17 Le colis


Une fois dans le mobile-home, Murphy manque de trébucher, car une enveloppe l'interpelle sur le lino. Il la ramasse et la pose sur la petite table, tandis qu'Olga tapote ses chaussures sur le rebord de la porte d'entrée, puis monte à son tour. Elle souffle sur ses mains.

— Attends, je vais mettre le groupe électrogène en route.

— Merci, ça se refuse pas.

Curieuse, elle attrape le courrier vierge de l'extérieur et vérifie l'autre face, idem. Elle relève les sourcils, puis repose l'objet à sa place initiale. De son côté, Murphy remplit le réservoir d'essence et note que l'appareil semble tout neuf. L'instant d'après, il tire sur le lanceur. Le moteur démarre au quart de tour et il enlève le starter, puis branche la prise qui raccorde au mobile-home.

Il frotte ses mains et serre les poings à plusieurs reprises, une vive douleur se crée à chaque fois, ce qui ne manque pas de lui rappeler son combat fatal avec l'italien, jusqu'à cette fin tragique. Le mauvais temps s'intensifie et donne l'impression de s'immiscer dans son cœur. La perspective de vivre avec ce lourd fardeau l'accapare un instant, où il reste stoïque face à l'éclairage public, qui divulgue l'augmentation des précipitations neigeuses. Olga ouvre la porte et allume la lumière du petit salon, ce qui le sort de ses pensées destructrices.

— Ça fonctionne, viens vite, le radiateur électrique par contre, il sent un peu le grillé !

Olga est un rayon de soleil dans tout ce merdier, Murphy s'en rend compte de plus en plus, une véritable bouée de sauvetage qui lui donne l'envie d'aller plus loin. Le rouquin ne se fait pas prier et une fois à l'intérieur, approche son nez au-dessus du chauffage, puis se redresse et pose ses mains à plat dessus, suivi d'un soupir d'aise.

— Ça va aller, faut juste surveiller un peu, mais ça doit faire un bail que ce radiateur n'a plus fonctionné.

— Espérons que ça suffise pour réchauffer cette passoire thermique. Dans la chambre, tu te souviens s'il...

— Pas la peine de tous les mettre en route, le groupe ne tiendra pas la charge.

— Ok, tu peux pas rester ici, Murphy, les conditions vont finir de t'achever.

Il s'assoit sur le petit banc fixe attenant à la table, Olga place une des deux chaises en face de lui et fait de même, puis les mains s'entremêlent, les regards s'ancrent.

— Comment tu comptes t'y prendre pour rembourser ces types ?

— Il va falloir que je me batte à nouveau.

Olga s'attristre, mais la réponse ne la surprend pas.

— Essaie d'attente un peu, je... Je suppose que dans ta situation, ma réaction serait similaire.

— J'ai trouvé un indice intéressant à l'hôpital.

Le portable de la jeune femme sonne une fois.

— Dis-m'en plus.

— Je possède le nom du chirurgien susceptible d'exercer des interventions au laser. Un certain docteur Weber. Par contre, pour une entrevue, direction New York, car il exerce là-bas.

— En espérant qu'il veuille bien coopérer. Toutefois, ça reste une bonne info. Une seconde, je regarde mon texto.

Un improbable sourire se dessine sur son visage. Elle met une main sur sa bouche face à une nouvelle peu commune.

— Le gérant du pub irlandais m'informe, qu'un certain Canagaan m'a repéré lors de ma dernière représentation. Le gars m'invite à me produire cette nuit dans son bar, le Midnight Soul, à minuit et à New York ! J'y crois pas !

— Super ! Quelle chance unique à saisir !

— Tu viens avec moi ?

Murphy, un peu prit de cours, réfléchit un instant.

— Pourquoi pas, ça me changera les idées et je peux toujours tenter une confrontation avec ce fameux docteur, qui sait, il bosse peut-être ce dimanche ?

Trop heureuse de sa réponse, elle se lève et penche son buste au-dessus de la table, jusqu'à s'approcher très près de lui. Ils se regardent droit dans les yeux, puis leurs lèvres se touchent, une fois. Les respirations se mêlent et il ne voit que le bleu de ses yeux et son visage angélique. Un second toucher, puis un autre, plus intense et ils ne peuvent plus se contenir, ils s'embrassent. Le moment donne l'impression de se figer dans le temps et réchauffe leurs cœurs, d'autant plus dans cet enfer. Murphy pose une main sur sa joue et parcours ensuite de ses doigts ses cheveux blonds. Ils soufflent et s'arrêtent, positionnent leurs fronts l'un contre l'autre et se scrutent du regard, dans des va-et-vient qui renforce ce moment intense. Olga sourit et reprend sa place assise.

— Dès que je t'ai vu à la cafétéria, je me suis imaginée en train de t'embrasser.

Il se contente de réchauffer ses mains dans les siennes, attiré par sa beauté qui se divulgue encore davantage face au contraste de la misère dans laquelle ils se trouvent. Cependant, une sorte d'angoisse s'installe chez Murphy et cela se reflète sur son expression faciale.

— Quoi ? Un problème ?

— C'est juste que... J'ai perdu mes parents et le malheur me poursuit sans arrêt. Je veux pas qu'il t'arrive quelque chose de mauvais, tu vois bien d'où j'en suis rendu, avec des gorilles à mes trousses.

Olga baisse les yeux un instant, puis le regarde à nouveau et quelques larmes se déversent sur ses joues, jusqu'à atteindre son menton.

— Désolée de l'apprendre, idem pour moi et, en ce qui me concerne, on va lui botter le cul au malheur, d'accord ?

La réponse, presque enrouée, s'accompagne d'un geste du revers de la main gauche, afin d'essuyer sa tristesse.

— Ça marche.

— Ils... C'est toujours aussi douloureux, même après toutes ces années. Les miens sont morts dans les Twin Towers.

À ces mots, l'humidité déborde des paupières et elle se met à pleurer. Murphy se lève, elle fait de même et se jette dans ses bras.

— Chuuut... T'es pas toute seule.

Elle s'agrippe à son manteau et sa tête, repliée, se pose sur son torse. L'instant ne dure pas très longtemps et elle s'écarte de cette étreinte, puis il l'embrasse sur le front, sur le bonnet.

— Merci, ça fait du bien d'extérioriser parfois.

— Pas de soucis.

Tandis qu'elle essuie ses larmes, Murphy prend l'enveloppe, toujours aussi intrigué par ce qu'elle peut contenir, puis commence de l'ouvrir.

— Je regarde pour un train direction New-York, informe Olga.

Murphy entame de sortir la lettre, lorsque Olga lui expose l'écran tactile avec plusieurs horaires de train en direct, vers la destination souhaitée.

— Si on part maintenant, on peut faire un saut à mon appart. Il se trouve à quelques encablures de la gare centrale de Philly, afin de récupérer ma guitare. On peut prendre celui-là, indique-t-elle sur l'écran zoomé.

— Allez, j'éteins le groupe électrogène sans attendre.

Sur ces mots, le rouquin range la lettre dans une poche intérieure de son manteau, puis sort. Olga ferme la porte et lui remet les clés, dans la foulée, ils se hâtent de marcher. Ils quittent Camden's Paradise et la neige s'atténue pour laisser place à un vent glacial. Peu à peu, le ciel se dégage et les étoiles se distinguent de-ci de-là, annonciateur d'une chute vertigineuse des températures.

Le duo arrive à l'arrêt du métro, puis achète les tickets et s'apprête à s'asseoir sur un des bancs mis à disposition, lorsqu'un type bouscule Murphy.

— Eh !

Le gars s'excuse avec un rire niais, qui s'accompagne d'une odeur explicite de marijuana, de même qu'une espèce de brouillard de fumée l'embaume.

— Désolé, j'suis un peu dans le cirage là.

— Ça ira.

Olga le regarde avec plus de précision.

— On t'as pas croisé tout à l'heure ?

Il enlève sa capuche et la prédominance de sa lèvre inférieure ne fait aucun doute.

— Ah, ouais, vous êtes montés avec Elias, j'vous remets maintenant, eh, eh !

Murphy relève les sourcils, puis tente de se souvenir, en vain. Il hausse les épaules et les laissent retomber dans la foulée, en désespoir de cause.

— Sérieux ? Ben moi, je t'aurais jamais reconnu.

— J'me présente, Redon.

Ils se serrent la main.

— Encore mille excuses, mec. Vous allez à Philly ?

— Bonne pioche... annonce Olga.

— Hi, hi, c'hui con, normal aussi, sinon, pourquoi c'est faire que vous seriez là ?

Les deux tourtereaux, ébahis dans un premier temps, ne peuvent que rire un bon coup avec l'énergumène qui plane grave. L'Afro-américain écrase son mégot à l'annonce du métro, puis leur fait un signe d'au revoir lorsque les portes des wagons s'ouvrent. Ils répondent de la même manière et s'installent dans le suivant, afin d'éviter de discuter avec ce Redon, dont la cohérence semble bien atteinte.

Le véhicule de transport public démarre, puis passe sur la Delaware River. À la fin du Benjamin Franklin Bridge, l'engin s'enfonce en terre, dans les entrailles de Philly. Olga s'allonge sur le dos, la tête sur les genoux de Murphy. Les doigts s'entremêlent dans ce noir presque complet, où seules les lumières du wagon délivrent un éclairage adéquat, qui engendre un reflet parfait dans les grandes vitres. Le rouquin regarde le ticket, la station où ils doivent descendre est le terminus de la Red Line*.

— T'habites dans le centre-ville ?

— Oui. Je...

— T'as pas besoin de te justifier.

— Au contraire, cet appart, c'est un bien familial et, un héritage.

— Ok. Cool.

Sur ces mots, Olga baille, puis ferme les yeux et tente de se reposer un peu, tandis que Murphy la contemple, il repense à l'enveloppe, la sort de sa poche intérieure, la déplie et...

— Eh, Murphy.

Le supposé murmure provient du couloir central, le fameux Redon se tient là, debout devant lui. Olga ouvre les paupières et soupire d'exaspération.

— Ah, euh, encore désolé de déranger, mais je... Je...

— Ben quoi ?

Il cligne des yeux à plusieurs reprises et finit par s'asseoir sur la banquette en face d'eux.

— Ma vision, comment expliquer, ça tangue.

Murphy range à nouveau la lettre dans sa place initiale et tente de comprendre comment il peut l'aider.

— Tu veux un coup de main pour aller à un endroit précis ? demande le rouquin.

Redon claque des doigts et le pointe de l'index.

— Exact !

Après cette réponse, l'Afro-américain se tient le ventre.

— Tu dois te rendre où ?

— À la station ferroviaire SEPTA. J'ai un colis à transporter, mon nouveau job !

Murphy se lève et consulte le schéma du réseau, dessiné au-dessus de la porte, puis il revient.

— Faut que tu sortes juste une station avant nous, ça te permettra de reprendre le métro vers l'ouest, mais c'est pas loin et tu te trouveras au bon endroit.

— Ok, merci.

— D'ailleurs, le métro décélère déjà et c'est maintenant que tu dois descendre, Redon, fait remarquer le rouquin.

Son mal-être passe petit à petit, Murphy l'aide à se mettre debout. Il les remercie et marche jusqu'aux portes coulissantes. L'engin s'arrête et il sort. Soulagés, il se rassoit sur la banquette à côté d'Olga, tandis que le métro repart vers le terminus.

Les quelques minutes s'égrènent vite, que déjà la diminution de la vitesse se fait sentir, à l'approche de l'arrêt final. L'instant d'après, Murphy et Olga montent les escaliers en béton armé et se retrouvent à proximité de la City Hall. À peine cinq minutes dans un froid intense, qu'Olga pénètre dans un petit immeuble. Le hall d'entrée dénote la qualité du lieu, ça respire le propre, rien de dégradé. Murphy déduit que les locataires ici, appartiennent à une classe sociale un peu plus aisé que la moyenne. Un vigile les salue.

— Bonsoir, miss Ronovsky.

— Bonsoir, Monsieur, euh, il est avec moi, on fait juste l'aller-retour.

— Ok.

L'ascenseur aussi, le conforte dans cette analyse. Étage quatre, ils marchent dans le couloir, composé d'un éclairage agréable, constitué de petites lampes pointues, fixées aux murs. Le numéro trente s'ouvre sans délai, l'excitation de sa future prestation donne un élan de vivacité à la jeune femme, qui commence à retirer ses pansements autour de ses doigts.

Le rouquin attend dans le petit salon bien rangé. Quelques photos se dévoilent, une l'attire en particulier, l'arrière-plan ne manque pas de donner l'endroit précis des Twin Towers.

Olga, toute jeune, se trouve avec un garçon un peu plus âgé qu'elle, entre ses parents, et l'effet de bonheur reste indéniable. Elle le rejoint, l'instrument dans son dos. Il repose le cadre sur le meuble du salon.

— Mon père, ma mère et Viktor, mon aîné. Il bosse sur New-York, dans le commerce de viande, les plats préparés, ce genre de choses. Je te propose de faire le tour de mon petit chez moi à notre retour demain.

— Avec plaisir, allons-y.

Ils se hâtent et prennent un taxi jusqu'à la station centrale SEPTA. Après avoir acheté leurs billets, ils courent pour ne pas louper leur correspondance. Juste avant de monter dans le train, ils croisent à nouveau Redon.

— C'est quoi cet accoutrement ? demande Olga.

Le duo le toise de la tête aux pieds. En effet, il porte des habits officiels des services de santé, mais bien trop amples pour lui, avec son fameux colis dans une main. Il sourit, décontenancé du comique qu'il reflète et semble un peu plus alerte.

— Visiblement, mon supérieur aurait dû communiquer mes frêles mensurations.

— Tu transportes quoi ? Ça a l'air important, l'interroge Murphy.

Il gonfle les joues et expulse l'air.

— Aucune idée. Laisse-moi regarder sur le bon de livraison. Euh... deux reins.

— Sérieux ?

— Tout à fait, je me dépêche, je dois rejoindre le conducteur du train, je suis privilégié.

— Ok, bon trajet alors !

— Yep !

Sans attendre, le duo monte et s'installe dans le train pour New-York.

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* la Red Line : le réseau constituant le métro à Philly se répartit en quatre lignes, chacune possède une couleur, d'où la ligne rouge pour celle reliant le cœur de Philly à Camden. Elle a la particularité de sortir de terre pour traverser la Delaware River par le Benjamin Franklin Bridge, puis s'enfonce à nouveau un peu plus loin dans Camden. La ligne est la seule qui est exploitée par la PATCO, et a la particularité de fonctionner tous les jours, 24 h/ 24.

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