10. Elias
C'est le grand jour. Aujourd'hui, j'ai tout à prouver. C'est ma chance, la seule et l'unique, pour lui montrer que j'ai changé, que je suis devenu une meilleure version de moi-même. Pris par une nervosité qui m'est inconnue, j'ai passé la nuit à me tourner dans mon lit sans trouver le sommeil. J'ai l'impression de mettre ma propre vie en jeu. Et ce n'est peut-être pas qu'une simple impression. Lya m'offre la chance de me racheter pour le passé, je me dois de saisir cette opportunité. Si elle me file entre les doigts, je serai impardonnable. Mes pensées sont restées dirigées envers elle, tandis que je cherchais le sommeil, si bien que j'ai dû résister à l'envie de lui envoyer un nouveau message au réveil. Elle m'aurait tué. J'ai plutôt intérêt à me pointer en forme au risque de devoir affronter sa colère. Et ça ne sera pas le cas avant au moins un café supplémentaire du tribunal, bien qu'immonde. Ça ressemble davantage à du jus de chaussettes qu'à de la caféine. La prochaine fois, je me ferais un thermos. Si j'étais capable de m'en passer, jamais, au grand jamais, je ne boirais ce breuvage digne d'une mauvaise comédie. J'arpente ce sinistre couloir, ma boisson à la main, en me répétant mentalement ma plaidoirie. Je ne dois rien oublier, rien omettre. Mon plan est en béton, mais je sais qu'à la moindre défaillance, il peut être bousculé, renversé, démonté. Ces instants avant un procès m'ont toujours paru hors-norme. L'adrénaline se mélange à la peur de nos clients, à leurs angoisses. Des êtres qui, parfois, se détestent, parfois, ne se connaissent pas, se font faces dans le but de gagner. Certains gardent une considération envers leur adversaire, mais ce n'est pas une généralité. Loin de là. Je ne compte plus le nombre d'individus qui avaient pour seule vocation la victoire, prêts à tout pour y parvenir, quitte à se corrompre, mentir et tomber dans l'illégalité.
— Bonjour, Maitre Evans !
Que la partie commence ! Je reconnais cette voix entre toute, distante, mais chaleureuse. Je laisse mon sourire en coin s'exprimer, puis salue ma cliente d'une poignée de main. Lya se présente à moi plus séduisante que jamais. En dehors du bal de promo, je n'ai jamais eu l'occasion de la voir davantage préparée qu'ordinaire. Et mon dieu, quel dommage ! Entre ce chemisier blanc juste décolleté comme il faut, son blazer et son pantalon noir, je perds la tête.
— T'as vu un fantôme passer ? s'enquit-elle hilare alors qu'elle exerce une pression supplémentaire sur ma main.
— Non, me rabroué-je. Prête ?
Alors qu'elle hoche la tête, les lourdes portes de la salle d'audience s'ouvre devant nous, se vidant des deux parties qui s'opposent, de ceux venu en tant que spectateur. Le premier procès de la journée s'achève, laissant une personne soulagée, une autre débuter, tandis que notre bataille s'apprête à débuter. Seul le juge reste à sa place. A notre tour, nous rentrons et, pour la première fois, je rentre dans cette pièce avec celle qui aurait pu être mon adversaire, mais voilà qu'elle se retrouve coincée en tant que coupable. C'est bien un comble... Pourtant, j'aurais adoré qu'on se mesure l'un à l'autre, que la hargne entre nous soit mise au profit de nos clients. Cette image d'elle, habillée avec classe, la tête haute, sur le point d'en démordre sans jamais abandonner m'arrache un sourire. Je peux facilement imaginer la prestance qu'elle aurait eu. Je me glisse à ses côtés en chassant mes pensées, ce n'est pas le moment pour rêvasser. Elle me parait si fragile, pas à sa place. Elle n'est pas une délinquante et, encore moins, une criminelle.
— Qu'est-ce que je fais ici ? murmure-t-elle pour elle-même.
— Lya, ça va le faire, la rassuré-je. Je vais te sortir de là, je te rappelle que je tiens mes promesses.
Mes doigts frôlent son genou durant un laps de temps si court que je me demande si ce n'est pas un rêve. Mais la décharge électrique qui m'a parcouru est bien réelle, elle... Le raclement de gorge du juge me ramène à la réalité. Concentration, bordel ! Je reporte mon attention sur la défense que je dois mener. Lya est une cliente comme une autre, rien ne doit changer, rien ne doit paraitre dans les minutes qui suivent. J'ai encore moins le droit de me planter que d'ordinaire. Aucune alternative ne s'offre à moi, aujourd'hui. Je le dois à la société, mais surtout à Lya en espérant que ça redore notre passé, qu'on puisse ouvrir une nouvelle page loin de toute tension. Parce que, oui, je ne compte pas la sortir de ma vie une fois sa sentence assignée ! Une cliente comme une autre, n'est-ce pas ?
— Bien, nous pouvons commencer, annonce le juge. Maitre Clarens, la parole est à vous.
Je dirige mon attention sur l'avocat de la partie adverse, à l'affut de la moindre information pertinente. Ma défense est prête, mais si un élément se rajoute, je dois pouvoir rebondir dessus et m'en servir. A mes côtés, Lya se tend davantage. Sa jambe s'agite sous la table, cognant de temps à autres contre la mienne. Le temps d'une seconde, je perds le fil du procès, obnubilé par ma cliente.
— Monsieur le Président, les actes répétés de Madame Martins sont en train de plonger mon client dans un gouffre de dettes. Lui-aussi a une famille à nourrir, un loyer à payer, un magasin à faire tourner, des parents dont il doit s'occuper et, pourtant, à ma connaissance, jamais, il ne s'est permis de voler qui que ce soit. Cette incivilité répétitive, je le rappelle, participe aux difficultés de mon client à payer les frais de maison de repos de ses parents. De plus, Monsieur Duchateau a tenté de communiquer les premières compatissant envers cette mère célibataire et ce, à trois reprises. Trois tentatives de vol avant qu'il ne contacte la police, trois chances que l'accusé n'a pas saisies.
Les doigts de Lya frôlent malencontreusement ma jambe, attirant mon regard sur son genou où elle enfonce ses ongles. Elle a l'air absente, son regard dans le vide voilé par les larmes et, cette vision serre mon cœur. Impuissant face à la détresse qu'il émane, je glisse la paume de ma main dans la sienne pour qu'elle cesse de se faire mal. Je laisse ses pupilles se relever vers moi tandis que des centaines de questions traversent son esprit. Je ne peux pas lui donner de réponse, j'en suis incapable, mais j'agis comme bon me semble. La décision finale ne m'appartiendra pas, ni même au juge, si tout se déroule comme prévu...
— Lya, reviens parmi nous et reste attentive, murmuré-je sans bouger les lèvres.
Discuter lors d'une comparution serait mal vu, mais je sais que je peux obtenir un compromis acceptable sans qu'elle nie les faits. De toute façon, elle m'a fait promettre de ne pas la faire passer pour innocente et, ce n'est pas mon objectif. Les preuves sont là, on manquerait de crédibilité ! Le juge, focalisé sur la partie adverse, ne nous observe pas alors je prends le temps de la rassurer. Enfin, j'essaye. Silencieusement, mes doigts pressent les siens. Elle ne s'est même pas écartée, et moi, je ne sais pas à quel jeu dangereux je joue. Ma petite voix me rappelle à l'ordre sans que je ne parvienne à me raisonner. Je me sens plus proche de Lya que jamais, je ne peux pas abandonner, pas maintenant. Sa peur se diffuse dans la pièce jusqu'à m'envelopper avec elle. Je pourrais presqu'entendre son cœur battre un peu plus vite à chaque fois que Maitre Clarens l'enfonce à nouveau. L'entendre l'incriminer sans pitié m'insupporte au plus haut point. Il n'a aucune idée du pourquoi du comment, mais il continue à l'accabler, à la pousser dans le gouffre. Et pourtant, c'est son métier. Il n'y peut rien. En revanche, les muscles de mon être se contractent. Je me sens étouffer. Je retiens ma colère, me lever et interrompre l'adversaire ne jouerait pas à notre faveur. Le sang pulse dans mes veines quand, enfin, le juge m'autorise à libérer le lion que j'ai muselé.
— Maitre Evans, pour la deuxième fois, on vous écoute !
Merde. Le juge nous fixe d'un œil mauvais. Je me ressaisis sachant que ça commence mal pour nous. Lya hoche la tête, puis m'offre un sourire incertain. Une fois ma concentration rassemblée, je me lève et m'avance un peu pour m'adresser à lui.
— Votre honneur, vous venez d'entendre mon confrère énoncer les chefs d'accusation. Objectivement, il a raison et, ma cliente ne désire pas revenir sur ces faits qui sont ce qu'ils sont. Oui, Madame Martins a volé une veste ainsi qu'une peluche dans le magasin. Mais avant de lui jeter la pierre, je vous demande de prendre en considération sa situation : Lya est une jeune mère célibataire qui vit avec sa fille de 7 ans.
— Maitre Evans, veuillez appeler votre cliente par son nom de famille ! me reprend-t-il à l'ordre.
Je n'ai pas besoin de plus de temps pour comprendre la bourde que je viens de commettre. Je suis trop con... Si tout explose maintenant, Lya est foutue, moi avec. Toutes les personnes sont suspendues à mes lèvres dans l'attente d'une explication, d'une justification qui pourra les convaincre. Ce qui je sais ne sera pas simple ! La partie adverse va en profiter pour retourner le merdier dans tous les sens jusqu'à trouver la faille qui renverra Lya au bagne. Je refuse que ça arrive, mais je ne peux pas non plus m'incriminer tout seul, ni risquer ma suspension du barreau. Respire, déontologiquement, ça passe... Mais quel avocat en carton comment une telle bourde ? Celui qui craque pour sa cliente, peut-être ? Alors que je cherche une porte de sortie, celle qui sauvera la peau de Lya et la mienne au passage, l'attente devient pesante. Je suffoque. Je m'éclaircis la gorge, adresse un sourire qui se veut rassurant à ma cliente, puis avance d'un pas vers le juge. Une goutte de transpiration ruisselle dans mon dos et, le souffle court, je reprends :
— Pardonnez mon incivilité ainsi que ce moment d'égarement, mais Madame Martins est une femme qui a appris à se débrouiller seule, à se démener sans aucune aide, et se livrer à moi fut une épreuve pour elle. Alors, oui, nous avons supprimé le vouvoiement pour s'appeler par nos prénoms afin qu'elle se sente en confiance. Et la confiance n'est-elle pas une valeur fondamentale, Monsieur le Juge ?
J'attends, l'estomac noué, un signe, un signe qui me montrera que le Juge valide mon explication. Mais rien ne vient... Et la salle semble se rétrécir davantage, l'air me manque. Je suffoque. Ce qui ne devait pas arriver est en train de se dérouler sans que je parvienne à récupérer le contrôle et, ça ne peut plus durer. Je n'ai jamais été du genre à me laisser démonter, alors je ne compte pas commencer maintenant. Mais appeler ma cliente par son prénom, quel manque de professionnalisme de ma part, surtout avec Lya. Avec n'importe quel autre client, ça ne serait jamais arrivé, je le sais, et probablement qu'elle s'en doute aussi...
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