Chapitre 6 - Flétrissement

Le quotidien avait pris une teinte étrange pour Izuku, comme si la vie s'était parée d'un filtre irréel, oscillant entre l'euphorie et une étrange sérénité. Il sentait à la fois spectateur et acteur d'une pièce dont il ignorait le dénouement. Les journées, autrefois lentes et lourdes, filaient maintenant à une vitesse qu'il n'aurait jamais imaginée et se révélaient précieuses. Là où il voyait autrefois la monotonie écrasante des cours et la violence du harcèlement, il trouvait désormais des instants fugaces de bonheur. Il se surprenait même à sourire à des détails qu'il aurait ignorés auparavant : le bruissement des feuilles autour de lui, la chaleur du soleil contre sa peau ou le rire d'un camarade au loin.

Mais ce qu'il chérissait par-dessus tout, c'était la présence de Kacchan. Bien que leur relation fût encore maladroite, parfois ponctuée de silences lourds ou d'interactions hésitantes, elle illuminait considérablement ses journées. Chaque regard sincère que Kacchan lui adressait, chaque mot qu'il lâchait avec un mélange de brusquerie et de maladresse, devenait une ancre pour Izuku. Pourtant, une part de lui redoutait cette accalmie, cette paix inhabituelle, comme si elle n'était qu'un prélude à une nouvelle tempête.

A l'école, leur rapprochement n'était pas passé inaperçu. Les regards curieux, les chuchotements incessants dans les couloirs et les murmures moqueurs formaient une toile de fond constante.

— Sérieux, ces deux-là ? grommelait parfois une voix perdue dans la foule.
— Ils traînent ensemble, maintenant ? C'est quoi ce délire ? ajoutait une autre, plus loin.

Ces mots n'étaient qu'un murmure, mais Katsuki les entendait toujours. Son instinct le poussait à réagir et il ne manquait jamais de riposter avec une froideur qui coupait court à toute discussion :

— Ta gueule ! crachait-il alors, les yeux lançant des éclairs.

Izuku aurait voulu lui dire que ce n'était pas nécessaire, que ce genre de remarques ne l'atteignait plus depuis longtemps, mais il savait que c'était important pour Katsuki. Ces éclats de colère, bien qu'effrayants pour certains, étaient une manière pour lui de protéger au mieux leur lien encore fragile.

Malgré tout, Izuku sentait encore le poids du passé sur ses épaules : les regards plein de pitié ou de mépris, la douleur lancinante de son corps qui ne le quittait jamais. Sa toux persistante, les faiblesses qui l'épuisaient au moindre effort... autant de rappels constants que son temps était compté. Même Tsubasa et Tesaki, dont la rancune semblait encore palpable, hésitaient à s'en prendre à eux. Ils le surveillaient de loin, mais leurs insultes et leurs coups s'étaient arrêtés. Peut-être que la maladie leur faisait peur à tous, ou bien c'était la présence de Katsuki qui en était la cause.

Mais Izuku ne s'apitoyait pas. Il continuait d'avancer, trouvant une force nouvelle dans ces petites victoires quotidiennes, dans ces moments de complicité avec Kacchan.

Katsuki, de son côté, s'efforçait de rester à ses côtés, son attention déployée comme un bouclier invisible autour de lui tout en se battant contre ses propres démons. Ses journées étaient ponctuées de ces regards échappés vers Izuku, des regards qu'il tentait de rendre discrets, mais qui trahissaient son inquiétude. Les derniers mots d'Izuku au cours de leur réconciliation, dans la ruelle, résonnaient en lui comme une malédiction : "Il ne me reste plus longtemps à vivre".

Katsuki ne les avait pas oubliés, ils l'avaient frappé en plein coeur. Il s'était redressé en apparence, mais au fond, il savait qu'il ne pourrait jamais les oublier. Izuku était condamné et Katsuki refusait de l'accepter. Mais que pouvait-il faire ? Rien. Et cette impuissance le dévorait à petit feu.

Il repensait un peu plus souvent à leur enfance, à cette époque où les alters lui semblaient être des miracles, des bénédictions offerte à quelques élus seulement. Lui aussi avait grandi avec All Might comme héros de dessin-animé préféré et la vidéo sur Internet de cet homme qui soulevait chaque fois des choses de plus en lourdes, passant d'abord par de lourds rochers puis par des camionnettes de quelques tonnes puis par une maison toute entière – avec ses habitants dedans ! – l'avait véritablement fasciné.

Katsuki admirait donc ces pouvoirs comme des trésors rares, des dons divins. Izuku, avec ses fleurs, lui paraissait spécial. Il se souvenait encore de la fascination qu'il avait ressentie en voyant pour la première fois les petites pousses éclore au bout des doigts d'Izuku.

— T'as vu ça, Kacchan ? avait lancé Izuku, rayonnant de fierté.

Un court instant, il avait été jaloux, il devait l'avouer. Mais cette jalousie était douce, presque tendre. Il ne comprenait pas encore très bien ce que ces fleurs signifiaient réellement. A ses yeux, elles étaient belles et innocentes, tout comme Izuku.

Mais avec le temps, les murmures des adultes avaient terni cette vision. Les alters, disaient-ils alors, n'étaient pas des bénédictions, mais des malédictions. On en mourrait après y avoir goûté.

— C'est contagieux, à ce qu'il paraît. Il faudrait éviter de rester trop près de cet enfant, juste au cas où, disait-on dans le quartier.

Après l'accident, chacune de ces paroles avait pris un poids un peu plus important, surtout quand elles sortaient de la bouche de sa mère, semant des graines de doutes dans son esprit. Il n'était pas sûr, à l'époque, que ce soit contagieux : il avait passé tellement de temps avec Izuku et n'avait jamais eu la moindre fleur qui répondait à ses appels, malgré tous ses efforts pour imiter son ami. Mais il avait fini par croire, qu'en effet, ça pouvait être un peu dangereux... juste un peu. Et puis, de toute façon, sa mère ne voulait plus qu'il traîne avec Izuku et il se devait de lui obéir !

Aujourd'hui, il voyait à quel point il avait été aveuglé par ces préjugés, par sa colère infondée. Izuku, avec sa fragilité et sa résilience, était bien plus fort qu'il ne l'avait imaginé. Ce n'était que maintenant qu'il comprenait à quel point il avait pu être odieux et blessant.

Les alters tuaient, oui. C'était un fait. Mais Izuku... Izuku méritait de vivre, d'être heureux. Et s'il ne restait plus beaucoup de temps, alors Katsuki voulait être là, à ses côtés, pour le protéger du reste du monde, quitte à se battre contre ce qui lui faisait peur : la maladie, les autres et, peut-être, lui-même...

Le soir, Katsuki passait presque tout son temps chez Izuku. Au début, Inko le surveillait d'un oeil attentif, ses gestes empreints d'une certaine méfiance. Mais, peu à peu, elle s'était adoucie. Les rires des garçons résonnaient dans l'appartement, ramenant un éclat de vie qu'elle n'avait plus entendu depuis des années.

Assis sur le tatami du salon, les deux adolescents jouaient à la console, leurs éclats de voix brisant la monotonie du quotidien. Katsuki se pencha en avant, concentré, son visage illuminé par l'écran tandis qu'Izuku, allongé sur un coussin volé au canapé, riait doucement de ses maladresses.

— Merde ! cria Katsuki en lâchant la manette. T'as encore gagné, fais chier !
— C'est pas de ma faute, t'as tendance à t'énerver trop vite, répliqua Izuku, un sourire taquin aux lèvres.

Pour toute réponse, Kacchan s'empara d'un autre coussin du canapé pour l'envoyer au visage de son ami. Ces moments légers ne duraient jamais longtemps, par contre : ils finissaient toujours par dériver vers leurs devoirs, une tâche que Katsuki prenait très au sérieux. Izuku, malgré ses absences répétées, s'efforçait de suivre au mieux le rythme et Katsuki l'aidait à rattraper les quelques lacunes qu'il traînait derrière lui. En échange, Izuku lui expliquait les subtilités du japonais ancien, une matière que Kacchan détestait cordialement.

— Sérieux, c'est quoi ce mot ?! grogna Katsuki, fronçant les sourcils devant les lignes de mots incompréhensibles.
— C'est un kanji rare, expliqua Izuku avec patience. Ca veut dire... euh... persévérance. Tu devrais le retenir facilement, ça te correspond bien.
— Arrête tes conneries, marmonna son ami en évitant soigneusement son regard derrière son cahier, gêné.

Cet abruti d'Izuku... Il ne pouvait pas s'empêcher de sortir des trucs gênants ! Mais au fond, Katsuki se sentit un peu flatté et masqua avec soin un petit sourire satisfait.

Les examens du premier semestre approchaient à grands pas, mais dans ces simples instants, Izuku trouvait une chaleur inattendue. Il se surprenait parfois à fermer les yeux et à s'imaginer une vie différente : une vie où la maladie n'avait jamais existé, où ces dix dernières années n'avaient été qu'un enchaînement de journées comme celle-ci, marquées par des chamailleries légères qui n'en étaient pas vraiment, des éclats de rire sincère et une amitié retrouvée.

Il savait que ce rêve était futile. Mais pour le moment, il s'autorisait à l'effleurer du bout des doigts, en secret.

Pendant un moment, Izuku en oublia tous ses soucis et, surtout, oublia presque les prélèvements sanguins que le docteur Garaki avait effectué pour la clinique aux Etats-Unis. Mais un mois et demi s'était écoulé depuis leur envoi et, un soir, en rentrant du travail, Inko tenait entre ses doigts une enveloppe blanche frappée du logo médical.

Le courrier tremblait légèrement dans sa main, les doigts serrés autour du papier comme si elle redoutait de le laisser s'envoler. La fatigue pesait sur ses épaules, mais c'était une tout autre angoisse qui se lisait à présent sur ses traits. Une angoisse mêlée à un infime espoir, jeté comme une bouée de sauvetage dans une mer agitée.

— Bienvenue à la maison, Maman ! l'accueillit Izuku depuis le salon quand elle eut franchi le seuil, un sourire chaleureux illuminant son visage fatigué.

Il était assis en tailleur près de la table basse, la télécommande posée à côté de lui. Katsuki, avachi sur le canapé, haussait les sourcils d'un air distrait devant l'écran de télévision. Mais le sourire d'Izuku s'effaça rapidement en voyant la pâleur de sa mère.

— Maman ? Tout va bien ?

Izuku pencha légèrement la tête et scruta le visage de sa mère. Ses sourcils légèrement froncés trahissaient son émotion. Inko ne répondit pas immédiatement, son regard fixé sur l'enveloppe qu'elle tenait entre les doigts. Le papier froissé témoignait de l'intensité de son anxiété. Ses lèvres s'entrouvrirent comme pour dire quelque chose, mais aucun mot ne sortit.

Depuis quelques semaines, depuis leur dernière dispute en fait, ils avaient appris à communiquer davantage, brisant cette distance silencieuse qui s'était installée avec les années et le poids des secrets. Pourtant, à cet instant précis, Inko semblait de nouveau engourdie par une muraille de douleur et de peur et Izuku sentit son propre souffle se bloquer, par automatisme.

— C'est arrivé... murmura-t-elle enfin, la voix presque étouffée.

Elle tendit l'enveloppe à bout de bras, comme si son poids était devenu insupportable.

Izuku mit un moment à comprendre. Puis, ses yeux se posèrent sur le logo. Ses mains, légèrement moites, se levèrent pour prendre le courrier. Un frisson lui parcourut l'échine, mélange d'appréhension et d'espoir contenu.

— Ce sont les résultats ? balbutia-t-il d'une voix rauque, cassée par l'émotion.

Inko hocha la tête, lèvres pincées, mais ses épaules s'affaissèrent comme sous l'effet d'une lourde fatigue. Elle s'assit lentement, ses gestes maladroits trahissaient son désarroi.

— Qu'est-ce que c'est ? lança soudainement Katsuki, rompant le silence qui s'était installé.

Le ton abrupt de Katsuki fit légèrement sursauter Izuku, mais il inspira profondément avant de répondre :

— Une clinique... aux Etats-Unis. Elle serait susceptible de me soigner. Mais... il faut que je sois compatible avec leurs tests.

Katsuki ouvrit la bouche, mais son souffle resta suspendu. Pendant un bref instant, une étincelle d'espoir traversa son regard. Et si... ?

Izuku expira lentement, brisant son hésitation, et ouvrit l'enveloppe, ses doigts malhabiles déchirant le haut du papier dans un bruit sec. Inko se pencha légèrement en avant, les mains jointes, tandis que Katsuki se redressa pour lire au-dessus de son épaule. Les mots semblaient danser sur la feuille, brouillés, les phrases lourdes de termes médicaux et administratifs, mais une seule conclusion importait :

"Nous sommes au regret de vous informer que le patient Midoriya Izuku ne remplit pas les critères de sélection et de comptabilité pour intégrer notre programme de traitement expérimental."

Le silence s'abattit sur la pièce comme une chape de plomb. Inko porta une main tremblante à sa bouche, les yeux embués de larmes.

— C'est pas vrai... souffla-t-elle

Izuku sentit une douleur sourde envahir sa poitrine, mais ce fut un étrange mélange de tristesse et de résignation qui s'imposa. Au fond, une toute petite partie de lui avait espéré, mais une part plus grande savait que cela arriverait. Un accès de toux le prit soudain. Il porta une main tremblante à sa bouche et sentit quelque chose s'en détacher. Quand il rouvrit les yeux, il vit des pétales – plus gros, plus nombreux que la dernière fois – s'éparpiller dans sa paume. Le goût métallique du sang imprégnait déjà sa langue.

— Izuku ! s'écria Katsuki, tendant un bras pour le soutenir alors qu'il tanguait légèrement.

Izuku secoua la tête et se reprit, repoussant doucement son ami avant de se tourner vers sa mère, abandonnant le courrier sur un coin de la table. Inko s'était effondrée sur sa chaise, la tête entre les mains, les épaules secouées de sanglots silencieux.

— Maman, ça va aller... soupira-t-il en s'agenouillant devant elle.

Sa voix était douce, mais ses yeux portaient une ombre profonde. Il posa une main sur le genou de sa mère, cherchant à capter son regard. Mais Inko semblait ailleurs, anéantie. Izuku se força à sourire, même si son coeur se serrait :

— Je vais rester ici, avec toi. Avec tout le monde. C'est... c'est pas si mal, non ? Tu sais que ce sont mes dernières volontés.

Ses mots résonnaient comme une consolation fragile et morbide, une tentative maladroite d'apaiser la tempête qui déchirait sa mère. Izuku avait accepté l'idée de son départ depuis longtemps, semblait-il. Pourtant, Katsuki ne parvenait pas à détourner les yeux de cette scène intime. Les voir ainsi le mettait hors de lui. Cela aurait dû être l'inverse : c'était à Inko de consoler Izuku !

Il serra les poings, son regard tombant sur la lettre posée sur la tables. Le poids de ces mots officiels semblait le narguer : "état de santé trop aggravé", "non compatible"...

La rage explosa en lui, brisant l'atmosphère pesante qui s'était installée :

— C'est quoi ce bordel ?! rugit-il, faisant sursauter Inko. Ils te refusent parce que tu es trop malade ? Ca n'a pas de sens, c'est qu'une excuse à la con !
— Kacchan, calme-toi... tenta Izuku, la voix tremblante.

Mais Katsuki ne l'écoutait pas. Il se tourna vers Inko, sa colère débordant sur elle :

— Et vous, c'est ça que vous faites ? Abandonner ? Vous préférez rester là à pleurnicher ?! Vous voulez aider Izuku ? Alors retournez voir votre putain de médecin et obligez-le à accepter ! Vous croyez qu'en temps normal, on refuse un traitement à un cancéreux parce qu'il est trop malade ?!
— Katsuki, ça suffit ! intervint Izuku, son regard se durcissant.

Katsuki lui lança un regard furieux.

— Et toi, alors, ça te fait rien peut-être ? cracha-t-il, refusant de baisser les bras. Tu t'es juste... résigné ? Tu vas rester là, attendre de mourir la gueule ouverte, comme si c'était normal ?!

Izuku serra les poings à son tour.

— Bien sûr que ça me fait quelque chose, espèce d'idiot ! Mis qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Je savais que j'étais condamné, Kacchan. Je ne me suis pas fait de faux espoirs.

Ces mots frappèrent Katsuki comme un coup de massue. Voir Izuku si calme, si résigné, c'était comme le perdre une seconde fois.

— Tu me fatigues, lâcha Izuku après un silence. Ce n'est pas ton combat. Si tu n'es pas capable de te calmer, tu ferais mieux de partir.

Katsuki resta figé un instant, luttant fermement contre son envie de répondre et de l'envoyer bouler. Mais devant le regard dur de son ami, il finit par tourner les talons, son coeur en ébullition. Encore une parole de travers et leur amitié en prendrait un coup supplémentaire.

— Tss. On se revoit demain, marmonna-t-il finalement.

La porte de l'appartement des Midoriya claqua derrière lui, le bruit résonna quelques instants dans la cage d'escalier, mais sa colère refusa de s'éteindre. Son esprit tournait en boucle, incapable de se détacher de ce qu'il venait de vivre. Cette foutue clinique, ces foutus médecins... Ils disaient ne pas pouvoir soigner Izuku car il était "trop malade" ? C'était ridicule, absurde. Ils étaient censés aider, pas abandonner.

Et Izuku... Bon sang, Izuku. Comment pouvait-il accepter ça avec autant de calme ? Pourquoi il n'était pas en train de hurler, de se battre, de réclamer une solution ? Pourquoi... pourquoi lui restait-il si peu de temps ?

Katsuki sentit un poids s'écraser sur sa poitrine en repensant aux mots de son ami, ces mots qui lui revenaient sans cesse en tête quand il l'entendait tousser ou quand il apercevait l'ombre d'une tulipe ou d'une marguerite dans le creux de son cou : "Il ne me reste plus beaucoup de temps". Il serra les dents, les poings enfoncés dans les poches.

Je le sais, putain ! Je le sais. Mais je ne peux pas accepter ça.

Trois semaines. Voilà tout ce qu'ils avaient eu devant eux depuis qu'ils avaient enfin fait la paix. Trois semaines et déjà cette ombre de fin qui planait au-dessus de leurs têtes. Et après ? C'était censé s'arrêter là ? Non. Il avait encore des plans, des trucs qu'ils devaient faire ensemble. Il comptait sur les vacances d'été pour en profiter encore plus : aller à la mer, se baigner, manger des glaces, traîner ensemble comme avant. Mais le temps lui filait entre les doigts et cette foutue réalité venait de le gifler en pleine face.

Il arriva mécaniquement chez lui, ne sachant plus quelle rue il avait emprunté pour arriver devant sa porte d'entrée. Pour autant, sa colère n'avait toujours pas diminué d'un cran. Il poussa la porte, ses mouvements brusques faisant grincer les gonds.

— Katsuki ? lança Mitsuki depuis la cuisine.

Le bruit des casseroles s'arrêta un instant, attendant sa réponse. Elle devait être en train de préparer le dîner.

— T'es rentré ? Comment ça s'est passé, ta journée ?

Katsuki grogna en réponse, se débarrassant de ses chaussures d'un coup de pied rageur avant de se traîner jusqu'à la cuisine.

— J'ai traîné chez Tsubasa, marmonna-t-il en se servant un verre d'eau, les yeux rivés sur l'évier.

Sa mère, qui remuait une sauce dans une casserole, haussa un sourcil. Elle n'était pas dupe, son fils aurait dû le savoir. Mais il laissa planer son mensonge, pensant naïvement que ça passerait.

— Chez Tsubasa, hein ? répéta-t-elle avec une pointe de scepticisme, mais ferme. C'est marrant parce que j'ai croisé Tsubasa et Tesaki, tout à l'heure. Et ils avaient l'air bien seuls.

Katsuki se figea, son verre à mi-hauteur.

— Tesaki m'a demandé des nouvelles de toi... et de Midoriya, ajouta-t-elle finalement en appuyant bien sur le dernier nom.

Le silence tomba. Katsuki posa son verre sur le comptoir dans un claquement sec, refusant de croiser le regard de sa mère.

— Ca te regarde pas, lâcha-t-il finalement, la voix basse et tendue.
— Ca me regarde quand ça peut mettre en danger la vie de mon fils ! coupa Mitsuki en reposant enfin sa casserole, les bras croisés.

C'en était trop. Katsuki frappa le comptoir de son poing et le bruit résonna dans toute la cuisine.

— Tu ne sais pas de quoi tu parles ! explosa-t-il, les yeux flamboyants.
— Alors, explique-moi, Katsuki ! répliqua Mitsuki en haussant le ton à son tour. Vas-y, je suis toute ouïe. C'est quoi cette histoire de Midoriya ?
— Je traîne de nouveau avec Izuku, et alors ?! C'est quoi ton putain de problème ?! J'en ai rien à foutre de ce que tu penses ! T'es pas contente ? Bah c'est pareil !

Il respirait fort, il n'en pouvait plus. Tout ressortait, toute cette frustration, cette douleur qu'il n'arrivait pas à exprimer autrement que par la colère. Il fallait que ça sorte.

— Je m'inquiète pour toi, c'est tout, soupira sa mère d'un air las. Ce garçon... Ce qu'il s'est passé entre vous, autrefois...
— Stop ! rugit-il en la coupant. Je sais très bien ce qu'il s'est passé, pas besoin que tu me le rappelles !

Il laissa échapper un rire amer, douloureux.

— C'était un accident, OK ? Un putain d'accident et j'ai pas envie d'en parler. Surtout pas avec toi.

Mitsuki ouvrit la bouche pour répliquer, mais il ne lui en laissa pas le temps :

— Laisse-moi tranquille, bordel.

Et sans un mot de plus, il tourna les talons et quitta la cuisine, ses pas résonnant lourdement dans le couloir. Il claqua la porte de sa chambre derrière lui, s'effondrant sur son lit. Il resta là, immobile, la tête dans les bras. Dans le silence, il entendit le bruit de la cuisine qui s'activait de nouveau puis la voix de son père quand il rentra à son tour. Il pouvait entendre les discussions à voix basse de ses parents, étouffées par la porte. Mitsuki devait être en train de tout raconter à son mari, probablement.

Quand on l'appela à table, il ne répondit pas et ne sortit pas de sa chambre. Il n'avait pas envie de leur faire face. Pas ce soir. Qu'ils viennent le chercher, s'ils l'osaient ! Mais personne ne vint, respectant son souhait d'être seul. Il resta enfermé toute la nuit dans cette pièce, spectatrice de cette rage sourde qui continuait de gronder en lui jusqu'à ce qu'il parvienne à s'endormir, les yeux douloureux de larmes refoulées.

Le lendemain, Katsuki attendait Izuku à la bordure la ruelle, les mains dans les poches. Le soleil matinal peinait à percer les quelques nuages, mais l'air était doux. La tête baissée, Katsuki fixait des yeux le gravier et le bitume à ses pieds. Il tapotait nerveusement du pied, essayant de maîtriser ce mélange d'agacement et du culpabilité qui avait remplacé sa colère au réveil. C'était déjà un bon point.

Izuku arriva, le pas lent et mesuré, les épaules voûtées, les mains toujours fixées aux lanières de son sac. Ses yeux, cerclés de cernes et gonflés de fatigue, trahissaient une nuit courte, mais il offrit un sourire léger en s'approchant.

Ils se retrouvèrent face à face, mais le silence perdura, lourd et pesant. Izuku jeta un bref regard à Kacchan, mais celui-ci détournait obstinément les yeux, visiblement mal à l'aise. Ca ne les empêcha pas de se mettre en route, côte à côté, Katsuki calquant sa vitesse de marche sur celle d'Izuku.

Les minutes s'étirèrent, rendant l'atmosphère presque insupportable. Ils ne s'étaient même pas salués, aucun des deux ne parvenaient à entamer correctement la conversation avec la dispute de la veille. Puis, comme un réflexe, ils prirent une inspiration en même temps, rompant cet étrange blanc :

— Désolé pour hier, lâchèrent-ils en choeur.

Ils se figèrent, se dévisagèrent un instant avant qu'un rire nerveux n'échappât à Izuku. Katsuki grogna légèrement, détournant la tête pour masquer la rougeur qui envahissait ses joues.

— C'est moi qui devrais m'excuser, reprit-il le premier. J'ai été un vrai abruti, comme d'hab !
— Non, Kacchan, tu as eu raison de réagir comme ça, lui répondit Izuku en secouant tristement la tête avec une petite moue. Enfin... en partie. Je pense que t'énerver contre ma mère n'était pas nécessaire ! Pour le reste, c'est normal que ça te mette en colère. Mais je crois qu'il faut qu'on parle.

Katsuki hocha lentement la tête, sans oser croiser son regard.

Ils s'installèrent sur le rebord du bassin à poissons, un peu en rentrait dans la cour principale du collège. Izuku prit soin de poser son sac entre eux, comme pour créer une frontière symbolique. Katsuki était tendu, les coudes appuyés sur ses genoux, les mains jointes. A priori, Izuku n'avait pas eu l'air si énervé que ça, mais peut-être si, finalement ?

— Tu sais, je ne t'en veux déjà plus pour hier, commença Izuku d'une voix douce, presque hésitante, choisissant avec soin chacun de ses mots. Les disputes, les différends... ça arrive tout le temps. Mais je veux que tu comprennes une chose... ça fait longtemps que j'ai accepté ce qui m'arrive.

Katsuki releva légèrement les yeux et fixa les petites plantes qui pointaient le bout de leur nez hors du col de l'uniforme de son ami, mais resta silencieux. Izuku poursuivit.

— J'ai passé des années à me battre, à subir de nombreux traitements qui me soulageaient à peine, à voir mes parents tout sacrifier pour moi. J'ai tenu bon, pas juste pour moi, mais pour eux. Parce qu'ils avaient besoin d'y croire, même quand, moi, je n'en pouvais.

Izuku marqua une pause. Il respira profondément avant de reprendre :

— Maintenant, je n'ai plus envie de me battre. Ca peut te paraître lâche, mais je suis fatigué, Kacchan. Je veux juste... profiter du peu de temps qu'il me reste, sans me raccrocher à des espoirs qui n'existent pas. J'aimerais sincèrement que tu comprennes ça. Et, surtout, que tu l'acceptes.

Il se tourna vers Katsuki, cherchant son regard. Ce dernier serrait les poings si fort que ses jointures blanchissaient. Il avait baissé la tête au cours du discours. Fixer un point au sol lui permettait d'encaisser le choc et de se contenir. De faire face à l'injustice qu'il ressentait avant qu'elle ne se transforme de nouveau en colère mal placée.

— T'as pas à t'excuser pour ça, finit-il par répondre. C'est moi qui ai déconné. Comme je te l'ai dit, j'ai été un putain d'abruti.

Il se redressa un peu plus et lâcha un soupir frustré, les épaules tendues.

— C'est juste... c'est dur pour moi, OK ? De te voir comme ça. De te voir... partir. On a passé tellement d'années à s'ignorer et à se détester comme des débiles. Et maintenant qu'on... qu'on se rapproche un peu, tu t'apprêtes à crever. Tu sais à quel point c'est chiant ? Que c'est injuste ?

Il croisa le regard d'Izuku et ce que son camarade y vit le fit tressaillir. Pas de colère, cette fois, mais une douleur brute, presque enfantine. Plus brûlante encore que celle qu'il avait croisée dans les yeux du petit Kacchan tombé de l'arbre.

— Je voulais juste... putain, je sais pas... passer plus de temps avec toi, apprendre à te connaître vraiment, pas juste à t'engueuler. Mais là, ça fait quoi ? Trois semaines qu'on traîne ensemble ? Et c'est déjà... ?

Il détourna de nouveau les yeux, serrant les dents pour contenir le tremblement de sa voix. Ce qu'il se détestait de paraître aussi faible.

Izuku resta silencieux un moment, digérant les paroles de Kacchan. Puis il posa une main légère sur bras, forçant Katsuki à tourner sa tête vers lui :

— Je suis désolé, Kacchan. Mais je te promets de faire de mon mieux pour rester fort. Je veux qu'on passe encore du temps ensemble, toi et moi. Les vacances approchent, non ? On pourrait faire quelque chose. Comme un vieux couple d'amis idiots.

Le ton se voulait léger, presque taquin, mais l'émotion dans sa voix était évidente. Katsuki haussa un sourcil, esquissant un sourire malgré lui.

— Ouais, et tu te feras pas la malle avant qu'on ait fait au moins un truc cool, hein ?
— Qu'est-ce que tu proposes ?
— J'en sais rien : sauter en parachute ou combattre des ours ? Qu'est-ce qui te tente le plus ? plaisanta Kacchan.
— Pff, trop débile ! ria Izuku rien qu'en imaginant les scènes. Mais c'est promis ! On se fera un truc vraiment cool.

Le silence qui suivit était cette fois empreint de sérénité. Ils n'avaient pas tout résolu, mais c'était un début. Un souffle d'air tiède fit bruisser les feuilles au-dessus d'eux, comme une trêve silencieuse entre les nuages. Izuku se laissa aller contre le muret et plongea un doigt dans l'eau, ravivant l'éclat des nénuphars alentour. Katsuki les observa, perdu dans ses pensées.

Une promesse les liait désormais : il ferait de ce temps qui leur restait quelque chose de précieux. Mais avant ça, il fallait faire face aux examens de fin de semestre : si un seul d'entre eux osait les rater, alors ils seraient bons pour le rattrapage et les vacances leur passeraient sous le nez. Ils mirent les bouchées doubles lors de leur session révision, traînant derrière eux des nuits courtes et un bon lot de stress. Mais, heureusement, Katsuki et Izuku s'en étaient sortis haut la main.

Pour la première fois, au cours de cette période, Izuku s'était senti à peu près normal : concentré, studieux, discutant de questions anodines comme n'importe quel lycéen... Katsuki, de son côté, avait apprécié la compagnie tranquille d'Izuku, trouvant qu'ils travaillaient mieux en duo, même s'il ne l'aurait jamais avoué à haute voix. Mais ça lui changeait de la présence de nuisibles comme Tsubasa et Tesaki qui ne prenaient pas les études très au sérieux.

Les vacances d'été arrivèrent, apportant avec elles un sentiment mitigé. Elles étaient une libération, certes, mais aussi un rappel cruel du temps qui filait inexorablement pour Izuku. Ses fleurs en pouvaient plus être cachées, désormais. Elles grimpaient davantage le long de ses poignets, tapissant la peau de ses mains de pétales délicats et grignotaient quelques morceaux de sa mâchoire, rejoignant le tournesol de sa joue qu'Izuku ne s'embêta plus à cacher une fois les cours derrière lui. Sa toux, également, avait redoublé de force, mais il se battait pour tenir sa promesse.

Chaque jour, Katsuki et lui trouvaient une manière de se distraire, d'oublier l'inévitable. Ils riaient, parlaient de tout et de rien, s'accrochant à ces moments simples comme à une bouée de sauvetage dans cette mer agitée.

Un après-midi, ils allèrent voir le dernier film sur All Might au cinéma. Katsuki s'était moqué de l'exagération des scènes d'actions, mais Izuku était réellement ému par les quelques scènes d'émotions glissées au cours du film, suivant les enfants dans leur démonstration de chagrin à la mort d'un personnage important pour le Symbole de la Justice. Mais leurs rires complices et leurs petites chamailleries avaient cédé à une sorte de nostalgie commune : tous les deux savaient qu'ils avaient grandi avec ce héros pour modèle, All Might représentait bien plus qu'un personnage de dessin-animé pour enfants.

— Il reste classe, même avec toutes ces conneries clichées, avait finalement lâché Katsuki en sortant de la salle.
— Oui, c'est pour ça qu'on l'aime !

Un soir, ils s'étaient installés au parc de leur enfance. Toujours pas de panneaux de démolition en vue, Katsuki prenait un malin plaisir à vérifier tous les jours – il n'avait toujours pas lâché l'idée de faire une manifestation si le projet d'immeubles s'avérait être mis en place. Izuku s'était assis dans l'herbe tendre, presque irréel, entouré des fleurs qu'il faisait pousser involontairement autour de lui.

Katsuki l'observait en silence, fasciné malgré lui. Ces fleurs, qu'il avait passé des années à mépriser, s'associaient à présent dans son esprit à la fragilité et à l'étrangeté d'Izuku. Mais maintenant qu'il les voyait ainsi, il se surprenait à les trouver belles.

— Tu sais, je suis désolé pour tous les "Deku" que je t'ai balancés.

Izuku releva les yeux des petites pousses autour de lui, surpris. Cette excuse sortait de nulle part, totalement spontanée.

— Kacchan-
— Non, laisse-moi finir, l'interrompit Katsuki. Je sais que ça te faisait mal. Et je voulais te dire que tes fleurs, elles sont pas si moches, finalement. En fait, elles sont magnifiques.

Izuku cligna des yeux et pouffa.

— Eh, te moque pas ! s'insurgea Katsuki, qui regrettait déjà ses paroles.
— Je ne me moque, Kacchan, c'est juste que je ne m'y attendais pas, répondit son ami en reprenant son sérieux. C'est vrai que le surnom... je ne le prenais pas très bien, au début. Mais un jour, je suis tombé sur un poème de Kenji Miyazawa. Lui aussi utilisait le mot "deku", mais dans un sens différent. Il parlait de quelqu'un qui n'était pas remarquable, pas visible, mais qui aimait aider les autres à aller de l'avant, à calmer les disputes. C'est grâce à ce poème que j'ai appris à accepter ce surnom.

Katsuki fut surpris d'en apprendre davantage et finit par rire doucement à son tour :

— Tu vois, Deku, même quand t'es insulté t'arrives à en tirer quelque chose de bien. T'es vraiment un sacré cas, toi !

Leurs rires se mêlèrent, mettant un terme à une conversation qui aurait pu tourner au vinaigre plus d'un mois plus tôt.

Un autre jour, alors qu'ils se promenaient en ville, Izuku aborda un sujet plus personnel :

— Au fait, est-ce que ça va mieux avec parents ?

Katsuki s'arrêta devant une devanture de magasins de jeux vidéo et regarda les promotions en vitrine. Il avait annoncé, après leur dispute au sujet de la clinique, que ses parents étaient au courant de leur nouveau lien et que ça avait été un peu le bazar à la maison. Le sujet n'avait pas refait surface avec les révisions, mais à présents qu'ils passaient tout leur temps ensemble, cela semblait vraiment peiner Izuku de savoir que son ami entretenait de mauvaises relations avec ses parents, un peu par sa faute.

— Ouais, un peu, mais c'est pas encore ça. Mais ça s'arrange, alors arrête de tirer la tronche, se reprit Katsuki en voyant la mine défaite d'Izuku. Mon vieux a surtout joué les médiateurs dans cette histoire, mais avec ma mère, on est parvenu à se parler franchement. Elle était pas forcément ravie, mais je lui ai balancé la vérité. Enfin, une partie...
— Qu'est-ce que tu veux dire ? s'enquit aussitôt Izuku.
— Disons que je lui ai avoué ce que je te faisais subir, avant. Elle était furieuse au début, mais... je crois qu'elle s'est sentie coupable, quelque part. Elle savait que t'étais un bon gamin, t'aurais jamais fait de mal à qui que ce soit, mais elle supportait pas l'idée que je puisse être en position de faiblesse. Elle a un ego vraiment mal placé, quand elle le veut.

La remarque fit sourire Izuku : mère et fils se ressemblaient beaucoup plus qu'ils n'osaient l'avouer.

— Elle s'est excusée, à sa manière. Et maintenant, je crois qu'elle est juste contente que je sois un peu moins sur les nefs, conclut finalement Katsuki en haussant les épaules, comme pour clore ce sujet une bonne fois pour toutes.
— C'est bien, Kacchan. Je suis vraiment content que ça s'arrange entre vous.

Katsuki grogna en guise de réponse et changea brusquement de sujet :

— Demain, on va à la mer ! Ma mère a demandé à la tienne et elle est d'accord pour nous y emmener.

Izuku écarquilla les yeux, ravi.

— Vraiment ? Ca va être génial. Merci, Kacchan !
— Ouais, ouais, c'est rien, marmonna l'adolescent en regardant ailleurs, cachant sa satisfaction.

Et pour un instant, malgré tout ce qui pesait sur leurs épaules, ils étaient simplement deux adolescents, impatients de profiter d'un nouveau jour.

Le lendemain matin, la mer les accueillit avec un horizon sans fin et une brise salée qui fit du bien aux poumons d'Izuku. Les deux amis arrivèrent sur la plage tôt, presque seuls, profitant du calme avant que le lieu ne soit envahi par les vacanciers. Izuku sembla hésiter un instant en descendant de la voiture, les mains tremblantes. Les fleurs, visibles sur ses bras et son cou qu'il n'avait pas pris la peine de cacher cette fois-ci, si loin de sa ville natale, attiraient déjà quelques regards. Mais Katsuki, d'un geste brusque, lui tapota l'épaule.

— Qu'est-ce que tu fais encore là ? Dépêche-toi, crétin !

Izuku releva les yeux vers lui, un sourire timide étirant ses lèvres. Il hocha la tête et suivit son ami.

C'était la première fois depuis des mois, si ce n'était plus, qu'il osait porter un short et un simple T-shirt à l'extérieur. Il avait toujours craint les regards curieux, fascinés ou dégoûtés, mais aujourd'hui, il se sentait étrangement libre. Ici, personne ne le connaissait. Il n'avait rien à prouver. Et puis, avec Kacchan à ses côtés, il pouvait presque ignorer les murmures en arrière-plan.

Ils commencèrent leur journée en courant vers l'eau et Katsuki balança sa serviette sans ménagement avant de se précipiter dans la mer. Izuku, lui, suivit à son rythme, un peu plus loin, riant en voyant Katsuki éclater tout autour de lui.

— Allez, dépêche-toi, Deku ! L'eau est parfaite ! lui cria-t-il en s'agitant un peu plus.

Izuku éclata de rire et s'élança, rejoignant Katsuki dans l'eau fraîche qui lui arriva un cri.

— Tu as menti ! l'insurgea-t-il en continuant de rire.
— Tu ne serais pas venu, sinon, plaisanta Katsuki en lui saisissant les poignets, l'empêchant de s'enfuir plus loin.

Les heures passèrent dans un tourbillon de jeux et de rires. Ils plongèrent dans l'eau pleine d'écumes, s'aspergèrent mutuellement et firent des batailles d'eau jusqu'à ce qu'Izuku, essoufflé, s'appuya sur Katsuki pour reprendre son souffle. Ce dernier le taquina en lui, mais son sourire devint un peu plus tendre lorsqu'il remarqua son teint pâle.

Ils construisirent un immense château de sable pour se reposer. Izuku finissait de parfaire certains menus détails quand Katsuki se rua sur leur construction en hurlant, le détruisant soigneusement. D'abord consterné, Izuku le rejoint dans cette bataille impromptue en lui balançant du sable dessus. En représaille, son partenaire s'appliqua à l'enterrer dans le sable chaud jusqu'au cou. Izuku se laissa faire, riant à gorge déployée, plaisantant sur le fait qu'il devenait littéralement un "deku", une figurine immobile.

Mais la douleur dans les poumons d'Izuku revint à plusieurs reprises, plus intense qu'il ne l'avait anticipé. Par deux fois, il dut s'éloigner, prétendant aller boire un peu d'eau, pour tousser violemment à l'abri des regards. Il respirait par moments difficilement, mais il ne voulait pas gâcher cette journée parfaite. Kacchan s'amusait tellement et Izuku voulait qu'il garde ce souvenir intact.

Lorsque la journée toucha à sa fin, le sable s'accrochant encore à leurs vêtements, leurs serviettes et leurs cheveux humides, ils retournèrent à l'auberge où Inko les attendait après avoir flâné toute la journée dans la petite ville portuaire. Izuku prit une longue douche, savourant l'eau chaude qui apaisait ses muscles fatigués. Quand il ressortit, vêtu d'une tenue propre, une nouvelle surprise l'attendait.

Dans le grand salon de leur chambre, une table avait été joliment dressée. Katsuki était là, affalé sur sa chaise, l'air détendu, un sorbet à la main. Inko se tenait debout à côté, un sourire radieux sur les lèvres. Mais ce fut la dernière personne dans la pièce qui fit briller les yeux d'Izuku : Hisashi.

— Papa ?!
— Surprise, mon grand ! répondit-il en écartant les bras.

Izuku se précipita vers son père, l'enlaçant avec une force qui surprit tout le monde. Depuis combien de temps ne s'étaient-ils pas vus ? Presque un an, maintenant. Les voyages d'Hisashi étaient toujours si longs et il lui arrivait de passer en coup de vent quand Izuku n'était pas dans le coin, pris par les cours. C'était si bon de le sentir près de lui, à cet instant. C'était une sensation que les coups de téléphone ne pourraient jamais remplacer.

— Tu es là... Tu as réussi à venir... Mais qu'est-ce que tu fais ici ? interrogea Izuku, des trémolos dans la voix.
— J'ai posé des congés, petit vaurien.
— Pour combien de temps ? s'enquit de nouveau l'adolescent en se détachant enfin de son père.
— Autant que possible, plaisanta Hisashi en lui tapotant le nez. Ne pose pas les questions qui fâchent les grandes personnes !

Le dîner fut à la fois joyeux et émouvant. Izuku, submergé par le bonheur de voir les trois personnes qui comptaient le plus dans sa vie autour d'une même table, pleurait régulièrement, ce qui amusait Katsuki.

— Eh, allez, arrête de pleurnicher, crétin ! Tu vas inonder la table, plaisanta-t-il avec un sourire moqueur.
— Je... je n'y peux rien, balbutia Izuku entre deux sanglots, riant presque malgré lui. J'aimerais bien t'y voir, de toute façon.

Ils partagèrent des plats simples, mais délicieux, accompagnés de discussions légères. La présence de son père, celle de Katsuki et le regard chaleureux d'Inko suffisaient à le combler pleinement. Les conversations se noyèrent, passèrent du coq à l'âne, entrecoupées de rires, de chamailleries et d'autres brouhaha susceptibles de former des phrases correctes si on prenait le temps de les écouter. Sur un coup de tête, Izuku sortit son téléphone et insista pour prendre des photos :

— Allez, Kacchan, fais une grimace !
— Pas question, se targua l'adolescent en ignorant la caméra.
— Allez, juste une !

Katsuki grogna, mais finit par céder, et ils prirent une série de photos. Une où Izuku tirait une sale tête avec son père ; une autre dans les bras d'Inko ; une où Katsuki, pris au dépourvu, lançait un superbe majeur à l'objectif. Chaque image était une capsule de bonheur, un souvenir figé dans le temps.

Ce soir-là, dans la chambre qu'ils partageaient, Izuku ne parvenait pas à dormir. Katsuki, allongé un peu plus loin, sentit son excitation et grogna doucement :

— Qu'est-ce qui t'arrive encore ?
— Rien... Je suis juste tellement heureux, murmura Izuku, les yeux brillants dans l'obscurité. C'est l'une des meilleures journées de ma vie.

Katsuki se redressa un peu dans son futon.

— Une des meilleures ? C'était quoi les autres ? demanda-t-il, feignant l'indifférence.
— Hmm... Le jour où on a gagné cette course à trois pattes au jardin d'enfance ; le jour où j'ai gagné ma première fève... lista Izuku en comptant les jours sur les doigts de sa main. Oh ! et le jour où on s'est réconciliés, évidemment.

Katsuki grogna de nouveau, un sourire amusé sur le bout des lèvres. C'était si puéril de sa part. Mais la conversation prit un ton plus sérieux. Izuku fixa le plafond et chuchota :

— Kacchan... J'ai tenu ma promesse. A la rentrée, je ne retournerai plus à l'école.

Katsuki se mit en position assise, une boule se formant dans sa gorge.

— Quoi ? Pourquoi ?
— Je suis trop faible, maintenant. J'ai déjà pris les devants et j'ai prévenu les profs juste avant les vacances. Ils comprennent. Je veux juste... passer le temps qu'il me reste avec vous. Avec toi, mes parents... Sans m'occuper de ce qui est superflu.

Katsuki resta silencieux un moment avant de hocher la tête, bien qu'il sentit son coeur se serrer.

— Je viendrai te voir tous les jours, promit-il, la voix rauque.

Izuku tourna la tête vers lui, les yeux embués.

— Merci...

Le silence les enveloppa doucement, s'accordant sur la même note que la douceur de la nuit. Izuku le rompit de nouveau :

— Kacchan, qu'est-ce que tu aimerais faire plus tard ?
— Pourquoi tu veux savoir ça ? demanda Katsuki, un peu agacé par cette question d'avenir.
— Je me demande, c'est tout. Tu y as déjà réfléchi ?

Katsuki détourna les yeux et avoua :

— Pas vraiment. Et toi, Einstein ? T'as une idée ?

Izuku prit un petit moment avant de répondre, un léger sourire sur les lèvres.

— Je ne sais pas trop non plus, en fait. Je n'ai jamais pris le temps d'y penser. Je me disais que ça ne servait à rien.
— Tss...
— Mais peut-être que j'aurais aimé être professeur.
— Prof ? Sérieusement ? lança son ami, intrigué par ce choix de carrière.
— Oui, pour pouvoir soutenir les élèves. Les aider à trouver leur chemin, à croire en eux, même quand tout semble perdu. Peut-être aussi pour empêcher certains enfants de vivre ce que j'ai vécu. Pour leur éviter la solitude ou... ou le fait de se sentir inutile.

Katsuki resta silencieux, les bras croisés. Il écouta attentivement, sans interrompre son ami une seule fois.

— T'aurais été un bon prof, finit-il par dire d'un ton calme, comme une évidence.
— Tu crois ?
— Ouais. Avec ta tête de nerd et ton envie d'aider tout le monde... T'aurais été le genre à donner trop de devoirs, mais à part ça, ouais, t'aurais été un sacré bon prof.

Izuku rit doucement, mais son regard devint rapidement sérieux.

— Kacchan... Quand je ne serai plus là...
— Deku, arrête avec ça, le coupa-t-il, sourcil froncé.
— Non, écoute-moi, s'il te plaît, insista Izuku, le timbre déterminé. Quand je ne serai plus là, je veux que tu restes fort. Je sais que tu es une bonne personne, même si tu n'aimes pas le montrer. Tu t'en sortiras, je le sais. Tu as toute la vie devant toi. Tes parents seront là pour te soutenir et si tu as besoin d'aide... ma mère et mon père seront là aussi, je leur fais confiance.

Izuku attrapa la main de son ami qui cherchait désespérément à fuir son regard. Peine perdue, à présent.

— Si possible, je veux aussi que tu leur rendes visite de temps en temps. Ca leur fera plaisir et j'ai peur que mon père laisse ma mère seule... Et puis..., ajouta Izuku, tentant de chasser l'émotion qui menaçait de l'étouffer. Je te laisse toutes mes affaires All Might. Tous mes goodies collectors. Il n'y aura jamais de plus grand fan que toi, après moi.

Katsuki le fixa longtemps, la gorge serrée et augmenta la pression de sa main dans la sienne, se voulant rassurant. Il détestait ce genre de conversation, mais il comprenait qu'Izuku en ait besoin.

— T'es vraiment un débile, lança-t-il maladroitement. T'en es pas encore là, OK ? Alors arrête de parler comme si t'allais crever demain.

Izuku hocha doucement la tête, mais il savait que Kacchan voyait lui aussi la vérité. Ils n'en parlaient pas, mais le temps se comptait désormais en jours, peut-être une semaine ou deux s'ils avaient de la chance. Pourtant, malgré tout, un sourire paisible éclaira le visage d'Izuku.

— Merci d'être là, Kacchan.

Ce dernier ne répondit pas, mais son silence en disait long. Au fond de lui, il savait qu'il tiendrait cette promesse. Pour Izuku. Pour tout ce qu'il représentait. Pour tout ce qu'il laissait derrière lui. Il lui devait bien ça, après tout.

L'auberge, l'odeur de la mer, les rires et finalement les vacances laissèrent place à une rentrée bien différente. Pour Izuku, comme il l'avait dit à son ami, il n'y eut plus de cours à suivre, plus de bancs d'école, ni de longues marches vers le lycée. Il passait désormais le plus clair de son temps alité dans sa chambre. Les rideaux restaient ouverts, laissant entrer la chaleur douce du soleil, tandis qu'Inko s'occupait de lui avec une tendresse infinie.

Chaque jour, Katsuki venait lui rendre visite. Il franchissait la porte avec sa nonchalance habituelle, mais ses yeux brillaient d'un mélange de détermination et de tristesse qu'il ne parvenait plus à cacher.

Izuku, quant à lui, faisait tout son possible pour avoir l'air présentable. Il se redressait lentement dans son lit, peignait ses cheveux d'un geste maladroit et tirait sur son pyjama pour essayer de paraître un peu plus soigné aux yeux de son ami. Mais Katsuki le stoppait à chaque fois :

— Arrête ça, Deku, disait-il d'un ton ferme, mais pas méchant. Tu vas te reposer. Je m'en fous si t'as l'air d'un zombie.

Izuku laissait alors retomber ses bras, un sourire épuisé au visage. Katsuki s'asseyait près lui, parfois sur sa chaise de bureau, parfois directement au bord du lit, sans plus de cérémonie. Il parlait de tout et de rien : des profs, de ses camarades de classe, des idioties qu'il avait entendues ce jour-là. Il faisait rire Izuku, comme si rien n'avait changé.

Mais tout avait changé.

Les joues d'Izuku s'étaient creusées, ses yeux perdaient peu à peu de leur éclat. Son souffle devenait plus court à mesure que les jours passaient, devenant parfois sifflant. Pourtant, il restait là, accroché à ces derniers instants avec Kacchan.

Un soir, Katsuki s'attarda plus longtemps. Ses visites devenaient de plus en plus longues, il était un peu plus difficile de quitter Izuku à chaque jour qui passait. Katsuki avait bien trop peur que l'une de ses visites soit la dernière. Ce soir-là, ils parlèrent à voix basse, comme s'ils voulaient que ce moment dure pour l'éternité.

— Tu sais, Kacchan... murmura Izuku, le souffle presque imperceptible à présent. Je suis vraiment content qu'on ait pu passer tout ce temps ensemble. Ca m'a fait oublier un peu tout le reste.

Katsuki hocha la tête, incapable de parler. Il lui serra une main, doucement, comme s'il avait peur de la briser.

— Tais-toi, idiot, tu n'as pas besoin de dire ça.

Mais Izuku sourit, ses yeux se fermant doucement.

Le matin suivant, Inko trouva son fils immobile dans son lit. Sa respiration, qui n'avait été qu'un maigre filet ces derniers jours, s'était arrêtée dans le silence paisible de l'aube. Il avait un doux sourire sur les lèvres, comme s'il avait enfin trouvé la paix qu'il cherchait.

Katsuki arriva peu après, alerté par l'appel d'Hisashi. Inko et lui, dévastés, l'accueillirent dans un silence brisé par les sanglots. Il entra dans la chambre, le coeur lourd, et trouva Izuku entouré des dernières plantes qui avaient fini par éclore dans la nuit. Des fleurs délicates et lumineuses – des chrysanthèmes, des roses, des tournesols, des lilas, des pâquerettes, des pensées, des crocus, des jacinthes et des primevères – recouvraient son corps, grimpant le long de ses bras et encadrant son visage paisible. C'était comme si la nature elle-même lui rendait un dernier hommage, un dernier adieu à cet enfant qui avait tant donné malgré sa douleur.

Katsuki s'approcha doucement. Izuku semblait plongé dans un rêve apaisant. Un rêve dont il ne se réveillerait jamais. Il attrapa une dernière fois sa main, froide et délicate, et la porta à ses lèvres dans un dernier geste d'adieu. Il laissa ses souvenirs envahir son esprit. Les rires, les disputes, les réconciliations... tout cela formait le tableau d'une amitié unique qu'il ne pourrait jamais oublier.

Même si Izuku était parti, il laissait derrière lui une empreinte indélébile. Dans le coeur de Katsuki, dans celui de ses parents, et même dans celui du docteur Garaki qui avait passé une décennie à faire tout son possible pour le sauver.

Dans ce monde, il ne resterait peut-être qu'un souvenir ténu pour une petite poignée de personnes, mais ce dernier était doux, sincère et éternel. Et peut-être laisserait-il une marque plus importante dans un autre univers. Katsuki l'espérait de tout coeur.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top