Partie une

          Apophis était un monstre, une créature déformée par la haine. Il avait sur ses mains, le sang de milliers d'innocents, et pourtant, malgré ses crimes impardonnables, on lui avait offert une seconde chance.
          Il avait été réincarné en adolescent de 17 ans, perdu devant un lycée dont il ne savait rien. Son cœur était alourdi par la peur et l'angoisse qu'il ressentait d'être seul dans un pays qu'il ne connaissait pas. L'Ennéade l'avait renvoyé au Japon, au sein du même lycée qu'Hinome, vêtu d'un uniforme scolaire qu'il trouvait grotesque. Et pour ne rien arranger, Apophis ne sentait plus ses pouvoirs parcourir son corps, il était devenu un simple adolescent - heureusement les dieux lui avaient épargné l'acné - obligé de se rendre en cours. Cependant, l'Ennéade se montrant rarement aussi clémente, Apophis avait conservé ses difformités. Sous ses yeux étaient imprégnés des cicatrices semblables à des écailles, et bien qu'il n'ait plus ses trois pupilles, la couleur de son iris était restée la même ; un or pur. Le désormais adolescent en était certain, il ressemblait à une bête de cirque, surtout s'il se fiait aux regards curieux et moqueurs des lycéens qui passaient devant lui. Apophis tira sur sa cravate bleu marine qui l'étouffait, anxieux. Il avait l'impression de suffoquer alors que les températures d'été n'étaient pas encore arrivées. L'ancien dieu du chaos en vint même à saisir l'élastique noir autour de son poignet pour attacher ses longs cheveux ébènes en un chignon qui se voulait plus ou moins correct. Quelques mèches entouraient son beau visage malgré ce qu'il voyait comme des défauts maintenant qu'il était humain. Il voulait fuir.
          Pendant qu'il s'évertuait à fixer la bâtisse du lycée, une main se plaqua violemment sur son dos, le faisant basculer en avant. Apophis se tourna vers son agresseur présumé et tomba nez à nez avec Hinome qui n'avait, visiblement, aucune envie d'être en sa présence.
– Tu comptes moisir ici combien de temps encore ? fit-elle d'un ton las. Im m'a peut-être demandé de t'aider lors de tes premiers jours, mais je préférerais être avec Kobushi alors mets-y du tiens.
– Toujours insupportable à ce que je vois, répondit Apophis sur le même ton agacé que la jeune femme.
Tout d'eux ne se supportaient toujours pas et ce n'était pas de soudaines retrouvailles au lycée de Hinome qui allaient changer leur relation.
          Obligé par la jeune femme aux cheveux blonds, Apophis la suivit à travers la cours jusqu'aux casiers à chaussures où il devait déjà comprendre le fonctionnement du système scolaire nippon. Hinome lui fit comprendre de retirer ses chaussures pour les échanger contre les chaussons qu'elle lui pointa du doigt. Et ce fut avec toute la motivation du monde - il traîna des pieds jusqu'à l'étagère - qu'Apophis fit l'échange avec un sourire hypocrite dirigé vers Hinome. Il se fit la réflexion qu'être à nouveau enfermé n'aurait peut-être pas été si mal. Par le passé, Apophis avait rapidement observé les lycéens avant son attaque et avait cru que les japonais avaient créé une nouvelle forme de torture. Maintenant qu'il y était, il en était persuadé.
– Au lieu de ronchonner comme un vieux papi, allons voir dans quelle classe tu es. Tu pourrais avoir une bonne surprise et moi la paix, râla Hinome en obligeant Apophis à s'aventurer plus profondément dans le lycée.
– Tu es une vraie plaie toi, bougonna Apophis, les mains dans les poches.
Le duo - qui ne se supportait déjà plus - se planta devant le panneau d'affichage des classes à la recherche du nom d'Apophis.
          Le jeune homme abandonna rapidement l'idée de chercher et se contenta d'observer les alentours et ses occupants. Il était surpris de constater que les lycéens étaient des créatures bruyantes et nombreuses. Habitué à une extrême solitude, c'était un environnement qu'il ne connaissait pas et les regards curieux qu'on lui portait nourrissaient son inconfort.
– Apophis… Apophis… marmonna Hinome en faisant glisser son doigt sur la feuille. Trouvé ! Tu es en classe 6, comme prévu.
– Tu le savais déjà ?
– … Contente toi d'aller dans ta salle. Je suis en classe 4 mais évite au maximum de me parler. Je ne t'aime toujours pas.
– C'est réciproque, rétorqua Apophis nullement blessé.
– Parfait, suis-moi.
Apophis suivit de nouveau Hinome, cette fois-ci à travers des couloirs et des cages d'escaliers qui n'en finissaient plus selon lui - bien qu'ils n'aient gravi que deux étages.
– Je te laisse ici, ta classe est juste en dessous du panneau numéro 6. Je pars retrouver Kobushi.
– D'accord.
Ainsi, le duo se sépara pour leur plus grand bonheur. Et ce fut en ronchonnant qu'Apophis se rendit dans sa salle de classe.
          À peine avait-il posé un pied dans l'immense pièce qu'il constata l'absence totale d'intérêt pour lui et son visage atypique - une première depuis le début de sa journée - pas un regard dans sa direction. Toute l'attention était porté sur un jeune homme assis près des fenêtres dont les cheveux étaient d'un bleu singulier bien qu'il n'aperçoive pas son visage. Il devait être nouveau lui aussi, vu l'effervescence autour de lui, ou peut-être était-il un gars populaire lambda. Apophis ne s'en soucia pas plus longtemps et alla s'asseoir à une table de libre, son sac à dos posé à côté de lui. Il posa ses yeux jaunes sur le cadran de l'horloge accroché au-dessus du tableau noir, fixant les aiguilles bougées avec une lenteur exagérée. À sa gauche, il entendait contre son gré, les bavardages incessants de ses camarades de classe. Ils s'extasiaient tous devant ce nouvel élève venu d'Égypte. Celui-ci se leva après l'avoir vu entre deux élèves se bousculant pour lui parler et se mit à ses côtés. Apophis ne le regarda pas tout de suite, sa contemplation des aiguilles était plus intéressante mais la main qui se glissa sur son épaule le coupa dans son élan. Le vieux serpent soupira avant de se lever. Sa chaise produisit un grincement sur le sol, lui attirant tous les regards sur lui et cet élève. Cependant, lorsqu'il croisa les iris bleues qui le regardaient, son cœur s'arrêta de battre. Il reconnaissait cette peau dorée et l'éclat dans ses yeux. Il avait beau tenter de se faire passer pour Imhotep en ayant ôté son monocle en or et en arborant un sourire farceur, Apophis était capable de reconnaître Thot au milieu de mille Imhotep. Et le voir ici, en face de lui, au milieu de cette classe curieuse après ce qu'il avait fait, le rendit confus.
– Thot… murmura-t-il, surpris.
– Je suis déçu, je pensais te berner même quelques minutes, répondit Thot en offrant un sourire plus doux à Apophis.
– Que fais-tu ici… ?
– Je n'ai pas le droit de prendre des cours ?
– Si mais… balbutia Apophis, perdu et confus.
– Du calme Apophis, nous sommes entourés je te rappelle, rit-il. Nous discuterons à la fin de l'heure.
– D'accord…
– Hey, Thot, revient par là ! s'écria l'un des lycéens qui entouraient Thot.
– Visiblement ma présence est demandée ailleurs.
– Attends.
Apophis saisit la main de Thot, peiné. Le revoir après la pagaille qu'il avait causé avec les Magai lui fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre.
          Comme s'il lisait dans ses pensées, Thot vint embrasser délicatement le front d'Apophis tout en lui caressant la joue.
– Qu'est-ce que tu fais ? Ce pays n'est pas… commença Apophis.
– Je me fiche de ce que pense les autres. J'écris l'histoire des Hommes et contrairement à toi, je suis toujours un dieu. Je peux bien manipuler quelques mémoires.
– Qu'est-ce que tu racontes…
– L'Ennéade ne me punira pas pour cela. Je dois me charger de ta surveillance et après ce qu'il s'est passé, ils n'oseront pas me faire la leçon simplement pour avoir falsifié quelques mémoires pour que je puisse te baiser le front comme par le passé.
– Tu le faisais lorsque j'étais un serpent. Maintenant, après ce que j'ai fait et le simple mortel que je suis devenu, ce n'est pas approprié.
– Je m'en moque bien, répondit Thot avec un sourire digne d'Imhotep. Allez, le cours va commencer, nous continuerons la discussion après l'heure.
– Thot…
– Je sais Apophis, ne t'inquiètes pas.
Thot exerça une légère pression sur la main de l'ancien dieu du chaos avant de le quitter pour retrouver le groupe d'élèves qui l'attendait. Apophis le regarda jusqu'à ce qu'il ne doive s'asseoir à son tour après l'arrivée de leur professeur principal. Celui-ci fit son speech habituel sur les biens faits d'une bonne éducation avant de rapidement présenter les deux nouveaux comme des étudiants transférés venant d'Égypte. Apophis se fit dévisager à cause des cicatrices sur ses pommettes et de la couleur de ses yeux tandis que les filles de la classe regardaient Thot avec envie. Apophis ne s'en préoccupa pas. Tout son être était concentré sur Thot. Il paraissait plus beau que dans ses souvenirs et le blanc de sa chemise faisait ressortir le brun de sa peau. Son regard retraçait chaque ligne de son visage dissimulé sous ses quelques mèches bleues.
          Lorsqu'ils étaient seuls, au temps où rien n'existait encore, Apophis se souvenait de leurs moment passés à discuter, à être ensemble. Il se souvenait des heures qu'il passait à le regarder étudier, lire ou bien dormir. Apophis se rappelait de ce jour où l'Ennéade fut créer et où son monde fut détruit. Et de ces mots qu'il n'avait pas su lui dire, aveuglé par sa colère. Si seulement il pouvait revenir en arrière, réécrire son histoire, leur histoire. Si seulement…
– Apophis ? fit Thot, de nouveau à ses côtés. Tu comptes rester ici jusqu'à la prochaine heure de cours ? C'est à dire… demain ?
– Quoi ?
– L'heure servait surtout de présentation générale de l'année, les cours commenceront demain matin. Les autres sont partis.
– Qu'est-ce que tu fais encore ici alors ?
– Je t'attendais grand bêta, je suis ton gardien.
– Ce n'était pas la gamine ?
– Laissons-la reprendre une vie normale, surtout après ce qu'elle a vécu.
– Alors je suis ton fardeau ?
– Apophis… Cesse de te dénigrer comme tu le fais. Tu as commis des erreurs et on t'offre une seconde chance. Les mortels ne sont peut-être pas comme nous les dieux d'Égypte mais vivre comme eux peut t'ouvrir de nouvelles portes.
– Je n'ai pas le choix, je n'ai plus mes pouvoirs de toutes manières.
– Eh bien… ce n'est pas tout à fait exact…
– Qu'est-ce que tu veux dire ?
– Sortons, je te raconterai tout sur le chemin de la maison.
– La maison… ?
Thot se contenta d'offrir un nouveau sourire à Apophis avant de lui saisir la main pour qu'il le suive.
          Les deux adolescents quittèrent le lycée ensemble. Thot tenait encore la main d'Apophis, le guidant à travers les rues de la ville pour l'emmener jusqu'à ce qu'il appelait la maison, leur maison. Il avait un plan derrière la tête et à voir l'expression confuse d'Apophis, il ne comprenait toujours pas ce qu'il s'était passé. Arrivés dans une ruelle étroite et déserte, Thot s'appuya quelques instants contre un mur sans lâcher la main de son compagnon de route. L'appartement n'était pas si loin du lycée, surtout si on prenait les moyens de transport en commun mais il avait tenu à faire visiter, mine de rien, les alentours à Apophis. Le dieu lunaire prenait une petite pause, ayant les pieds endoloris, tout en souriant tendrement à Apophis qui ne savait plus où se mettre. Thot le trouvait particulièrement attirant avec cette coupe de cheveux, elle dégageait son visage malgré quelques mèches qui pendouillaient tristement.
– Qu'est-ce qu'on fait ici ? questionna Apophis, anxieux.
Perdre ses pouvoirs l'avait rendu vulnérable et ce sentiment de culpabilité qu'il ressentait alourdissait son cœur. Et puis, Apophis était bien obligé d'admettre que cette culpabilité était dirigée vers Thot. Malgré ses crimes, il était à nouveau avec lui à sourire, à lui embrasser le front et à lui tenir la main. Il n'avait pas l'impression de mériter ce qu'il lui arrivait. Une seconde chance, avec tout le mal causé, même ses difformités pesaient peu dans la balance de la justice. Il ne méritait pas ce qu'il lui arrivait.
– Tu sais Apophis, l'Ennéade voulait te tuer lors d'une cérémonie d'exécution, commença Thot. Après ce qu'il s'était passé, ils pensaient tous que t'enfermer aurait été une chose trop douce.
– Pourquoi tu me dis ça… ?
– Les dieux ont quelques privilèges, il faut bien que ça serve pour nous aussi, rit-il. Et l'un des miens est de lire en toi comme si je lisais un livre pour enfant. Je sais à quoi tu penses sans même avoir à user de mes pouvoirs.
Thot attira Apophis à lui puis il saisit son visage déformé par ses émotions qui se battaient entre elles.
– Je sais ce qu'il se passe dans ta petite tête de serpent. Tu te demandes pourquoi tu as cette chance, n'est-ce pas ?
– Je ne mérite pas d'être ici, avec toi.
– Ça je ne te le fais pas dire, tu as été une des pires calamités d'Égypte mais tu sais, si malgré ce que tu as fait, tu es ici, c'est grâce à Im et ses amis.
– Qu'est-ce que tu veux dire ?
– Ils ont insisté pour être présent à ton procès et ils ont proclamé haut et fort devant les dieux d'Égypte, que s'ils permettent ta mise à mort, alors ils ne valent pas mieux que toi.
– Et l'Ennéade a écouté ?
– Pas exactement… Disons que la parole du dieu lunaire a aidé. Ils nous ont lié lorsqu'ils ont scellé tes pouvoirs.
– … Quoi ?
– Si tu commets le moindre crime, j'en paierai le prix avec toi. Je me suis porté garant de toi, alors ne me déçois pas.
– D'accord…
Les deux hommes se regardaient dans les yeux après les paroles pleines d'assurance de Thot. Apophis se sentait toujours coupable car maintenant, il savait la vraie origine de cette nouvelle vie mais c'est ce qui la rendait plus précieuse. Le serpent noir posa son front contre celui du dieu lunaire dans un profond soupir. Apophis se savait perdu sans lui. Il saisit Thot par la taille et le serra contre lui.
– Hé… qu'est-ce que tu me fais ? chuchota Thot, gêné par l'initiative.
– Ça faisait un moment que j'en rêvais… Je n'ai plus le corps froid d'un serpent… Je peux sentir la chaleur de ton corps… répondit Apophis sur le même ton.
C'était réellement bon de l'avoir contre lui, de sentir son corps chaud. Apophis chérissait cette deuxième chance dorénavant.

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