2. Le carnage

Il me menaçait avec mes nudes ? Jamais il n'était allé aussi loin ! Ça ne pouvait pas être réel ! Il bluffait.

Je l'ignorai malgré les battements frénétiques de mon cœur. Ma jauge de stress était remplie pour la semaine. Recevoir une autre salve était au-dessus de mes forces. J'éteignis mon téléphone, mais mon week-end était foutu. Au diable mes recettes et mes devoirs !

Je bougeai à peine de mon lit. Le lundi matin, il ne me restait plus une seule larme. Et une migraine atroce menaçait de m'exploser le crâne. Je me connectai toutefois à mes deux cours de la journée et y assistai comme un zombi.

Vers deux heures, je me résignai enfin à allumer mon portable, assailli aussitôt par les notifications de Ben. Pour retarder notre confrontation, je me connectai sur Instagram, où ma dernière publication, une mini tarte façon saint-honoré à la vanille, datait de cinq jours.

Je n'eus pas à filer direct stalker la page de Christinna, puisque son dernier post était le premier dans mon feed. Et oh. Mon. Dieu. J'en perdis mes mots devant ce pavlova aux agrumes de deux étages en forme de tournesol. C'était si... parfait. Les finitions, la délicatesse des angles. J'imaginais cette merveille d'onctuosité fondre dans la bouche. Comment s'était-elle débrouillée pour avoir ce rendu ? Je fis une capture d'écran et zoomai la photo sous tous les plans. C'était de l'art. Putain ! Je devais poster un truc à la hauteur.

Christinna était une patissière belge avec qui on comparait tous le temps mes œuvres. On avait toutes les deux sorti le discours qu'il ne fallait pas mettre des femmes l'une contre l'autre. Mais depuis que nos nombres d'abonnés étaient les mêmes, on s'investissait à fond pour surpasser l'autre.

J'avais placé mon fameux gâteau tourbillon au chocolat et à la menthe pour deux mois plus tard dans mon agenda. Eh bien, il venait d'être avancé pour ce jour-là. Et j'allais poster chaque étape contrairement à elle. J'allais tout filmer. Je préparerais un petit gâteau, puis ajouterais un rappel dans ma légende pour décourager les pertes, juste pour la faire culpabiliser pour son énorme pavlova, alors qu'elle était en confinement seule avec ses chats.

Ravivée par cette nouvelle motivation, je partis à pieds pour le supermarché, après avoir enfilé un jean noir avec un pull de la même couleur, puis rendu socialement acceptable mon eternelle queue-de-cheval bouclée qui retombait  sur mon grand front.

Mes dernières courses dataient de deux semaines. J'aurais dû m'en occuper de nouveau durant le week-end. Mais m'affamer matchait jusque-là avec mon humeur. Je devinais que mon estomac serait reconnaissant envers Christinna pour lui avoir épargné ce soir-là un autre souper composé de céréales et de chocolat.

À la sortie de l'immeuble haussmannien, où le loyer me rendrait bientôt à court de reins, je croisai mon beau gosse de voisin flic, lui aussi derrière son masque. On se salua d'un pouce en l'air comme d'habitude. Il ne s'arrêta pas pour vérifier mes papiers, mais me conseilla sans se retourner :

— Rappel ennuyeux, mais nécessaire : attestation et carte d'identité. N'oublie pas !

— Oui, chef !

Il n'était pas mon ami. On n'avait jamais de vrais conversations. Mais ces salutations cordiales avaient commencé l'année dernière lorsque j'avais répondu à son pouce en l'air adressé à un gamin derrière moi. Pour ne pas laisser l'embarras me tuer, il m'en avait adressé un à moi aussi. Et ce petit rituel ridicule continuait jusqu'à ce jour.

J'en oubliai Ben durant mes courses. Mes AirPods rythmés par Only girl de Rihanna. J'étais l'une des Navy en manque de nouvelle musique. Alors je rejouais les anciennes sans jamais me lasser. J'étais folle d'elle. Et Dieu sait à quel point j'étais fière lorsqu'on nous relevait une certaine ressemblance. Le grand front, le nez court, l'arc de cupidon assez marqué... Quand je ne me forçais pas à être humble, j'admettais qu'on avait pas mal de jolis traits en commun.

Satisfaite de mes emplettes, je rejoignis mon immeuble en fredonnant Love on the brain. Mais en arrivant devant mon appart, je coupai la musique tous les sens aux aguets.

Ma porte d'entrée était entrouverte. Jamais. Jamais. Je n'aurais oublié de la verrouiller et encore moins de la fermer. J'étais née au Martinique. La prudence s'apprenait au berceau.

Je posai mes sacs et sortis mon taser. Je poussai ensuite la porte du bout de mes baskets, le cœur battant à tout rompre. L'état de mon chez-moi me cloua cependant vite sur place.

Saccagé. Le mot était faible.

Mes coussins éventrés. Ma télé brisée. Ma cuisine à esprit galerie n'était plus qu'un bordel sans nom. Mes photos, mes bougies parfumées, mes livres... C'était un miracle si mes étagères avaient survécu au massacre. J'avais mal comme si un morceau de mon âme y était aussi passé.

J'évoluais comme au ralenti dans ce dépotoir qu'était devenu mon appartement. Mon refuge depuis toutes ces années. Je pénétrai dans ma chambre. Ma mâchoire se décocha d'elle-même et mon taser m'échappa face au gros tag en rouge sur mon papier peint jungle. " SALOPE ".

Je n'avais pas été victime d'une attaque au hasard. C'était Ben le coupable. Il n'en faisait aucun doute. Il avait envoyé quelqu'un ruiner mon appart.

Mon cœur faillit se déloger lorsque de ma chambre j'entendis la porte d'entrée se refermer. Je restai immobile, redoutant le pire. Moins de cinq secondes plus tard, Émilie déboula dans la pièce comme un tsunamie et un sanglot de soulagement m'échappa avant même qu'elle ne me fonce dessus dans toute sa blondeur.

Je me fichais de combien de restrictions on violait sur le moment. C'était comme si elle savait que j'étais à deux doigts de tomber en morceaux. Elle m'enlaça à me briser les côtes. Son odeur de journée ensoleillée agit comme un baume sur mon cerveau et je laissai enfin libre cours à mes larmes, soulagée de partager le poids du monde sur mes épaules.

Je me sentais si vulnérable. Si faible. Ses boucles d'oreilles en or teintèrent lorsqu'elle me frotta le dos et mes sanglots se firent plus déchirants. Ben allait finir par me tuer. Ce n'était pas une façon de vivre. La peur. Le stress. Désormais ça.

— Ça va aller, me berça Émilie. Ça va aller. Tu sais que j'ai bloqué cette larve de partout. J'ai reçu un message tout à l'heure de l'un de ses toutous m'expliquant que tu aurais besoin de moi. J'ai imaginé le pire.

Je ne sais pas combien de temps je restai dans ses bras. À un moment donné, on se retrouva sur la moquette. Elle finit cependant par me repousser doucement de son épaule.

Je remarquai la grosse tâche humide que j'avais laissée sur sa chemise large et me sentis coupable. Mais c'était tout Émilie de créer un look d'urgence pour rejoindre son amie dans l'immeuble d'à côté avec une chemise blanche, un pantalon khaki cintré d'une ceinture et des mules Gucci. Je ne l'avais jamais vue une seule fois dans une tenue négligée.

— Tu viens chez moi, annonça-elle avec détermination.

— Non...

— Ce n'était pas une suggestion, bébé.

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