4 ~ C'était de sa faute

Bonsoir !

⚠️Nouveau chapitre avec des passages difficiles (violences physiques) : aux âmes sensibles, s'abstenir. Si vous voulez passer ce chapitre, demandez-moi en commentaire de vous en raconter l'essentiel⚠️

Bonne lecture !

* * * *

Une goutte d'un liquide non-identifié tomba sur mon front. Je levai le menton vers le plafond, entrouvrant légèrement les paupières pour tenter d'en trouver la source.

J'inspectai l'agencement de planches et de terre qui soutenait le ciel au-dessus de ma tête. Tandis que je fis un mouvement pour y regarder de plus près, les chaînes à mes poignets se tendirent. Le bruit qu'elles émirent en claquant me vrilla les tympans, mes brûlures se ravivèrent et lancèrent des éclaires tout au long de mes nerfs. Je gémis, ramenant les poings contre mon ventre et me mordant la lèvre pour faire taire la douleur. Une autre goutte tomba sur mon crâne, une dernière roula sur ma joue.

C'était de sa faute.

Je n'avais aucune idée du nombre de jours que j'avais passés en captivité, perdue au fond du noir de la cave dans laquelle ils m'avaient enfermée. Il n'y avait aucun moyen de savoir où j'en étais, cela me rendait folle.

C'était de sa faute.

Ils m'avaient droguée pour m'amener dans leur repaire. Je n'étais pas sortie de l'immeuble consciente, je n'avais jamais pu appeler à l'aide. Quand je m'étais réveillée, j'étais déjà prisonnière, enfermée plus bas que terre dans cette maudite cave.

J'avais alors passé les premiers moments à m'agiter : j'avais crié, je les avais insultés, j'avais fait en sorte qu'on puisse m'entendre d'aussi loin que possible et j'avais tiré sur mes chaînes pour tenter de me dégager. Je n'en avais gagné que des brûlures sur les poignets, une voix cassée, des punitions à coups de bâtons pour me faire taire et des rations de nourriture en moins. Ces gars savaient s'y prendre, pour faire passer l'envie de se rebeller.

Au bout de quelques jours de silence, j'avais remarqué que je n'étais pas la seule enfermée dans cette cave. Les autres n'étaient pas dans un meilleur état que moi, ils se taisaient. Par moments, lorsque qu'un rai de lumière pénétrait dans la cave et qu'un de nos bourreaux entrait, je les entendais s'agiter. Il y avait quelques bruits de chaînes au loin, des gémissements puis des sanglots. Mis à part cela, quand nous étions seuls, je parvenais à peine à entendre leurs respirations. Comme si le silence était la règle, il n'y avait rien de plus grave que d'oser le briser.

J'avais essayé de leur parler, un temps, sans rien obtenir en retour. Jours après jours, ils m'avaient laissée sombrer dans la douleur. Je leur en avais voulus, puis j'avais compris qu'ils avaient seulement été brisés, et que j'allais bientôt les rejoindre. 

C'était de sa faute.

Les repas n'étaient pas réguliers, je ne devais en prendre qu'un ou deux par jours —si l'on pouvait encore parler de jours. On nous laissait reposer dans le noir et la puanteur, comme des rats dans les calles d'un navire. Nous n'avions nul part où faire nos besoins, nul part où nous laver. Quelques fois, l'un de nos bourreaux descendait avec un jet d'eau froid qu'il nous jetait sur le visage, histoire de ne pas trop nous laisser pourrir. C'était un réel supplice. Si la saleté me démangeait, que je sentais mes vêtements tâchés de crasse et de sang se coller à ma peau, l'eau froide était si glaciale qu'elle torturait tout mon corps. Cela me brûlait, j'en étais toujours transie de frissons. Bientôt laissée à sécher après un rapide passage au jet, dans la moiteur puante de la cave, et terrassée par le moindre courant d'air. Mais c'était le seul moment où je pouvais boire tout mon saoul, alors je tâchais tout de même d'en profiter.

C'était de sa faute.

J'étais bel et bien une machine cassée. J'avais été jetée à la décharge, une décharge d'esclaves et de corps dont personne ne voulait entendre parler. Pour accroître mon malheur, entre deux longues agonies, le pervers aux cheveux blancs à qui j'avais été vendue se faisait un plaisir de venir me tourmenter. C'était lui qui m'apportait mes repas, ce qui rendait ces moments aussi attendus que redoutés. Je ne voulais plus jamais avoir besoin de manger. 

C'était de sa faute.

Si ma virginité semblait devoir être préservée, mon bourreau ne se privait pas de me faire subir toute autres sortes de tortures. Il me touchait à chaque occasions, jouait avec ma peur et s'amusait à me blesser avec la lame du couteau qu'il utilisait pour couper la viande, trop sèche, censée me nourrir. Je saignais de tellement d'entailles sur les bras qu'il m'en montait jusqu'au visage, baignais dans une mare de sang et de saletés dont j'avais cessé d'en sentir l'odeur. J'étais une bête, j'étais un corps, je n'avais plus rien d'un être humain.

Nous n'étions que du bétail. Si je m'étais d'abord demandé pourquoi j'avais été vendue, si c'était pour me laisser moisir dans cette cave, j'avais cessé de me poser la question. Il n'y avait plus aucune question qui valait la peine. C'était de sa faute, c'était tout ce que je retenais. Les jours se suivaient et s'emmêlaient, le temps s'étirait comme un vieil élastique usé. C'était de sa faute. 

Je ne songeais plus à la lumière du jour ou à mon passé sur Terre. Ces souvenirs m'avaient fait pleurer : j'étais trop effrayée à l'idée de ne plus rien pouvoir revoir de tout ça. Alors j'avais cessé d'y réfléchir. 

C'était de sa faute. 

Pour ne pas sombrer dans la folie, je n'avais conservé qu'une seule et même image de mon passé. Qu'un unique instant qui restait gravé dans ma mémoire, une échappatoire à ma misère. Une brève apparition, presque rien : le regard de mon père. Celui, insensible, qu'il m'avait lancé quand j'étais passée devant lui pour la dernière fois.

C'était la seule chose que je gardais en tête, le seul souvenir que je me rejouais sans arrêt. Je le détestais. Quand le pervers jouait avec moi et que je tentais de le mordre pour me défendre, je pensais planter mes dents dans la chaire cet être immonde qui les avait laissés m'enlever. J'avais mal aux mains, c'était de sa faute. J'avais faim, c'était de sa faute. Je voulais mourir, c'était de sa faute. Je ne pouvais pas mourir, c'était encore de sa faute.

Je le détestais. Je voulais le tuer, je voulais plus profondément le tuer que jamais. C'était tout ce qu'il me restait en tête : son visage, et l'envie de l'étriper.

Ma vie, mon malheur. Tout était de sa faute.

Un jour —quelques semaines ou quelques années plus tard— quelqu'un de différent avança jusqu'à moi. Parfois, des visiteurs descendaient dans la cave, mais jamais l'on ne s'était enfoncé aussi loin. Pour la première fois, ma carcasse intéressait quelqu'un. Mais qu'est-ce cela allait changer ?

L'inconnu étaient plutôt deux inconnus, me rendis-je compte tandis que je les distinguais dans une lumière qui me brûlait les yeux. Ils étaient accompagnés par l'un de mes tortionnaires, celui qui savait parler. Je ne l'avais pas revu depuis des mois, je ne me souvenais plus de son visage.

C'était de sa faute.

— C'est donc elle, la plus caractérielle que vous aillez ?

La voix provenait de partout et de nul part à la fois, elle résonnait dans mon crâne et me retournait le cœur. Je n'avais déjà plus envie de les voir. Je voulus me retourner, mais je restai immobile. Il y avait comme une force invisible qui m'attirait vers ces deux inconnus.

Le plus grand porta une main à ce que j'imaginais être son front tandis que le deuxième s'approcha de moi. Il s'agenouilla à ma hauteur et inspecta mon visage. Je n'arrivais pas à le voir distinctement : la lumière de la flamme bleue qu'il produisait dans sa main m'éblouissait. Il me semblait tout de même être plutôt jeune.

Par réflexe, je fis un mouvement en avant et lui donna un violent coup de tête. Le tintement de mes chaînes résonna dans la cave tandis que je basculais en avant, le bruit s'amplifia et résonna dans toute ma tête qui manqua d'exploser. Le frottement de mes poignets contre les chaînes m'arracha un râle de douleur. Mes bras furent saisis de frissons, retenus au sol par les menottes trop lourdes. Je fis tout mon possible pour me rasseoir, lançant le regard noir d'une bête féroce à l'étranger qui reculait.

— S'il te plaît, calme toi, chuchota-t-il.

Sonnée, je ne réalisai pas qu'il venait de parler. Il mit une distance raisonnable entre nous tout en se frottant la tête. Son compagnon eut un claquement désagréable de la langue, puis se retourna dans un crissement de talon. Sa cape fouetta l'air devant moi.

— Qu'avez vous d'autre ?

— Père, c'est bon, lança le jeune homme encore au sol.

Il me regarda avec un sourire —du moins était-ce que qu'il me semblait voir, à la lueur de sa flamme bleue.

— C'est exactement ce que je cherche.

L'autre inconnu poussa un soupire excédé.

— Elkass, elle est violente.

— J'ai bien vu ! Mais ce n'est pas un problème, je m'en occuperai.

Je fermai les yeux. Leurs mots m'atteignaient comme depuis les profondeurs d'une piscine, j'étais immergée dans un fluide trouble. Le bruit que faisait leurs lèvres m'était en revanche inhabituel, un mal de tête commençait à me prendre. Les autres allaient me détestait, on détestait tous ceux qui faisaient trop de bruit, par ici.

— S'il te plaît, mon fils, un peu de sérieux.

— Mais regarde, elle est très jolie ! Et puis elle a dix-huit ans, c'est ce que vous nous avez dit, non ? C'est parfait !

Quelqu'un se racla la gorge, je me mis à détester ce bruit.

— Oui, je peux même vous fournir ses papiers. Tout est en règle.

Je suivais l'échange silencieusement, inerte. On était encore en train de parler de moi comme d'un bout de viande, rien ne changeait. Depuis la Terre, je m'étais même transformée en bout de viande. Je n'étais plus rien d'autre, désormais.

— Alors on la prend ! s'exclama le jeune homme.

Il se releva et épousseta son pantalon, sortant quelque chose de ses poches et s'approchant plus prudemment de moi. Je ne le quittai pas des yeux, méfiante. S'il faisait un pas de plus, je le frapperais de nouveau. Tant pis si cela me faisait mal, je devais me venger.

— Père, cette fille est la fille la plus vivante de cette cave, et je ne veux pas m'encombrer d'un fantôme. Elle est forte, c'est elle que je veux !

Je m'arrêtai de réfléchir. L'autre inconnu prit son temps pour répondre tandis que le jeune homme finit de me rejoindre. Il ne me toucha pas, il resta agenouillé sagement près de moi.

Je ne réagis plus, je n'avais jamais rien entendu de plus agréable que les quelques mots qu'il venait de prononcer, et cela suffisait à me calmer. Sans le vouloir, un profond sentiment de réconfort vint germer en moi. Tandis que son acolyte donnait finalement son accord, le jeune homme eut un mouvement vif de la tête et s'approcha plus près pour passer un bandeau devant mes yeux. Je grognai mais ne cherchai pas à me débattre, je me laissai faire. Au moins la lumière ne brûlait-elle plus mes rétines, de cette manière.

C'était de sa faute, oui. Mes douleurs étaient de la faute de mon père, entièrement de sa faute. Mais je n'avais plus mal.

Je me relevai, je me relèverais encore. Ce combat était le mien. J'étais encore en vie. J'étais forte, plus forte que le sort auquel il voulait me soumettre. 

C'était mon combat.

On m'enleva mes menottes et on m'attrapa les bras pour me relever. J'eus du mal à tenir sur mes jambes, je n'avais pas bougé depuis trop longtemps et j'étais complètement ankylosée. On me soutint et on m'aida à marcher. Bien qu'ils fussent quelque peu maladroits, je trouvais les gestes de l'inconnu d'une infinie tendresse. À bout de forces, je laissai ma tête retomber contre son épaule.

C'était grâce à lui.

Je marchais mécaniquement, traînant des pieds et m'appuyant sur son bras qui ne vacillait pas. Je passai devant les corps vides de mes homonymes, les abandonnant à leur triste sort. Bientôt, je sortai enfin de ce sous-sol qui puaient le sang et les pleurs pour m'offrir au soleil.

J'étais libre, c'était grâce à lui.

Je venais d'être revendue.


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Héloïse est au plus bas.

Ses acheteurs l'ont enfermée dans une cave au milieu d'autres esclaves. Sans lumière, sans air, sans nourriture, sans eau. Elle n'a plus aucune notion du temps qui passe, ne parle plus. Elle devient le jouet de son acheteur aux cheveux gris, qui s'amuse avec son corps. Si sa virginité est préservée, toutes autres misères lui sont faites.

Dans sa douleur, Héloïse perd peu à peu la raison. Elle oublie la douleur des chaines autour de ses poignets qui la griffent jusqu'au sang, l'odeur nauséabonde de la cave et sa moiteur. Elle se concentre sur l'unique image de son père, auquel elle rapporte toute ses souffrances.

Réduite aux plus primaires des sentiments, la jeune fille s'érige une barrière de haine pour ne pas sombrer dans la folie. Il ne lui reste plus qu'une seule image en tête : le regard désintéressé de son père lorsqu'il l'a laissée. Tout le reste disparaît.

Un jour, un nouveau visiteur fait irruption dans la cave. Il s'approche du fond, il cherche la prisonnière la plus caractérielle. C'est tout naturellement qu'il tombe sur Héloïse.

Grâce à lui, elle va sortir de l'enfer.

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