Chapitre 2 - Bourgeon

Le seuil de la maison franchit, le sourire de façade d'Izuku s'effaça. Il inspira profondément, ajusta pour la deuxième fois les bretelles de son sac à dos comme un geste pouvant lui donner un peu plus de courage et s'engagea d'un pas décidé vers l'école.

Le matin pointait timidement le bout de son nez, le vent soufflait doucement et agitait légèrement les quelques feuilles vertes pleines de vie qui s'épanouissaient sur les arbres. Un matin de fin de printemps comme un autre, qui se voulait chaleureux en apparence, mais qui s'annonçait encore une fois annonciateur d'un lourd calvaire pour Izuku.

L'école n'avait jamais été très loin de chez lui : le jardin d'enfant était à un pâté de maison, l'école primaire était à quelques rues à peine et, à présent, pour le collège, il lui suffisait de longer la grande rue, de tourner à droite à la première intersection puis d'emprunter la ruelle entubée avant de déboucher devant le portail automatique. Mais Izuku aimait emprunter ces chemins quand ils n'étaient pas bondés de monde. Se rendre tôt à l'école lui permettait de flâner tranquillement le long des trottoirs, de gorger son esprit des premiers rayons du soleil et de laisser s'évader son esprit.

Ces quelques moments de tranquillité avant d'arriver au collège avaient toujours été bénéfiques pour son moral. Une goulée de cette lumière naturelle et il se sentait reprendre de l'énergie à toute vitesse ! Au fond, il s'était toujours un peu demandé si les bienfaits du soleil ne fonctionnaient pas sur lui comme pour ses fleurs : à défaut de pouvoir les laisser librement s'exprimer sur son corps, il les nourrissait à travers les quelques parcelles dévoilées de son visage. Mais plutôt que de réfléchir à cette idée pour le moins dérangeante, il préféra la fuir.

Passé le portail, il se demanda comment occuper le temps avant le début des cours. La cloche ne sonnerait pas avant une demi-heure, il aimerait bien jeter un coup d'oeil aux plantes de la salle de classe en attendant. Arroser les camélias qui ornaient le rebord des fenêtres était une tâche beaucoup moins chronophage que celle dont il se chargeait avec son jardin chaque matin. Aussi étrange que cela puisse paraître, s'occuper des plantes des autres lui faisaient oublier les siennes. Mais d'un autre côté, il avait déjà noté les coups d'oeil furtifs que jetaient ses camarades aux fleurs quand elles resplendissaient un peu trop – et ce, même quand ce n'était pas lui qui y avait touché –, alors peut-être qu'il continuerait plutôt la nouvelle bande-dessinée qu'il s'était procurée il y a deux jours...

Il laissa son esprit vagabonder encore sur les différents choix qui s'offraient à lui pendant qu'il enfilait sa paire de chaussures réglementaires et qu'il montait les escaliers. Quand il déboucha enfin dans sa salle de classe, on y entendait déjà des voix.

Et malheureusement, celles-ci appartenaient aux dernières personnes qu'Izuku avait envie de saluer.

Consterné, la main tremblante sur le battant de la porte, Izuku se figea et observa le pupitre de Katsuki Bakugo occupé par ce dernier ainsi que par ses deux fidèles acolytes, Tsubasa Nomu et Tesaki Hashiga. Les battements frénétiques de son coeur pulsèrent contre ses oreilles et brouillèrent le son de leurs voix. Il inspira une fois, puis une seconde fois, avant de se rappeler à l'ordre et de se rendre compte qu'aucun des trois comparses ne semblait l'avoir remarqué. Ou bien, ils l'ignoraient. Dans tous les cas, cela lui convenait. Qu'ils continuent leur conversation ! Décidant de ne pas rebrousser chemin, il avança discrètement jusqu'à son propre bureau. Aujourd'hui, il finirait sa bande-dessinée.

En passant de l'autre côté de la classe, il jeta un petit coup d'oeil à ce qu'ils tramaient à cette heure-ci. Pas vraiment de la curiosité mal placée, mais plutôt un moyen de se rassurer sur leurs intentions. Il était toujours temps de faire demi-tour s'il sentait que ça allait tourner au vinaigre, après tout. Mais au vu de ce que tenait Katsuki et de leur discussion joyeuse, ils parlaient vraisemblablement de la nouvelle console portable qui était sortie il y a quelques semaines.

— Sois pas radin, mec, fais voir un peu la machine ! s'exclama Tsubasa, confirmant les observations d'Izuku.
— Même pas en rêve ! T'as qu'à t'en acheter une, va, ricana Katsuki avant de lui passer la console malgré tout.

Izuku ne les écouta pas plus longtemps et déposa son sac au pied de sa chaise. Si sa journée s'était correctement déroulée, il se serait ensuite assis et aurait sorti sa fameuse bande-dessinée. Sauf qu'aujourd'hui encore, son pupitre était tâché. Ce n'était plus arrivé depuis quelques temps, mais ça ne s'enrichissait toujours pas en vocabulaire.

"Altéré",
"Casse-toi",
"Tu dégoûtes",
"Va crever",
"On te fera manger les pissenlits par la racine"...

Et même si cette vision n'était pas la première, ni la deuxième et qu'elle ne serait probablement pas la dernière... c'était toujours aussi douloureux. Izuku effleura de ses mains gantées les pauvres fleurs fanées, séchées, qui finissaient d'achever ce tableau de haine, les lèvres tremblantes. Derrière lui, il entendit des ricanements discrets, mais lorsqu'il releva la tête, il ne put apercevoir que l'ombre du sourire narquois de Tesaki avant qu'il ne disparaisse.

Son professeur ne le laisserait jamais étudier avec une table dans cet état. Izuku ramena délicatement vers lui les petites fleurs, se promettant de leur accorder un peu de son temps et sortit de la salle de classe en empruntant le seau qui servait au nettoyage du sol habituellement.

Il laissa le seau se remplir et observa les plantes flétries. Il s'agissait d'un mélange de camélias, probablement celles de la classe, et de pétunias qu'il avait déjà remarqués dans la cour de l'école. Katsuki et sa bande n'avaient pas cherché très loin pour lui faire ce funeste bouquet. Elles avaient été arrachées à leur terre bienfaitrice avec violence et leurs tiges fragiles avaient pris la forme de la paume qui les avaient empoignée. Est-ce que ces fleurs avaient mérité de souffrir, elles aussi ?

— Je suis désolé, leur murmura-t-il doucement dans le creux de sa main.

Plus loin dans le couloir, il crut entendre un bruit. Cela le ramena à sa tâche et il coupa prestement l'eau en voyant que le seau commençait à déborder. Il déversa le trop-plein et se saisit de l'anse pour retourner dans la classe. Les fleurs mortes décoraient pour le moment la poche de sa veste d'uniforme, il s'en occuperait tout à l'heure.

Avec une profonde inspiration, Izuku enleva ses gants, puis, avec un linge humide, il s'appliqua lentement à faire disparaître les calomnies dont on le décorait. Ses harceleurs avaient la présence d'esprit de ne pas utiliser de feutres permanents, c'était tout à leur honneur. Il ne fallait pas que les brimades ne se voient trop, après tout. Et quand bien même ça se verrait un peu, ce n'était qu'un jeu pour enfant. Rien de grave, non, rien de bien grave.

Autour de lui, la conversation s'estompait peu à peu. Avec des gestes mécaniques, lents et méthodiques, Izuku s'enferma dans sa bulle.

Il finit d'effacer la dernière trace, essora son linge humide et s'apprêta à reprendre ses gants quand une main se posa abruptement sur son épaule, le forçant à se retourner vers son bourreau. Tout entier dévoué à son labeur pour éviter les miriades de pensées qui se bousculaient dans sa tête, Izuku avait fait l'erreur de baisser sa garde et ne s'était pas rendu compte que la conversation légère s'était changée en murmures conspirateurs.

— T'es fier de toi, Deku ? lui demanda Katsuki en avisant la table propre. Moi, je trouvais ta nouvelle déco plutôt jolie.

Izuku déglutit, mais ne répondit pas. Aucune réponse n'était intéressante à entendre pour Katsuki. Ses mains serrèrent le rebord de son bureau, ses jointures blanchies par la pression.

— Bakugo, il y a quelque chose qui traîne à tes pieds ! lui balança Tesaki.

Les deux adolescents baissèrent les yeux en même temps, mais Katsuki fut le plus vif à réagir. Il lâcha l'épaule d'Izuku, s'empara des gants qu'il avait posé sur l'anse du seau et les balança à Tsubasa qui les rattrapa avec vigueur.

— Non, s'il vous plaît ! implora Izuku en se lançant vers Tsubasa.

Mais le garçon rondouillard ne se laissa pas attraper et les lança à son tour à son voisin.

Qu'est-ce qui pouvait les amuser à ce point à le faire tourner en bourrique ? Est-ce que saccager son pupitre n'avait pas été assez gratifiant pour eux, ce matin ? Les gants filèrent une nouvelle fois de Tesaki à Tsubasa sans qu'il ne parvienne à les rattraper, avant de filer vers Katsuki.

Izuku se mordit les lèvres. Au fond, il n'avait pas vraiment besoin de ces gants : ce n'étaient pas eux qui lui permettait de contrôler ses pouvoirs. Mais c'était comme un placebo : les avoir le rassurait et, surtout, ça rassurait les gens autour de lui. Il leur semblait moins dangereux.

— Kacchan, s'il te plaît, rends-les moi... supplia-t-il.

Le visage de Katsuki se tordit d'une grimace pleine de dégoût au son de ce surnom. Izuku se rendit compte de son erreur à l'instant même où il l'avait prononcé. Mais c'était comme un réflexe, c'était impossible à oublier.

Katsuki claqua les gants sur la table et s'empara du seau. Izuku recula, mais Tsubasa et Tesaki agrippèrent fermement ses bras pour l'immobiliser.

— C'est l'heure d'arroser les plantes, les gars, fulmina-t-il.

Et Katsuki lui déversa le contenu du seau en pleine figure. Tsubasa et Tesaki se reculèrent immédiatement, pris de fou rire face à cette scène, le laissant se glisser au sol, humilié.

L'eau froide lui coula sur le visage et imbiba son uniforme, le faisant frissonner jusqu'aux os. Ses cheveux verts, collés à son front, lui bloqua la vue, accentuant davantage son désarroi. Son coeur se gela un peu plus et lui coupa le souffle. Les yeux écarquillés, il observa ses mains tremblantes, tenta d'inspirer plusieurs fois sans y parvenir et aperçut le bout des chaussures de Katsuki poindre dans son champ de vision.

— Non mais regardez-le trembler comme une fillette ! nargua l'adolescent avant de se pencher à sa hauteur. Je ne le redirais pas, Deku : oublie ce surnom stupide. Sinon, tu sais de quoi je suis capable.

Mais Izuku n'entendait rien de plus que les battements frénétiques de son coeur. Peu à peu, les rires gras des trois comparses s'estompèrent pour laisser place à une froide panique. Une telle humiliation... pour un surnom ? Une telle haine... pour des fleurs ? Pour une situation, une maladie, quelque chose qui faisait partie de lui et qu'il ne pouvait pas contrôler ?

Le temps où lui et Kacchan étaient amis lui semblait si loin, comme un vague souvenir d'une autre vie aux contours flous... Et pourtant, ces rires moqueurs qu'il lui réservait à présent étaient autrefois teintés d'une camaderie réciproque. Du bout des doigts, Izuku effleura les fleurs mortes restées dans sa poche. Elles lui rappelèrent une époque où Kacchan semblait apprécier ses fleurs.

Du plus loin qu'il puisse se souvenir, sa mère s'était toujours montrée sincère à son égard et ne lui avait rien caché de sa situation. C'était un peu dur pour un enfant de cet âge de comprendre que ce "super-pouvoir" ne le rapprochait en rien d'All Might, son super-héros de dessin-animé préféré, mais qu'il s'agissait plutôt d'une malédiction comme celle qui dévorait le corps du grand ennemi d'All Might. Malgré tout, Izuku s'était bien amusé à faire éclore tout plein de fleurs dans sa maison pour tenter d'amuser sa maman.

Cette dernière l'avait plusieurs fois rappelé à l'ordre, tantôt avec tendresse quand il s'agissait de petites marguerites, tantôt plus brusquement quand c'était un bouquet plus imposant. Pour qu'enfin, le petit garçon de quatre ans comprenne que la beauté de ces petites fleurs cachait autant d'épines que les plus jolies roses que Papa ramenait à chaque fin de voyage. S'il voulait rester auprès de ses parents pour toujours, alors il devait s'interdire de faire pousser de fleurs.

L'image de ces plantes le dévorant lentement ne l'avait jamais complètement quitté et ne ferait que prendre une part plus importante dans sa vie au fil des années quand son jardin corporel se réveillerait davantage. Cependant, le petit Izuku du passé n'avait qu'à prendre soin de son petit bourgeon, faire attention au jardin d'enfant et tout se passerait bien. Enfin... plus facile à dire qu'à faire.

La moindre émotion un peu forte faisait perdre le contrôle d'Izuku. Il marquait un but, sa joie s'exprimait au travers de larges plate-bandes de tulipes ; il se blessait au genou en montant sur un skate, des bégonias  l'entouraient pour le réconforter ; lorsqu'il se perdait dans les allées du supermarché, les carottes et les tomates grossissaient à vue d'oeil afin que sa maman puisse le retrouver...

Izuku savait que ce n'était pas bien, Maman ne serait probablement pas contente si elle apprenait la moitié de ce qu'il faisait, mais il ne contrôlait rien. Les plantes avaient besoin de lui, elles cherchaient toujours un moyen de s'épanouir à travers lui. Et, au fond, il devait bien avouer qu'il les aimait bien aussi.

Au départ, ça n'effrayait pas vraiment ses petits camarades de classe qui trouvaient ce spectacle plutôt rigolo : quelle fleur allait apparaître à la prochaine émotion d'Izuku ? Ces petits tours incongrus impressionnaient autant les filles que les garçons qui espéraient parfois voir apparaître d'immenses plantes carnivores ou des arbres parlants, sans que ça n'arrive réellement.

Le plus grand fan d'Izuku était certainement Kacchan. A chaque occasion, ils se faufilaient en bordure de la cour de récréation pour examiner les fleurs que le petit Izuku laissait derrière lui. Très souvent, le blondinet lui demandait la signification de chaque fleur :

— Et celles-ci, les tournesols, pourquoi ce sont celles qui apparaissent le plus ?
— Maman m'a dit que c'était la fleur de la joie et du soleil, lui répondait-il alors en observant à son tour ses fleurs.
— Ouais, ça semble logique. Ils ont la même couleur et apparaissent toujours quand t'es content !

Au cours de cette conversation banale, les tournesols s'étaient mis à danser au même rythme lancinant du vent. Kacchan lui souriait de toutes ses dents et, pour la première fois, Izuku se dit que ses fleurs n'étaient pas seulement un cadeau empoisonné. Pour Maman, elles étaient un fardeau, mais avec Kacchan, elles étaient un petit miracle quotidien qu'il fallait chérir. Peut-être qu'il pouvait trouver un juste milieu, une façon d'exister pour satisfaire tout le monde...

Cependant, les adultes, eux, voyaient les choses différemment. Pour eux, l'alter d'Izuku représentait un danger latent. Peut-être que ce pouvoir pouvait échapper à son contrôle ou bien s'avérer contagieux, tout compte fait... Inko se battait contre ces préjugés, mais un accident avec Kacchan eut vite fait de mettre le feu aux poudres.

Ce jour-là, comme tant d'autres, Izuku et son camarade se dirigeaient vers le parc avoisinant le jardin d'enfant. Tous les enfants du quartier s'y retrouvaient, les parents n'étaient jamais bien loin, mais le parc semblait si grand et les aventures si nombreuses... Un monde à part, loin des règles de la maison ou des professeurs. Inséparables même dans ces instants simples, les deux garçons s'étaient élancés vers les grands chênes pour y grimper et se jucher au-dessus de la cime des arbres pour "dominer le monde", comme aimer le proclamer le petit Katsuki avec fierté.

A mesure qu'ils escaladaient les branches épaisses du grand chêne, Katsuki, un peu en avance, fanfaronnait, sa main tendue en signe de victoire. Il allait arriver au sommet bien avant Izuku, aujourd'hui ! Mais alors qu'il montait d'un cran supplémentaire, son pied avait dérapé brusquement, l'écorce encore humide de la récente pluie de la veille. En une fraction de seconde, toute trace d'assurance avait disparu. La panique s'était mise à marquer ses traits.

Izuku, encore quelques branches en dessous, avait entendu le craquement. Il s'était figé d'angoisse en le voyant glisser. En un instant, c'était comme si le temps s'était suspendu : son coeur avait cessé de battre, les oiseaux avaient stoppé leur chant et le chahut des enfants alentours s'était estompé pour ne devenir qu'un vague bruit de fond. L'image de Katsuki chutant semblait si irréelle.

Sans réfléchir, Izuku avait tendu une main, comme s'il pouvait stopper la chute de son ami par sa seule force d'enfant. Mais Kacchan était déjà hors de portée. Dans ce moment d'effroi, quelque chose en lui s'était libéré, quelque chose qu'il ne comprenait pas encore très bien. Les branches avaient frémi et, comme guidées par une volonté invisible, s'étaient tendues pour former une sorte de filet autour de Katsuki, freinant sa chute au maximum jusqu'à le ramener au sol, sans la moindre égratignure notable.

Kacchan, encore immobile, fixait Izuku de ses yeux écarquillés, sans un mot. Autour d'eux, quelques enfants s'étaient rapprochés, curieux et intrigués, mais aussi inquiets par les cris qu'ils avaient cru entendre. Les regards pesaient sur Izuku, emplis d'incompréhension et de crainte. Des murmures échangés à voix basse accompagnèrent le tressaillement des feuilles, chacun des enfants tentait de donner un sens à ce qu'ils venaient de voir. Izuku avait senti une chaleur désagréable monter jusqu'à son visage, une sensation de malaise face à ces yeux qui le fixaient, comme s'il était un étranger.

D'un geste hésitant, il avait tendu une main vers Katsuki, le coeur battant d'angoisse. Mais ce dernier s'était redressé d'un seul bond, évitant soigneusement son regard. Quelque chose venait de changer, comme une barrière invisible qui avait déjà commencé à s'ériger entre eux.

Le regroupement d'enfants avait attiré bien vite l'attention des parents. Voyant l'enchevêtrement de branches et les regards fixés sur le petit Izuku, les rumeurs firent bon train. La méfiance des adultes avait rapidement pris racine parmi les enfants et, lorsqu'on avait découvert que Katsuki était rempli de bleu, on jugea finalement ses capacités de dangereuses. Une vilaine rumeur se faisait même déjà entendre : l'enfant Midoriya aurait fait tomber Katsuki Bakugo de l'arbre.

A la maison, Izuku se souvenait très bien de l'ambiance glaciale qui avait régné pendant un long moment. Maman passait en cachette ses soirées au téléphone, en pleurs, avec Papa à l'autre bout du fil, à l'autre bout du monde, en train de s'échiner au travail pour soigner un enfant qui venait de ruiner tous ses efforts avec des "bêtises". S'il n'avait pas autant usé de son alter, alors il n'aurait jamais attiré l'attention de Kacchan, ils ne seraient jamais montés dans cet arbre et rien ne serait arrivé.

Caché dans l'encadrement de la porte, Izuku avait longtemps observé sa Maman. De sa petite poigne tremblante, il avait saisi le haut de son pyjama aux motifs All Might, au niveau de sa poitrine, et avait ravalé sa douleur : à cause du filet de branches, quatre bourgeons étaient apparus autour du premier qui avait déjà éclos. Il n'avait pas le droit de se plaindre après ce qu'il avait fait !

Pendant un moment, Inko n'avait plus voulu que son fils retourne à l'école. Mais le petit garçon avait insisté : il devait s'excuser auprès de Kacchan et dissiper le malentendu qui s'était installé auprès de tout le monde. Tout pourrait redevenir comme avant, s'il s'y prenait assez tôt, il en était persuadé ! C'est avec cette conviction qu'Izuku avait repris le chemin du jardin d'enfant, la tête haute et le coeur gonflé d'espoir. Mais s'illusionner ainsi ne pouvait que rendre le retour à la réalité plus brutal.

Dès son arrivée parmi ses camarades, il avait senti le poids du silence. Un silence pesant, étouffant. Chaque regard posé sur lui trahissait une forme de méfiance, comme s'il était devenu une bombe prête à exploser. Pourtant, Izuku n'avait pas perdu courage et s'était approché de son groupe d'amis, déterminé à briser cette étrange distance. Mais Katsuki, Tsubasa et Tesaki l'avaient soigneusement ignoré, agissant comme s'il n'était tout simplement pas là.

— Tsubasa, j'ai ramené mon ballon aujourd'hui ! La dernière fois, ça devait être mon tour, tu te souviens ? avait-il lancé avec enthousiasme, sa voix tremblante d'un espoir presque palpable.
— Tesaki, tu ne veux pas finir le puzzle qu'on avait commencé ? avait-il essayé de demander, le sourire incertain.

Pendant trois jours, Izuku avait continué de les interpeller, tentant désespérément d'arracher ne serait-ce qu'un mot à ses amis. Mais aucun ne lui répondait. A chaque silence, à chaque regard fuyant, une vérité implacable s'imposait à lui : il n'était plus le bienvenu parmi eux. Les efforts de sa mère pour le défendre, pour expliquer, n'avaient rien changé. La rumeur avait fait son nid et même les parents semblaient l'éviter, comme s'il représentait un véritable danger.

— On ne veut plus jouer avec toi, Izuku.

Le ton sec et définitif de Tesaki avait claqué dans l'air après un énième essai. Izuku avait tourné son regard vers Kacchan, espérant qu'il viendrait prendre sa défense. Il y avait toujours cette part de lui qui croyait fermement en son amitié malgré les changements subtils, les regards fuyants et son long silence.

— Pourquoi, Kacchan ? Si c'est à cause de la dernière fois, je suis vraiment désolé ! Je ne voulais pas te blesser. Est-ce que ça va mieux ? avait-il demandé avec un mélange d'angoisse et d'espoir.

Katsuki était resté silencieux, les yeux fixés au loin. C'est Tsubasa qui s'était chargé de lui répondre, un sourire moqueur sur les lèvres :

— C'est trop tard pour lui demander pardon, débile.
— Allez, va jouer ailleurs, avait ajouté Tesaki avec un geste condescendant de la main.
— Kacchan ?... murmura Izuku, la voix brisée.

Pour toute réponse, Katsuki avait haussé les épaules et s'était détourné, donnant son approbation tacite aux autres. Il avait tourné le dos au petit Izuku seul au milieu de la cour, le vent sifflant doucement comme pour emporter les derniers éclats d'espoir qu'il avait placé en son ami d'enfance.

Dès ce jour, plus aucun enfant ne voulait jouer avec Izuku, c'était acté. Le garçon avait essayé de ne pas se laisser abattre, inventant ses propres jeux et se contentant de sa solitude. Une part de lui espérait encore, sans savoir pourquoi, que la situation puisse s'arranger. Mais ses anciens compagnons de jeux l'évitaient, comme si son simple contact était devenu une source de malaise, de danger.

Les jours se muèrent en semaines, puis en mois et, lentement, une rancoeur silencieuse avait commencé à grandir autour de lui. Le jardin d'enfance avait alors cédé sa place aux bancs de l'école primaire et Izuku connut quelques instants de répit, trouvant des camarades parmi les nouveaux élèves. Mais les rumeurs n'avaient pas tardé à le rattraper, discrètes d'abord, puis venimeuses. Les quelques enfants qui s'étaient aventurés à se rapprocher de lui finissaient par se détourner, sous le regard insistant de Katsuki et de ses deux amis.

C'est à peu près à cette période qu'Izuku avait commencé à porter des gants pour masquer ses mains, dans le fol espoir que ça puisse apaiser un peu plus les tensions. Un message un peu subtil qu'il voulait faire passer auprès des autres afin de montrer qu'il pouvait faire preuve d'une grande volonté pour s'intégrer et qu'il ne voulait pas leur causer du tort d'une quelconque manière. Le résultat n'avait pas été très concluant, mais l'adolescent ne s'était jamais avoué vaincu.

Puis, un jour, les premières moqueries franchirent le pas de l'indifférence.

Katsuki, entouré de Tsubasa et Tesaki, avait laissé échapper pour la première le surnom de "Deku" en affirmant que ce sobriquet lui allait à ravir puisqu'il signifiait "inutile". Personne ne semblait s'y opposer. Izuku, seul, avait enduré ces rires sans jamais riposter. Son silence, sa résilience, loin de calmer les autres, semblait les énerver davantage. Tout chez lui semblait prêter le flanc à la moquerie : son attitude joyeuse malgré les calomnies qui ne s'essoufflaient jamais, ses cahiers premiers prix, ses chaussures abîmées... Mais aucune parole n'était assez blessante pour faire fléchir Izuku, comme s'il refusait de donner aux autres la satisfaction de voir sa détresse.

Et quand les insultes ne suffirent plus, la violence physique fit son apparition. Un jour, alors qu'il partait vider la poubelle de la classe dans le local de l'arrière-cour, un coup de pied l'avait frappé dans le dos, le projetant au sol. Izuku s'était redressé rapidement, tremblant mais sans mot dire, couvert de déchets. Il croyait encore qu'il pouvait supporter cette cruauté, que ce n'était qu'un passage à vide qui s'essoufflerait bien vite. Mais le harcèlement s'intensifiait de jour en jour, alimenté par une sorte de rage incompréhensible, une colère sans fondement. Et surtout, cette violence était souvent initiée par Kacchan lui-même, comme si Izuku était devenu le réceptacle de tous ses doutes, de toutes ses peurs.

L'incompréhension d'Izuku grandissait au fur et à mesure des coups qui se mettaient à pleuvoir sur son corps. Il ne savait pas pourquoi leur relation avait pris ce tournant si sombre. Comment Kacchan, qui avait été autrefois son meilleur ami, pouvait-il être celui qui menait à présent les autres contre lui ? Etait-ce l'envie ? La colère ? La frustration qui l'animait de la sorte ? Ou peut-être que l'image de cet enfant, resté inébranlable malgré l'isolement et les insultes, lui devenait insupportable ? Izuku n'en savait rien. Ce qu'il savait, en revanche, c'est que chaque jour, il rentrait chez lui le coeur un peu plus lourd, le corps tout ankylosé, mais avec un sourire qu'il s'efforçait de conserver pour ne pas inquiéter sa mère.

Inko, malgré ses questions inquiètes, n'avait que rarement des réponses. Izuku haussait toujours les épaules, prétendait que tout allait bien et que la journée s'était déroulée de la plus banale des manières, puis laissait son esprit voguer vers ces jours d'innocence perdus.

Il n'avait pas le droit d'inquiéter sa mère, pas après tout ce qu'elle avait sacrifié pour lui. Elle était sa première protectrice, celle qui avait toujours cru en lui, même lorsque le monde autour d'eux semblait leur tourner le dos. Il la voyait encore en train de pleurer au téléphone, le jour de cet accident, jusqu'à très tard le soir alors qu'elle se levait aux aurores le lendemain matin pour s'esquinter à la tâche, s'efforçant de joindre les deux bouts pour assurer une vie décente à son fils unique. Alors, il faisait de son mieux pour préserver ce semblant de paix à la maison pour qu'elle puisse croire, elle aussi, que tout allait bien.

Il savait qu'elle s'inquiétait, qu'elle sentait que quelque chose clochait malgré tous ses efforts pour masquer la douleur et les blessures qui envahissaient peu à peu son corps. Mais à chaque fois qu'elle le dévisageait d'un air trop scrutateur, il lui offrait un sourire des plus rayonnant, comme pour lui faire comprendre qu'il était fort et qu'il pouvait tout endurer. Ses mains tremblantes, pourtant, trahissaient l'angoisse qui ne cessait de grandir. Cependant, il ne pouvait lui rajouter le poids de sa souffrance sur ses épaules fatiguées.

La solution qu'avait trouvée Izuku pour obtenir un semblant de paix était de s'échapper dans son propre monde, la nuit tombée, danc ce parc où sa vie avait malencontreusement basculé. Au fil des jours et des épreuves, ce monde prenait forme sur sa peau : un jardin invisible aux yeux des autres, mais bien réel pour lui. Là, il n'était plus "Deku", le garçon dont tout le monde se moquait, mais juste Izuku. Il redevenait un enfant capable de faire naître des fleurs de toute beauté là où il n'était plus que douleurs. Les coups, les insultes, chaque déception se transformait en bourgeon, chaque moquerie en pétale. Chaque chose qu'il faisait pousser dans ce parc, s'adonnant complètement à sa magie pour la première fois de sa vie, faisait son apparition peu après sur son corps, des fleurs silencieuses et résilientes venues remplacer les écorchures et les ecchymoses.

Les premières étaient apparues discrètement, de petites taches de couleurs qui ne demandaient qu'à éclore et dont la petite percée aigue éclipsait la douleur des coups. Au début, il pouvait encore les dissimuler assez simplement : quelques petits boutons de fleurs aux chevilles, un rameau au creux du coude... Mais plus la violence grandissait, plus son jardin se densifiait. Bientôt, Izuku ne pouvait plus porter de short sans risquer de dévoiler une tige ou une fleur, les manches longues devenaient nécessaires pour cacher les plantes qui couraient le long de ses bras, s'enroulant autour de sa peau comme un étrange secret.

Il se renferma davantage, préférant souffrir en silence plutôt que d'avouer à sa mère la raison de ce qui prenait de plus en plus racine dans son corps. Il n'aurait pas aimé voir l'inquiétude et la déception ternir l'éclat de ses yeux. Lorsqu'il se trouvait seul dans sa chambre, il caressait parfois les feuilles délicates qui naissaient sur son corps, se demandant si elles étaient le reflet de sa douleur ou une forme de réconfort. Mais c'est la nuit qu'il accueillait avec une grande gratitude : il pouvait enfin faire tomber le masque et laisser ses larmes couler, silencieuses, tandis que son jardin secret continuait de s'épanouir.

Chaque pétale était une parole qu'il ne prononçait pas, chaque feuille une question qu'il n'osait pas poser. C'était là, dans le silence et le secret, qu'il trouvait un semblant de paix, se promettant de ne jamais inquiéter sa mère avec ce fardeau invisible. Pour elle, il serait toujours ce fils courageux et souriant. Et pour lui, il resterait le seul gardien de ce jardin corporel où la douleur se muait en beauté. Pour la protéger.

L'eau glacée du seau finissait de se mélanger aux souvenirs brûlants des années passées. Les rires moqueurs de Katsuki et ses amis semblaient se fondre dans un écho lointain, comme un disque rayé de toutes les cruautés qu'il avait déjà endurées. La douleur de l'humiliation se mêla à celle de ses anciens tourments et, un instant, il revit le jardin secret qu'il portait sur sa peau, ce jardin silencieux qu'il s'efforçait de cacher depuis si longtemps.

Il reprit peu à peu conscience de son environnement en sentant le toucher rugueux des petites fleurs flétries dans le creux de sa main. Il avait fini par complètement les sortir de sa poche, comme un talisman à son propre épuisement. La scène prit alors une teinte étrange : il entendit les murmures de Tsubasa et Tesaki qui semblaient avoir remarqué les pétales secs dans sa main.

— Regarde ça, Bakugo, gloussa l'un d'eux d'un air dédaigneux. On dirait que même les plantes ne veulent plus de lui !

Ces paroles firent naître un rire étouffé dans le petit groupe, mais une tension sourde semblait vibrer sous la surface. Katsuki, intrigué, tendit la main pour saisir les fleurs mourantes, comme pour marquer définitivement son pouvoir sur Deku. Avant qu'il n'ait pu s'en saisir, Izuku serra le poing et releva immédiatement la tête, une étrange lueur dans le regard. D'un mouvement sec, il brandit les fleurs devant le visage de son ami d'enfance.

— C'est de ça dont tu as peur, Kacchan ? murmura-t-il d'une voix tremblante, mais résolue.

Puis, sous ses yeux ébahis, les fleurs reprirent vie, s'épanouissant dans toute leur splendeur malgré leur état pitoyable initial.

Les rires de Tsubasa et Tesaki s'évanouirent alors qu'ils fixaient Izuku, partagés entre la peur et la fascination. Ils attendirent la réaction de Katsuki. Celui-ci, d'abord figé par la surprise, sentit sa stupéfaction se transformer en colère. Comment osait-il ? Il n'acceptait pas cette rébellion, ce défi inattendu venant de celui qu'il avait toujours cru brisé et silencieux. Sans un mot, il saisit violemment le bras d'Izuku, ses doigts s'enfonçant dans sa peau fragile.

— Arrête tes conneries, Deku, siffla-t-il, ses yeux flamboyants d'une rage contenue.

Izuku sentit la douleur remonter le long de son bras, mais il soutint son regard du mieux qu'il pût, retenant les larmes qui menaçaient de poindre au coin de ses yeux.

— Lâche-moi, ordonna-t-il, la voix tremblante, mais ferme.

D'un mouvement brusque, il se libéra de l'emprise de Katsuki, le souffle court. Dans la confusion, sa manche glissa légèrement, dévoilant à Katsuki uniquement l'esquisse de fleurs colorées, dispersées comme des stigmates sur sa peau. Son vis-à-vis cligna des yeux, surpris par cette vision fugace, mais avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, Izuku recula, la main sur sa manche relevée en vitesse, son regard empreint d'une intensité nouvelle, d'une force qu'il n'avait encore jamais montrée auparavant.

Et, sans un mot de plus, Izuku tourna les talons et s'enfuit, laissant derrière lui une scène figée, marquée par la tension et le silence.

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