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Au bout d’une semaine, je devine enfin la présence de ma langue. Toujours pas le droit de prononcer aucune parole. Je m’y tiens avec rigueur, notamment parce que chaque tentative de faire un bruit provoque une douleur si abominable que le souvenir de la peine me reste toute l’heure qui suit. J’ai rendez-vous à l’hôpital tous les jours. Le phoniatre m’a enfoncé sa petite caméra dans la gorge tellement de fois que ça ne me fait plus d’effet. Il est très content de l’avancée de ma cicatrisation. « Tu rajeunis à vue d’œil, Emma ! », m’a-t-il dit aujourd’hui, à l’issue du rendez-vous, sans même envisager que peut-être j’aimais voir approcher les cinquante ans, que je m’étais habituée à ces rides qui s’effacent désormais comme des empreintes de sable lavées par la mer, que j’y avais trouvé une définition de ce que j’étais.
Maintenant, je sursaute face aux miroirs, je suis contrainte d’arracher mes cheveux blancs, à cause de mes nouvelles racines denses et noires, qui poussent à une vitesse à peine croyable, et leur donnent à ma chevelure grisonnante un aspect de vieille paille ; mes ongles, comme les cheveux, ont leur rythme de pousse multiplié par dix, et mes seins me font mal. Mais le plus horrible de tous les symptômes, c’est cet épouvantable retour d’acné, pire encore qu’à l’adolescence. Je ne sais pas combien de temps j’arriverai à me retenir d’éclater ces boutons.
Et puis ces troubles hormonaux font éprouver les feux de la jeunesse à une âme trop vieillie. Je n’ai plus l’envie d’être dévorée par un désir ardent, au moindre événement à peine excitant : un bel homme qui me sourit dans la rue, des gens qui s’embrassent, le vent printanier qui caresse ma jupe. Je ne veux plus retourner au pénible état de mes quatorze ans, et pourtant je le subis de plein fouet. Moi qui suis devenue si mesurée avec les ans, je pleure et je ris, puis j’explose de rage à la moindre contrariété, et tout cela dans un silence religieux. Je n’ai pas dû me masturber autant depuis au moins quinze ans.
L’ennui mêlé à la frustration font des ravages. A cause des hormones, je ne peux plus manger ce que je veux. Les sucreries sont proscrites jusqu’à nouvel ordre, les produits laitiers doivent être limités, il faut privilégier la viande rouge et les légumes verts, on tolère les pommes de terre, et les fruits ne peuvent être mangés qu’à la fin du repas. Ma vie me semble insipide. Quatre heures par jour, je mime ma ligne de chant, étudiant de mon mieux les indications de Verdi. Le reste du temps, je m’abrutis l’esprit. J’en ai profité pour me procurer un de ces simulateurs de fantasmes qui fait fureur. On s’y croirait. La réalité virtuelle couplée au sex-toy donne à l’expérience un réalisme saisissant. Rien à voir avec les vieux films pornos de ma jeunesse.
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J'ai l'impression que Wattpad fonctionne moins bien qu'avant. Impossible de publier mon chapitre à partir de mon ordinateur 🙄
On dirait aussi que la majorité silencieuse de la plate-forme est encore plus grande qu'avant. Merci à ceux qui m'ont écrit ou qui ont mis des étoiles, ça fait plaisir :)
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