Devoir n°1


Souris.

Les commissures de mes lèvres se soulèvent immédiatement.

Trop forcé.

Infime changement. Mes yeux se plissent un peu.

Stupide.

Quelques modifications.

Parfait.

Je m'éloigne du miroir et étudie à nouveau ma tenue d'un regard critique. On me remarquera sans que ça ait l'air d'être voulu. Exactement ce que je voulais.

Maquillage : discret. Les gens préfèrent le naturel.

Et pour ma coiffure, je garde simplement les cheveux lâchés, pour avoir l'air détendue.

Tout est parfait.

À présent, je peux me concentrer sur mon attitude. Je m'installe à mon bureau, devant mon ordinateur allumé, en prenant soin de ne pas froisser mes vêtements.

L'écran affiche trois pages d'actualités différentes, auxquelles je jette un coup d'oeil pour ne pas me retrouver démunie si jamais une nouvelle récente est abordée.

Après avoir eu un aperçu des articles et imaginé une ou deux phrases à sortir pour chacune d'elles, mes yeux dérivent vers l'heure. 15H45. Il est temps d'y aller.

Attrapant une veste et un bouquet de fleurs au passage, je grimpe dans l'une de nos luxueuse voiture noire, sûrement prête depuis cinq bonnes minutes. Pas la plus chère cependant : Mme Martin, mon hôtesse de ce soir, aime la richesse. Pas qu'on lui montre qu'on est plus riche qu'elle.

Sans que j'aie besoin de l'en informer, mon chauffeur prend la direction du lieu de la soirée à laquelle je vais assister ; il connaît au moins aussi bien mon emploi du temps que moi.

Seule sur la banquette, je fais une dernière vérification de mon apparence. Un ou deux conseils de mes parents auraient pu être utiles, malheureusement ils avaient des obligations aujourd'hui, et me rejoindront directement à la fête.

Tandis que je constate que mon maquillage est toujours impeccable, je me remets en tête les réactions que je devrai avoir au moment du Bulletin, selon la situation ; si je suis Sélectionnée, de la surprise, paraître heureuse sans en faire trop, rester humble. Accepter poliment les remerciements, sans paraître victorieuse. Glisser quelques compliments à chaque fille présente. Si une autre fille dans la salle est Sélectionnée, applaudir, paraître sincèrement heureuse pour elle. Glisser un ou deux compliments et des encouragements, se faire bien voir de la potentielle future Reine. Aucune déception. Si c'est Dalhia, la fille de Mme Martin, ou la fille d'un politicien important qui est Sélectionnée, pareil mais rester un peu plus longtemps avec elle.

Enfin, si aucune des filles de la salle n'est choisie, applaudir aimablement, paraître heureuse pour la fille choisie, pas de déception, reprendre mes activités.

Quelques minutes plus tard, le chauffeur m'ouvre la portière devant la somptueuse maison de Mme Martin. Ce n'est pas pour rien si j'ai choisi d'accepter son invitation plutôt que l'une des dizaines autres. Mon hôtesse est l'une des femmes les plus riches de la région, avec de très nombreux contacts intéressants pour moi, qui bien sûr seront tous présents à cette soirée pour voir sa fille être Sélectionnée.

Evidemment, je connais déjà tout les dit-contacts, mais renouveler les liens n'est jamais de trop dans ce monde, où l'on a tendance à se faire facilement oublier si l'on n'y prend pas garde.

Le bouquet à la main, je prends garde à descendre de la voiture avec élégance, à remercier mon chauffeur, et à sourire aux personnes arrivées en même temps que moi.

Après un rapide balayage, je remarque du coin de l'oeil Zachary Bailey. Son père est un politicien réputé, sa mère une mannequin mondialement reconnue. Lui-même se destine à une carrière politique. Un excellent parti. Et qui m'apprécie déjà de surcroît. Si jamais je devais me trouver un mari un jour, il serait dans le haut de la liste de mes choix.

Mine de rien, je m'arrange donc pour croiser « accidentellement » son regard. Sourire aux lèvres, il s'approche alors de moi, laissant sa mère qui part dire bonjour à l'une de ses connaissances.

-Auriane, s'incline-t-il. Quelle joie de te voir ! Tu es magnifique aujourd'hui.

-Je te retourne le compliment.

Un sourire complice, calibré pour sembler un peu timide, et il me mange dans la main.

-Après toi, s'exclame-t-il en effectuant une révérence volontairement exagérée.

Je lâche un gloussement « adorable », et commence à remonter l'allée, tandis qu'il me suit, un grand sourire aux lèvres, certain de son charme. Peut-être est-il trop facilement manipulable pour être homme politique finalement. Ou alors ai-je vraiment bien joué mon coup ? Dans tout les cas, je donnerai une meilleure impression aux personnes présentes en entrant accompagnée.

A l'entrée, je remarque mon hôtesse saluer l'un de ses invités. Je m'avance aussitôt, agrandissant un peu mon sourire.

-Mme Martin, vous êtes resplendissante ! Mes fleurs vont avoir pâle allure à côté de vous.

-Auriane, tu n'es qu'une flatteuse !, lâche-t-elle en se retournant vers moi.

Je remarque cependant à son sourire un peu contenu que mon compliment a fait mouche.

-Ces fleurs sont absolument superbes !, elle fait signe à l'une de ses domestiques. Placez-les dans un vase, sur mon bureau. Tiens, tu es là aussi Zachary ! J'imagine que vous connaissez M.Moore ?

-Bien entendu. C'est un plaisir de vous voir.

M.Moore, un ami de mon père, m'adresse un grand sourire. Entre ces trois-là, je suis en terrain conquis.

Le temps défile, tandis que je circule de personnalité en personnalité. Aucune fausse note, tout se passe exactement comme je l'espérais. J'aperçus mes parents faire leur entrée une heure après moi, sans pour autant les rejoindre ; j'étais alors en conversation avec une femme politique que je n'avais jusque là que très peu croisée. Il m'a fallu user de beaucoup de charme, de charisme et d'apparente innocence pour finalement me la mettre dans la poche.

Finalement, quelques minutes avant le Bulletin – la véritable raison de notre présence à tous, tout du moins la raison officielle – les écrans géants placés de part et d'autre de la pièce s'allument.

Un silence relatif tombe sur la salle tandis que chaque jeune fille ayant envoyé sa participation au Palais rejoint ses parents.

Moi-même, je retrouve les miens un peu plus loin, en dessous de l'un des écrans.

La tension et l'excitation montent tandis que chacun égrène dans son esprit le temps restant avant l'annonce des Sélectionnées.

Laissant apparaître un peu de ma propre excitation – paraître insensible serait très nocif pour l'image que je me suis construite – j'attrape le bras de ma mère.

Mes parents m'adressent un sourire rassurant, alors que l'écran affiche désormais les images du Palais.

Gavril Fadaye, présentateur attitré de la famille royale, fait son entrée avec l'énergie que le caractérise.

Le silence est à présent complet dans la salle.

Gavril échange quelques mots avec le Prince, puis avec le Roi, la Reine et la Princesse.

-A présent, il est temps de découvrir les noms des Sélectionnées !, lance Gavril.

Il tient à la main les fiches portant le nom de chacune des jeunes filles qui vont rejoindre le Palais dans les jours à venir.

La tête du Prince apparaît en gros plan à l'écran. Analysant son expression, je remarque qu'il est nerveux – chose normale au vu de la situation – mais il le cache remarquablement bien.

Finalement, sa tête bascule à droite de l'écran tandis qu'apparaissent les premières photos des filles.

Aussitôt, je façonne mon expression de manière à ne pas paraître plus intéressée qu'il ne faut. Si je ne suis pas Sélectionnée, les gens pourraient penser ensuite que je suis jalouse de la fille choisie, et toutes les marques d'attention pendant la soirée seraient ensuite mal prises. Si je me débrouille bien, tous penseront que je suis sincèrement heureuse pour la nouvelle Sélectionnée, et me trouveront bienveillante et adorable.

-Mlle Lizia Elton, de Caroline, Caste 3.

Une jolie brune aux yeux verts s'affiche à côté du visage du Prince, qui sourit à la vue de cette première Sélectionnée.

-Mlle Célia Reaven, d'Ottaro, Caste 3.

Nouvelle photo, belle aussi.

Les personnes dans la salle commencent à danser d'un pied sur l'autre, à se tordre les mains, à se ronger les ongles...

-Mlle Alexandria Stovly, de Paloma, Caste 4.

-Mlle Lucy Valentia, d'Angeles, Caste 3.

-Mlle Alaska Queen, de Clermont, Caste 3.

-Mlle Léonie Allen, de Panama, Caste 3.

-Mlle Astéria Wenston, de Midston, Caste 2.

Un coup d'oeil dans la salle, et je remarque que toutes les jeunes filles présentes sont stressées au possible. Et ne parlons pas de la plupart des parents... Dont Mme Martin, qui fixe l'un des écrans comme si elle essayait d'y faire apparaître la photo de sa fille. C'est même certainement ce qu'elle est en train de faire.

-Mlle Auriane Atkins, de Likely, Caste 2.

Mon cœur fait un bon dans ma poitrine, et un sourire spontané né sur mes lèvres.

Aussitôt, je le cache de ma main avec pudeur, comme je l'avais prévu, pendant que mes parents me félicitent. Mon père m'embrasse sur le front et ma mère entoure mes épaules de ses bras.

Autour de moi, les gens applaudissent. Un grand nombre de filles ne parviennent pas à masquer totalement leur déception, mais la plupart des personnes ont l'air sincèrement heureuses pour moi – les efforts déployés un peu plus tôt pour plaire à tous n'ont pas été vains.

J'entends vaguement quelques noms du reste des Sélectionnées, mais la plupart sont noyés dans le bruit qui emplit maintenant la salle. Heureusement, dès demain, les sites présentant en détail chacune de ses filles – et moi avec – pulluleront sur internet.

Alors je délaisse l'écran, pour offrir un sourire « modeste et gêné » à chaque compliment et félicitation.

-Bon, au moins c'est toi qui as été prise, c'est déjà ça, me confie Mme Martin, une moue un peu dépitée aux lèvres.

De sa part, c'est un beau compliment. Un peu derrière, j'aperçois Zachary et deux ou trois autres garçons - que je soupçonne de beaucoup m'apprécier -, qui paraissent très déçus.

Le reste de la soirée, j'effectuais ce que j'avais l'intention de faire si j'étais prise ; sourire, remerciements, quelques compliments à chacun, surtout aux filles de mon âge.

Au moment où l'on me demande de faire un discours, je lance quelques phrases déjà prêtes depuis une semaine au bas mot, accompagnées de mon plus beau sourire, et l'assemblée est conquise.

Toujours pas de fausse note. Et je me dois de faire de même pour la suite.


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