7. La thérapie
Alexa
Tw : évocation suicide
Je posai mon tapis de yoga sur le parquet de ma chambre, lançai une vidéo de Chloe Ting, mais ne déployai aucune énergie pour imiter ses mouvements.
Mon attention avait du mal à s'ancrer dans le présent. Mon voisin policier avait surpris la veille deux ados tentant de crocheter ma serrure, parce qu'ils avaient oublié leurs clés.
Ils avaient une clé de chez moi ! Comment avais-je pu être assez bête pour négliger ce détail après leur récent passage pour saccager mon appart ? Ils avaient fini par avouer qu'ils me surveillaient depuis plus d'un an pour le compte du monstre – je refusais de l'appeler autrement. Dire son nom revenait à perpétuer son existence. Pour moi, il était mort.
Je n'arrivais pas à croire que j'avais enduré tout ça aussi longtemps ! J'avais tenté de façon hystérique d'annuler ses passages sur mon corps à l'aide d'une douzaine de douches, mais je n'avais rien trouvé contre les traces de ses abus qui tâchaient mon âme. Tous ses cadeaux côtoyaient désormais d'autres déchets dans la poubelle. Malgré tout, son fantôme s'évertuait à hanter mes cauchemars.
Je voulais qu'il brûle en enfer. Il avait un mandat au cul. Et sur les conseils de mon voisin, j'avais rempli des papiers pour une ordonnance restrictive.
J'ignorais les appels de ses parents. Je savais qu'il y aurait des conséquences. On ne fâchait pas les gens puissants comme eux. Néanmoins, j'étais trop fatiguée pour m'en inquiéter sur le moment.
C'était fini. Pour la première fois j'avais l'impression d'avoir une vraie chance de tourner la page. Pourtant me voilà plus
échiné que jamais. Mon âme n'avait envie de rien à part récupérer.
Chloe enchaînait les exercices pour affiner les cuisses. Je finis par éteindre mon ordi et me roulai en boule sur le tapis avec ma respiration comme seule compagnie. Je n'avais plus de larmes. Je n'avais plus rien en moi.
Kwan n'avait toujours pas repris contact. Mon esprit se torturait à deviner si les photos en étaient la cause. Entretemps, la petite voix dans ma tête ne me ratait pas avec son venin.
Bien sûr que c'est à cause des photos. Tu t'intéresserais toi à une fille que tu as déjà vu toute nue... en train de faire sa salope ? C'est un homme qui peut avoir ce qu'il veut. Pourquoi perdre son temps avec une traînée ? À part pour réclamer son dû après l'énorme service qu'il t'a rendu...
Je la laissai gagner. Elle n'avait peut-être pas tort. Ou elle avait carrément raison. Pourquoi quelqu'un voudrait de la carcasse laissée par le monstre ? Je ne valais rien. Je n'arrivais même plus à contempler mon reflet.
Plus tard, ma thérapeute insisterait pour que j'arrête de me définir à partir de cette relation. J'étais une personne à part entière avec des défauts et qualités méritant d'être célébrés. Pas juste une ex. Je me retenais à grand-peine de me boucher les oreilles ou de fuir au milieu de chaque séance.
Elle devait tellement me trouver faible et pitoyable ! J'avais honte d'être encore dans un état pareil à cause d'une seule personne. Comment avais-je pu le laisser me prendre autant ? Avais-je au moins une chance d'en récupérer la moitié ? Ou même juste la foi ?
La psy m'encourageait, mais j'avais marre de parler du monstre. J'étais lasse de ces séances qui se ressemblaient toutes. J'étais fatiguée de répéter la même histoire. Je n'aimais pas la voir écrire dans son carnet après mes aveux. Ça me gonflait qu'elle n'eût pas des réponses concrètes, juste des suggestions pour me forcer à faire le travail de guérison moi-même.
J'avais utilisé mes dernières forces pour tenter de mettre fin à mes jours. Je n'avais plus d'énergie pour quoi que ce soit.
Ça remontait presque de dix mois. Émilie m'avait trouvée proche de mon souffle ultime, avec l'équivalent d'une petite pharmacie dans mon abdomen. Mais je supposais que j'allais mieux. Je ne voulais plus mourir. En fait, je n'irais plus jusqu'à le faire. Pourtant si une balle filait dans ma direction, je ne pense pas que je l'éviterais.
Ma psy affirmait quand même qu'on avait progressé après tout ce temps et qu'il fallait célébrer chaque petite victoire. Donc j'allais mieux. Ou plutôt, je saturais mon cerveau de cette phrase pour couvrir les autres.
La vie avait repris son cours dans ce nouveau monde de masques, de vaccins et de précautions. Je n'avais même pas eu la chance de trouver ma place dans l'ancien, et je n'avais pas eu l'impression d'être plus avancée après avoir été vaccinée. Alors j'avais arrêté d'essayer.
À part pour mes rendez-vous en visio avec ma psy, je quittais à peine mon lit. Et seule Émilie avait la volonté suffisante pour me faire sortir de mon appart.
Ma gentille patronne était décédée du Covid. Son mari ne rouvrirait plus la pâtisserie. Je n'avais nulle part où aller. On avait décroché notre diplôme sur Zoom. J'avais coupé contact avec tous ceux susceptibles de me rappeler ma relation avec le monstre. Le monde à l'extérieur n'avait plus rien à m'offrir.
Je n'avais rien cuisiné depuis des mois. Je me nourrissais essentiellement de pizzas froides et de chocolat. Mais je ne m'affamais pas exprès. C'était bien une petite victoire, non ? Alors j'allais mieux.
Je refusais que la psy me reprenne cette phrase. C'était pour cette raison que je gardais mes pensées noires pour moi. Ces quelques mots étaient tout ce que j'avais. Tout ce qu'il me restait.
J'allais mieux.
Au moins, j'étais honnête sur le fait que je n'étais plus au stade de vouloir en finir... sur le moment. Pas comme quand j'avais été forcée d'abandonner les charges contre le monstre, parce que son père avait menacé de détruire ma vie et celle de tous ceux à qui je tenais.
À l'époque où j'étais encore la chose de son fils, celui-ci m'avait confié que le vieux ministre visait la présidence. J'avais assez côtoyé l'homme pour savoir qu'il n'avait rien à faire de sa famille. D'ailleurs, c'était l'une des raisons des déviances de son monstre de fils. Il n'était pas venu chez moi, car il croyait son rejeton innocent, mais parce qu'un procès contre ce dernier risquait de porter préjudice à sa future campagne à lui.
Je savais qu'il ne valait pas mieux que sa progéniture. Ses paroles rabaissantes n'auraient pas dû autant me blesser. Mais mon degré d'impuissance après ce que j'avais subi fut ce qui compressa mes poumons au point que j'eusse décidé que respirer ne valait pas la peine d'avoir aussi mal.
Éviter les conséquences de ses actions ou celles de ses proches n'empêcherait jamais à un homme puissant de s'endormir le soir. Moi, en tant que victime, ça m'avait donné l'impression que mon être et ma douleur étaient insignifiants. On ne se remettait pas de quelque chose comme ça ! Je ne pourrais plus jamais me sentir entière. C'était ce qui avait failli m'anéantir. Mais désormais, j'avais accepté de vivre en sachant que je ne valais rien. J'ignorais ce qui était le pire.
J'avais tout laissé tomber pour que la vie professionnelle de mon père et Émilie— sa nièce — ne se retrouvent pas sabotées, suite à simple coup de fil. Par contre, pour moi, il n'avait sûrement pas pu résister à se servir du téléphone. Personne n'acceptait de m'embaucher. J'ignorais qu'un simple homme avait tout ce pouvoir avant d'avoir dû renoncer après une dizaine d'entretiens.
Émilie me soutenait de ne pas abandonner. Elle ignorait que c'était sans espoir puisque je ne lui avais jamais raconté cette visite qui avait exacerbé mon désir de mourir.
Mais désormais, je célébrais les petites victoires. L'une d'elles étant que la mère du monstre avait tenu sa promesse, même si ce n'était pas à ses coups de fil et messages plus diplomatiques que j'avais cédé. Son fils n'avait plus essayé de me contacter depuis que j'avais abandonné les charges.
Il fallait juste que je m'accroche. Tout irait bien. Ma psy allait m'aider à... avancer. Enfin, si j'arrivais un jour à ne pas vouloir fuir à chaque séance.
— Tu sais, Alexa...
— Je m'en vais, m'écriai-je en me redressant subitement.
La quadragénaire perplexe scanna mon visage cerné derrière ses lunettes carrées.
C'était notre troisième séance en tête à tête. J'avais atteint ma limite. Je ne voulais plus l'entendre. Ni la voir. J'étouffais dans ce bureau... Dans mon appart. Dans ce pays.
— Je rentre à la maison, décidai-je en hochant la tête avec conviction, les épaules tout à coup moins lourdes.
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? Après l'avoir dit à voix haute, je n'envisageais aucune autre alternative. Plus rien ne me retenait ici. J'étais bientôt fauchée. Autant utiliser mes derniers sous pour m'acheter un aller simple pour mon île.
J'avais menti à ma famille ces derniers mois. Enfin à mon père et ma sœur. Ma génitrice ne s'était pas attardée durant son appel du nouvel an pour que je lui raconte quoi que ce soit. Pour une fois, j'avais partagé le fiel de Ginie à son égard. Car pour une fois, mon besoin d'elle avait dépassé ma capacité à justifier son égoïsme. C'était stupide de croire que tout aurait été mieux après un câlin de sa part. Mais elle ne m'avait même pas laissé une ouverture pour vérifier ma théorie.
Elle n'avait pas voulu répondre quand je l'avais questionnée sur son nouveau pays de résidence, malgré le désespoir dans ma voix. Je préférerais mourir que de devenir une mère comme elle un jour.
Le monstre était allé jouer les victimes auprès de mon père. J'avais confirmé notre séparation, et décrété que ma carrière était ma priorité pour le moment. Quel parent s'opposerait à ça ? Il croyait que j'avais décroché un stage rémunéré dans une grosse boîte, et que c'était la raison pour laquelle j'avais moins de temps pour poster des recettes.
J'allais tout lui avouer en rentrant. Il me pardonnerait. Il me pardonnait toujours. C'était moi qui avais tout le temps honte de le décevoir. Car contrairement à ma mère, moi et Ginie représentions tout pour lui. J'allais rentrer chez moi.
Dire que toute mon enfance j'avais rêvé de quitter cette île ! Voilà que désormais elle représentait mon salut.
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