3. Lya
Ma nuit d'insomnie n'a pas arrangé l'état de mon visage. Ce ne sont plus des cernes qui garnissent le haut de mes pommettes, mais des valises d'un mauve effrayant. Même Clarisse risque de prendre peur en m'apercevant si je ne me maquille pas un minimum, juste ce qu'il faut pour cacher les misères. J'applique une couche d'anticerne, puis un peu de mascara et, enfin, je descends préparer un petit-déjeuner avec ce qu'il y reste dans le frigo, c'est-à-dire pas grand-chose : deux tasses d'eau dans lesquelles je diffuse le même sachet de thé, une tranche de pain un peu sèche que je mets à toaster ainsi que quelques morceaux de pommes. Ça fera l'affaire.
— Bonjour Maman !
— Bonjour chérie, m'accroupis-je devant elle afin d'embrasser longuement sa joue. Tu as passé une bonne nuit ?
— Oui, même que j'ai rêvé de toi mamounette !
Mon sourire grandit ; ma fille représente toute ma vie et, pour elle, je serais capable de faire n'importe quoi. Je passe mes doigts dans sa tignasse blonde, puis l'installe à table pour qu'elle mange avant de partir sur les chemins de l'école. Jamais, tant que je suis vivante, elle ne passera une journée le ventre vide, quitte à ce que je meurs moi de faim. Clarisse est devenue ma priorité le jour où elle a pointé le bout de son nez, et elle le sera toujours.
— Je vais chercher ta brosse à cheveux, la préviens-je en mordant dans ma tartine.
— Tu me feras des tresses ?
— Si tu veux, ma chérie !
Par la même occasion, j'en profite pour refaire son lit et ranger le foutoir qu'elle a mis en choisissant ses vêtements. Elle a encore dû changer six fois d'avis comme une vrai adolescente bien qu'elle n'ait que huit ans. Mais pour la voir grandir, il faut que je me sorte du pétrin dans lequel je me trouve, ce qui signifie aller au cabinet de Elias. L'angoisse entrave, maintenant, ma bonne humeur matinale. Je sens mes jambes commencer à trembloter sous mon poids ; je déteste perdre le contrôle de ma vie. Je m'assois sur le matelas de Clarisse, sa peluche préférée dans mes mains. J'y enfouis mon nez humant l'odeur de ma fille, l'odeur de son innocence, tandis qu'une perle roule sur ma joue. Dire qu'à tout moment, je pourrais la perdre à causes de mes conneries, peut-être que mes parents avaient raison ; j'aurais dû l'abandonner à ma naissance. Au moins, j'aurais pu espérer qu'elle s'épanouisse dans une famille sans problème.
— Maman, tu viens ? J'ai encore faim !
— Oui, oui, j'arrive. Tu peux manger ma tartine.
Rapidement, j'essuie mes yeux avant de prendre de profondes inspirations. Il faut que je garde la face, au moins devant Clarisse, alors je me force d'aborder un large sourire quand je la rejoins dans la cuisine. Je passe alors la brosse dans ses cheveux, mèche par mèche, en posant ma main sur son crâne avant qu'elle ne se plaigne que je lui fasse mal.
— Une ou deux ?
— Deux, sur les côtés !
— Bien cheffe ! rigolé-je en séparant sa chevelure en deux pour la tresser de chaque côté.
— Maman, ça tire, se plaint-elle.
Je ne peux pas retenir un rictus ; je savais qu'elle finirait par geindre, alors que demain, elle me redemandera de lui faire des tresses.
— Je sais, ma puce, mais il faut que ça tienne, lui répété-je comme à chaque fois que je la coiffe, tandis que je finis par attacher le tout avec un élastique. Allez, va te laver les dents qu'on parte pour l'école ; tu vas être en retard !
Le temps qu'elle termine de se préparer, je prépare son cartable, son repas du midi ainsi que mon sac dans lequel mon téléphone vibre. Il me rappelle que j'ai rendez-vous avec Elias. Comme si j'avais pu oublier... Depuis mon retour du poste, Maddy m'encourage à y aller. « C'est peut-être un enfoiré de première, mais ça ne dit pas qu'il est mauvais avocat » a-t-elle argumenté une bonne dizaine de fois. Ma tête me dit que je devrais lui accorder cette relation professionnelle, mais mon cœur me rappelle que je pourrais me mettre en danger par cette simple entrevue. Je n'ai pas les moyens de payer un autre avocat. En revanche, je pourrais me défendre seule comme une grande. Ce serait surement la meilleure solution et, c'est ce que je ferai. Mon plan d'attaque sera de revendiquer mes actes parce que l'unique responsable est cette société pourrie, conclus-je pour moi-même en mettant mon sac sur mon épaule.
— Clarisse ! Dépêche-toi ou je pars sans toi !
— Non, maman ! Je suis là, sautille-t-elle dans les escaliers.
A son tour apprêtée, sa main se glisse dans la mienne et, nous prenons la route. Je veille à ce qu'elle marche toujours du côté des maisons, mais elle est rôdée et très prudente. Elle a l'habitude maintenant ; nos pieds sont notre seul moyen de transport depuis sa naissance, en dehors de rares exceptions. Même enceinte, je ne faisais que marcher. Seul le jour de l'accouchement, j'ai payé un ticket de bus, et ce fut la dernière fois. Je ne m'en plains pas : au moins, je maintiens ma forme ainsi que celle de Clarisse.
— Dis ? Demain, on pourra aller à la plaine de jeux ?
— Bien sûr puisque c'est le samedi, mais après que tu aies fini tes devoirs ! Allez, nous y sommes, ma chérie. Sois sage ! lui ordonné-je en posant un baiser sur son front.
— Toujours, Maman ! me promet-elle avant de courir vers ses copines.
De l'autre côté de la grille, je l'observe plusieurs minutes piailler avec ses copines, rire, sauter dans tous les sens. Je ne me lasserais jamais de la voir aussi joyeuse et pétillante. Si je le pouvais, je resterais assise sur un banc pour la regarder s'épanouir dans sa vie. Dans un soupir nostalgique, je tourne les talons et prends la décision de me balader dans le parc. J'adore cette saison avec les arbres aux couleurs chaudes. L'orange, le jaune et le rouge sur lesquelles le soleil se reflète. Il y a de quoi rêver. En plus, les températures ne sont pas si basses, alors se promener en pleine nature se révèle fort agréable. Il n'existe pas de meilleur programme pour oublier et, j'ai besoin d'oublier de toute urgence. Mon téléphone vibre alors dans ma poche m'annonçant un message de Maddy.
Va à ce putain de rendez-vous avant que je vienne de mettre un coup de pied au cul. Lya, fais-le pour Clarisse et, appelle-moi quand tu en sors. On ira boire un verre. :) Maddy.
Je m'arrête net au milieu du chemin. Je peux toujours faire demi-tour pour y aller. L'argument d'agir pour ma fille revient à me prendre par les sentiments et, je n'ai aucune envie de prendre des risques inutiles. Je suis déjà forcée d'en prendre assez pour survivre. Nerveuse, je finis par céder. Les pas lourds, j'avance en direction du centre-ville où se trouve le cabinet d'Elias. Rien que de pénétrer dans ce quartier, ça pue la richesse. Ces bâtiments aux multiples étages ornés de baies vitrées me filent un mal de ventre, alors que le hall d'entrée avec son lustre hors-prix et ses décorations en marbre me donnent carrément la nausée. D'ailleurs, la dame de l'accueil me fait bien sentir que je ne me trouve pas à ma place, alors que j'ai le courage de m'annoncer après de maintes hésitations.
— L'ascenseur sur votre droite, deuxième étage, au fond du couloir à gauche, m'indique-t-elle hautaine.
Je grince des dents, mais garde le silence. Autant dire que ça commence mal cette histoire et que ma patience ne va pas faire long feu. Même l'ascenseur est plus grand que ma chambre, voire plus confortable. Des dizaines de personnes pourraient vivre dans cet espace, mais la société a préférer l'attribuer à des riches, vivant déjà dans des centaines de mètre carrés. Tant pis pour les plus démunis s'ils doivent cohabiter avec les rats. Ce monde me dégoûte.
— Lya ! Je n'aurais jamais cru te voir ici, ce matin.
— Moi non plus, bougonné-je. Commençons qu'on puisse finir ; j'ai d'autres chats à fouetter !
— Je te rassure tout de suite : c'est moi qui fouette et, jamais, l'inverse ! me rétorque-t-il avec sérieux.
Je mords sur mon pouce afin de ravaler la rage qui cherche à s'échapper de me cœur. Il est toujours aussi insupportable que dix auparavant et, je ne pouvais déjà pas le supporter à l'époque. Quand il m'ouvre son bureau, les choses ne s'arrangent pas. Il y a de quoi installer un appartement entier là-dedans. Qui a deux canapés dans son espace de travail ainsi qu'un petit bar rempli de Whisky, Vodka et alcools en tout genre ?
— Installe-toi ! m'invite-t-il. Non, dans les canapés ; le confort, c'est important.
— Quand on sait se l'offrir, oui. Tu ne peux pas recevoir tes clients sur une chaise face à une table comme tout le monde ?
— Arrête de faire la mauvaise tête. Tu le sais comme moi que tu seras mieux assise dans ce fauteuil, alors cesse de chicaner et, pose tes fesses.
Le ton qu'il emploie ne me laisse pas d'autres solutions que de m'exécuter. Je referme mon éternel veste en cuir sur ma poitrine, puis y croise les bras, cherchant à me protéger. Je ne sais pas de quoi ou de qui, mais je ne me suis jamais sentie en sécurité en sa présence. Alors que je tente de m'enfoncer un maximum dans le siège, Elias se penche en avant, les coudes sur ses genoux, prêt à m'écouter.
— Bon, qu'est-ce-qui t'es arrivé ?
— Je suppose que te demander de me vouvoyer va juste me fatiguer...
— En effet ! Alors, dis-moi tout !
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