Chapitre 14
Je crois que je vais me rappeler pour le restant de mes jours cette date. Le 4 février. J'étais en train de panser une plaie lorsque j'ai entendu le bruit des premières bombes qui sont tombées. Au début, je ne comprenais pas ce qui se produisait et croyais qu'il n'y avait eu qu'un accident. Ce n'est qu'en voyant le regard affolé de Daëlle que je me suis aperçue qu'il se passait quelque chose de sérieux.
En ce moment même, je suis cachée au sous-sol avec une centaine de personnes. Des infirmières, des malades, des concierges... Nous sommes tous coincés comme des sardines et nous entendons encore les multiples bombardements. J'ai l'impression que cela ne finira jamais; voilà plus de vingt minutes que le sol tremble sans arrêt. Pour l'instant, l'hôpital a été épargné, ce qui fait en sorte que ceux qui n'ont pas eu la chance de se mettre à l'abri sont encore saufs.
Cela fait presque deux jours que je n'ai pas vu Féliks. Je m'inquiète à son sujet, car même s'il est presque guéri, il n'a probablement pas eu le temps de se rendre au sous-sol étant donné que sa chambre est loin de tous les escaliers y menant.
Il est facile d'oublier que la guerre fait rage dans d'autres villes lorsque l'on vit à Vertis. Il est vrai que j'entends parfois d'autres infirmières parler de l'avancée des troupes adverses, mais, somme toute, cela est un sujet sensible et peu discuté.
Étant donné qu'il me reste tout au plus une semaine ou deux avant de terminer ma formation, je ne sais pas ce que l'avenir me réserve. Vais-je rester à Vertis ou non? Selon les dégâts et le nombre de personnes blessées, il se pourrait que les infirmières de l'hôpital aient besoin d'un surplus de main-d'œuvre.
Me voici de nouveau en train de penser à Féliks; qu'adviendra-t-il de nous deux si je pars loin de lui? Même si nous n'avons pas commencé notre amitié sur une note positive, je crois qu'un lien très fort nous unit maintenant. Je ne dirais pas que j'ai des sentiments amoureux pour lui, mais je sais très bien que si je ne le voyais plus, j'en éprouverais une profonde tristesse. C'est comme si une partie de moi resterait avec lui. Après tout, nous avons passé de nombreuses soirées dans sa chambre à parler et à se confier l'un à l'autre. C'est bien le seul être humain dans l'hôpital à réussir à me fâcher pour ensuite me faire rire la seconde d'après. Je ne lui confie peut-être pas tous mes secrets, mais il en sait suffisamment sur moi pour reconnaître les moments où j'ai besoin d'avoir son attention.
Pendant que je pense à Féliks, je ne remarque pas un homme qui se lève et se dirige vers le milieu du sous-sol. Un concierge, ne se souciant pas des personnes qui l'entourent, commence à chanter à voix basse. Petit à petit, les gens se taisent afin d'entendre ce qu'il dit. Encouragé par son nouveau public, il prend de l'assurance et élève sa voix:
Quand les hommes vivront d'amour,
Il n'y aura plus de misère
Et commenceront les beaux jours
Mais nous, nous serons morts, mon frère
Quand les hommes vivront d'amour,
Ce sera la paix sur la Terre
Les soldats seront troubadours,
Mais nous, nous serons morts, mon frère
Mais quand les hommes vivront d'amour,
Qu'il n'y aura plus de misère
Peut-être songeront-ils un jour
À nous qui serons morts, mon frère
Nous qui aurons aux mauvais jours,
Dans la haine et puis dans la guerre
Cherché la paix, cherché l'amour,
Qu'ils connaîtront alors mon frère
Quand les hommes vivront d'amour,
Il n'y aura plus de misère
Et commenceront les beaux jours,
Mais nous, nous serons morts, mon frère
On entendrait une mouche voler. Ce qui est à la fois un message sombre en est aussi un d'espoir. Après quelques minutes, des femmes recommencent à pleurer, tandis que d'autres se recroquevillent encore plus sur elles-mêmes. Ces paroles me font réfléchir. Jusqu'à quel point devrons-nous souffrir avant que tout redevienne comme avant? Après réflexion, je crois qu'il est impossible de revenir à la case départ. Pas après tout ce que nous sommes en train d'endurer. Je perds mon innocence. Je suis témoin de choses qu'une fille de mon âge ne devrait jamais voir. En vérité, personne ne devrait jamais être victime de la guerre. Malheureusement, tout ce qui se passe est hors de mon contrôle et je n'ai plus qu'à assister, de manière impuissante, à ce qui se déroule sous mes yeux. Il ne reste plus qu'à espérer que cela se termine au plus vite.
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Chapitre plus court qu'à l'habitude... La chanson est Quand les hommes vivront d'amour de Raymond Lévesque. LES PAROLES NE M'APPARTIENNENT PAS. Afin que la chanson ne soit pas trop longue dans mon histoire, j'ai dû enlever trois des huit paragraphes. Je tenais à utiliser une chanson québécoise pour souligner l'endroit d'où je viens. Est-ce que vous, chers lecteurs francophones, l'avez déjà entendue?
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