8 ~ J'adore déjà ma nouvelle vie !

J'imaginais que ma déclaration n'avait rien de rassurant. Vouloir tuer son père n'était pas banal. Pourtant, le sourire de mon interlocuteur était bien réel.

— Bien, maintenant que tu es disposée à m'écouter, nous allons pouvoir discuter.

Je lui lançai un regard noir, son air satisfait me déplaisait.

— Je n'ai jamais dit que j'étais...

— Je ne connais pas ton père et n'ai aucun problème à ce que tu le tues, déclara-t-il sans chercher à m'écouter. Je peux même t'aider à le retrouver, si tu veux. Et puis bien-sûr, comme je suis ton maître, c'est moi qui en prendrai l'entière responsabilité. Maintenant, tu es disposée à m'écouter ?

Je me tut : il savait comment me parler. Il prit mon silence par l'affirmative et eut un soupire amusé.

— Bien. Comme tu l'as compris, nous t'avons achetée pour que tu me serves de seconde. 

Il plaça ses mains devant lui et pris un air important.

— Dans mon monde, il est nécessaire d'en avoir une si l'on veut peser en société. Normalement, on en achète aux jeunes enfants, pour qu'ils grandissent ensemble et qu'ils soient les plus proches possibles. Mais les humains coûtent cher, surtout les enfants, et tout le monde n'a pas cet argent. Pour te donner un ordre d'idée, c'est à peu près le prix d'une maison. Dans mon cas, mon père a fait fortune tardivement, je ne peux donc avoir un second que maintenant.

Je baissai les yeux, pensive. J'étais devenue une parure pour gagner du pouvoir ? Je savais pas si cela devait me déplaire ou au contraire, me flatter. Coûter une maison ? Je devais avouer que ce n'était pas mauvais pour mon ego.

En revanche, la relation qu'il venait de décrire ne correspondait pas à ma tolérance. Nous ne serions jamais aussi proche qu'il l'espérait, il devait s'y attendre. J'allai l'en informer lorsqu'il repris :

— Mais ce n'est pas grave, j'ai déjà beaucoup de chance d'en avoir ! Et puis je me suis toujours fasciné pour le monde des humains, alors c'est encore mieux que tu y ais grandit. Tu vas pouvoir m'apprendre beaucoup de choses. En plus, comme tu as ton propre caractère, ton jugement pourra m'être utile. C'est pour ça que je cherchais quelqu'un comme toi.

Je me mordis la lèvre, ne voulant rien lui apprendre du tout. Le monde des humains était morne et cruel, il n'y avait rien à raconter. Cependant, son enthousiasme avait au moins le mérite de me rassurer.

— C'est dingue, tu as l'air d'être un bon maître.

Il ouvrit la bouche puis la referma, esquissant un petit sourire.

— Je ne sais pas, je ne suis pas bien riche. Mais je ferai de mon mieux.

J'avais l'impression qu'il prenait ma remarque très à cœur. Sa sincérité et sa bonne volonté me touchèrent. Songeuse, je détournais les yeux.

D'un aspect général, j'aurais préféré ne jamais avoir été vendue. Je n'avais pas de chance, j'avais le pire des pères. Mais pour compenser, mon nouveau propriétaire n'était pas si terrible.

— Par contre, il va falloir que tu y mettes du tien, toi aussi.

En disant cela, il m'indiqua le collier gisant sur le lit du menton. Je soupirai, perdant mon sourire. Evidemment, il fallait toujours qu'il y ait un "mais".

— J'ai jamais dit que j'allais être ta seconde, marmonnai-je.

Je me levai tout de même, gardant la tête haute, comme une reine qui descend de son trône, et m'approchai de lui. Avant de changer d'avis, j'attrapai le bijoux pour me le passer autour du cou. 

Je n'avais pas l'habitude de porter de collier, l'attacher était difficile. Mon maître bondit sur ses pieds pour venir m'aider en s'apercevant que je galérais. Il passa les mains sur ma nuque avec beaucoup de précautions, le referma et dû l'activer, car le collier émit un drôle de bruit avant de se rendormir.

Le jeune homme recula de quelques pas pour me laisser de l'espace. Concentrée, je passai la main sur mon nouveau bijoux. Il n'était pas trop serré —il était même parfaitement à ma taille— mais sa présence autour de mon cou me dérangeait. La pression me pesait, je me sentais harnachée. Il me semblait que je m'étais déjà retrouvée dans cette situation précédemment, et que ça n'avait pas été pour le mieux. Cependant, son étreinte ne me blessait pas. J'avais l'impression d'être un chien avec un serpent autour du cou. Mais les chiens ne se plaignaient pas, alors qui étais-je pour me plaindre ?

Un détecteur de mensonge ? Cela allait être encombrant, je mentais souvent. Ce n'était cependant qu'un défit à relever et je m'en acquitterais. Je ne doutais pas de mes capacités, j'arriverais à modeler la réalité comme elle m'arrangerait. Le plus difficile serait sans doute de ranger mon sarcasme au placard.

— Je peux l'essayer ? hasardai-je.

— Je t'en prie.

Je fis trois pas et m'exclama, d'une voix puissante :

— C'est fou ce que ce truc est agréable !

Une lumière rouge éclata dans la pièce tandis que l'engin se mit à vrombir. Il s'éteignit après une dizaine de secondes, sans me laisser de séquelles. Je souris.

— Alors, tu as vu ? s'enquit mon maître. Ce n'est pas si terrible.

J'haussai les épaules.

— C'est sûr, et puis c'est pas comme si ça me dérangeait.

Le collier s'alluma à nouveau. Lorsque je vis mon propriétaire réprimer une grimace, le jeu commença à m'amuser.

— Mais tu sais quoi ? Je ne crois pas que mentir soit très important.

J'attendis que l'engin s'arrêtât pour continuer :

— Après tout, je reste libre !

Je fis quelques pas dans la pièce.

— J'adore déjà ma nouvelle vie !

— Au moins, il fonctionne, m'interrompit mon propriétaire.

Tout sourire, je me retournai vers lui. Il affichait un air contrarié.

— Tu sais, j'ai toujours rêvé de servir quelqu'un.

Sa grimace s'accentua, ce qui m'incita à poursuivre. Les vibrations commençaient à me monter à la tête, mais je trouvais le jeu trop amusant pour m'arrêter.

— Ma vie prend enfin tout son sens !

Je levai théâtralement les mains en l'air et fis un tour sur moi-même.

— Je n'ai jamais été aussi heureuse !

Je poursuivis en m'arrêtant face à lui : il ne souriait plus.

— Et toi, je t'adore déjà.

Ce fut le mensonge de trop.

— Héloïse, c'en est assez.

Je restai figée, son ordre se répercuta entre nous deux avant de s'éteindre avec la lumière de mon collier. Sa voix grave me laissait des frissons sur la peau. Son expression s'était assombrie, elle était devenue menaçante. De façon très étrange, ses joues avaient perdue des couleurs, et une teinte jaune était apparue dans le gris de ses yeux. Il pouvait me faire du mal s'il le voulait, compris-je. Ce n'était pas un bisounours. Lui aussi, il était plus puissant que moi.

Sa colère ne fut heureusement que de courte durée, il retrouva bientôt son sang froid. Il recula et me quitta des yeux, se passant la main dans les cheveux en se frottant la tête. Revenu dans son état normal, il gardait les yeux baissés.

— Excuse moi, je ne...

C'était son deuxième accès de violence dont j'étais témoin. Cependant, comme la première fois, il avait regagné son calme assez rapidement pour que je pusse croire en sa bonne volonté. En revanche, cela n'allégeait pas le poids ses paroles.

— Je ne t'ai pas dit mon prénom.

Cette fois, mon collier ne s'alluma pas.

— Comment tu le connais ?

Le jeune homme recula contre la table de chevet. Ses mouvements devinrent saccadés, sa main frotta son cuir chevelus avec plus d'ardeur. Il donnait l'impression de vouloir disparaître sous terre.

— Je... je l'ai trouvé dans tes papiers.

Je lui lançai un regard furieux. La question de tout à l'heure n'était donc que du vent : il m'avait prise pour une idiote. Je lui en voulus.

Un prénom n'était pas grand chose, mais qu'il le connût avant que je ne lui disse me provoquait un sentiment de trahison. Encore une fois, j'avais l'impression de n'être qu'une marchandise. Je détournai la tête et allai me jeter dans mon fauteuil, défaitiste.

Je compris que tout ce qu'il fallait savoir sur moi était renseigné sur un bout de papier, comme une liste de course. Je ne m'appartenais plus, il n'y avait aucun moyen de m'échapper.

— Je suis désolé.

Je soupirai. Ce n'était pas tant sa faute, mais j'acceptai ses excuses.

— Comment tu t'appelles, déjà ?

— Elkass.

Ah oui, Elle casse. Il me jeta un regard prudent, s'attendant sans doute à ce que je lâche une remarque méchante, comme c'était ma spécialité. Mais je pensais à autre chose.

— Vous portez tous des noms comme ça, par ici ?

Ses sourcils se froncèrent.

— Des noms "comme ça" ? répéta-t-il.

Je fis un large geste de la main.

— Oui, bizarres.

S'il le prit mal, il décida tout de même de sourire.

— Tu peux parler de noms bizarres, vu le tien.

Le mien ?

— C'est pas bizarre, Héloïse, grognai-je.

— Oh ? Il y en a beaucoup sur Terre ?

Je levai les yeux au ciel.

— Bien-sûr que oui.

Il semblait perplexe.

— Eh bien... en même temps, c'est très joli.

Je plissai les yeux, cherchant à savoir s'il était sérieux ou s'il jouait la comédie. Je connaissais au moins deux Héloïses dans mon entourage, mon prénom n'avait rien de spécial. N'y en avait-il vraiment pas, par ici ?

Cela confortait ma décision.

— Vous avez quoi comme noms de filles ?

— Oh euh... je ne saurais dire...

Il posa une main sur sa tête avec un air embêté.

— Démérah ? Lymmie ? Evezz ?

Autant de noms qui me semblaient plus absurdes les uns que les autres. Mais malgré leurs syllabes particulières, je devais admettre qu'ils étaient très jolis. Bien plus jolis qu'Héloïse, en tout cas.

— Pourquoi tu...

— Je peux m'appeler Démérah ?

Il n'eut pas l'air de comprendre.

— Tu... tu veux un surnom ?

Je soupirai.

— Non, je veux m'appeler Démérah.

Comme il me regardait toujours avec un air ahurit, je fis quelques gestes de mains pour tenter de lui expliquer :

— Je veux changer de prénom.

Cette fois-ci, il percuta. Il se mis à bégayer.

— Oh ! Mais tu sais, c'est très joli, Héloïse. Ça fait humain..

C'était peut-être pour me complimenter —au moins pour me rassurer—, mais je ne pus m'empêcher de prendre la mouche. Faire humain ? Parce que c'était plus exotique, c'était ça ?

— Qu'est ce que je m'en fiche, des humains ! À partir de maintenant je m'appelle Démérah, compris ?

Je me forçai à lui envoyer le regard le plus sérieux possible. Il ne devait pas contester ma décision : je voulais changer de nom. Je voulais quitter tout ce qui pouvait me rappeler mes parents et ma vie d'avant.

Héloïse, c'était la pauvre fille que son père avait vendue. Si je voulais quitter ma condition de bétail, avec mon nom placardé sur le front, il fallait que j'en change moi-même.

Elkass me regarda du coin de l'œil, ouvra la bouche puis la referma. Il hésita, fronça les sourcils, puis demanda enfin :

— Tu gardes un mauvais souvenir de la Terre ?

Je sentis la chaleur me montait à la tête. Son ton était doux, beaucoup trop doux. Il essayait de se montrer compréhensif et bienveillant, tout ce que je ne voulais pas de sa part. Il pensait que nous étions proches ? Il pouvait bien rêver ! J'avais été trop indulgente, je devais rétablir la distance.

— Mêle toi de tes affaires, j'ai pas envie de t'en parler.

Pour bien enfoncer le clou, je tendis le bras et indiquai mon collier qui restait très calme sous mon menton. Il fronça à nouveau les sourcils, puis claqua les mains sur ses jambes et secoua la tête.

— Excuse-moi, je ne voulais pas me montrer intrusif. Je ne recommencerai pas.

Il prit le temps de se lever et me lança un regard solennel, du haut de sa petite taille.

— Je dois savoir : je peux compter sur ta coopération ?

J'allai lui rire au nez mais je me retins, me mordant plutôt la lèvre et réfléchissant. 

Si j'avais bien compris, il me demandait de l'accompagner et de le soutenir pour une durée indéterminée. En échange, il me laisserait tranquille et me ramènerait un jour sur Terre pour tuer mon père. En y réfléchissant, ce marché n'était pas si désavantagux. Si cela signifiait perdre ma liberté et vivre comme un chien, au moins avais-je la récompense que je souhaitais à la clé.

C'était toujours mieux que de rester sous le même toit qu'un être immonde, prêt à vendre sa propre chaire pour obtenir ce qu'il voulait. C'était peut-être même la meilleur proposition de vie qu'on m'eût jamais faite.

Je fronçai les sourcils et tournai la tête.

— J'ai vraiment le choix ?

C'était pour sauver les apparences. Après tout, c'était bien lui qui m'avait achetée, je n'avais pas réellement le choix. Mais pour lui signifier que je n'acceptais pas uniquement sous la contrainte, je glissai à voix basse, en le regardant dans les yeux :

— Marché conclut.

Il retrouva son air bienheureux.

— Tant mieux, on s'est mis d'accord ! Je vais dire à mon père que tu n'es pas si sauvage que ça.

Je le fusillai du regard.

— Traite moi encore de...

— Je te laisse te reposer, m'interrompit-il sans scrupules. Si tu as un problème, tu peux venir me voir, ma chambre est juste au bout du couloir. Hezza viendra te chercher pour le dîner.

Je me tus, l'observant gagner la porte en faisant profil bas. Je n'insistai pas : il allait me laisser seule. Victoire !

Il ouvrit et s'enfila dans le couloir.

— Ah et au fait, je te conseille plutôt Zede-a, comme prénom.

Je le regardai avec étonnement. Il me fit un clin d'œil complice et expliqua :

— Ça veut dire "sans oreille".

Je serrai fort les dents. Tandis qu'il s'empressa de fermer la porte, je portai la main à mon oreille mutilée. C'est cruel, ça, le maudis-je en silence.

Mais étonnamment, le nom me plut.

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Elkass a prend bien conscience du souhait d'Héloïse. Il lui assure de suite que le fait qu'elle tue son père cela ne lui pose aucun problème, et lui promet même de l'aider quand l'occasion se présentera. En échange, il attend juste qu'elle coopère. Il lui explique le principe des seconds : des êtres humains venus de la Terre et achetés par les anges pour grandir avec leur maître et le servir leur vie durant. Il lui assure cependant qu'il ne s'attend pas à ce que leur relation soit aussi fusionnelle qu'habituellement, étant donné son âge et son caractère, et développe même les nombreux avantages à leur situation.

Héloïse finit par se faire une raison : elle n'est pas tombée sur le pire des maîtres. Elle consent donc à mettre son fameux collier avant de s'amuser à l'utiliser, ce qui lui vaut les remontrances fermes de son propriétaire. Elle ne doit pas se méprendre : il reste plus puissant qu'elle. 

Elle se rend aussi compte qu'il connait son prénom et pour cause, il est écrit dans ses papiers. Voulant se débarrasser de cette étiquette qui la rattache à sa vie d'avant, la jeune fille entretient une conversation sur les prénoms avec son nouveau maître. Elle finit par accepter son marché et il la laisse, lui suggérant au passage le nom "Zede-a" signifiant "oreille coupée". Prénom faisant référence à son oreille mutilée que la jeune fille trouve terrible, mais qu'elle décide d'adopter.

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