11 Tic tac tic tac
La BMW noire s'arrête, tandis que la neige se déchaîne toujours. Un type encagoulé braque son pistolet en direction du conducteur. Le tueur au scorpion garde son sang-froid et allume les warning.
Tic tac tic tac...
— Sors de ta caisse du con !
La vitre teintée descend. Le braqueur semble sur les nerfs et ses gestes sont vifs, trop vifs, et une déduction simple s'impose : peu d'expérience. Le conducteur lève les mains et reste calme.
— Tout ton fric connard. Maintenant !
L'homme à fine moustache regarde la minuterie de l'amorce de l'explosif qui défile. Trois minutes et onze secondes.
Tic tac tic tac...
Le tueur au scorpion sort une grosse liasse de billets de la boîte à gants et le tend à l'enragé. Intrigué, celui-ci effectue un moment d'arrêt, accepte, compte et siffle.
— Sérieux ? C'est mon jour de chance. Qui se promène avec trois mille dollars dans sa caisse ?
Le chauffeur saisit une deuxième liasse et la lui donne. Le type n'en croit pas ses yeux.
— Y a une Mustang SSP de garée après le virage. Prends le véhicule et amène le moi à l'entrée du port.
— C'est tout ?
Le professionnel acquiesce, puis l'inexpérimenté s'enfonce dans le déluge neigeux avec une démarche pleine de détermination. L'instant d'après, sa silhouette disparaît dans le rétroviseur. Deux minutes et vingt secondes.
Tic tac tic tac...
Un SMS s'affiche : "Récupère moi les clés de Hendricks Dépôt et ferme le site. Mets le trousseau dans la boîte aux lettres pour Jack. L'ancien propriétaire t'attend sur place. Merci."
«Il ferait mieux de rester à la villa celui-là, quel crétin !»
Son retour : "Ok."
Le temps s'égrène. Dix secondes.
Tic tac tic...
Tic, la lumière rouge clignote.
Tac, la verte prend le relais.
Tic, la rouge s'immobilise.
L'explosion de la Mustang illumine la rue, bien au-delà du virage, ce qui engendre un sourire de satisfaction chez le tueur au scorpion. Il se sent fort, puis la BMW noire prend la route et s'éloigne. Le véhicule emprunte les petits axes et se retrouve aux abords de la casse et se gare un peu avant.
Midi vingt-sept.
Tic tac tic...
Le conducteur se regarde dans le rétroviseur intérieur et attrape un bout de sa fine moustache, puis tire. Il serre les dents lorsque le postiche s'enlève peu à peu. L'énergumène frotte l'endroit douloureux, puis retire sa perruque noire. Le tout se retrouve caché sous le siège passager.
Pile, midi-trente.
La BMW avance alors et passe les grilles du dépôt, tandis que la neige ne tarie pas en intensité. Plusieurs centimètres tapissent déjà le sol lorsque la voiture arrive vers le container aménagé. La fumée d'un pick-up gris s'échappe du pot catalytique. Jérémy Hendricks sort, ferme le local et s'approche de la grosse cylindrée. La vitre teintée descend.
— Voilà les clés, comme convenu.
— Excellent.
Le petit homme, l'œil expérimenté, regarde vers l'arrière du véhicule, tout en essuyant ses petites lunettes rondes. Les gros flocons se collent à son corps, ce qui ne semble gère l'affecter.
— Quelqu'un vous est rentré dedans ?
Le visage devient presque radieux.
— Rien de dramatique, le type s'est excusé. Et puis, les assurances, faut bien que ça serve à quelque chose ?
— C'est sûr. Quelle bande de voleurs ceux-là aussi, comme les banques !
— Ben, je vous souhaite une bonne retraite alors.
— C'est sûr, je m'en vais à tout jamais de ce caillou, direction une île dans les Caraïbes.
— La Trask Corporation vous remercie.
L'ancien propriétaire acquiesce, recule de quelques pas, puis fait demi-tour et rejoint sa voiture. Jérémy allume les phares de croisements, puis l'engin fait une marche arrière et s'engage vers la sortie. Dans le même laps de temps, le tueur au scorpion envoie un texto à son supérieur.
"Malone ne posera plus de problèmes. J'ai récupéré les clés de Hendricks Dépôt."
La main positionne le chauffage un cran au-dessus, puis le véhicule exécute une manœuvre et roule au pas en direction des grilles métalliques. L'engin s'arrête après le passage de celles-ci. Le mystérieux personnage sort, ferme le site à clé grâce à une grosse chaîne et un cadenas, puis met le trousseau dans la boîte aux lettres et remonte dans sa voiture. Les essuie-glace passent et repassent et l'énergumène écrit l'adresse Camden's Paradise dans le navigateur de bord. Facile à trouver. Pour l'ex flic en planque, le compte à rebours est lancé.
Tic tac tic...
La boîte à gants s'ouvre et une dernière vérification du chargeur du Désert Eagle conforte son état prêt à l'emploi. Par acquis de conscience, un serrage s'effectue au niveau du silencieux. Un sentiment de supériorité l'envahit.
Tic tac tic...
Une fois l'arme à feu remise à sa place initiale, le clignotant s'allume sur la gauche.
Midi-quinze.
Tic tac tic...
Son prochain rendez-vous n'est pas avant seize heures, au sud de Philly, dans un bar, Chez Gigi. Sans délai, la perruque noire et la fausse moustache se retrouvent sur ses cuisses, puis, avec soin, retrouvent leur place initiale sur son visage. Les mains expertes ajustent et figniolent, jusqu'à atteindre la perfection requise. Dans la foulée, la grosse cylindrée s'engage sur le bitume, tandis que le poste délivre sa musique pré enregistrée. Démarre alors Wire Train, I will not fall, du film Point Break, qui envahit alors l'espace restreint du véhicule. Au passage du Benjamin Franklin Bridge, la mégapole ressemble à une ville fantôme, revêtue d'un blanc monochrome. Le véhicule atteint sa destination à treize heures quarante et une et pénètre sur le site "Camden's Paradise".
Les phares passent en mode éteint, sans s'arrêter pour autant. L'endroit semble désert, puis la vitre teintée descend. Certains numéros sur les mobile-homes arrivent à se lire, selon leur exposition aux mauvaises conditions météorologiques. La douze s'expose. Tandis que la vitre remonte, le flux sanguin, engendré par l'excitation du moment, s'intensifie. L'engin s'immobilise et le moteur reste à tourner. Le tueur au scorpion se munit de son arme, puis quitte la BMW. Les pas craquent dans la couche neigeuse.
Tic tac tic...
Pas de potentiels témoins à l'horizon. Le quidam cogne à la porte du mobile-home, qui s'ouvre presque de suite.
— Oui ?
Le pistolet pointe la cible. L'ex-policier recule, les mains en évidence. D'un geste vif et maîtrisé, le tueur lui indique de s'asseoir sur le banc attenant à la petite table. La proie semble fatigué, même résigné. Ça devait arriver, tôt ou tard.
Tic tac tic...
Le tueur lui tend une feuille. Il fait un froid de canard dans le taudis. L'ancien membre des forces de l'ordre prend le bout de papier, puis se munit d'un stylo. Quelques larmes coulent, et il se met à trembler. Le professionnel glisse une autre feuille à côté de la première. Un texte à écrire mots pour mots. La gorge se noue et le cœur s'accélère. L'issue fatale semble inéluctable. Mais mourir sera une bénédiction.
Tic tac tic...
La cible réécrit tout. Sa respiration devient difficile, puis il signe, son propre suicide.
— Votre arme.
Au ton de cette voix, les yeux du condamné s'écarquillent, face à une révélation.
Une évidence ? Non.
Une surprise ? Oui.
L'ultimatum fatal se trouve lancé. Le rythme cardiaque s'emballe presque lorsque le canon froid du silencieux du Désert Eagle percute le crâne de l'ex-policier, entre les deux yeux.
Son menton tremble. Son être tout entier échappe à son contrôle. Il suffoque. Bien sûr que se servir de son arme pour se défendre lui traverse l'esprit, oui, mais il a abdiquer depuis longtemps déjà. Cependant, il réserve une surprise de taille à cette organisation, même si son enquête ressemble à un gruyère, tous les éléments découverts depuis quelques semaines se trouvent en lieu sûr. La cible sait que la solution se trouve dans ce cahier noir, les morceaux doivent s'imbriquer d'une manière ou d'une autre. Il espère les faire mettre sous les verrous à tout jamais. Puis le canon s'incruste un peu plus dans sa peau.
Le poids des émotions.
La force de la mort.
L'homme sort son revolver du tiroir de la petite table. Il souffle.
— Vissez le silencieux.
Il sursaute, puis obéit. Sa vie défile en un flash, ou deux ? Il ne sait pas. Il inspire profondément, puis arme le chien et pose son Colt sur sa tempe. Un haut le cœur survient, puis il ferme les yeux et le coup part.
Une énorme giclée de sang s'étale sur la paroi du mobile-home et le buste s'abat sur la table, revolver en main. Une flaque rougeâtre se diffuse. Le professionnel quitte les lieux, d'un pas hâtif. La grosse cylindrée fait un demi-tour à l'intersection et se dirige vers la sortie de Camden's Paradise. La chanson L.A. Guns percute l'ouïe avec Over the edge. Le tueur au scorpion retourne sur Philly et quinze heures s'affichent sur l'horloge digitale.
Tic tac...
Une sensation d'indestructibilité l'envahit. Son portable annonce un texto : "Je croyais que Malone se trouvait six pieds sous terre. Tu noteras ma surprise lorsqu'il a déboulé pour m'interroger chez moi. Va falloir finir le travail !"
— Excellent ! J'adore ce type. Je vais encore jouer un peu avec lui.
Il passe en mode radio, où les informations semblent traitées d'un seul sujet : l'élection présidentielle mardi. L'animateur de la WHY.FM semble catégorique quant à la victoire d'Hillary Clinton.
— Crétin.
Malgré le mauvais temps, les grands axes restent praticables. Le balai incessant des agents de la route demeure efficace. Il arrive en avance, règle sa sonnerie et s'octroie une sieste avec le moteur allumé.
Quinze heures cinquante.
Il baille, cligne des yeux, s'étire et termine son trajet. Le véhicule se gare à côté du trottoir, où l'enseigne illuminée indique le nom du bar : Chez Gigi. Le moteur s'éteint. Son interlocuteur, le chef du gang Les Têtes Brulées, ne semble pas encore là. Le professionnel vérifie que l'épaisse enveloppe se trouve toujours dans la poche intérieure de son long manteau gris, puis il récupère son chapeau de cow-boy et le met.
Le tueur au scorpion quitte la grosse cylindrée et enfile son habit sombre, puis le verrouillage centralisé illumine à deux reprises les warning. Une sonnerie indique son arrivée dans le bar, qui dénote un long comptoir sur la gauche. Un groupe de types, à l'opposé, se moque de son look atypique, à contrario du barman qui le salut. Il fait de même.
Sous la lumière tamisée des loupiotes, fixées dans le plafond bas, son évolution fait peur, la crainte se lit sur certains visages. La cadence des pas s'effectue à rythme égal, tel un métronome. Il se sent supérieur.
Plus fort que les autres.
Plus malin, invisible aux yeux des forces de l'ordre.
Il le pense vraiment.
Il est un fantôme.
Le diable.
Il s'assied à la table la plus éloignée, celle dans l'angle de la salle. Idéal. Toujours plus sombre. Sa vision donne une amplitude nette sur le groupe de crétins proche de l'entrée, qui fait à coup sûr des messes basses à son sujet. La sonnette s'active et annonce l'arrivée d'Elias Wellington dans le bar.
Tic...
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