Kim.

Six mois, c'est le temps qu'il me reste avant de quitter le lycée. Je mentirais en affirmant que cela ne m'effraie pas mais je n'ai pas tellement le choix après tout.

J'ai décidé de me lancer dans des études artistiques. Le manque de stabilité effrayait mes parents qui ont tout de même fini par accepter. Je leur en suis reconnaissante. 

En me levant ce matin je n'ai pas pu m'empêcher de zieuter la toile vierge au fond de la pièce. Afin que je n'entache plus mes propres vêtements, mon père m'a offert des combinaisons blanches, censées servir, en premier lieu, à son garage. J'aurais dû deviner qu'une fois la tenue enfilée on m'avait perdue, pourtant je me suis tout de même laissé tenter.

-Je n'aime pas cette couleur!

Rachel me fait tressaillir. Mon pinceau m'échappe des mains et s'étale au sol. La Black, installée sur les escaliers de secours, m'observe depuis la fenêtre ouverte de ma chambre.

-Je dois avouer que parfois je ne sais pas si je t'aime ou si tu me fais totalement flipper!

La concernée glousse,

-C'est l'effet que je produis sur la plupart des gens.

-Depuis combien de temps tu la joues-tu stalker?

Elle entre pour admirer l'œuvre de plus près.

-Depuis assez longtemps pour savoir que si cette fichue école ne t'accepte pas, je les pourrirai jusqu'à qu'ils ferment leurs portes! C'est magnifique Kimmy, comme d'habitude.

Je la remercie d'un hochement de tête timide. Je suis sûrement la seule artiste à vouloir absolument dévoiler ses créations tout en les dissimulant le plus possible au regard d'autrui. Mon amie ouvre en grand mon armoire avant de s'esclaffer,

-C'est bien beau tout cela mais il serait peut-être temps que tu t'habilles Michelin. J'ai beau avoir conclu un marché avec Jacob, il ne nous attendra pas plus de dix minutes.

-Comment as-tu réussi à le convaincre de nous conduire tous les matins en cours? Jake est adorable certes mais tout de même.

Ses yeux s'arrondissent à l'entente du qualificatif "adorable". Mon amie pousse un long soupir,

-Les enfants uniques je vous jure...

Son bras droit vient s'enrouler autour de mes épaules.

-Tu sauras bichette, que chaque grande sœur a un don pour découvrir ce que son démon de petit frère souhaite cacher à ses parents. Dans mon cas, j'ai en ma possession plus d'une information croustillante que mon père serait ravi d'entendre. Et, bien que déclencher la troisième guerre mondiale à notre domicile pourrait être distrayant, je préfère utiliser mes sources avec plus de...

Rachel songe quelques instants au terme approprié. Un sourire se glisse sur ses lèvres.

-d'ingéniosité Kim, IN-GÉ-NIO-SI-TÉ!

Je sélectionne brièvement une tenue avant d'entraîner mon amie vers la sortie.

-Et si ton ingéniosité et toi m'attendiez au salon?

Je ferme derrière elle et ris malgré moi en l'entendant se plaquer contre la porte,

-Pas moyen il faut absolument que je te raconte mon rencard d'hier!

Elle me murmure les détails sordides de sa soirée sans retenue. Bien que cela ne fasse qu'un an, j'ai parfois l'impression que nous sommes des amies de longue date. Je tapote du pied contre la porte pour lui faire comprendre qu'elle peut ouvrir sans pour autant interrompre son histoire.

-S'il fallait donner une définition du mot torride ce serait cette nuit!

-C'est bien beau tout cela, mais est-ce que tu comptes la revoir au moins?

-Nope.

Je roule des yeux. Nous saluons mes parents avant de quitter l'appartement.

-Quoi? s'esclaffe-t-elle. Tu sais très bien que les confessions interminables et les surnoms mielleux, ce n'est pas mon truc. J'ai vu cette fille au popotin extraordinaire, c'était cool et la semaine prochaine j'en verrais peut-être une autre. Nous ne voulions pas de prises de tête l'une comme l'autre, tout le monde est gagnant dans cette histoire!

L'ascenseur nous ouvre ses portes.

-C'est vraiment ce que tu veux?

Elle approuve.

-Je suis ravie pour toi dans ce cas.

La concernée ébouriffe mes cheveux puis me remercie. De loin, j'aperçois à l'angle de ma rue son petit frère et...

Je me penche discrètement vers Rach,

-Qu'est-ce que Paul Lahote fait sur le siège passager?

La question l'amuse.

-Figures toi que cet idiot a une nouvelle lubie pour ma personne. Il me suit comme mon ombre.

-Effrayant. Tu comptes lui dire que tu es branchée filles?

Elle désapprouve.

-Je ne mettrais pas mon secret en péril pour ce type, surtout que d'ici deux semaines il martyrisera sans doute quelqu'un d'autre. Et puis, je dois avouer que c'est amusant de le voir ramer pour une fois.

J'hausse les épaules. C'est à elle de décider de toute façon. Elle n'a pas totalement tort sur le fait qu'il soit volage.

-Au fait Kim, retiens bien que je lui ai confié que j'aimais le bleu.

J'arque un sourcil. Elle ne m'offre pas davantage d'explications et entre dans la voiture. Je remercie Jacob de nous conduire tout en m'attachant.

-Bonjour beauté!

La frimousse du Lahote se matérialise soudain entre les deux sièges avant. J'étouffe un rire. De son sweat azur à ses baskets, sa tenue est intégralement recouverte de bleu. Ses intentions sont claires comme de l'eau de roche. Nous échangeons un regard en biais, Rachel se mord la lèvre pour ne pas pouffer.

Le trajet est bercé par les chansons qui défilent à la radio. Je connais peu les deux garçons alors je n'ose pas vraiment m'exprimer. Ma timidité s'est restreinte au fil du temps mais reste toujours profondément ancrée dans ma personnalité.

Sur le chemin, j'aperçois le reste de leur bande d'amis qui sautent depuis la falaise. Je ne pourrai décrire l'effarement ressenti la première fois que j'ai assisté à la scène. Je n'ai pas pu poursuivre ma route avant d'être assurée que ces inconscients étaient revenus sur la terre ferme. A présent ce spectacle est devenu si commun que je ne stoppe plus mon vélo pour le regarder.

Le Black trouve, non sans difficulté, une place disponible sur le petit parking de notre lycée. Je ne manque pas de le remercier une dernière fois avant de descendre.

Rachel vient croiser son bras autour du mien tandis que nous arpentons les couloirs du lycée de la réserve. Une fois seule, elle s'esclaffe enfin,

-Un véritable power ranger, c'est pas incroyable!

Je glousse,

-Ne me lance pas, j'ai eu beaucoup trop de références cinématographiques à l'esprit en le voyant! Un peu plus et Paul se teignait aussi les cheveux, je ne parierai pas sur deux simples semaines à ta place.

Elle hausse les épaules,

-Qui sait?

Jared.

Accoudés à nos casiers, je discute avec les garçons de la meute.

Je ne les fréquentais pas vraiment avant ma transformation seulement les choses ne sont plus les mêmes à présent.

Autrefois je côtoyais plusieurs cercles d'amis à la fois sans réellement avoir d'attaches. Maintenant je ressens le besoin de rester avec eux. Ils sont les seuls à pouvoir comprendre ce que je traverse en ce moment.

-Elle est là! je m'exclame.

Kim et Rachel font leur apparition. Embry lève les yeux au ciel.

-C'est vraiment pathétique de s'intéresser à elle seulement à cause de l'imprégnation, soupire-t-il, je suis sûr que tu n'aurais jamais pensé à lui adresser la parole sans.

-Dit celui qui ne s'est jamais imprégné de personne, se moque Paul. On en reparlera quand tu sauras ce que ça fait.

-En tout cas je ne me comporterai pas comme un ex dont on ne peut se débarrasser avec la mienne.

Le Lahote se tourne vers Jacob pour qu'il le défende,

-C'est vrai que ton comportement avec ma sœur est parfois un peu...

-Un peu?

-Disons...excessif.

Captivé par les mimiques de mon âme sœur, je ne prête pas attention à leur conversation.

Je me suis imprégné de cette fille il y a près de trois semaines maintenant. Je la connaissais de vue. Nous avons sûrement échangé quelques fois pourtant je suis incapable de me remémorer une seule réelle discussion avec elle en dix ans. Nous côtoyons les mêmes couloirs depuis l'enfance sans jamais penser à se côtoyer l'un et l'autre.

Depuis cet épisode je n'arrive pas à l'aborder. C'est bien la première fois que le trac surpasse ma sociabilité.

-Tu es prêt? me questionne Quil.

J'hoche la tête, si je ne me lance pas tout de suite, je ne le ferai jamais. Je suis tendu comme un ressort. Ma démarche n'a rien de naturelle. Ma voix ne se décide pas à se manifester, par lâcheté je préfère interpeller sa copine. Je connais Rachel depuis des décennies, quand j'étais petit sa mère me gardait souvent.

-Je vous laisse, déclare Kim, je vais être en retard pour mon cours de biologie.

Médusé, je me retrouve figé comme un imbécile, incapable de lui demander de rester. Une main vient soudain se poser sur mon épaule. A ma plus grande surprise, c'est Embry qui sauve la mise.

-Kim?

La concernée se tourne.

-Ça te dirait de venir à la soirée de Paul samedi soir?

Mon imprégnée pèse intérieurement le pour et le contre avant d'approuver,

-Pourquoi pas.

Le Call m'adresse un clin d'œil avant de s'éclipser. Samedi soir ce sera à mon tour d'entrer en jeu. Je ne peux terminer le lycée sans avoir appris à la connaître.