9. Les retrouvailles


Je n'arrivais pas à y croire ! Il était devant mon immeuble, l'air de sortir d'une pub pour la voiture de luxe sur laquelle il était appuyé, ou pour la montre en argent à son poignet. Mon cœur cognait trop fort entre mes côtes pour que je parvienne à capter les suggestions de mon cerveau en vrac. Je devais faire quoi ? Le dépasser ? Redescendre la pente ? Merde ! Trop tard, il m'avait remarquée.

Je n'étais pas bien. Putain ! Pourquoi être rentré aussi tôt ? Mes valises étaient prêtes pour mon départ et Émilie aurait juste à ramener chez elle les cartons que je lui avais laissés. Il n'était que quatorze heures ! Je n'avais rien à faire dans ce foutu appart de malheur. Comment avais-je pu croire que les chances seraient moindres de le croiser ici alors qu'il avait été invité par Émilie ?

Mes organes internes opérèrent un salto lorsque Kwan se redressa, le regard brillant au-dessus de ses cernes. Les miennes ressemblaient à des crevasses, alors que les siennes n'altéraient en rien sa beauté. C'était impossible avec ces lèvres rouges sang.

J'hallucinais ! Il n'avait pas fait ce long voyage pour me voir alors que j'étais dans cet état. J'allais être malade. Et si je m'évanouissais sur le trottoir et dégringolais jusqu'au carrefour plus bas ? Peut-être que c'était pour cette raison que mes pieds s'étaient cimentés au sol. Par peur de défaillir.

Ses cheveux plus ébouriffés que d'habitude caressèrent les coins de ses yeux de miel lorsque ses pas nonchalants le menèrent juste en face de moi pour me surplomber de ses 185 centimètres, les mains dans les poches. Comme moi, il portait du noir de la tête aux pieds, sa chemise retroussée sur ses bras musclés et les premiers boutons défaits sur un torse laiteux. Avec le temps, j'avais fini par croire que j'avais inventé sa perfection éthérée. Pour preuve, je voulais discrètement me pincer, mais mon corps refusait toujours de bouger.

— Bonsoir, dit-il avec un sourire hésitant.

Je fus heureuse que mon énorme pull dissimula mes chairs de poule. Sa voix profonde et harmonieuse m'avait renvoyée brutalement dans le passé, à l'époque où je me contorsionnais sur mon lit et me baladais sans but dans mon appartement, le téléphone collé à l'oreille. À l'époque où il m'avait fait entrevoir l'espoir d'une relation saine. À l'époque où il n'avait pas reçu mes nudes et perdu tout intérêt pour moi.

— Excuse-moi, bafouillai-je à cause de la boule dans ma gorge.

J'ignorais ce qu'Émilie lui avait raconté pour qu'il vienne, mais je ne voulais pas de son retour animé par la pitié. Il avait eu onze mois pour m'envoyer un simple message. Un message qui m'aurait peut-être évité de sombrer comme c'était arrivé. Mais il ne l'avait pas fait. Ce voyage était en vain. Il était trop tard.

Il me barra le passage, mais leva les mains en signe de reddition devant mon regard assassin.

— Je veux juste discuter, promit-il avec son calme caractéristique.

— Moi non. Laisse-moi passer !

— Tu as le droit de m'en vouloir. Mais mon intention n'a jamais été de te blesser. C'est tout le contraire, en fait. Après ce que tu avais vécu, la dernière chose dont tu avais besoin c'était que je te fasse souffrir. Je ne voulais pas te faire du mal.

Eh bien, tu l'as fait quand même.

Je sentais mes larmes monter. Qu'il risquât de me voir pleurer parce qu'il m'empêchait de rentrer me faisait voir rouge. Et ce, peu m'importait son regard navré et sa mine coupable. Celle qui pardonnait en un claquement de doigts pour éviter tout conflit n'avait pas survécu le jour où Émilie m'avait trouvée au seuil de la mort.

Comme je l'avais dit, c'était trop tard.

— Alexa...

— Laisse-moi passer ! explosai-je en tapant du pied. Je ne veux pas de ta présence. Je ne veux pas de ta pitié. Laisse-moi tranquille !

On avait désormais des spectateurs, dont deux sur le trottoir d'en face, une mamie sur son balcon, et une maman à l'entrée de mon immeuble avec son bébé sur les bras.

Kwan me contempla, l'air inquiet. Comme s'il avait des milliers de choses à me dire, mais réalisait enfin ce que je pensais tout haut depuis tout à l'heure. Il était trop tard.

Mon chignon paya le prix de mon maelström d'émotions confus. Je voulais juste me réfugier sous ma couette et pleurer. Kwan pinça les lèvres et me libéra le passage.

Je m'éloignai en sentant son regard dans mon dos, mon cœur battant douloureusement et chacun de mes pas pesant une tonne. Peut-être était-ce parce que je ne voulais pas vraiment partir. Peut-être que je voulais qu'il me retienne. J'étais si brisée, je savais qu'un amour incomplet et malhonnête me tuerait. Mon cœur était encore à vif de la toxicité du monstre. J'avais besoin d'un amour qui agirait sur lui comme un baume. Je ne pouvais plus me permettre d'accepter moins que de la pureté et de la douceur. Le problème était que d'une autre part, je ne croyais plus les mériter.

— Je ne suis pas là par pitié ! envoya Kwan d'un ton qui me donna envie de le croire. J'ai vraiment cru bien faire en te laissant tranquille. Mais au fond, j'attendais que quelqu'un me convainque que j'ai tort. Je voulais que ce soit toi, mais je ne regrette pas que ce fût ton amie. Ça prouve juste que j'attendais la première excuse pour te revoir. Ça me confirme à quel point je te veux.

Je m'étais figée en plein milieu de son discours, car j'avais besoin de toute ma concentration pour m'empêcher de pleurer.  Celle-ci ne suffit pas. Les larmes dégringolèrent mes joues et pour ne pas étouffer, j'expirai le nœud de ma gorge en soufflant un long coup.

Il n'avait pas le droit de me dire ça ! Il n'avait pas le droit de mentir dans le seul but de m'avoir pour me réduire en bouillie. Je n'y survivrais pas cette fois.

Je me retournai, le visage humide, troublée, en colère, mais vulnérable comme je ne m'étais plus sentie depuis longtemps. Oui, les épreuves m'avaient endurcie. Mais j'étais toujours une humaine, avec un cœur. Un cœur qui désirait terriblement aimer et être aimé. Je ne pouvais pas laisser quelqu'un d'autre se jouer de ce besoin.

— Tu n'as pas à faire de fausses promesses pour coucher avec moi. Si c'est ce que tu réclames comme paiement pour ce que tu as fait pour moi, il suffit de le dire.

Ce fut la première fois que son langage corporel exsuda autre chose qu'une maîtrise de soi à toute épreuve. Ses mâchoires se raidirent tout comme son regard et je vis une veine sur son cou palpiter. C'était comme si je l'avais offensé. Il reprit contenance en tournant la tête sur le côté. Toutefois, lorsqu'il rétablit notre contact visuel, sa voix garda la dureté dont il avait débarrassé son visage :

— Ne redis plus jamais ça !

Ses quelques pas lents, mais austères réduisirent la distance entre nous. Il dût remarquer mon anxiété à sa proximité, car il s'arrêta avant d'entrer dans la zone rouge qui aurait déclenché la disjonction de mes neurones.

Moi qui ne voulais plus de lui ne signifiait pas que mon attirance avait disparu. C'était Kwan Tan ! J'en savais plus sur lui désormais. Son influence intimiderait quiconque ne le serait pas assez par son physique. Dire qu'il m'avait juste affirmé à l'époque être un simple analyste de données. Ce qui n'était pas faux. Mais c'était tellement loin d'être toute la vérité.

Je laissai mes bras retomber le long de mon corps et haussai les épaules.


— Tu ne peux pas avoir pensé ce que t'as dit !


— Et pourquoi donc ? me testa-t-il.

Je roulai des yeux. Comme s'il ne le savait pas ! Émilie l'avait appelé pour lui dire que je partais. Et il avait réalisé qu'il n'avait pas eu de paiement pour ce qu'il avait fait. Voilà pourquoi il était là. J'en avais marre de cette mascarade.

— Parce que... je ne suis pas une fille qui mérite tout ça ! martelai-je à grands renforts de gestes. Sois honnête sur tes intentions ! Je ne t'ai pas manqué durant tous ces mois. Je ne représente rien pour toi. Je ne vaux rien du tout ! La preuve, tu m'as abandonnée après avoir vu les photos. Merci pour ce que t'as fait pour moi. Mais ne me mens pas ! Je peux encaisser la vérité. Tu n'as pas à chercher à me manipuler. Ça, c'est ce que je ne peux plus encaisser.

Un ange passa, puis une voiture dont le klaxon me ramena à la réalité. Il était temps de partir, au lieu de laisser l'intensité de son regard me consumer. Il me dévisageait le front plissé, comme s'il voulait m'infliger mille punitions pour être autant à côté de la plaque. Il n'avait donc aucune intention d'avouer la vérité !

— Au revoir, murmurai-je le cœur lourd et la gorge obstruée.

Il ne répondit pas, mais me défia du menton avant de déboutonner sa chemise.

Je me figeai quelques secondes, puis scannai mon environnement comme si l'explication s'y trouvait. La seule chose que je découvris fut la vieille sur le balcon fleuri qui continuait de nous espionner sans vergogne.

— Qu'est-ce... qu'est-ce que tu fais ? bégayai-je lorsque Kwan tira sa chemise de son pantalon.

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