami Hendricks, qui possède l'immense casse du même nom.
— Salut, Jérémy.
— Salut, Harry. Qu'est-ce qui me vaut ce coup de fil matinal ?
— Une urgence. Je suis dans le pétrin, et je pense que mon cher beau-père Henry James cherche à me faire tomber.
— Pas de soucis, je t'attends.
— Génial, merci.
— À tout de suite.
Un quart d'heure plus tard, il quitte l'axe principal et se dirige vers une zone d'entreprises. Au bout de la route d'accès de plus en plus dégradée, les grandes portes métalliques de Hendrick's Dépôt s'ouvrent. Un homme se présente, de petite taille, vêtu d'une ample salopette en Jeans, par-dessus son gros pull bleu foncé. Il est muni d'une casquette de couleur similaire, avec son logo dessus, puis referme aussitôt et s'approche de la voiture.
Ils se serrent la main, Jérémy Hendricks rallume son mégot. Quelques bribes de fumées s'échappent sous l'effet des bourrasques d'un vent variable et glacial.
— Pfff. Qu'est-ce qui est arrivé à ton rétro ?
— Ça fait partie du merdier dans lequel je me trouve. Je vais devoir faire court, mon rendez-vous à huit heures au City Hall exige de la ponctualité. Un nouveau grand projet.
— Ça me concerne, je pense, Harry.
— Comment ça ? demande t-il, étonné, sourcils relevés.
Le petit homme expire une longue colonne grise, puis ajuste ses lunettes rondes.
— Tu sais que mon affaire devient peu rentable, à ce sujet d'ailleurs, je dois m'acquitter de ma dette envers toi qui s'éternise depuis deux ans maintenant. J'ai donc accepté sans broncher une proposition très attractive. Une grosse boîte d'import-export vient de racheter mon site et, cerise sur le gâteau, les créances avec. Tu parles d'un coup de chance !
— Pourquoi ? C'est suspect non ?
— Je cherche pas à savoir, de nos jours, tu sais, tout peut se qualifier de louche. Le type qui s'occupe de la paperasse affirme que la localisation de mon entreprise met en avant un atout stratégique non négligeable pour eux, en bordure de la Delaware River, explique-t-il en écartant les bras à l'horizontale.
— Ils veulent en faire quoi ?
— Un dépôt de containers. J'en sais pas plus, précise-t-il, les épaules relevées et les membres revenus le long du corps. Affaire conclue de toute manière.
— Comment elle s'appelle cette compagnie ?
— Trask Corporation. Alors, dis-moi, t'es pas venu pour parler de mes états d'âme, comment je peux t'aider ?
— Il me faut une autre caisse, genre très répandu, pour me fondre dans la masse.
— T'as la carte grise, pour la reprise de la Dodge ?
Harry la lui donne. Jérémy l'analyse et vérifie le document, puis le regarde à nouveau, étonné.
— C'est pas ton nom qui figure là-dessus ?
— Tout à fait, et je veux que tu passes ce bijou dans la presse hydraulique.
Les yeux du petit homme s'écarquillent. Il reprend une grosse taffe, comme pour se donner un moment de réflexion.
— À ce point-là ?
Harry acquiesce, la flamme de son Zippo allume une cigarette.
— C'est plutôt radical, Harry.
— Il le faut, et tu t'acquitteras ainsi de ta dette envers moi.
Il secoue la tête de gauche à droite.
— Putain, Harry, tu te doutes de l'infraction encourue. L'offre ne se refuse pas, mais il va falloir que je falsifie des documents officiels. C'est le nom de Janice d'inscrit comme propriétaire ! Merde quoi !
Jérémy tourne en long et en large, se gratte sa chevelure clairsemée, en décalant sa casquette.
— Alors ? On y va ou quoi ? C'est tout bon pour toi, Jéré. On fait table rase de te dette, vu le risque que tu prends.
— Tu fais chier mon pote. De toute façon, pas besoin de tergiverser, j'arriverai jamais à te rembourser sinon.
Jérémy tend le bras en direction de l'appareil au bout du chemin. Harry amène la voiture entre les nids de poules glacés, puis la recule à l'intérieur. À sa sortie du véhicule, il ramasse ses papiers et son casque de chantier, puis balance sur la banquette les clés de la chambre douze du Blue Bird motel.
Jérémy active l'engin de compactage et la lourde plaque métallique écrase la Dodge, occasionnant un coup de vent fort et glacial qui atteint leurs visages. De l'huile moteur, mélangée à du liquide de refroidissement et du caoutchouc, s'échappe de l'épave.
— Si t'avais des remords, c'est trop tard.
— Pas de remords mon ami. Allez, une caisse et je file.
— Par ici, indique le petit homme, le bras dans la direction souhaitée.
Ils marchent une petite minute sur un chemin annexe, dont l'état de dégradation se rapproche de l'axe principal. Hendricks lui montre alors sa ribambelle de véhicules réparée par ses soins.
— Une Chevrolet C10 V8 de 1985. Sans conteste l'un des véhicules les plus répandus dans les States, mais old fashion à la fois, tu vois ?
— Ça ira très bien pour là où j'habite en ce moment, ça fera pas tâche dans le décor.
— Celle-ci a eu un petit accident. Trop abîmée d'après le proprio. Pfff, tu parles, quel expert ! J'te rassure, rien que de la taule froissée. Ça va de soi que l'ancien radiateur a morflé lors de la collision, mais ça reste l'unique pièce remise à neuf.
— Excellent, je la prends. J'adore le gris en plus.
— Allez, on fait la paperasse et en avant la musique.
Jérémy entre dans son container, aménagé en tant que bureau. Ils se placent de part et d'autre de la table, et le patron édite les documents au nom de Harry Bosco. Les radiateurs électriques tournent à plein régime, dans un raffut désagréable.
— Bon, ta demande suit son court. Tu gardes le papier provisoire jusqu'à l'obtention de la carte grise, il me faut juste ton adresse pour finaliser.
— Quatorze, Camden's Paradise.
Jérémy esquisse un relevé du sourcil droit, suivi d'un léger soupir.
— Tu me mets l'acquisition en date d'hier soir vers dix-huit heures. Tu seras mon alibi, si jamais ça arrive jusque-là.
— En plus, t'as de la veine, Harry, j'étais ouvert jusqu'à dix-neuf heures et zéro clientèle, un vrai désert de Gobi.
Jérémy fait quelques cliques, puis le document officiel s'imprime. Date et heure faisant foi.
— Voilà les clés. Et j'ai rien vu et rien entendu. Je confirmerai donc ta présence ici hier soir. Et je possède des Dodge comme la tienne en réserve, au fond de la casse, dont l'absence de plaques d'immatriculation va toujours me permettre de raconter un bobard.
— Merci, Jérémy.
— File, j'te dis, je regrette déjà.
Harry se dirige vers le véhicule et pose son casque sur la banquette passager, puis démarre et s'éloigne. Hendricks reste stoïque sur le pas-de-porte et sa silhouette dans son rétroviseur ne disparaît qu'après un certain temps. Une fois à l'intersection, les lampadaires s'éteignent. L'instant d'après, Harry circule sur la route vers Philly, il appelle Raphaël.
— Salut, Harry.
— J'te dérange ?
— Humm, non mec, je bois mon café. Dis-moi un truc mon frère, t'es pas allé au Blue Bird hier soir, rassure-moi ?
— Ben, p'être bien. Pourquoi ?
— Ben, ça passe aux nouvelles ce matin, breaking news, les images défilent en ce moment même. Ça grouille de keufs là-bas, sans parler de la présence du FBI. Paraît qu'il y a eu une course-poursuite et que ça a finit dans la Delaware River.
— Le, le FBI, tu dis ?
— Exact, et de surcroît, plusieurs cadavres, on n'en sait pas plus pour l'instant.
— Euh, d'accord. Du nouveau au sujet du flic, en ce qui concerne sa nouvelle identité ?
— Pas encore, mon contact me tiendra au jus dès que possible. Autre chose, Harry ? Bordel, c'est dégueu !
Un silence s'établit, quelques longues secondes s'écoulent, puis l'avocat reprend.
— Tu vas pas le croire, le journaliste vient de nous montrer deux macchabés dans le coffre. L'un d'entre eux est un agent fédéral, mais l'autre, Harry.
— Eh ben quoi l'autre ? demande t-il en s'engageant sur l'Interstate 676.
— Attends, je vérifie avec mes annotations.
Des mouvements de feuilles se font entendre, Raphaël reprend.
— Ça correspond, c'est un dénommé Zack Rydde, trente ans. C'est l'un des deux flics qui t'a coffré au Gonzo ! J'y crois pas.
— Hein ? C'est un cauchemar, réveillez moi !
— En-tout-cas, aucun doute possible. Non mais j'hallucine.
— Quoi encore ?
— T'y es allé, Harry, c'est ça ? T'as pas pu attendre ? Les autorités cherchent une Dodge fréro, vieux modèle, couleur sombre. Quelle coïncidence, n'est ce pas ?
— Et merde ! J'ai changé de caisse hier soir Raphaël, avec la facture pour preuve.
— Putain, Harry ! Tâche d'avoir un alibi solide. Non mais là, ton divorce prend une toute autre ampleur. Mais il va falloir être franc avec moi, sinon je pourrai pas t'aider, demande t-il d'un ton persuasif.
— Ben oui, c'était moi. Le type a essayé de me liquider, précise-il, sur un ton agacé.
— Pfff... Et merde !
— Quoi ?
Pas de réponse, juste un trop long silence. Il pose l'appareil de communication sur l'affichage central du tableau de bord, puis jette un coup d'œil dans les rétroviseurs. Il déboite sa voiture sur la file voisine et se gratte la barbe dans un tic nerveux.
Le rythme cardiaque de Harry accélère, il finit de doubler un camion et les panneaux indiquent la direction du centre ville. Il se rabat sur la file de droite, la trois voies se charge de plus en plus à l'approche de l'échangeur.
— Un coup de feu mon pote ! Ça vient de tirer !
Harry sursaute, son cœur manque de louper un coche. Il avait presque oublié Raphaël au bout du fil.
— Deux flics sont à genoux à côté d'un troisième au sol, quelle consternation !
Harry souffle et tente de reprendre le contrôle de ses actes.
— On voit pas bien, ça court de partout, une putain de panique, Harry. Du sang qui coule. Merde, la retransmission vient de s'arrêter. Bon sang ! J'en étais où ?
Le chef de chantier cligne des yeux, une paupière saute toute seule et semble échapper à son contrôle. Il reprend la conversation.
— J'ai une autre info à te demander, Raphy.
À la fin de la phrase, Harry s'inflige une gifle mémorable, afin de se réveiller et de bien clarifier son esprit.
— Vas-y, dis-moi.
— Cherche-moi des informations sur la Trask Corporation. C'est une boîte d'import-export qui trouve la casse Hendrick's Dépôts à son goût, au point de la racheter avec ses créances.
Le bruit régulier du clignotant indique la sortie en direction de l'Interstate 676. La circulation devient dense.
— C'est bien noté, je te tiens au jus dès que j'ai du nouveau. Interdiction de m'appeler, attends que je le fasses, le temps de me procurer un autre portable car je soupçonne une mise sur écoute. Et un grand conseil, Harry, fais gaffe, on s'aventure en terrain miné.
— Je sais, merci.
— À plus.
Il arrive dix minutes avant le rendez-vous au City Hall, dans un état redevenu presque normal. Son boss, Jason Hermanz, l'attend dans sa Honda Accord blanche. Il sort avec un petit dossier et le lui passe, puis lui serre la main.
— Ben, et ta Dodge ?
— Vendue hier soir, trop de ratés.
— Ok. Bon, je t'explique le projet de monsieur le Maire.
Ils passent à côté de panneaux directionnels. L'un d'eux indique le National Museum Art et la statue de Rocky Balboa. La grande place commence à se remplir, en majorité de fonctionnaires et de businessman en tout genre. Après avoir monté quelques marches, Jason Hermanz reprend sa discussion.
— Tu vois la casse Hendrick's Dépôts, plus vers le nord et non loin du port ?
— Je connais bien oui. J'y vais des fois pour acheter des pièces de rechange pour la Dodge.
— Ben la ville prend à sa charge le nettoyage du site, en raison d'une vente à une grosse boîte d'import-export. Le maire souhaite une proposition à moindre coût, il paraît que ça urge.
— Des concurrents dessus ?
Le patron, de forte corpulence, habillé d'un long manteau noir, ouvre la lourde porte qui donne accès au hall d'entrée de l'édifice. L'endroit diffuse une chaleur agréable.
— Oui, un, toujours le même, BTP Plus, les rois du pas cher. Bonjour madame.
La réceptionniste sourit.
— Bonjour messieurs. Monsieur le Maire vous attend dans la salle des conférences, vous connaissez le chemin. Je vous rejoins sans tarder.
— C'est certain. Merci, allez, du nerf, Harry.
Le chef de chantier esquisse un regard vers la femme de son âge. Il connaît Mary Ageens depuis bien une décennie. Un peu moins grande que lui, cheveux blonds courts, plutôt maigre et toujours saupoudrer d'un léger maquillage. Cette femme mûre fait " tourner la boutique " à elle toute seule, une vraie factotum.
Il lui fait un clin d'œil furtif.
Elle rigole presque.
Il se dit qu'il l'aime bien.
Puis le duo quitte le hall et se trouve dans un couloir. L'instant d'après, ils entrent dans la pièce. Des tables, fixées les unes aux autres, dessinent une grande forme ovale. On peut caser une bonne trentaine de personnes ici. Le plancher en bois massif de chêne craque sous le quintal de Hermanz, puis ils s'assoient en face des deux représentants de BTP Plus. Ils se saluent de loin d'un geste furtif de la main, ce qui dénote un grand amour entre eux.
Derrière les types, une immense photo du candidat Trump, avec le slogan : Make America Great Again. Facile de deviner de quel bord politique le Maire se trouve.
Mary Ageens arrive, passe au centre par une petite ouverture entre les tables, créée à cet effet. Puis elle rejoint le dispositif de projection préparé à l'avance et s'installe entre les personnes concernées.
Harry la trouve jolie. Il en a toujours pincé pour elle, sans toutefois le lui dire. Monsieur le Maire s'écarte, toujours rond comme un ballon de baudruche, puis prend la parole.
— Bon, très bien, tous les partis concernés sont présents. On peut commencer la projection, Lucie.
Les loupiotes baissent d'intensité, jusqu'à donner une ambiance tamisée. L'image d'une vue aérienne s'affiche sur le grand tableau blanc.
— Voici Hendrick's Dépôts. La grande casse doit être démantelée sans perdre de temps.
— Qu'est-ce que vous appelez sans perdre de temps ? demande le patron de la boîte adverse.
— Trois semaines, pas plus. La Trusk Corporation nous confie le job, mais la boîte d'import-export manque de place de stockage pour ses containers, d'où l'urgence de la chose. Et on sera tous très bien rémunérés.
Harry griffonne quelques lignes dans le dossier vierge de Hermanz.
— Douze hectares. Vous vous doutez bien de ce que ceci implique en terme de nombre de véhicules, inutile de vous faire un dessin. Celui qui me donne le meilleur prix aura le projet, comme d'habitude, et je souhaite avancer vite. Pour faire plus explicite, mardi, je veux les pelleteuses en train de dégager tout ça.
— C'est rapide, Monsieur le Maire, précise Hermanz.
— Et non négociable, à prendre ou à laisser mon ami. Le business, c'est le business.
— On peut le réaliser, indique la concurrence, presque en état d'autosatisfaction.
Harry continue d'écrire.
— À vous de trouver les débouchés, chacun son boulot. Des questions ?
Hermanz regarde Harry, qui dessine un non de la tête.
— Parfait alors. On se revoit tous lundi prochain à la même heure. Je vous souhaite un bon weekend.
Les protagonistes se lèvent et sortent. L'instant d'après, Harry et son patron quittent la place du City Hall. Ils prennent l'itinéraire pour atteindre le dépôt de la boîte de BTP Hermanz, à bien vingt minutes de là, vers le nord de Philly. Dix heures approche, lorsque Harry rejoint son employeur dans les bureaux de l'entreprise. Une dizaine de candidats affichent présents pour l'embauche en tant que secrétaire. Le quarantenaire les salue à tour de rôle, en majorité des femmes. Par la grande fenêtre, il voit un taxi s'arrêter sur le parking.
Harry reste scotché sur place.
Maria Mancini vient de sortir du véhicule en tailleur chic, cheveux blonds courts en coupe au carré. Il la reconnaît de par sa silhouette longiligne, c'est imparable. Elle s'avance vers l'entrée, Harry la rejoint et lui ouvre l'accès.
Elle sourit.
Il n'en revient pas et reste sans voix.
Elle n'a aucun maquillage, ni rouge à lèvres, et ses longues jambes exposent des chaussures plus pratiques que les talons aiguilles. Le barbu secoue la tête, comme pour revenir à la réalité.
— Bien... Bienvenue, madame ?
— Jessie Rogers, monsieur. Je viens sans avoir prévenu au préalable, désolée.
— Mais je vous en prie, installez vous, répond t-il, un bras tendu.
— Merci.
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