Devoir n°9
Maquillage parfait, tenue adaptée...
Je connais mon discours.
Je sais exactement ce que je vais faire aujourd'hui, et j'ai calibré l'attitude que je vais avoir au sourire près.
Je m'étais beaucoup trop relâchée ces derniers temps, c'est pour ça que tout est allé si mal.
Maintenant que j'ai repris les rênes, tout ira bien.
Inutile d'essayer de suivre les conseils de mes caméristes. « Lâcher prise », « me laisser porter »... C'est évidemment le meilleur moyen de me planter !
Enfin, l'image que je vois dans le miroir est exactement celle que je dois avoir ! Pourquoi la changer ? Pourquoi prendre le risque ?
Une mèche se défait soudain de mon chignon, pour venir me tomber devant la figure.
Immédiatement, j'attrape la dissidente et tente de la rattacher avec des gestes précipités.
-Attendez, laissez-moi vous aider, dit Amy en me prenant calmement la mèche des mains.
En quelques secondes, ma coiffure est de nouveau parfaite, et je soupire de soulagement.
-Vous recommencez à vous mettre la pression ! Je ne veux pas vous voir revenir en pleurs...
-Mais non, ne t'en fais pas ! Tout se passera bien cette fois-ci.
Je me lève avec un grand sourire, pour appuyer mes propos. Elle n'a pas l'air convaincue. Pourtant je gère !
Je jette à nouveau un coup d'œil vers le miroir, pour vérifier que je n'ai effectivement pas l'air inquiète ou tendue.
Non, Amy s'imagine simplement des choses parce que je me suis confiée à elle. J'ai l'air tout à fait détendue !
Par acquit de conscience, j'abaisse tout de même un peu les épaules.
-Je vais descendre. Merci encore pour la coiffure !
Je m'éclipse avec un signe de la main et me dirige aussitôt vers les jardins. A peine sortie, je suis enveloppée par la musique mais je ne la remarque presque pas.
Sourire. Se tenir droite. Respecter le planning.
Quelques personnes ne tardent pas à m'accoster. Parmi elles, Mme Goodwin, une femme d'affaire de ma connaissance.
-Auriane, tu es resplendissante !, s'exclame-t-elle. Permets-moi de te féliciter pour ton parcours dans la Sélection. Faire partie de l'Elite, quelle chance !
Je la remercie, la complimente en retour, et attends qu'elle continue. Je ne suis pas duppe, j'ai bien compris qu'elle comptait me demander quelque chose.
-Tu dois être plutôt proche du Prince, non ? Evidemment, adorable comme tu es, il ne pouvait que tomber sous ton charme...
-J'espère qu'il pense la même chose que vous, en tout cas.
-Je n'en doute pas une seule seconde ! Oh, comme vous seriez mignons tout les deux... Mais cessons de parler de cela ! Je ne voudrais pas te porter malheur, minaude-t-elle. T'ai-je déjà parlé du projet que nous avons, mon mari et moi, d'ouvrir une entreprise de vêtements sur mesure ?
-Je pense que vous m'en avez touché un mot, en effet.
-Eh bien figures-toi que c'est chose faites ! Voilà trois mois que les vêtements Goodwin sont sur le marché ! Nous avons d'ailleurs envoyé à tes parents un de nos plus beaux costumes, et une robe d'une qualité exceptionnelle...
Elle continue son monologue quelques minutes, tandis que je l'écoute sans perdre patience.
-Et vos affaires se portent-elles bien ?
-Hélas !, s'exclame-t-elle de manière un peu trop dramatique. Elles ne sont pas aussi florissantes que nous l'espérions ! Nous ne perdons pas espoir évidemment, mais nous cherchons encore le moyen de les booster un peu...
Elle tape soudainement dans ses mains, comme si elle venait d'avoir l'idée vers laquelle elle amène la discussion depuis le début.
-Peut-être pourrais-tu nous aider ! Penses-tu que... Eventuellement... Tu pourrais toucher un mot de notre entreprise au Prince ?
Enfin, elle en vient au fait !
-Si un membre de la famille royale portait un de nos costumes, nos ventes seraient à coup sûr multipliées !
-Eh bien... La famille royale a déjà des couturiers attitrés si je ne m'abuse... Cependant je vais voir ce que je peux faire.
-Formidable ! Merci ma petite Auriane, tu es un amour !
Après cela, elle écourta rapidement la discussion, probablement pour aller vampiriser d'autres Sélectionnées.
Je ne reste pas seule bien longtemps, des dizaines de personnes attendant leur tour pour demander leur « petite faveur ».
Alors que j'effectue une énième révérence pour saluer un énième interlocuteur, quelqu'un tire le bas de ma robe. En baissant les yeux, j'aperçois une petite fille, haute comme trois pommes.
-Tu danses avec nous ?, demande-t-elle avec de grands yeux brillants.
Bénie soit cette enfant !
M'excusant auprès d'un homme qui comptait me parler avant l'intervention de la petite, je suis cette dernière qui trottine jusqu'à un groupe d'autres enfants, qui sautent de joie à mon arrivée.
Sans perdre une minute, ils m'entraînent dans une ronde. Je profite de ce répit pour me détendre tout à fait. Quoi que je fasse, que je trébuche ou que j'éclate de rire, ça ne peut pas avoir de répercussion négative tant que c'est parce que je m'amuse avec ces enfants.
-Et maintenant, tourne !
Je m'exécute de bonne grâce, faisant voler ma robe autour de moi.
-Plus vite ! Plus vite !
Bientôt, j'éclate de rire et la tête me tourne. Qu'il est bon de pouvoir avoir l'air un peu ridicule parfois !
Ce qui doit arriver arrive ; je suis en talon, et je fais la toupie de plus en plus vite. Je trébuche.
Je m'écrase, en essayant tout de même d'y mettre un peu de grâce, et me heurte aux jambes de quelqu'un.
-Oh, mince ! Excusez-moi !, m'exclamé-je, hilare.
J'essaye de me redresser, mais retombe aussitôt. C'est fou ce que le sol peut être instable !
-Il n'y a pas de mal, réplique une voix amusée.
On me tend une main, mais je n'ose pas la saisir. Parmi toutes les personnes présentes à cette réception, je ne serai quand même tombée aux pieds du Prince ?
Je lève les yeux. Il faut croire que si.
Que disait le plan déjà ? Ah oui ! Se tenir aussi loin que possible du Prince. Non pas que je redoute de lui parler... Mais si je veux que tout soit parfait, autant éviter la personne en présence de qui j'ai tendance d'enchaîner les erreurs.
J'accepte néanmoins sa main et me relève sur des jambes flageolantes.
Et je devais faire quoi, si j'entrais quand même en contact avec lui ? Ecourter la discussion et m'éloigner de nouveau. Cela risque d'être compliqué, à l'heure actuelle.
-Merci, excusez-moi encore...
Sans faire de révérence que j'aurais évidemment ratée, j'essaye de rejoindre les enfants. Comme je m'en doutais, cela s'avère compliqué. Le sol n'arrête pas de balancer de droite à gauche.
Avant que je ne tombe de nouveau, je me retrouve dans les bras du Prince.
Je mets une seconde à comprendre ce qui se passe.
Est-ce que j'ai un plan de secours, pour cette situation ?
Je m'écarte de nouveau, et me racle la gorge, que je trouve soudain très sèche.
-Excusez-moi... Merci... Je...
Ne trouvant rien d'autre à faire, je m'assois par terre.
-Je pense que je vais rester là, le temps de retrouver l'usage de mon oreille interne.
Il s'apprête à répondre, lorsqu'un domestique vient le prévenir que c'est bientôt l'heure de son discours.
-Vous êtes sûre que cela va aller ?, me demande-t-il.
-Certaine. Ne vous mettez pas en retard pour moi !
Il hésite un court instant, avant de faire enfin demi-tour vers l'estrade. Je lâche un discret soupir de soulagement, avant de me rendre compte que le domestique n'est pas encore partit.
-Oh, excusez mes manières... Avez-vous quelque chose à me dire ?
-Je tenais juste à vous rappeler que vous devez vous aussi prononcer votre discours bientôt, répond-il aimablement.
Oh. C'est vrai.
-Bien sûr ! Merci beaucoup, j'arrive tout de suite.
Il s'en va à son tour. Bon, au moins cet incident m'aura définitivement rappelée à l'ordre : je ne dois pas me laisser aller. Jamais.
Je prends encore une minute avant de me relever. Je salue les enfants, en enlace quelques uns, et me dirige vers l'estrade.
Le Prince monte dessus peu après pour prendre la parole, puis la famille royale fait de même.
Je n'écoute que d'une oreille, trop occupée à répéter mentalement mon texte, mais prends tout de même soin d'avoir l'air attentive.
Après le discours de quelques Sélectionnées, c'est mon tour.
Sourire. Se tenir droite. Ne pas avoir l'air trop tendue, ni trop sûre de moi. Comme d'habitude.
-Bonjour à tous. J'espère que vous prenez plaisir à participer à la cérémonie d'inauguration de ce superbe projet avec nous.
Je marque une petite pause calculée et ramène mes mains devant moi.
-Je me présente de nouveau, je me nomme Auriane Atkins, je viens de Likely. Et vous l'aurez compris, comme mes consœurs, j'ai l'honneur de faire partie de l'Elite. Je suis très fière d'avoir pu représenter ma région si longtemps, et j'espère pouvoir continuer, au moins un peu.
Sourire timide.
-C'est une aventure... Extraordinaire, vous vous en doutez sûrement. Nous sommes traitées comme des princesses, la famille royale est toujours extrêmement aimable et le Prince... Toujours très attentionné !
Je baisse les yeux vers mes mains, les joues rosies.
-J'ai beaucoup de chance, j'en ai bien conscience... Enfin ! Je ne vais pas vous retenir trop longtemps, si vous êtes ici, c'est surtout pour participer au jardin collaboratif et à la fresque ! Je vous souhaite une bonne cérémonie à tous, et j'espère que vous vous amuserez. Je vais à présent laisser la parole aux autres filles. Merci de votre écoute.
Sur ces mots, je descends finalement de l'estrade, et reste devant pour écouter les derniers discours.
Je prends ensuite le chemin du jardin coopératif, pour découvrir une foule massée devant, essayant de rentrer coûte que coûte. Les autres Sélectionnées la regardent aussi, tandis que le jardinier en charge du projet s'adresse à Lucy, l'initiatrice de ce dernier.
-Miss Lucy ! Vous voilà ! S'il vous plaît aidez-nous !
-Je veux bien, mais je ne sais pas quoi faire moi !, réplique-t-elle.
Elle se tourne vers nous, en quête d'une idée. Voyant que personne ne se dévoue, je m'avance d'un pas.
-Lucy, dis-je pour attirer son attention. J'ai l'habitude de ce genre de foule, dans le monde de la politique c'est normal.
Je regarde de nouveau la foule, pour mieux jauger le nombre, avant de me retourner vers elle.
-Ce que je te propose, c'est de limiter les entrées. Par exemple, je me tourne de nouveau pour être sûre, vingt personnes à la fois. Puis lorsque quelqu'un ressort, faire rentrer une autre personne. Mais il faut des personnes qui gèrent l'intérieur, pour éviter que les gens ne restent trop longtemps.
-Auriane, tu es géniale ! Merci !!, s'exclame-t-elle, m'arrachant un sourire. Mais du coup il faudrait demander au Prince d'envoyer des gardes.
-Je m'en occupe, ne t'inquiètes pas !
-Merci !
Je me retourne pour partir... Et me rendre compte de ce que je viens de dire. Emportée par l'enthousiasme de Lucy, je viens de me porter volontaire pour approcher le Prince. Ce qui est complètement contraire à mon plan pour que cette journée se passe le mieux possible !
Bon, on respire. Je vais juste lui demander d'envoyer des gardes, et m'en aller aussitôt. Pas besoin de s'inquiéter.
Je l'aperçois non loin et me dirige vers lui avant de changer d'avis.
-Pardonnez-moi, Votre Altesse... Pourriez-vous demander à vos gardes de nous aider à gérer la foule qui essaye d'entrer dans le jardin coopératif ?, demandé-je d'une traite, d'un ton un poil trop rapide à mon goût.
Il se tourne vers moi. Il lui faut une seconde pour comprendre ce que je viens de dire, confirmant ce que je pensais : j'ai parlé trop rapidement.
-Bien sûr ! Donnez-moi un instant.
-Merci beaucoup, Votre Altesse.
Je m'efforce de ne pas m'enfuir en courant comme le voudrais mon plan le temps qu'il prévienne les gardes, le remercie de nouveau une fois fait et retourne calmement auprès des autres Sélectionnées.
Je ne reste pas longtemps cependant. Le temps de planter ma propre graine, et de faire avorter mine de rien deux ou trois discussions avec d'autres personnes ayant besoin d'un « petit service », je m'éloigne en direction de la fresque.
En arrivant sur place, je constate avec un certain soulagement qu'il n'y a pas grand monde autour. J'ai eu assez de demandes pour la journée.
J'attrape un feutre et cherche l'inspiration en regardant le travail déjà fait. Des couleurs vives, des cœurs, des soleils, des dessins un peu plus élaborés comme un lapin et... Une tomate ?
Essayons quelque chose de joyeux alors.
Je dessine un bonhomme, avec un grand sourire. Je lui mets une fleur dans la main, pour rappeler le projet grâce auquel il existe. Et puis comme il me fait de la peine, tout seul, je lui dessine un ami, à qui je dessine un chapeau, et un monocle, et...
Je sursaute en entendant un cri, et me retourne vivement.
Juste des enfants qui jouent. J'étais peut-être un peu trop concentrée.
Concentration qui ne ressort absolument pas sur le dessin. Les bonshommes, très réalistes dans mon esprit, ne sont que des têtes rondes sur des corps en bâton, la fleur semble sur le point d'exploser...
Mais étrangement, je l'aime bien. Même si, si on me pose la question, je nierais évidemment en bloc en être l'auteur.
Discrètement, je jette un coup d'œil à la ronde, pour m'assurer que personne ne m'a remarqué.
Hormis quelques accrocs mineurs, cette journée se sera plutôt bien passée finalement.
Je souris une dernière fois à mes bonshommes. Puis je me reconcentre, diminue un peu mon sourire, me redresse.
A l'idée de retourner dans le jardin, où je vais à nouveau devoir acquiescer gentiment et écouter les requêtes, une certaine lassitude m'envahit.
L'instant d'après, j'ai déjà balayé ce sentiment et retourne me jeter dans la foule.
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