Il avait merdé dans les grandes largeurs ! Quand sa mère était partie, son esprit avait commencé à se détacher de lui. Seulement, Lisa lui avait permis de se raccrocher aux branches. Alors au moment où elle aussi l'avait lâché, il avait totalement perdu pied.

Avec le recul, il avait conscience d'avoir trop tiré sur la corde. Comme s'il avait cherché à tester ses propres limites ainsi que celles de Lisa. Voir jusqu'à quel point pouvait l'amener son amour pour lui. Elle avait tenu plus que lui-même aurait pu supporter. Elle avait été son chevalier en armure, et lui l'avait cabossé laissant son cœur tel un champ de bataille. Quand il l'avait aperçu au bras de Gabriel au pied de son immeuble, il avait ressenti une peur irrépressible de la perdre.

Il ne voulait plus vivre une seule seconde sans elle. Sans son sourire, sa bonne humeur, ni même son sale caractère. Il ressortait frustré de leur entretien, mais cela aurait pu être pire, elle aurait pu lui coller son poing dans la figure.

Il allait lui montrer qu'il était prêt à se battre pour elle, pour eux. Cette fois-ci, il ne se cacherait plus et tant pis si cela lui faisait perdre Ayden. Cela ne serait pas facile, mais tout serait mieux que de vivre sans Lisa. Plus rien n'aurait de sens.

Ayden avait Lexie maintenant, il pourrait comprendre. Il avait mis un sacré bazar dans sa vie et dans celle de ceux qu'il aimait. Aujourd'hui, il allait s'employer à réparer tout ça. Avant de revenir, il avait eu une discussion à coeur ouvert avec son père. Tout à son chagrin, Jake avait oublié qu'il n'était pas le seul à avoir perdu quelqu'un qu'il aimait.

Son père avait non seulement perdu sa femme, mais aussi son amie, sa confidente et l'amour de sa vie. S'il venait à arriver quelque chose à Lisa Jake ne s'en remettrait jamais.

Pourtant son père se tenait encore debout. Tous les matins, il se levait, prêt à voir ce que la vie avait encore à lui offrir. Il comprenait maintenant pourquoi sa mère l'aimait autant. Nigel était un roc à toute épreuve. Seulement, même s'il paraissait fort en apparence, une lueur qui n'était pas là auparavant persistait désormais au fond de son regard. Jake pressentait que cette lueur ne le lâcherait plus.

Ils avaient parlé de Joy bien entendu, mais aussi de petits riens qui avaient contribué à faire d'eux ce qu'ils étaient aujourd'hui. Après une très longue conversation et beaucoup de liqueur, il avait quitté son père le cœur plus léger. Il n'était pas encore prêt à se recueillir sur la tombe de sa mère. Cela rendait tout cela trop réel.

Il alla chez Ayden avant de changer d'avis. Il était parti comme un voleur il y a un mois sans laisser ne serait-ce qu'un mot à son meilleur ami. Connaissant le caractère d'Ayden, il n'allait pas manquer de le lui faire remarquer.

— Tiens, mais qui voilà ! s'exclama un Ayden sarcastique.

Tout dans sa posture lui disait qu'il était en colère contre lui. Il se campait fermement dans l'encadrement de porte, les deux bras croisés sur son t-shirt blanc lui signifiant clairement qu'il ne comptait pas le laisser passer.

— Tu comptes me laisser entrer ou je dois forcer le passage ?

Après quelques secondes d'hésitation, Ayden se poussa, permettant à ainsi Jake de rentrer. Il se faufila avant que son ami ne change d'avis.

Ses yeux n'arrivaient toujours pas à se faire au mélange des genres dans son appartement. Le très austère Ayden Wide vivait à présent dans un océan de couleurs bariolées. Et de bibelots surannés.

— Lexie n'est pas là ?

— Non, répondit laconiquement son ami.

— Tu comptes tes mots aujourd'hui ?

— Venant de quelqu'un qui n'a pas donné signe de vie depuis un mois, c'est un peu ironique non ?

— Je suis désolé.

Il pourrait presque se le faire tatouer sur le front tellement il le répétait en ce moment !

— J'aurais dû donner des nouvelles, concéda Jake.

—Pour l'instant, j'ai un autre problème que tu as plutôt intérêt à régler.

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

— Écoute-moi bien, Andersen. Quand j'ai signé avec Lexie, j'ai aussi signé pour son gang de tarés. Donc lorsque ma chère sœur a débarqué chez moi en pleurs, c'est toute la clique qui a déboulé !

— Outch !

— Oui outch! Tous les soirs, c'est comment torturer Jake Andersen, noyé sous des mojitos, pesta Ayden.

— Et qu'est ce que tu veux que j'y fasse ?

— Règle ça ! L'ambiance soirée pyjama passe encore, mais non seulement ma sœur squatte ma chambre d'ami, mais ma copine s'écroule comme un poivrot tous les soirs !

— Ouh, je vois qu'on est tendu !

— Tu ne m'as pas bien compris, je crois, menaça Ayden en s'approcha dangereusement de lui. Je fais ceinture depuis que ma sœur est en déprime à case de TOI. Donc tu vas résoudre ce problème Andersen, et vite.

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

— Tu veux aller en discuter avec Nina ? D'ailleurs, je serais toi je surveillerais mes arrières. Cette folle a mis ta tête à prix ! Règle ce foutu bordel ! C'est clair ?

— Très clair !

Ayden avait l'air au bout du rouleau.

— Attends une minute ! Tu le savais ?

— Bien sûr que oui ! s'exclama Ayden. J'attendais, à tort visiblement, que tu me le dises.

— Et ça ne te dérange pas ?

— Lisa et toi vous êtes des adultes. Je ne vais pas dire que ça m'enchante, mais je n'ai pas à intervenir sur ce pan de sa vie.

— Je croyais que...commença Jake sans pouvoir clairement mettre des mots sur ses pensées tourbillonnantes.

— Sortir, non, coucher avec ma sœur pour l'accrocher à ton tableau de chasse durant son adolescence t'aurait sans doute valu les deux rotules cassées. Mais j'ai bon espoir que tu te sois assez assagi depuis, pour savoir ce que tu risques de perdre si tu foires. Ce que vu les grandes eaux que je dois gérer tous les soirs, tu n'as pas manqué de faire !

—Pourtant quand je t'ai appelé il y a trois ans, tu m'as assuré que tu ne me confierais même pas la sœur de ton pire ennemi.

—Jake, il y a trois ans, je n'aurais encouragé personne à me confier une femme à moi non plus. Tu as changé et j'espère vraiment que c'est grâce à Lisa.

— Oui. Seulement, j'ai merdé.

— Je n'arrive pas à croire que tu aies eu si peu confiance en moi jusqu'ici !

— J'ai eu peur que si tu ai dû faire un choix, tu la choisisses elle, avoua Jake piteusement.

— Nous sommes une famille, Jake. Ce que tu vis avec ma soeur ne me fait pas sauter au plafond. Mais tu le vis avec ma soeur, pas avec moi.

Ayden avait-il raison ? était-il différent du Jake d'il y a trois ans ? Oui, il était plus mûr. Il se sentait prêt à construire quelque chose, mais surtout à assumer ses choix. Restait maintenant à convaincre Lisa qu'elle était son seul et unique choix.

— Tu ne saurais pas où elle est par hasard ? demanda Jake.

Ayden eut un petit sourire qui ne lui dit rien qui vaille. Il s'approcha de Jake et posa sa main sur son épaule.

— Un jour, je t'ai dit que tu devrais affronter ces femmes. Comment tu les as appelés déjà ? « Un groupe de bonnes femmes », répondit Ayden narquoisement.

Jake déglutit.

—Tu veux prouver ta bonne foi ? C'est le moment !

— Ne me dis pas que...?

— Si, vieux. Bon courage !

Jake allait devoir affronter le gang au complet ! Punaise, Nina n'allait faire qu'une bouchée de lui. Il réprima un frisson d'effroi. Cette fille était complètement tarée ! Elle avait fait tourner Ayden en bourrique. Elle avait appelé Ayden toutes les nuits en se faisant passer une Mexicaine. Elle avait aussi crevé les pneus de sa voiture. Son ami avait frôlé la crise de nerfs.

Il plaignait sincèrement le pauvre homme qui tomberait sur cette fille !

— Oh, et Jake?

Il n'eut pas le temps de voir arriver le coup de poing avant qu'il n'atteigne son œil.

— Ça, c'est pour avoir couché avec ma sœur ! dit Ayden en se tenant la main.

Une fois l'agitation retombée, ils se retrouvèrent comme deux idiots sur le canapé. L'un avec de la glace sur la main et l'autre avec un sachet de petit pois sur l'œil.

Une bière devant eux signait la trêve. Voilà comment les hommes réglaient leurs différends. Pas de pleurs ni de cris. Un peu de douleur et une bière, et la vie continuait.

— Tu crois qu'un œil au beurre noir pourra l'attendrir ? demanda Jake en grimaçant sous la souffrance.

— Tu as plus de chance qu'elle t'en fasse un deuxième. Ça m'étonne qu'elle t'en ait pas déjà collé une d'ailleurs.

— Mon charme légendaire, Ay, répondit-il en lui faisant son sourire de tombeur de culottes.

— Aussi charmant qu'antipathique. À se demander ce qu'elle peut bien te trouver !

— Demande à Lexie, le nargua-t-il avec un clin d'œil.

Il savait qu'il jouait avec le feu, mais il aimait taquiner Ayden sur sa possessivité envers Lexie. Cette fille avait transformé son ami en Cro-Magnon doublé d'un canard. Il la suivrait jusqu'à la lune, si elle lui demandait.

— Ne me force pas à t'en coller une autre Andersen.

Si Ayden n'avait pas été avachi dans le canapé avec sa poche de glace à moitié fondue sur sa main, il l'aurait peut-être pris au sérieux.

— Ça t'a fait du bien ? demanda Ayden.

Il n'avait pas besoin de lui demander de quoi son ami parlait.

— J'ai lu et j'ai pêché.

— Tu détestes pécher !

— J'ai appris à revoir mes priorités.

Ils burent une gorgée de bières en silence. Sans doute chacun perdu dans le méandre de leurs propres pensées.

— Alors ? Lisa hein ? dit Ayden en brisant la quiétude.

La pente était glissante. Mais si Ayden leur donnait sa bénédiction, cela serait déjà un premier pas de fait.

— Qui pourrait la dompter à part moi.

— À se demander qui dompte qui ! ricana Ayden.

— Hé, laisse-moi l'illusion que j'ai encore le contrôle !

— En parlant de contrôle, elle est chez elle avec la bande de tarés.

— Tu sais que ta copine en fait partie, hein ? Contra un Jake narquois.

— Elle a d'autres qualités.

— Je ne vais pas y couper n'est-ce pas ?

Cette journée lui paraissait sans fin. Mais pas à pas, les non-dits se révélaient enfin.

— Même pas en rêve ! En ce moment, elles doivent être dopées à l'alcool brandissant des poupées vaudou à ton intention.

Jake bascula la tête contre le coussin du canapé et fixa le plafond. Les petits pois, maintenant totalement décongelés, faisaient couler de minuscules goulettes fraîches le long de sa joue avant d'atterrir dans son cou.

Il prit une grande inspiration et se prépara à se jeter dans la bataille. Restait à savoir si Nina allait lui laissait le temps de placer un mot avant de l'étriper !