Chapitre 4

Lila :

Je sirotai mon bubble tea nerveusement, la tête prête à exploser alors que Nate me blablatait dans les oreilles en faisant cliqueter son stylo à répétition.

- Ici je pense qu'on devrait insérer une conclusion, ou peut-être l'introduction, c'est un peu similaire non ?

- Y'a des moments où tu la boucles, Nate ?

Il s'avachit un peu plus dans son siège, haussant les sourcils.

- Tu es encore fâchée que je sois arrivé en retard ? Écoute, je t'ai prévenue au moins..

Pour être prévenue, j'ai été bien prévenue. Plus que je ne l'aurai voulu.

- Quelle intention admirable de ta part, sifflai-je en prenant une nouvelle gorgée.

Le sirop de mangue coula dans ma gorge lentement, me laissant le temps de réfléchir à ma prochaine réplique.

- Je ne..

- Lila, je comprends que tu sois sur les nerfs mais il faut absolument que je termine ce projet rapidement, j'ai entraînement dans quarante-cinq minutes et..

- Entraînement ? M'étonnai-je en le regardant. De quoi ?

- Judo. Si j'arrive encore en retard, je n'imagine pas la colère du père de Lucas..

Une toux violente me secoua quand la gorgée que je venais d'ingurgiter vint s'infiltrer dans ma trachée. La simple mention de son nom m'obligea à avaler ma salive plusieurs fois.

- Excuse-moi ? Le père de Lucas ? Tu blagues, j'espère ?

- Pourquoi je blaguerais sur ça ? Je vois même pas comment faire une blague là-dessus..

La blague, c'est que c'est impossible. Totalement impossible. L'ADL ne recrute que des jeunes qui n'ont plus personne, qui sont jetés à la rue pour n'importe quelle raison. Entre autre, les orphelins constituent 90% de l'Agence. Or, Lucas était 008. Il n'y avait aucun doute là-dessus, sinon je ne serai pas dans cet état. Je me penchai au dessus de la table vers Nate.

- À quoi ressemble t-il ?

- À un père tout à fait normal, chauve, grand, et a la patate. Pas seulement en général, mais quand il te fait une prise, tu la sens bien passer.. soupira t-il avec une grimace.

Un visage apparut dans ma tête. Mich Johnson. Mentor n°4 de la section 18-24 ans de l'ADL. Ma main à couper que c'était lui qui se faisait passer pour le père de Lucas devant Nate. Pourtant..

- Mais.. c'est son père adoptif, rajouta Nate.

- Ah oui ? Demandai-je, les yeux brillants de malice.

La réalité, c'est que la curiosité me rongeait. 

- Je ne sais pas trop si je devrai te le dire..

Je l'observai en croisant les bras, le dos collé à ma chaise.

- Tu n'as pas besoin de me le dire, je le sais déjà. Il m'en a parlé.

- C'est pas vrai ?! Tu sais que ses parents sont morts quand il avait cinq ans ? Et que son cousin Victor s'est fait tué quand il avait quatorze ans ??

Je clignai des yeux, le cerveau assailli d'un tas d'informations d'un seul coup. J'étais surtout surprise qu'il ait mordu à l'hameçon aussi facilement..

- Hum.. ouais.

- Purée, je pensais être le seul à le savoir ! Les potes avant les filles qu'il disait.. Grommela t-il en reculant sa chaise.

- Je crois qu'on a terminé, Nate, lâchai-je simplement en rangeant mon bloc-notes dans mon sac, la tête embrouillée.

- Sérieux ?! T'es la meilleure ! S'écria t-il en rassemblant ses affaires et en filant dehors.

Je marchai lentement hors de la bibliothèque, les sourcils froncés. Alors.. le seul parent de Lucas, supposément son cousin, s'était fait tué à ses quatorze ans. C'était pour cela qu'il avait disparu. C'était pour cela que mon amour de collège s'était volatilisé du jour au lendemain, sans un seul au revoir.

Lucas :

C'était impossible. Tout simplement impossible. Imposible. Alors que je tournai en rond dans ma chambre depuis déjà une heure, Mich effectua un léger toc à ma porte. Je m'arrêtai en le regardant. C'était un grand dadais, dans le mètre quatre-vingt dix, chauve, une copie bien faite de Mr. Propre en somme.

- Oui ?

- L'entraînement commence dans dix minutes, en espérant que la crevette arrive à l'heure.

Je soupirai.

- Je peux.. me faire dispenser cette semaine ?

Mich fronça les sourcils.

- Pourquoi donc ? Tu es malade ? S'écria t-il avec son fort accent marseillais.

- Non, mais.. je me sens comme tel.

Je ne mentais pas, ma peau était recouverte d'une chair de poule désagréable, ma bouche était pâteuse et ma tête semblait prête à se décrocher. Je m'asseyais sur mon lit, la tête entre les mains. J'entendis Mich se rapprocher de moi.

- Qu'est-ce qui ne va pas, bonhomme ?

- Tout.

- Ça, c'était du précis, bravo mon garçon !

- Tu te rappelles de.. ce gars ? Matthew Johansson.

Mich se gratta la tête quelques secondes avant de me regarder de travers.

- L'enflure qui a tué Victor ? Un peu que je m'en souviens. Si tu l'avais pas envoyé en taule, je lui aurai arraché tout les os avec une petite cuillère.

Quand il prononça le nom de mon défunt cousin, une aiguille de plus se planta dans l'énorme boule qui s'était formée dans ma gorge. J'avais la tête baissée, les yeux fixés sur le sol.

- Mich.. je ne t'ai jamais dis ce que j'avais fais après l'avoir envoyé en prison, murmurai-je.

- De quoi parles-tu ?

- Tu sais à quel point je voulais venger Victor. Ma seule famille. La personne qui comptait le plus pour moi.

- Lucas, qu'as-tu fais ? Gronda mon mentor.

- Je me suis arrangé avec l'un de ses gardes pour que son premier repas en taule soit une dose de 500 mg de cyanure.

Au moment où ces mots ont quitté mes lèvres, je sentis un poids s'écrouler hors de mon dos, mais la boule grossissante dans ma gorge me rattrapa plus vite que je ne le pensais. Mich resta silencieux, la main posée sur mon épaule.

- Et.. cette fille. L'agent 002. Pas besoin de me dire une nouvelle fois que tu ne me diras rien sur elle, pas même son identité. Je n'ai pas eu besoin de toi pour ça, padre.

Je pris une nouvelle inspiration.

- Lila Johansson. Aka, numéro un ex-aequo avec moi dans le classement de la fac. Agent 002 de l'ADL. Et partage une tâche héréditaire dans l'oeil droit avec son défunt frère, Matthew Johansson.

Cette tâche fut celle qui brillait de rage dans les yeux de l'homme que j'avais envoyé en prison et tué de plein gré pour m'avoir arraché tout ce qui me restait. Mais cette tâche était également celle présente dans le regard de la femme qui me faisait perdre la tête depuis quatre ans. Et le simple fait de n'avoir rien, mais alors rien, remarqué me rendait fou. Totalement fou.

- Lucas, murmura Mich.

- Je suis désolé, tellement désolé.

Il resserra sa prise sur mon épaule.

- L'amour fait pleurer, l'amour fait vomir, l'amour fait trembler. Mais l'amour se cultive de tout, sauf des remords, me chuchota t-il en caressant mes bouclettes brunes.

Un pas hors de la route tracée se rattrapait en revenant sur le droit chemin, sauf que mon chemin semblait conduire droit aux Enfers. 

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