Chapitre 11


Rin se fit trimballer par le soldat Kang plus qu'elle ne le suivit. Une fois qu'il la lâcha, elle se frotta le poignet en pestant, l'insultant de tous les noms d'oiseaux qu'elle connaissait. Sans se soucier de sa colère, il alla refermer la porte de la salle à double-tours avant de prendre une chaise et de l'inviter à en faire de même.

- Vous n'auriez pas pu être plus doux, ou est-ce un mot qui vous est inconnu ? grinça-t-elle en massant son muscle douloureux.

- Disons que je sais être doux quand il le faut et avec qui il faut, peut-être un jour vous y aurez le droit... Maintenant, asseyez-vous, je n'ai pas toute la journée.

La japonaise lui lança un regard meurtrier avant de prendre place sur une chaise en face de lui et de croiser les jambes. Qu'il parle maintenant, elle n'attendait plus que ça !

- D'abord, que vous a-t-il raconté ?

Elle haussa les épaules et ne contrôla pas le ton de sa voix, la laissant délibérément paraître agressive et sèche.

- Pas grand-chose, il a perdu son père à l'âge de quinze ans et sa mère après. Il vient déposer des fleurs sur leur tombe en leur mémoire. C'est tout ce que je sais.

Le soldat soupira et se prit la tête entre les mains. Son ami en avait beaucoup trop dit et maintenant, il se trouvait dans une situation difficile. Il n'avait pas du tout prévu de devoir tout expliquer à la jeune femme, et encore moins de cette manière. En ce moment, il maudissait clairement son sang chaud et son caractère imprévisible.

Depuis qu'elle était arrivée, il s'était découvert une manie à toujours se retrouver sur son chemin et à toujours vouloir interagir avec elle, de quelconque manière que ce soit. Etait-il souffrant ? Ou même devenu complètement cinglé suite à son installation au QG ?

- Et bien ! Dites-moi au lieu de rester sans rien faire !

Jong Suk lui renvoya un regard assassin. Il n'appréciait pas du tout son petit ton pressé et fortement agaçant à ses oreilles.

- Si tu veux que je t'explique, tu as intérêt à te taire. Je ne me répèterai pas et, si tu m'interromps, je ne dirai plus rien, la mit-il en garde.

Rin haussa un de ses sourcils. Le tutoiement ? Vraiment ? Mais de quel droit lui parlait-il aussi familièrement ! Même s'ils ne s'entendaient pas, ils se devaient le respect et le vouvoiement était de recours !

- Je ne nous croyais pas aussi proche que ça... d'ailleurs, je préfère clairement que vous me vouvoyez... répliqua la japonaise en grinçant des dents.

L'homme lui répondit dans un rire moqueur, s'avançant vers elle jusqu'à se retrouver à quelques centimètres de son visage :

- Considère que, maintenant, nous le sommes assez pour nous permettre une telle chose.

Rin se recula en grimaçant et croisa ses bras sur sa poitrine. Elle détourna son visage pour ne pas lui montrer les rougeurs soudaines qui s'étaient emparées de ses joues.

Mais que lui arrivait-il ? C'était bien la première fois qu'elle expérimentait le terme « rougir ». Elle n'était pas ce qu'on pouvait appeler une personne qui montrait ses sentiments ou qui les faisait comprendre. Rin était plutôt du genre à les garder au fond d'elle-même, quitte à ce qu'ils ne sortent jamais de son cœur.

Jong Suk dissimula son sourire en coin derrière sa main et toussota pour reprendre contenance. C'est qu'elle commençait à faire sa timide ! Chose tout à fait curieuse, en comparaison avec son caractère incendiaire lors de leurs dernières rencontres assez... chaotiques.

- Tout d'abord, il faut savoir que, dès son plus jeune âge, Soo Hyun a voulu suivre les traces de son père en s'engageant dans l'armée. Son rêve était de pouvoir défendre son pays à ses côtés.

Soudain attentive à ce que racontait l'homme, Rin tendit l'oreille et alla jusqu'à raisonner sa respiration. Seule la voix grave de Jong Suk résonnait dans la pièce close.

- Malheureusement, continua-t-il, son père est mort en mission.

- Je le sais ça : il a reçu un appel lui annonçant le décès de son père, sa mère l'a trouvé sur le sol et c'est elle qui s'est occupée de lui. Puis, elle est morte.

Le soldat lui lança un regard noir et elle ferma sa bouche.

- Que t'avais-je dit, Uchiyama ? Ne parle pas, n'ose même pas ouvrir tes lèvres et ne m'interromps surtout pas.

Elle soutient son regard furieux et releva même la tête dans une attitude de défi. S'il croyait qu'elle allait se taire seulement parce qu'il la réprimandait comme une enfant, il se trompait sur toute la ligne ! Elle aussi savait être insultante, pas besoin de tutoiement pour ça !

- Si seulement vos histoires étaient plus intéressantes, peut-être arriverais-je à me taire.

Le sourire goguenard que lui adressa Jong Suk la fit douter un millième de seconde sur ses paroles. Doute qui se révéla véritable quand il se leva de sa chaise, s'apprêtant à quitter la pièce sans un mot. Eberluée, la jeune femme le suivit des yeux, jusqu'à ce qu'il n'atteigne la porte. Il posa sa main sur la poignée.

Rin ricana légèrement. Jamais il ne quitterait cette pièce sans lui avoir tout raconté. A quoi cela servirait-il ? Elle ne fit donc pas attention quand il tourna la clé dans la serrure, déverrouillant la porte par la même occasion. Il l'ouvrit et se tourna vers elle.

- Puisque mes histoires ne sont pas à votre goût, je crois que vous ne verrez aucun inconvénient à ce que je quitte cette pièce.

- Tiens, vous venez de retrouver votre politesse ? le nargua la jeune femme, son éternel rictus aux lèvres.

- Je ne l'avais jamais perdue, Uchiyama. Disons que je m'étais permis une courte trêve avec vous. Cela aura été fort inutile à ce que je vois.

Etonnée par cet aveu, la japonaise ne sut que répondre et se contenta de le fusiller du regard. Quel homme insultant !

- Au plaisir, Uchiyama, finit-il en s'inclinant dans une courbette moqueuse, ah oui, comme vous avez l'air d'apprécier cette pièce, je crois que je vais vous offrir un petit séjour à l'intérieur. N'est-ce pas comique, sachant que je possède la seule clé qui ouvre la porte de sortie ? Profitez bien surtout et pensez donc à mes insignifiantes histoires qui, sans doute, vous manqueront autant que moi quand vous vous retrouverez enfermée à double tours !

La jeune femme mit un instant à analyser la position de faiblesse dans laquelle elle se trouvait. Ces quelques secondes de trop l'empêchèrent de faire un bond assez rapide pour aller bloquer la porte qui se referma sur son visage défiguré par la colère et la haine. Elle tambourina comme une forcenée sur le bois, provoquant des bruits sourds contre la paroi. Ses coups et ses cris furieux se répercutaient dans le silence et le vide de la pièce.

- Kang ! Espèce de salaud ! Laissez-moi sortir ! Kang ! Ouvrez donc cette porte ! Je vous jure que si vous n'ouvrez pas dans la minute, vous le paierez de votre vie ! Je vous le promets ! Kang !

Elle s'acharna encore un moment sur le battant de bois, jusqu'à ce que ses muscles ne lui fassent trop mal et qu'elle ne manque de se casser à plusieurs reprises les phalanges. Dépitée, elle laissa glisser ses mains sur la porte et tomba au sol.

Elle s'adossa contre le bois, ressentant ses légères rainures dans son dos. Un soupir s'échappa de ses lèvres entrouvertes et elle prit son visage entre ses mains.

Qu'avait-elle fait pour en arriver là ? Bon, elle avait agressive avec le soldat Kang, méchante, violente, insultante et tout un tas d'autres choses ! Mais il ne fallait pas oublier qu'elle n'était pas la seule coupable dans l'affaire et qu'il possédait tout de même une part de responsabilités !

Pour se disputer, il fallait être deux... ou schizophrène... au choix. Dans leur cas, ils étaient tous les deux impliqués dans leur comportement puéril et leurs bagarres incessantes.

- Rhaaa. Comment je vais bien pouvoir me sortir de là... se morigéna-t-elle, si je continue comme ça, je vais finir par me faire emprisonner pour de bon ! Je ne suis d'ailleurs pas sûre qu'il soit aussi clément avec moi la prochaine fois...

Alors qu'elle réfléchissait en parlant à voix haute, elle sentit la porte contre laquelle elle était adossée se dérober sous elle. La jeune femme n'eut même pas le temps de se rattraper qu'elle tomba en arrière.

Rin écarquilla les yeux en découvrant sa tête entourée de part et d'autre par deux larges bottes de combat cirées et luisantes de propreté. Elle se glissa sur le sol et recula aussitôt, redressant la tête ; quelques mèches de ses cheveux vinrent s'accrocher à ses cils et elle dévisagea l'intrus.

Tiens, revoilà le salaud de première !

- Et bien, Uchiyama. Déjà à mes pieds ? Je devrais vous enfermer plus souvent, ça a l'air de vous réussir.

- Je ne crois pas, Kang. J'étais plutôt en train de tester votre façon de vivre, mais même le plus bas possible, je n'arrive toujours pas à être aussi pitoyable que vous, ricana-t-elle en époussetant son pantalon droit.

Il haussa un sourcil et lui adressa un rictus moqueur avant d'empoigner une nouvelle fois la clenche.

- Toutes mes excuses, Uchiyama. Vous n'êtes pas encore décidée à me laisser parler. Je vais donc m'éclipser pour que vous réfléchissiez pendant une ou deux heures à vos actes.

Rin ferma ses paupières et se mordit l'intérieur des joues. Qu'elle prenne sur elle. Qu'elle respire. Qu'elle se calme. Qu'elle répondre doucement. Bref, qu'elle devienne aimable et qu'elle mette de côté ses différents avec cet homme si elle souhaitait sa liberté.

Quand elle rouvrit les yeux, à peine quelques secondes plus tard, elle avait pris sa décision et s'était octroyée une nouvelle mission : se rapprocher de Kang Jong Suk, par n'importe quels moyens que ce soit.

- Ne partez pas, Kang, le retint-elle en pinçant les lèvres, je... je vais vous écouter.

La japonaise regretta presque aussitôt ses mots en sentant le regard impassible, quoique brûlant, de Jong Suk sur sa nuque. Elle entendit la porte se fermer et le soldat se rapprocher d'elle, avant de la frôler et de s'asseoir sur une chaise.

Un léger frisson la parcourut lorsque son bras la toucha et elle le cacha en se frottant les avant-bras, prétextant un soudain courant d'air, dû à l'ouverture de la porte.

- Je veux bien vous raconter cette histoire, en revanche, je ne dispose pas de toute la journée à vous octroyer. J'ai encore à m'entraîner.

Rin se dépêcha et s'installa en face de lui, les mains posées sur ses genoux. Elle attendit calmement qu'il se décide à parler.

- Donc, après la mort de son père, la mère de Soo Hyun lui a interdit de poursuivre son rêve et de devenir soldat. Ce qui est compréhensible : elle avait perdu son mari, elle n'aurait pas voulu survivre à son fils non plus. Enfin... Soo Hyun aimait profondément sa mère mais encore plus profondément son rêve. A seize ans, il s'est engagé en secret, tout en s'arrangeant pour faire semblant de poursuivre ses études, ne souhaitant pas alarmer sa mère.

Le cerveau de Rin fonctionnait à toute vitesse, analysant et décryptant ce que lui révélait Jong Suk. Elle était pendue à ses lèvres, regrettant presque ses précédentes paroles sur sa qualité à raconter des histoires.

- C'est là que je l'ai rencontré et que nous sommes devenus très bons amis. A cette époque, sa mère demandait souvent à Soo Hyun s'il avait des amis, ce qu'il faisait en cours, si ses professeurs étaient sympas avec lui et s'il comprenait tout. Bien évidemment, rien de tout ça n'existait et il a fallu l'inventer pour ne pas qu'il se fasse démasquer. J'étais donc chargé, avec quelques copains de régiment, d'inventer une vie à Soo Hyun. Nous avons fait les quatre cent coups ensemble... Je me rappelle encore du jour où on est resté éveillés toute la nuit pour créer une photo de classe et quelques interros à montrer à sa mère...

A ce souvenir, ses yeux se voilèrent dans les brumes de ses pensées et Rin y plongea sans réfléchir. Elle cligna des paupières, se soutirant à son emprise. Pas d'attaches. Il fallait qu'elle pense à ça. Il ne fallait pas qu'elle soit émue de cette histoire, elle n'avait besoin que de renseignements supplémentaires sur eux pour pouvoir mieux s'échapper.

- J'ai rencontré plusieurs fois sa mère – une femme très gentille, douce et aimable. Elle me considérait presque comme son fils... en même temps, Soo Hyun trainions tout le temps ensemble et je passais la totalité de mes week-ends chez eux.

Devant cette information, quoique bénigne, la japonaise fronça les sourcils. N'avait-il pas de famille, au lieu de passer la fin de semaine chez d'autres ? Il faudrait qu'elle soulève ce point intriguant...

- Enfin, même si ce jeu était amusant, il a fini par être découvert par sa mère. Elle était devenue méfiante après le premier trimestre, quand elle a remarqué qu'aucun bulletin n'était arrivé dans sa boîte aux lettres. Et puis, peu avant la moitié de l'année scolaire, elle s'est décidée à appeler le proviseur du lycée dans lequel nous devions être scolarisés. Elle a d'abord demandé Cha Soo Hyun puis Kang Jong Suk. On lui a forcément répondu que de tels élèves n'existaient pas dans l'établissement et qu'elle avait dû se tromper.

Au fur et à mesure qu'il racontait son passé, la voix de Jong Suk semblait se faire de plus en plus faible, comme s'il était encore profondément affectée par ce qu'il s'était passé.

- C'était un vendredi soir, Soo Hyun et moi rentrions dans la soirée. Là, sa mère nous a demandé comment s'était passé notre semaine. On ne savait pas qu'elle avait tout découvert alors, forcément, on a menti en ne cessant d'inventer nos périples des cinq jours précédents. Elle n'a rien dit puis, à la fin du diner, elle m'a demandé de sortir de table et d'aller faire mes devoirs dans la chambre d'amis. Je n'ai pas tout de suite compris et c'est quand elle a fermé la porte de la cuisine que j'ai tilté : elle savait tout.

Le soldat se tut et il eut l'air de se perdre dans cette soirée funeste.

- Et... que s'est-il passé ensuite ? s'autorisa à demander Rin alors que le silence de Jong Suk se faisait de plus en plus pesant.

- Hum... elle l'a interrogé et je suis passé juste après. Je ne savais pas quoi dire alors je n'ai rien dit. Jusqu'à ce qu'elle me demande dans quelle branche de l'armée nous étions. Et là, je n'ai pas pu mentir et, presque par réflexe, j'ai dit l'armée de terre avant de rajouter notre souhait à tous les deux d'intégrer les Forces Spéciales. Elle m'a congédié juste après – et je ne savais pas que cela serait la dernière fois que je la verrais. Ce soir-là, nous n'avons pas parlé avec Soo Hyun et nous sommes juste allés nous coucher. Le lendemain, nous n'avons pas retrouvé sa mère dans la maison, juste deux lettres – une pour chacun de nous.

Rin déglutit et choisit de poser la question qui lui brûlait les lèvres et qui lui empoisonnait le cœur :

- Et... où était-elle ? Sa mère ?

- Dans le fleuve Han, aux abords du pont Mapo. Elle a été retrouvé par les autorités, deux jours après son suicide, lâcha Jong Suk, sans émotions apparentes ni sur son visage, ni dans sa voix.

Rin écarquilla les yeux. Alors c'était donc ça... la mère de Soo Hyun s'était suicidée et n'était en aucun cas morte de maladie ou de dépression.

La curiosité de la jeune femme n'était qu'à moitié rassasiée. Malgré tout, elle se contient et se rappela qu'il était important de ménager ses sources quelles qu'elles soient. Elle se contenta d'une seule petite question et se promit qu'elle serait la dernière de la journée :

- Qu'avait-il dans les lettres ?

Ses paroles tirèrent Jong Suk de sa sombre rêverie et il mit un peu de temps à lui répondre, cherchant ses mots :

- Je n'ai jamais lu celle de Soo Hyun, tout comme il ne sait pas ce qui se trouvait dans la mienne. Sa mère me demandait de le protéger quoiqu'il arrive et de toujours rester à ses côtés, de toujours le supporter quoiqu'il fasse. Je crois que, depuis ce temps, j'ai réussi... pour ce qui est du reste, c'est du domaine privé et je ne tiens pas à ce que vous sachiez de telles choses, Uchiyama.

Elle hocha la tête et retint un rictus. Il pouvait croire ce qu'il voulait mais, elle se jurait que dans peu de temps, elle connaîtrait tous ses secrets, jusqu'aux plus intimes ! Sa mission se mettait doucement en place, ne manquait plus qu'elle s'adapte à son rôle. Même si, pour ne pas paraître trop suspecte, elle allait devoir lui envoyer quelques piques bien placées et chercher la bagarre et l'insulte. Quel dommage, tout de même...

- Enfin, toute cette histoire pour dire que c'est à cette date que nous l'avons vu pour la dernière fois, lui et moi. Tout le monde sait au quartier général qu'il ne faut pas lui parler et surtout ne pas interrompre son recueillement.

- Je vois... j'espère que vous m'excuserez de mon comportement déplacé. Sur ce, je pense devoir vous laisser. Merci d'avoir pris du temps pour me raconter une telle histoire, je saurais en faire bon usage.

- Je veillerai sur cela, Uchiyama. En vous révélant cela, je vous fais entièrement confiance. J'espère que vous pourrez faire de même à l'avenir et que vous saurez être honnête avec moi, comme je l'ai été avec vous...

Rin se détourna et ricana. Il ne le vit pas et elle partit de la pièce. Oh mon petit, quels jolis mots que la confiance et l'honnêteté. C'était vraiment malheureux qu'elle n'en connaisse pas le sens.

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Heya ~

C'est un chapitre fini en quatrième vitesse ! Je n'ai donc pas eu le temps de le corriger, il le sera sans doute dans la semaine (ou du moins je l'espère !)

En espérant que vous l'apprécierez !

Gros bisous à vous mes tigrous en sucre <3

Sweety ~

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