Partie 5
Lorsque je reçus le matériel de mon oncle, je n'y ai pas touché pendant près de six mois. C'était trop dur, je ne me sentais pas prête à voir son travail ou à utiliser son matériel. Penser à sa mort, à la mort de mon oncle était insoutenable. Je crois qu'avant cet évènement, je n'avais pas réellement compris ce qu'était la mort. La photographie était une si grande partie dans la vie de mon oncle que j'avais l'impression de la lui voler. Il est devenu quelqu'un de très respecté dans ce monde-là. Il était employé dans un journal de renommée nationale, il s'occupait donc de gros dossiers.
Je me souviens qu'une fois, il avait découvert un scandale sur le directeur du parti communiste indien. Dans mon souvenir, il s'était allié au parti socialiste ; les deux partis s'étaient mis d'accord pour truquer les élections. Mon oncle avait été envoyé par son journal et il avait pu le prouver grâce à ses photos. Grâce à lui, l'Inde avait pu être mise au courant de cet accord et les élections avaient été repoussées. Quand je sais que mon oncle fut un héros pour beaucoup de monde, j'ai l'impression de ne pas être à la hauteur pour utiliser son matériel. Mon rêve a toujours été de devenir « lui ».
Je ne pouvais tout simplement pas utiliser son matériel. Puis un jour, suite à ma prière au temple, je réalisai qu'il voulait que je l'aie et donc que je l'utilise. En fait, il m'avait permis de devenir photographe, il m'avait permis de devenir moi. Une carte SD se trouvait à l'intérieur de l'appareil, mais même si je me sentais prête à prendre des photos, je ne me sentais pas prête à voir les photos qu'avait prises mon oncle avant de mourir. Je décidai donc d'attendre avant de les regarder. Alors, quand une amie me demanda de la prendre en photo, j'acceptai. Les photos étaient très simples et étaient mises en scène. A ce moment-là, je ne maîtrisais pas encore tout à fait le mode manuel, mais le rendu n'était pas trop mal. Je les avais montrées à mon père qui m'avait conseillé de continuer à en prendre. Alors, peu de temps après, je suis retournée prendre mon amie en photo et, cette fois, cela rendait encore mieux. Elle était vraiment contente de mon travail.
Petit à petit, en rentrant de l'école, je sortais me balader dans le quartier munie de mon appareil. Je demandais aux gens si je pouvais les capturer en pleine action. J'ai donc très vite commencé à faire de la photographie de rue.
Je demandai à la vieille dame qui m'avait appris à cuisiner si je pourrais, lors de la confection de ses plats, la photographier et elle accepta. Je me rendis dans son appartement un après-midi et elle agit comme d'habitude. Je me suis déplacée, comme je pouvais, dans sa minuscule cuisine pour capturer le mouvement de ses mains ou, encore, les lignes de son front qui se tendaient lorsqu'elle se concentrait. Je n'oubliai pas de saisir la nourriture dans la cuisine. La plupart des images sont réalisées en noir et blanc. Ces séries-là donnèrent très bien. Je me souviens aussi des images de la vieille dame avec son sari coloré. Cette séance photo me rendit fière de mon travail et c'est grâce à elle que j'ai trouvé ma voie. C'est à ce moment-là que je décidai de me battre pour cette passion !
Je n'avais pas d'ordinateur pour transférer mon travail. Je me rendais donc à la bibliothèque de l'école pour le faire. Les ordinateurs étaient très lents et cela me prenait des heures. Je ne perdais pas patience et je restais le temps qu'il fallait pour que mes photos se chargent. Au début, je ne les retouchais pas. Maintenant, je les retouche un tout petit peu afin d'augmenter la saturation des couleurs ou le contraste des noir et blanc.
Je commençai à demander de faibles rémunérations en échange de mes services. Grâce à ces petits gains, je pus m'acheter un ordinateur portable d'occasion, ce qui me facilita la vie.
Vint alors pour moi le moment de réaliser mon premier reportage photographique lors d'un mariage. Je venais d'avoir dix-huit ans et ma meilleure amie de l'époque m'appela tôt le matin pour me demander d'être la photographe à son mariage. Je me dis que je n'allais pas du tout aimer exécuter des photos de mariage basiques, mais je me fis surprendre. J'appréciai beaucoup réaliser ce reportage. Je fus contente parce que c'était aussi mon premier gros revenu pour faire ce que j'aimais et que j'aime par-dessus tout. Le mariage était arrangé. Les parents de mon amie avaient de quoi payer sa dot et même une dot plutôt élevée. Elle a donc épousé un homme de bonne condition, sauf erreur un banquier. Etant tous deux hindous, ils ont eu droit à trois jours de noces en bonne et due forme. Je pus réaliser de magnifiques photos très colorées qui, je trouvais, représentaient très bien le culte du mariage.
Ce culte est un passage très important dans la tradition de mon pays. Toutefois après avoir vu le mariage désastreux de mes parents, je n'ai plus le même avis sur la question, mais le mariage reste un acte magnifique pour des personnes qui s'aiment. L'union de deux êtres est très importante car c'est l'union de deux âmes dans la vie et dans la mort. L'âme est le fond de l'humain, elle est à la base du bien et du mal, mais pas de la vie et de la mort. Notre âme est authentique, nous sommes une personne à part entière grâce à elle. Deux âmes unies valent mieux qu'une et elles se lient par le mariage.
J'adhère à cette idée, pour autant que ces deux personnes s'aiment. A quoi bon unir notre âme avec une personne que nous ne portons pas dans notre cœur ? Quand on y pense, ce n'est même pas crédible.
Quelques jours après, je recroisai mon amie.
- Alors comment était ce mariage ? demandai-je.
- Comme dans mes rêves. Je n'aurais pas pu imaginer un meilleur mariage.
- Je suis vraiment super heureuse pour toi ! lui dis-je.
J'étais sincère. Si mon amie est heureuse comme ça, c'est le plus important.
- Merci. Et toi, pour quand le grand saut ?
- Pour jamais ou en tout cas pas pour tout de suite.
- Oh, pourquoi ça ? Je pensais que tu avais envie de te marier, me dit-elle intriguée.
- C'était le cas, mais je t'avoue que je ne vois pas l'intérêt de faire payer mon père pour passer ma vie avec un homme que je n'aime pas. Pour l'instant, ma priorité est de trouver du travail.
- Je peux comprendre ton point de vue, même si je suis heureuse d'avoir eu la chance de me marier. En plus, être une femme non mariée pourrait poser un problème pour tes photographies. Tu ne penses pas ?
- A vrai dire, je n'y ai jamais vraiment pensé.
Notre discussion se termina sur cette note et nous nous quittâmes après nous être saluées. C'est un fait qu'être une femme non mariée en Inde complique grandement la vie. Mais les mœurs évoluent. Aujourd'hui, c'est un problème moins grave qu'il y a quelques années. Est-ce que cela posera problème pour mon futur ? Actuellement, le plus important pour moi c'est de prendre des photos, beaucoup de clichés. Je crois quelque part que mon destin fut tracé dès ma naissance. Maintenant, il ne me reste plus qu'à avancer sur mon chemin.
Je continuai à faire des photos et commençai à me rendre dans des manifestions pour prendre d'autres sortes de clichés. Je capturais la colère du peuple, sa joie, son désespoir, son envie... Toutes ces émotions figuraient sur mes photos. Je les envoyais à de nombreux journaux dont un sujet parlait de politique ou de tout ce qui pouvait s'y référer. Je ne reçus que des réponses négatives et je n'en connaissais pas les raisons.
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