Chapitre 6

Lila :

Le vent fouettait mon visage alors que je courrai à toute vitesse vers l'ADL. Je devais arriver là-bas rapidement, tout de suite même. Joanna. Si je venais à la perdre, je ne pensais pas m'en relever un jour. Depuis que j'ai.. et il revint dans mon esprit. Lui. Alors que je ralentissais ma cadence à des petites foulées, l'adrénaline retomba un peu dans mes veines. Il fallait que je réfléchisse. Impérativement. Comment Matthew pouvait-il connaître le cousin de Lucas ? Après réflexion, je n'avais jamais connu la vie de mon grand frère. Du haut de ses vingt-et-un ans, je n'en avais que quatorze. Il rentrait tard ou pas du tout. Cela aggravait l'anxiété chronique de ma mère et la vie à la maison devenait insupportable. Est-ce que tout cela avait libéré maman d'un fardeau ? Quand elle avait mis fin à ses jours durant ce doux soir de juillet, avait-elle eu des regrets ? Je secouai la tête. Matthew avait toujours été un fils ingrat et pourtant, comme une mère continuerait à le faire toute sa vie, maman l'aimait plus que tout au monde. Je serrai les poings en arrêtant mon trot à une dizaines de mètres du QG de l'ADL. Je chassai ces pensées hypothétiques de ma tête. En parlant de tête, j'avais arraché ma perruque brune, elle commençait à me gratter. J'inspirai un grand coup et entrai dans le bâtiment. Si cet intrus cherchait un opposant, qu'il vienne me chercher. Je comptai bien lui faire payer son imprudence. Alors que je marchai à pas de loup à travers les couloirs sans vie de l'agence, mon sang se glaça. Une longue trainée de sang traversait le couloir en direction de l'une des chambres. Une explosion retentit et envoya une trainée de verre brisé dans ma direction. Je me baissai à temps mais sentit quand même un morceau tranchant m'entailler la joue. Je dégainai mon revolver d'un simple mouvement, en garde. Le seul son qui me parvenait était le battement de mon coeur dans ma poitrine. Je fis un pas brusque dans la pièce. Personne. Pas un corps. Rien. Les traces de sang s'arrêtait jusqu'à la salle de bains, où le rideau était tiré. Nul besoin d'aller vérifier, je savais déjà à quoi m'attendre. Alors que je m'apprêtai à étendre ma zone de recherche plus loin, le bureau attira mon attention. Quatre cadres photos se succédaient. Je m'approchai.

- Lucas.. murmurai-je en attrapant le premier cadre du bout des doigts.

Il devait avoir cinq ans et était hissé sur les épaules d'un grand brun à la carrure athlétique et au sourire éclatant. Ils avaient tout deux les mêmes yeux noisette et la même peau tannée.

- Alors c'est toi, le fameux Victor.

Je reposai le cadre et observai les trois autres à tour de rôle. Toutes ces photos étaient prises avec les deux mêmes personnes, à des endroits différents. La seule personne qu'il avait. En me reculant, je remarquai qu'un cinquième cadre avait été brisé par terre et que la photo en avait disparue. Quelque chose fit alors irruption dans ma tête. La chambre de Lucas. Une photo volée. Je me précipitai vers la salle de bains et tirai le rideau. Le corps sans vie de Mich était plongé dans une eau bouillante. La marque de la balle qui l'avait tué était visible et me procura une nausée instantanée. Non... non. C'était impossible. Une rage indescriptible et sans aucune explication m'emplit. Qui avait osé..

Lila ? Chuchota l'accent de Lucas.

Sa voix bloqua toutes mes articulations. Non. Il ne fallait pas qu'il voit ça. Je ne l'accepterai pas. Je fis volte-face et sortit de la salle de bains pour me retrouver nez-à-nez avec lui au milieu de la chambre. Ses sourcils se froncèrent et ses poings se serrèrent à la vue de mon visage.

- Qu'est-ce que tu.. commençai-je.

- Qui t'as touché ? Siffla t-il en essuyant le sang qui coulait de ma joue.

- Personne.. balbutiai-je en essayant de le pousser hors de la pièce.

Il ne bougea pas d'un pouce. Il haussa un sourcil en penchant la tête pour me regarder.

- Tu es encore énervée ? Écoute, je ne t'ai pas suivi pour te suivre mais c'est également là où je vis et.. et puis je tiens à dire que tu es entrée par effraction dans ma chambre donc..

- Super, Lucas. On peut parler de ça dehors ?

- Pourquoi ? Ma chambre est super bien sécurisée. D'ailleurs, la salle de bains est insonorisée, tu devrai aller vo..

- Je déteste les salles de bains ! En fait, je suis anti salles de bains.

- Ah.. ah ? On peut rester ici, alors. Assis-toi sur la chaise de bureau, dit-il en se dirigeant vers le bureau.

Il sursauta alors en remarquant la trainée de sang sur le sol et le cadre brisé.

- Lila.. c'est quoi ce bo..

J'attrapai son visage entre mes mains, mon regard planté dans le sien.

- Je peux savoir ce que tu essayes de..

- Ne regarde que moi, compris ?

Un sourire étira ses lèvres.

- Ça ne devrait pas être trop compliqué, mi comadreja roja.

Je gardai mon regard fixe. Enfin, pour être honnête, je me noyai dans ses yeux. J'en étais presque à oublier mon désir de sortir Lucas d'ici. Je ne voulais pas qu'il voit Mich. Pas maintenant. Un intrus courrait toujours et je.. je ne voulais pas qu'il éprouve cette sensation. De rentrer chez soi et de trouver la personne que vous aimiez le plus au monde sans vie sur le sol.

- Lucas, sortons d'ici.

- Insinues-tu que je pue ? Plaisanta t-il.

Mon coeur se serra un peu plus. Devais-je le lui dire ? Lui cacher ?

- C'est vrai que maintenant que je renifle ici, ça schlingue..

Il fit un pas vers la salle de bains. J'agrippai son tee-shirt pour essayer de le retenir.

- Lucas ! Attends !

- Ça vient d'ici ! C'est encore Jonas qui a utilisé ma salle de bains sans me préven..

Et sa phrasa mourra sur ses lèvres. En même temps qu'une partie de lui, j'en étais certaine. Je restai silencieuse, la main encore accrochée à l'arrière de son tee-shirt. Un sanglot étouffé et le son d'une goutte qui s'écrasait sur le sol me parvinrent. Mon coeur sembla s'éteindre dans ma poitrine en même temps que le sien. Une envie de le prendre dans mes bras pulsa dans mes veines mais je ne bougeai pas d'un pouce.

- Je suis désolé, murmura t-il. 

Je fus prise au dépourvu et bégayai rapidement.

- Ne t'excuses pas, c'est normal de pleurer..

- Pas pour ça, mais pour ce que je m'apprête à faire.

Il fit volte-face et m'étreignit. Cette étreinte était urgente et douloureuse. J'enroulai immédiatement mes bras autour de son cou en enfouissant mon nez dans son épaule. Ses bras étaient serrés autour de ma taille et son nez était niché contre ma joue. Sa respiration rebondissait contre la peau de mon cou. Ses inspirations étaient saccadées et vives. Comme s'il ne pouvait plus respirer. Comme si tout l'air du monde n'arriverait pas à remplir ses poumons. Comme si la douleur cadenassait ses bronches, l'empêchant d'avancer plus loin dans la vie.

- Je suis là, tu peux me parler ou pas, mais je suis là. J'aurai voulu être là à l'époque alors je serai là autant de fois qu'il le faudra, chuchotai-je.

Son sanglot fut d'autant plus bruyant. D'autant plus déchirant. Il fallait quelque chose qui comble son coeur à présent vide. Vide et sans âme. Je reculai d'un léger pas et posai la main sur son torse, à l'endroit où son coeur battait avec faiblesse.

- Je sais que tu n'ouvriras pas cette porte avant un long moment de recueillement, mais quand tu te sentiras prêt, je serai prête à prendre cette place. Pour toi.

Ses yeux marrons embués de larmes me regardèrent avec tant de peine que je manquai de me mettre à pleurer avec lui. Pourtant, c'était hors de question. Je devais être forte pour lui. Il pencha légèrement la tête vers moi et je remarquai ses longs cils et son nez parsemé de tâches de rousseur. En cet instant de douleur intense, il n'avait jamais été aussi beau.

- Je dois être ridicule, Lila, lâcha t-il en baissant la tête.

Je secouai la tête en relevant son menton.

- Je t'informe alors que tu as reçu la chance extrême d'être sublime, même en pleurs. Digne d'un prince dans les films, souriais-je doucement.

- Donne-moi un baiser, alors.

Je déglutis légèrement en l'observant. Son visage barbouillé de larmes eut raison de moi. Je m'avançai et déposai un doux baiser sur ses lèvres. Il arqua le dos pour me serrer un peu plus fort contre lui, ses lèvres plaqués sur les miennes. Je reculai d'un petit pas et un léger sourire illumina les traits de Lucas. Badoum. Il s'écarta alors de notre étreinte et marcha lentement vers la baignoire. Il s'agenouilla et embrassa le front de Mich. Il murmura quelques mots que je n'entendis pas et que je ne voulais pas entendre. Cela restait entre lui et l'âme de son père qui montait au ciel. Il se releva et prit une grande inspiration. Il dégaina son revolver et le chargea.

- Qu'importe celui qui l'a tué, il mourra de ma main. Je veux que tu le jures, Lila, me dit-il, dos à moi.

Je soufflai légèrement.

- Libérons d'abord les otages, réfléchissons à sa torture après.

Lucas eut un petit sourire, les yeux encore bouffis.

- Nous sauverons Joanna, je te le jure sur ma vie.

- Ne joue pas avec ta vie comme ça, tu pourrais finir par me manquer.

Alors qu'il allait me répondre quelque chose, un hurlement brisa le cocon que nous avions tissé durant les dix dernières minutes. Un hurlement strident et déchirant. Joanna.

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