3. Le piratage
Son appart était déjà minuscule. Désormais, elle vivait avec sa petite amie. Je n'allais pas aussi m'ajouter. Elle peinait à joindre les deux bouts sans son allocation depuis son coming-out l'année dernière. J'avais traversé à ses côtés la rupture douloureuse avec ses parents. Je comprenais qu'elle veuille être là pour moi. Mais pour l'instant, j'allais rester chez moi, malgré les risques.
— C'est juste à côté, Émilie, soupirai-je en me redressant. Qu'est-ce que ça changera ?
Elle m'imita, puis me défia de nos sept centimètres de différence que lui conférait son mètre soixante-seize.
— Ça changera que des voyous n'oseront jamais s'en prendre à toi chez moi. J'ai vu tes courses devant la porte. Qui sait ce qui se serait passé si t'avais été là ? Ben a le bras long, t'as oublié ?
— Je n'ai pas oublié. Mais c'est fini. Je refuse de le laisser gagner. Je refuse de le laisser m'étouffer. Je vais régler ça.
Même si sur le moment, j'avais zéro plan. J'étais carburée à une rage et une détermination toute nouvelle.
— Il ne va pas lâcher l'affaire, martela ma meilleure amie en désignant le bazar ambiant.
Elle savait de quoi elle parlait. Ils étaient forcés de se côtoyer depuis tout petit, car le père d'Émilie et celui de Ben étaient frères. Elle m'avait prévenue pour son caractère d'enfant pourri gâté et n'avait jamais cautionné notre relation. Elle avait toujours été celle à lui remonter les brettelles quand il allait trop loin, même lorsque moi je faisais silence. Elle le détestait comme le reste de leur famille.
— Pourquoi il a fait ça d'ailleurs ? s'enquit-elle aussi lasse que furieuse. De qui est-il jaloux cette fois ?
Elle ramassa les débris de ma lampe de chevet, alors que moi, je restais plantée là, encore trop secouée pour faire quoi que ce soit.
— Je voulais rompre, admis-je d'une voix étranglée avant de lever le menton, bravache. Et je le veux toujours.
Elle se retourna et me scruta de ses émeraudes émus, tout à coup humides. Cette fille était vraiment mon autre famille. Son bégaiement me toucha en plein cœur.
— Je suis tellement fière de toi. Je sais qu'il en faut de la force pour s'échapper de ce genre de relation. Tous les jours, j'avais peur qu'il t'étrangle ou...
— Il ne m'a jamais violentée, le défendis-je promptement. Il ne ferait jamais ça.
Il ne me battait pas. À quelques reprises, il m'avait peut-être forcée à faire... des choses. Mais toujours sans lever la main sur moi. Il ne me faisait pas mal. Il ne me ferait jamais souffrir délibérément.
Ce sont là ses pensées ou les tiennes ?
Je fermai les yeux aussitôt, assaillie par une vague d'amertume, face à la pitié que me renvoya le visage d'Émilie. Oui, j'étais bien dressée pour le défendre et défendre notre relation dysfonctionnelle. Ça ne m'avait jamais autant frappé avant. Ç'en était pathétique.
Je me rendis dans la cuisine et entrepris de ramasser les débris de vaisselle au rythme de mes perles d'eau silencieuses qui échouaient sur le carrelage.
— On doit trouver une solution, commenta Emilie dans le séjour, de l'autre côté du comptoir.
Je remplissais désormais un sac poubelle avec une vigueur inspirée par ma rage.
— Tu n'es pas responsable de moi, Em !
— On est responsable l'une de l'autre !
Ça avait ma réponse l'année dernière quand elle se laissait dépérir lorsque ses parents l'avaient pratiquement reniée.
— C'est different, objectai-je, en luttant pour ne pas éclater en sanglots à nouveau.
La bougie à la senteur fleur d'hiver était ma préférée. Je savais que je pouvais en acheter une autre, mais celle-là était à moi. Et quelqu'un l'avait détruite sur l'ordre de Ben. L'impuissance et la colère me bouffaient les entrailles.
— Tu ne peux pas vivre dans ce bazar, persista la blonde. Et il faut tout laisser en place pour la police.
— Pitié Em ! me lassai-je en attrapant un nouveau sac poubelle.
J'allais régler cette histoire moi-même, sans que cela devienne trop moche. Ben était un Ducartels. Impliquer la police pouvait amener à un scandale qui risquait d'arriver jusqu'à mon père. Et c'était la dernière chose que je voulais.
Émilie arrêta de militer un moment et se chargea de nettoyer le séjour. Mais pas avant qu'elle eut tout photographié dans les moindres détails malgré mes protestations.
Vers six heures du soir, mon appart était quasiment vide, car on avait dû se débarrasser de pas mal de choses, mais les pièces avaient au moins perdu leur allure post-apocalyptique. Pour la première fois, l'odeur omniprésente de mes bougies parfumées eut l'effet contraire de me calmer. Je ne l'avouai pas à Em, mais je doutais de m'y sentir à nouveau chez moi un jour.
J'entrepris de ranger mes courses. Ma meilleure amie s'installa sur le sofa déprivé de coussins avec une grosse part de mon dernier gâteau au citron.
— Je reste avec toi cette semaine, annonça-t-elle la bouche pleine. J'irai demain prendre des affaires. Je lui ai annoncé par message. Rony est d'accord. Elle espère juste que je ne lui ramènerai pas Rona. T'imagines Rony a Rona.
— C'est pas drôle, grommelai-je en refermant le frigo. Des gens meurent tous les jours du virus.
Elle rota, puis haussa ses sourcils fournis, épilés au milimètre près par sa petite-amie estheticienne.
— Désolée. J'ai oublié que le manque de second degré de Ben était sexuellement transmissible.
Je lui lançai une orange qu'elle évita sans peine en me tirant la langue. Elle devint cependant sérieuse deux secondes plus tard.
— Appelle-le ! Fais-le pendant que je suis là pour qu'il comprenne que ses actions auront des conséquences.
— Je ne veux pas lui parler.
J'embrayai, le doigt levé avant qu'elle ne trouve le temps d'objecter :
— Parler avec lui me vide de ma joie de vivre, Émilie. Je ne me sens pas la force en ce moment.
— Ok, concéda-t-elle.
Elle alla rincer son assiette. Je la remplaçai sur le canapé désormais moins confortable, les genoux ramenés contre ma poitrine. Elle sortit son téléphone de sa poche, pianota un instant sur l'écran, puis s'accouda au comptoir, l'appareil collé à son oreille.
— Helloooo ! Suis-je bien en contact avec mon gros porc de cousin ? cracha-t-elle après un instant.
Oh non !
Je serrai un peu plus mes jambes contre mon estomac noué, anticipant la tempête qui ne se fit pas attendre, car Emilie se redressa en menaçant l'air de son index manucuré, faute d'avoir Ben sous la main.
— Remercie ton cher papounet de te cacher sur cette île ACHETÉE AVEC L'ARGENT DE NOS IMPÔTS, car à l'heure qu'il est, pandémie ou pas, je t'aurais retrouvé et éventré, sale déjanté.
Ben ne répondait jamais à ses provocations, car sa cousine était la seule à ne pas redouter les retombés de brailler en plein milieu du hall de la fac, quelque chose comme il n'avait pas besoin d'un nouveau nez, mais d'une nouvelle paire de couilles. Je le soupçonnais même de craindre la blonde.
Alors devant le silence de celle-ci et sa mine scandalisée, je me redressai sur le canapé, une boule de la taille d'une orange au milieu de la gorge.
Qu'est-ce qui pouvait mettre Émilie dans cet état ?
— Tu n'as pas osé, dit-elle dans un souffle avant de me fixer avec une mine qui ne fit qu'accentuer mon anxiété.
Dans ma tête, je lui hurlais de cracher le morceau. Mais dans la réalité, aucun son ne parvint à franchir mes lèvres sèches. Elle finit par poser son téléphone pour m'annoncer d'un ton solennel :
— Alexa. Ce malade a fait pirater ton compte Icloud. Qui est Kwan Tan ?
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