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Il y avait des jours où se réveiller était la plus grosse épreuve à traverser de la journée. Parfois, on rêvait de couper toutes les alarmes, d'éteindre notre téléphone et de dormir en espérant ne pas se réveiller, ou du moins que notre vie n'était qu'un affreux cauchemar.
Malheureusement, ce genre de chose n'était pas permis à l'homme car ce crétin avait décidé que pour vivre, nous devions de l'argent à quelqu'un que nous ne connaissions pas, à la base l'argent était un truc en bronze qui est devenu du papier qui est devenu... rien. Un truc virtuel, même pas palpable. Et pour avoir ce truc qui n'existe même plus, il fallait travailler. Autrement, nous ne valions rien.
Comme je ne voulais pas être considéré comme un moins que rien, j'avais fait des études et j'avais trouvé un travail.
Malheureusement, l'homme avait créé quelque chose d'encore plus stupide. L'amour. Ou en tout cas, l'avait créé mais ne l'autorisait qu'à certaines personnes.
Si tu peux faire des enfants ensembles naturels, que tu ressembles au stéréotype féminin et ton partenaire au stéréotype masculin, que vous vous mariez, que vous avez une bonne situation financière (que vous faites beaucoup de truc qui n'existe pas), bravo, vous êtes le bienvenu au milieu de la mélasse d'humains plus cons les uns que les autres.
En revanche, si tu peux faire des enfants naturellement mais que tu ressembles aux stéréotype masculin tout comme ton partenaire, tu n'es pas le bienvenu.
Si tu n'as pas beaucoup d'argent, tu n'es pas le bienvenu.
Si tu as des enfants sans être marié, tu n'es pas le bienvenu.
Si tu es homosexuel, tu devrais te suicider. Tu n'es pas le bienvenu sur Terre.
J'avais la bonne situation financière et professionnel, le look stéréotype masculin idéal, une famille à peu près normal, ma mère vivait bien, mais j'étais homosexuel. Et la société comptait me le faire payer... Maintenant !
- Entrez Hyunjin, lança la patronne sans me lancer un regard.
Mes horribles cernes trahissaient mes insomnies à répétition, les cheveux qui étaient restés coincés dans mes doigts lorsque j'avais essayé de les recoiffer un peu trahissaient mon angoisse et anxiété.
Seungmin n'avait pas réussi à tenir sa langue.
Bien sûr que non, c'était trop beau !
Le petit diplômé beau gosse que la boss rêvait de se taper était en fait un putain d'homo de merde, il fallait que tout le monde soit au courant. Peut-être espérait-il faire plus d'argent et être encore mieux accueilli par la société, même si cela comprenait ma longue descente aux enfers.
Ma patronne s'était assise sur son bureau, les bras croisés sur sa poitrine, les lunettes sur le bout de son nez, les lèvres pincées. Elle avait cherché ses mots durant quelques secondes avant de lâcher un lourd soupire qui me fit déglutir.
- Écoutez, je ne vais pas y aller par quatre chemins. J'ai entendu des... Rumeurs.
J'avais nettoyé mes mains terriblement moites sur mon pantalon. Je préférais avoir les mains pleines de sueur que de me mettre à pleurer comme un faiblard.
- Des rumeurs qui peuvent ternir la réputation de l'entreprise. Elle marqua une longue pause. Vous comprenez ?
- Dois-je m'attendre à devoir prendre mes affaires et dégager de mon bureau une fois cette conversation terminée ?
- Alors c'est vrai ?! s'exclama-t-elle, sourcils froncés. Vous êtes un...
Un pédé.
Elle mourrait d'envie de le dire mais s'était retenue juste à temps.
Je l'avais regardé dans les yeux sans rien dire. J'aurais mieux fait de nier, mais à quoi bon ? La rumeur avait fait le tour de l'entreprise, je n'arriverais pas à travailler en me sachant détester de tous parce que j'étais amoureux de Chan.
- Quand je pense que j'étais prête à vous donner une promotion...
- En échange de quoi ? De sexe ? C'était ce que vous vouliez, non ? je m'étais agacé à mon tour.
Elle n'avait rien répondu.
Ça me dégoûtait.
- Alors quoi, je suis viré parce que je ne pourrais pas céder à cette pression à cause de ma vie privée ?
- De quelle pression parlez-vous... Souffla-t-elle.
- Si je couche avec vous, j'ai une promotion. Ça ressemble à quoi pour vous ?
Elle n'avait pas l'air d'apprécier cette conversation, mais j'étais viré. À quoi bon continuer l'hypocrisie.
- Vous me licenciez sans aucun motif en plus ! Enfin si, j'aime un homme. Voilà, parce que j'aime quelqu'un, je n'ai même pas le droit de travailler ! Putain !
- Vous vous calmez ! exigea-t-elle avant de me balancer un contrat.
Je l'avais rattrapé de justesse avant de le feuilleter rapidement.
- C'est une rupture de contrat conventionnelle avec une lettre de recommandation. Ça devrait aller. Tâcher de ne plus exposer votre... Compagnon, et vous serez tranquille.
J'aurais tellement aimé ne pas me réveiller ce matin. Ou prendre quelques dizaines de somnifères hier soir, ça aurait tout arrangé.
En claquant la porte derrière moi, je m'étais adossé à celle-ci quelques secondes pour souffler un peu, tenter de ne pas verser des larmes avant de me précipiter vers mon bureau pour mettre le peu d'affaires personnelles que j'avais dedans et me tirer.
Tout était très clair. Rien qui était à moi ne devait rester, le temps que je transmette mes dossiers en cours à mon successeur je devais rester disponible en télétravail, et je devais rendre mon badge à l'hôtesse d'accueil en bas. Mon salaire arrivera à la fin du mois comme d'habitude et je percevrais une petite compensation pendant trois mois. C'était un contrat qui m'étais très avantageux, mais c'était calculé. Je risquais moins d'aller porter plainte pour licenciement abusif.
Je n'avais aucune idée si j'allais le faire, en tout cas pour l'instant je voulais juste me tirer d'ici.
Alors que j'étais en train d'essayer de fermer ma petite boîte ridicule, quelqu'un toqua à ma porte.
- Dégage.
- Hyunj-
- Casse-toi Seungmin !
J'avais hurlé si fort que toutes les têtes curieuses de connaître le prochain ragot s'étaient tournées vers nous.
Seungmin simula un petit rire en faisant signe de la main que tout allait bien avant de nous enfermer dans le bureau.
- T'es sourd en plus ? Dégage ! j'avais répété tout aussi fort.
Je rêvais de le voir six pieds sous terre à cet instant.
- Hyunjin je suis vraiment désolé, j'ai paniqué et Jaeyi était là et-
- Et quoi ? j'avais pouffé sarcastiquement. Tu t'es empressé de dire ce que tu venais de voir alors que je t'avais supplié de fermer ta putain de gueule ?!
Il n'osa plus parler. Pourquoi là, il fermait sa putain de gueule ? Pourquoi pas l'autre soir ?
- Tu sais quoi ? je m'étais lamentablement échoué sur ma chaise, ma main avait passé sous mes yeux pour m'empêcher de verser la moindre larme. J'étais vraiment pathétique. J'en ai plus rien à foutre, j'avais murmuré en fixant le vide.
- Hyunjin... Je suis tellement... Tellement désolé... Si je peux faire quoi que ce soit...
- Si tu pouvais remonter vingt ans en arrière et m'empêcher de rencontrer l'homme que j'aime, ça m'aurait permis d'éviter tout ce bordel.
Je l'avais entendu déglutir aussi fort que moi tout à l'heure puis il s'était assis en face.
- Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?
J'avais haussé les épaules.
Probablement me foutre en l'air.
- J'en sais rien.
- Écoute, je sais que ça n'excusera jamais ce que j'ai fait mais si tu as besoin de discuter, de pleurer, de faire la fête avec un ami... je suis là.
- Un ami ? j'avais ricané. Tu me considères comme un ami ? Même si je suis gay ? Même si tu as fait en sorte que je sois viré ?
- Hyunjin, je suis tellement désolé... Je ne voulais pas...
- Moi non plus. Mais tu vois, grâce à moi et ce que je suis, j'ai perdu une famille que je considérais comme la mienne, j'ai perdu mon meilleur ami de toujours, j'ai perdu mon travail, j'ai perdu ma dignité, je vais sûrement perdre ma mère et bientôt mon copain. Je vais bientôt n'avoir plus rien d'autre que mes yeux pour pleurer.
Un dernier reniflement dégoûtant avant de me reprendre. Je m'étais relevé, pris mon carton puis je l'avais regardé dans les yeux.
- Salut Seungmin.
- Appelle-moi quand tu veux.
- Ne compte pas là-dessus.
Et voilà. J'étais sorti de l'immeuble après avoir rendu mon badge, j'avais balancé mes affaires dans ma voiture mais j'avais la journée de libre alors je m'étais pris un café sur une terrasse.
Je voulais profiter de cette population qui ne me connaissait pas, qui ne savait pas qui j'étais vraiment, qui n'en avait rien à faire de moi.
C'était probablement beaucoup mieux ainsi.
Tout était plus simple quand on était un invisible, fondu dans la masse. Ou même, pas dans cette masse. Pas sur cette Terre. Pas avec ces humains. Seul, avec mon secret.
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