Devoir n°8
-Et celui-ci, qui est-ce ?, demande Annabelle.
-Il travaille principalement dans la fantaisie et le fantastique, mais il m'avait parlé de son souhait de se tourner également un peu vers la science-fiction. Apparemment, cela a tendance à bien se vendre ces temps-ci.
Elle hoche la tête, tandis que je m'applique à recopier le numéro de téléphone de M. Thompson, un éditeur de ma connaissance.
Rosie regarde avec intérêt mon carnet de contact, que j'ai emporté avec moi. On ne sait jamais quand ça peut servir, et je ne m'en sépare jamais.
-Vous connaissez vraiment beaucoup de monde...
-J'essaye en tout cas !, dis-je avec un sourire.
Je finis ma petite liste d'éditeurs en écrivant la spécialisation du dernier à côté de son numéro, et plis soigneusement la feuille.
J'ai décidé que j'avais déjà trop fait traîner mes promesses.
Tout en écrivant mon projet à rendre à la Reine, j'avais donc emprunté un livre pour apprendre le Cambodgien, et aujourd'hui j'ai griffonné cette petite liste.
Je jette un œil à l'heure. Il me reste un quart d'heure avant le petit déjeuné.
-Je vais y aller, comme ça je pourrais peut-être croiser Emma en descendant. Tu peux le feuilleter si tu veux, lancé-je à Rosie qui continuait de lire les noms écrits à la page que j'avais ouverte.
De toute façon, je n'ai jamais rien écrit de désobligeant dessus, c'est trop risqué. Les commentaires importants ne sont que dans ma tête.
-Oh non... Je..., rougit-elle.
-Il n'y a aucun problème, je t'assure ! Et merci encore à toutes les trois pour cette robe magnifique !
Sur ces mots, je sors de ma chambre. Je me sens de très bonne humeur aujourd'hui. C'est d'un pas un peu plus guilleret que d'habitude que je me dirige vers l'escalier, où je tombe immédiatement sur celle que j'allais chercher.
-Ah, Emma !, l'interpellé-je. J'ai ta liste d'éditeurs avec leurs numéros, comme je te l'avais promis dans l'avion. Je me suis rendu compte que je ne t'avais pas demandé quel genre de livre tu écrivais, alors je t'ai mis un peu de tout... Si tu te décide à en appeler un, dis-leur que c'est moi qui t'envoie, ils s'occuperont de toi plus rapidement.
Je lui tends le papier avec un grand sourire.
-Merci beaucoup !, dit-elle en jetant un rapide coup d'œil aux noms inscrits.
-Emma ? Tu viens ?, appelle Alaska un peu plus loin.
-A plus tard...
Avec un signe de la main, elle s'éclipse pour rejoindre sa cousine.
Je prends le temps de remettre un peu ma robe en place et descends à mon tour.
En entrant dans la salle où nous prenons tous nos repas, je remarque que Séléné est déjà installée.
Je m'approche, me répétant mentalement les quelques mots de khmer que j'ai eu le temps d'apprendre.
-Sou sdey !, lui lancé-je en prenant place à côté d'elle.
D'abord un peu surprise, elle me regarde avec de grands yeux.
-Sou sdey, répond-elle finalement en souriant, Sok sabay ?
-So sabay, tcho néa vég... ?
-Sok sabay. Ce n'est pas trop mal, pour un débutante ! Mais tu as encore du travail.
J'éclate d'un petit rire, prenant une mine désolée.
-Okur.
-Orkurn, me corrige-t-elle.
-Orkurn, m'appliqué-je à répéter.
-C'est mieux !
Nous continuons ainsi un moment, tout en mangeant.
Alors que j'étais en train de me dire qu'aujourd'hui était une bonne journée, Maya prit la parole.
-Mesdemoiselles, après le petit déjeuné, veuillez rester à vos places ! Vous allez avoir une entrevue avec le Prince chacune à votre tour.
Mon sourire se fige.
Une entrevue avec le Prince.
Tout de suite.
Ce n'était pas prévu.
-J'ai hâte de voir Lionceai, lâche Séléné, l'air réjoui.
-Lionceai ?, demandé-je, à moitié dans mes pensées.
-C'est le surnom que j'ai donné au Prince. Cela veut dire...
Il fallait donner un surnom au Prince ? Elle m'explique rapidement l'histoire.
Je n'ai rien prévu pour mon prochain tête à tête avec le Prince. Le projet pour le peuple m'a presque totalement accaparée, et je pensais être tranquille pour un peu plus de temps que ça.
Pour les deux précédents, je m'étais préparée et j'avais quand réussi à faire une bourde à chacun.
Là, ça va être une véritable catastrophe !
De quoi veut-il nous parler, en plus ? Est-ce que quelques phrases communes pourront suffire ?
Ça serait tellement plus simple avec n'importe quel autre garçon que je pouvais côtoyer avant ! Un petit sourire, quelques flatteries et le tour était joué. Et puis, la richesse de mes parents aidait beaucoup également.
Là, le Prince doit vouloir qu'on lui montre un peu de personnalité, ce qui implique des mensonges plus complexes. Les improviser, c'est le meilleur moyen pour se perdre ensuite !
Mais pourquoi je n'y ai pas réfléchi avant ? Cela ne m'est presque jamais arrivé...
-Ça va ?, demande Séléné.
-Je suis un peu stressée...
Quelques filles sont déjà passées, et aucune n'est encore revenue. Aucun moyen de savoir ce qu'il va nous demander et de préparer quelques phrases donc, et en plus cela peut être mon tour à tout moment.
On se reprend ! Si je commence à paniquer pour de bon, je ne pas savoir gérer.
Bon.
Je m'essuie avec ma serviette, et passe rapidement ma langue sur mes dents.
Que peut-il poser comme questions ?
Comment se passe la Sélection, si je m'entends bien avec les autres...
-Mlle Auriane Atkins, c'est à votre tour.
Merde !
Là, je panique.
Je hoche la tête et me lève pour rejoindre la pièce d'à côté.
Le Prince est installé dans un canapé, et se lève en me voyant. J'ai l'impression de revivre notre première entrevue.
Là où je me suis planté. Est-ce un message du destin ?
Et moi qui pensais que c'était une bonne journée.
Je m'incline néanmoins prends un de mes sourires les mieux calibrés, celui que je peux refaire si facilement qu'il m'est presque spontané.
-Comment allez-vous ?
Il me regarde une seconde.
-Vous m'avez l'air à nouveau un peu tendue, je me trompe ?, demande-t-il avec un sourire.
S'il avait prévenu avant aussi, je serais parfaitement détendue !
-Je vais bien, merci. J'ai simplement été un peu surprise, lorsque la gouvernante nous a annoncé que nous allions avoir une entrevue... Pardonnez-moi, je vais essayer de me détendre ! Et vous, comment allez-vous ?
-Pas trop mal !
Nous nous installons sur le canapé. Je ramène ma robe vers moi, et plie mes mains sur mes genoux.
-Laissez-moi deviner... Vous allez me poser des questions ?
-Serai-je devenu trop prévisible ?
-Et en voilà une !
Oh non. Est-ce que je viens d'être insolente ? Je me sens rougir réellement.
C'est pire que ce que je craignais... Je suis en train de tout gâcher !
Le Prince paraît un peu surpris sur le coup. Alors je vais pour m'excuser, il sourit finalement.
-D'accord, vous avez gagné, je vous l'accorde. Vous ne m'en tiendrez pas rigueur, si je vous pose quand même mes questions ?
Je n'ose rien répondre sur le coup. Je n'ai jamais été très douée en improvisation. Qui sait quelle bêtise je pourrais encore sortir ?
-Bien... Faites donc !
-Alors, d'abord... Est-ce que vous vivez bien votre Sélection ? Je me doute bien que vous devez avoir l'habitude d'être observée avec votre métier, mais... Disons que là, c'est à plus grande échelle encore. Vous n'avez pas trop de pression ?
-C'est... Un peu stressant par moment quand j'y pense, je l'avoue. Heureusement, ce n'est pas toujours le cas ! Du moment que je fais quelque chose, je remarque à peine les quelques journalistes que je peux croiser, à vrai dire.
Enfin, j'ai surtout appris les endroits où ils sont le plus susceptibles d'être, et n'y passe que quand je veux bien être vue.
-Globalement, je trouve que c'est une très bonne expérience ! Ça fait du bien, de me tenir un peu à l'écart de la vie politique pour une fois... Même si je dois avouer que ne pas être au courant de tout ce qui se passe à l'extérieur m'angoisse un peu parfois...
Tu parles trop ! Stop !
-Vous angoisse ?, répète le Prince, un peu inquiet.
Et voilà...
Je tente de rattraper le coup en souriant et en agitant les mains comme pour effacer ce que j'ai dit.
Mais pourquoi j'agite les mains ? Arrête !
-Oui, enfin... Non, ça ne m'angoisse pas... C'est juste que j'ai l'habitude de toujours me tenir au courant de tout et...
Maintenant il va penser que je suis une fouine !
-Enfin... Parfois je me demande ce qu'il se passe à l'extérieur du Palais, voilà tout...
Le Prince lève les mains dans un geste qui se veut rassurant. J'ai l'impression qu'il essaye d'apaiser un animal sauvage.
J'ai probablement l'air d'une folle.
-Je comprends ce que vous voulez dire, ne vous en faites pas.
Je tente un sourire contrit.
-On passe à une autre question ?
Continuons le massacre, tant qu'on y est ! Je suis curieuse de savoir si je peux tomber plus bas, tiens !
Il semble réfléchir à la question qu'il compte poser ensuite.
-Vous entendez-vous toujours bien avec les autres Sélectionnées ?
-Bien sûr ! Elles sont toutes tellement gentilles... Et puis, elles m'apprennent quelques trucs !
-Ah oui ? Comme quoi, par exemple ?
-Eh bien, Séléné est très cultivée, alors elle m'a appris deux ou trois anecdotes historiques. Vous savez, un peu du même genre que celle sur les croissants, dont elle avait parlé une fois, durant un repas ?
-Oui, je m'en souviens en effet.
-Et elle m'aide à apprendre le Cambodgien, enfin le khmer, la langue principale au Cambodge...
Je limite la casse, en parlant d'une autre fille que moi, c'est mieux...
-C'est super !
D'un coup, son attitude devient un peu plus tendue, et il hésite à prendre de nouveau la parole.
-Puis-je vous poser une dernière question ?
Bon, apparemment, il n'a pas besoin que je lui parle des autres Sélectionnées.
-Bien sûr !
-Que pensez-vous... De notre relation ? Enfin...
Il prend une inspiration et lâche d'un coup :
-Que ressentez-vous pour moi ?
-Hein ?
Ce que je ressens pour lui ?
-Hum... C'est déjà assez embarrassant à poser comme question, j'aimerais autant ne pas avoir à me répéter..., dit-il en éclatant d'un rire gêné.
Pourquoi ? Et pourquoi si tôt ?
Les garçons à qui je parlais ne m'ont jamais posé la question après si peu de temps !
Il me regarde, avec un sourire mi encourageant, mi inquiet.
M'a-t-on ne serait-ce qu'une fois posé la question d'ailleurs ?
Concentres-toi !
Mais je suis censée répondre quoi moi ? « Je vous aime », c'est beaucoup trop tôt, mais est-ce qu'il ne risque pas de se vexer si je dis autre chose ?
Qu'est-ce qu'Auriane est censée répondre ?
Pourquoi je n'ai pas pensé à ça plus tôt !
-Je... Je...
Pourquoi faut-il qu'il pose une question importante au moment où je ne suis pas préparée ?
Ok, on se calme. On inspire...
Je prends une inspiration. Mes mains commencent à trembler, mais je les serre pour les contenir.
Maintenant on expire...
Mon silence commence à être beaucoup trop long.
Sors un truc, n'importe quoi !
-Je... Ne sais pas..., murmuré-je dans un filet de voix.
J'ai rarement été si pitoyable.
-Comment ça ?
Cette fois, il est désarçonné.
Trouve un truc ! Tant qu'on y est, balance lui la vérité, ce sera toujours mieux !
Ce que je ressens pour lui...
J'en sais rien, putain !
Le rouge me monte aux joues de plus belle, tandis que je tremble désormais de tout mon corps.
Un éclair de lucidité remonte soudain.
Dis juste que tu l'apprécie, et puis c'est bon !
-Pardonnez-moi... Je... Je vous apprécie, je crois ?
« Je crois » ? J'avais vraiment besoin de rajouter « Je crois » ?
-Vous croyez ?
Une certaine incompréhension se lit dans son regard.
Voilà pourquoi je ne dois jamais improviser ! Prévenez, la prochaine fois !
-Oui... Je...
Je suis en train de perdre toute la maîtrise qu'il me restait.
Des larmes me montent aux yeux.
De quoi dois-je avoir l'air ? Il y a trente secondes, je souriais et maintenant je suis au bord des larmes.
-Ne vous mettez pas dans un tel état pour ça !, s'exclame-t-il, cherchant un mouchoir dans ses poches. Je suis désolé, je ne pensais pas que vous réagiriez comme ça...
-Je vous apprécie, répété-je. Vous êtes très gentil et...
Et puis merde !
Je me lève brusquement, vacille un instant sur mes jambes, et me dirige à pas précipités vers la sortie.
-Pardon.
Le Prince ne bouge pas, étonné de ma réaction.
Une fois dans le couloir, je me frotte les yeux, étalant probablement mon maquillage au passage.
Décidant de retourner dans ma chambre, je prends garde à éviter les journalistes. Ces rapaces seraient beaucoup trop heureux de pouvoir s'arracher les miettes de mon masque.
Comme j'aimerais pouvoir parler à mes parents ! Je crois que j'ai passé trop de temps à jouer la comédie sans me confier.
Bah, probablement plus pour longtemps. Comment est-ce que j'ai pu me planter à ce point ? Je n'avais pas paniqué comme ça depuis des années !
Arrivée devant la porte de ma chambre, j'hésite. J'entends mes caméristes, qui discutent joyeusement à l'intérieur.
Peut-être...
Quels sont les risques pour qu'elles se mettent à me détester si je me confie à elles ?
Trop élevés.
Tant pis.
Je rentre, ferme la porte, et éclate finalement en sanglots.
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