Partie 3

Lorsque j'eus quinze ans, mon père et moi reçûmes une très mauvaise nouvelle. Ce fut un choc pour nous deux.

Je rentrais de l'école et, en arrivant, je me dépêchais de changer mon uniforme scolaire pour des habits plus confortables. J'en avais aussi profité pour défaire mes nattes. A mon arrivée, j'espérais juste pouvoir me mettre devant la petite télévision que nous avions. Mon père n'était jamais là quand je rentrais de l'école car il est chauffeur d'auto rickshaw. En exerçant cette profession, ses horaires sont plutôt libres mais il est très mal payé. Il doit donc faire beaucoup d'heures pour nous nourrir. Ce jour-là, mon père arriva tôt avec un air catastrophé sur le visage. Il se dirigea droit vers moi, sans même avoir enlevé ses chaussures à l'entrée.

- Sneeha, je viens de recevoir un coup de téléphone...

Je ne compris pas tout de suite ce que ce coup de téléphone signifiait mais, à voir la tête de mon père, ce ne devait pas être une bonne nouvelle. Il ne continua pas ses explications tout de suite... j'étais un peu perdue. J'attendis qu'il poursuive, mais il semblait s'être dispersé dans ses pensées. Des larmes lui montèrent subitement aux yeux, puis il essaya de retrouver l'usage de la parole.

- La femme de ton oncle a appelé. Je ne comprends pas : il était en parfaite santé. En parfaite santé... et, là, il n'est plus de ce monde. Ton oncle, mon frère, est décédé suite à une infection... me dit-il.

- Il est mort ? lui demandai-je pour être sûre, d'une voix incertaine.

Je ne compris pas tout de suite ce que cela pouvait signifier, c'était la seule personne de la famille qui nous ait réellement soutenus. Et maintenant, il est mort ?

- Oui, il est mort. Ton oncle est mort. Il s'est fait écraser par la foule au dernier évènement où il prenait des photos. Il n'avait pas grand-chose, ou en tout cas rien de sérieux... quelques plaies ouvertes. Puis il a développé une grave infection à cause d'une plaie profonde sur le bras. L'infection s'est propagée dans tout son corps et il a fait un arrêt cardiaque. Le médecin n'a rien pu faire.

Les larmes me vinrent aux yeux. Je ne saisis pas tout de suite l'étendue du problème. Mon esprit ne pouvait se faire à cette idée, mon oncle ne pouvait pas être mort. Mon père s'approcha de moi. Il me prit dans ses bras, me serra de toutes ses forces et je le serrai à mon tour. C'était la première fois, depuis de nombreuses années, qu'il me prenait dans ses bras. La dernière fois, cela devait être au départ de ma mère. Il était bouleversé. Il était très proche de son frère et c'était le seul membre restant de sa famille. Il nous a sauvés et il n'est plus là. Le destin peut être tellement injuste. Il était un deuxième père pour moi. J'eus l'impression de perdre un bras, il était si important pour nous. Cela me fit un choc de savoir qu'il n'était plus de ce monde, mais nous savons qu'il sera réincarné et que les Dieux seront bons envers lui. C'était une bonne personne et les divinités savent remercier correctement les bonnes personnes. Je ne me suis jamais posée de questions quant à sa réincarnation, mais je ne pensais pas que cela allait être aussi soudain.

- Et pour les funérailles ? questionnai-je à mon père, tout en sachant que nous n'avions pas les moyens pour nous y rendre.

- Si nous y allions en train, nous pourrions nous le permettre. On logerait chez la femme de ton oncle.

- Donc nous y allons ? demandai-je pleine d'espoir.

Mon oncle était vraiment quelqu'un de très important et me rendre à ses funérailles, ce serait lui faire honneur. Ce serait aussi le remercier pour ce qu'il a fait pour moi. Je lui dois tout et je ressens le besoin de le lui communiquer. Lui faire mes adieux me tient véritablement à cœur. Je me dois d'être là lors de l'ascension de son âme au Nirvana. Je voudrais l'aider à passer du monde des mortels à celui des immortels.

- Je n'en sais encore rien. Je sais que pour toi c'est très important et ça l'est aussi pour moi, mais nous ne pouvons pas réellement nous le permettre.

- Je comprends, mais c'est important qu'on soit là lors de sa montée au Nirvana.

- Sneeha, je suis tellement désolé, je sais à quel point tu l'admirais, me dit-il. Je vais y réfléchir, je te le promets. Je vais retourner travailler, les clients n'attendent pas...

Je n'osais pas l'avouer mais, pour faire mon deuil, je ressentais le besoin de lui faire mes adieux. Je hochai la tête, puis j'attendis qu'il quitte la pièce avant de m'asseoir sur le sol. Je me souviens être restée de longues minutes dans cette position à me remémorer les moments passés avec mon oncle.

Mon père rentra le soir en m'annonçant que nous allions nous rendre à son enterrement. Nous sommes donc partis le lendemain matin en troisième classe dans un train longue distance. Cette expérience ne fut pas des plus agréables. Nous avons logé chez ma tante, puis assisté à l'envol de l'âme de mon oncle le jour suivant. Mon père a dû fendre le crâne de son frère pour libérer son âme, le bûcher a ensuite été allumé et nous avons regardé son corps brûler en silence.

Ma tante nous raccompagna pour prendre le train après l'enterrement. Nous lui fîmes nos adieux, mais juste avant que nous ne montions dans le train, elle me tendit un grand carton.

- Tiens Sneeha. Il aurait voulu que ce soit toi qui aies ses affaires. Je sais qu'il te trouvait talentueuse et qu'il croyait en toi. Alors ne baisse jamais les bras, Sneeha, montre au monde que les femmes sont capables de faire de magnifiques photos.

Ne sachant pas quoi lui répondre, je lui chuchotai un simple « merci » lorsque notre train démarra. Mon oncle m'offrait tout son matériel photo. Je n'avais jamais reçu d'aussi beau cadeau et je m'en souviendrai toute ma vie. Sans oublier qu'il venait de passer de l'appareil argentique au numérique. C'est un présent inestimable.

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