Devoir n°14


C'est au tour de Lucie d'entrer dans le bureau du Roi, tandis qu'Alexandria en revient.

De mon côté, je consacre mon attention à faire semblant de lire un magazine présentant les actualités, que j'ai déjà consultées ce matin à mon réveil. Ainsi, je peux me préparer à ma prochaine entrevue sans risquer de croiser un regard, qui pourrait mener à une discussion, qui elle-même mènerait à une perte de concentration et donc par la même, potentiellement, à la perte de mes moyens devant Sa Majesté. C'est absolument hors de question.

Respiration profonde et détente contrôlée, voilà ce sur quoi je dois me concentrer. J'ai déjà envisagé les questions qui pouvaient m'être posées, imaginé plusieurs réponses adéquates avec la bonne attitude... J'ai même prévu quels sourires j'allais caler pendant la discussion : sourire humble, sourire sincère, peut-être un sourire énamouré si jamais la discussion arrive à ma relation avec le Prince – et nul doute qu'elle y viendra tôt ou tard.

La salle n'étant remplie que de politiciens, je devrais être à même de gérer la situation. Mais je ne dois pas baisser ma garde pour autant : le Roi et la Reine seront autant présents en tant que souverains qu'en tant que parents.

Le doute ne m'envahit finalement qu'au pire moment : juste avant de passer la porte, après que Lucy eut fini son passage.

Est-ce que je n'ai pas trop calculé mon attitude ? Est-ce que je ne devrais pas être un peu plus naturelle, laisser transparaître mes sentiments pour le Prince plutôt que me borner à vouloir être la candidate parfaite ?

Ilban serait sans nul doute pour cette option. Mais Ilban a un peu trop confiance en moi.

Quand je vois le couple royal, j'effectue une révérence parfaitement maîtrisée.

Changer d'idée au dernier moment est toujours la pire des solutions. Mais si jamais mon plan initial menait à une catastrophe...

-Vous pouvez vous asseoir si vous le souhaitez, me propose la Reine en me montrant le siège face au bureau auquel ils sont attablés.Derrière, les Conseillers m'observent, complètement impassibles.

Je m'assois en la remerciant, tâchant d'être gracieuse sans paraître en faire des tonnes.

Je prends également gare à ma posture. La tête haute pour l'assurance. Pas trop, pour l'humilité et le respect.

Les sourires bienveillants du Roi et de la Reine ne suffisent pas à me mettre en confiance, mais rien ne doit le laisser voir dans mon attitude.

Sourire humble.

-Mlle Atkins, notre Sélectionnée politicienne, lance le Roi.

-C'est cela votre Majesté. Bien que je sois toujours en période d'apprentissage.

Ils acquiescent.

-Est-ce cette vocation politique qui vous a fait tenter votre chance à cette Sélection ?, me demande la Reine.

-Cela a peser dans ma décision. Participer à la Sélection m'a fait gagner en visibilité, ce qui me permettra d'avoir plus d'impact quand je débuterai ma carrière. J'en suis très reconnaissante.

Inutile de mentir sur mes intentions initiales. Prétendre avoir eu un coup de foudre à travers l'écran d'une télévision n'est pas crédible une seconde.

Nouvel acquiescement. Un piège évité.

-Certes,à ce niveau là, vous voilà prête à vous lancer. N'avez-vous alors pas hâte de rentrer chez vous pour suivre votre voie ?,continue-t-elle.

La pensée de quitter Ilban pour commencer ma carrière politique me traverse l'esprit, et me serre le cœur. Je la chasse.

-Pas vraiment, à vrai dire, je réponds, le cœur battant, me préparant aux prochaines questions.

-Pourquoi cela ?

-J'aimerais pouvoir continuer la Sélection autant que son Altesse le Prince me le permettra.

-Souhaitez vous gagner plus de visibilité encore ? Ou bien visez-vous un poste... Plus élevé, dirons-nous ?

Sous entendu, est-ce que je souhaite rester pour la couronne plus que pour le Prince.

Est-ce ce que pense Ilban également ?

-Je voudrais effectivement devenir reine. Mais la couronne n'est pas cequi m'attire dans ce rôle.

Je m'entends parler avant de m'être entendue penser.

-Je reste car j'espère que votre fils me choisira pour être sa femme, et passer ma vie à ses côtés.

C'est dit de façon trop abrupte. Tout ça parce que je n'ai pas maîtrisé mes pensées. L'idée qu'Ilban puisse croire que je me serve de lui m'a fait faire n'importe quoi.

Je sens le rouge me monter aux joues, ce que j'essaye de réprimer à tout prix. J'ai dévié du plan. Alors que tout se passait très bien.

Idiote !

-Que voulez-vous dire ? Pourquoi voulez-vous être reine ? Pourquoi voulez-vous épouser Ilban ?, réplique le Roi, sans pitié.

Je m'accorde une seconde de silence, pour essayer de calmer mon cœur et de faire le deuil de mon plan. Après une réponse comme ça, impossible de reprendre les phrases prévues.

Comment répondre ? De façon complètement énamourée ? Non, ça va paraître bizarre, j'ai été trop sérieuse.

En désespoir de cause, je me replie sur le contrôle de mon attitude. Il faut que j'ai l'air assuré, mais sans prétention.

-Parce que je... J'ai développé des sentiments pour Ilb... Son Altesse et...

Raté.

Foutue. Improvisation. De merde.

Ressaisie toi ! Tu aimes Ilban, et ben vas-y dis-leur ! De toute façon, tu as tout raté, alors tâche au moins d'avoir l'air sincère dans tes conneries !

Discrètement, je me pince la cuisse, et me racle la gorge.

-Pardonnez-moi,je reprends en regardant le Roi droit dans les yeux. Ce que je veux dire, c'est que j'aime beaucoup votre fils. Je ne l'avais pas prévu, pour être tout à fait honnête, mais c'est arrivé. C'est pourquoi je suis encore ici. Ce n'est ni pour ma carrière, ni pour le titre de reine.

Je détourne enfin un peu les yeux et prends une inspiration.

-Bien que cela serait évidemment un grand honneur de le porter, et que j'ai conscience de la responsabilité qui y est liée, bien sûr, j'ajoute dans un sursaut de stress.

Le silence qui suit me semble durer des heures.

-Bien, répond le Roi.

J'ai envie de m'enfuir.

-Quelles qualités doit avoir une future reine selon vous ?, continue-t-il.

Le changement de sujet brutal manque de m'achever définitivement. Je me reprends in extremis.

-Je pense qu'elle doit savoir avant tout savoir s'adapter à chaque situation. Qu'elle doit savoir maîtriser ses paroles, sans quoi elle risquerait un incident diplomatique. Et enfin, qu'elle doit se sentir concernée par le peuple, sans quoi son titre ne pourra que nuire à celui-ci.

-Et pensez-vous être à la hauteur ?, réplique la Reine.

Ha ! J'en rirai presque. Je viens à l'instant de prouver que je n'ai pas le contrôle que j'aimerais sur mes propres paroles.

-J'espère pouvoir le devenir, mais j'ai encore besoin d'apprendre. J'y mettrai tout les efforts nécessaires.

Le Roi et la Reine me lancent un nouveau sourire.

Puis ils mettent fin à l'entretien, me laissant libre de sortir.

Je m'exécute, tâchant de sortir la tête haute et sans me précipiter vers la porte.

Je respire enfin une fois la porte passée.

Au fond du couloir, je vois Ilban, sans doute là pour vérifier l'état des Sélectionnées à leur sortie du bureau de son père.

Je réponds d'un sourire à son air interrogateur. Je lui fais un signe de main, avant de m'éloigner, rêvant de me blottir sous ma couette.

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