22 ~ Caraca

Saluuut !

Eh oui, ça fait longtemps que vous ne m'avez pas vue. La cause : je suis entrée en école d'ingé. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que j'ai été occupée ! ... même au point de délaisser l'écriture. Désoléée !

Petit résumé rapide pour vous remettre dans le bain : notre amie, auto-surnommée Zede-a, est au service du mignon et gentil — mais pas moins mystérieux — Elkass. Aujourd'hui, elle s'est faite embarquer par une jeune fille qu'elle ne connaît ni d'Eve ni d'Adam, Ery, rendre visite à une sorcière de la ville des anges. On ne peut pas dire que le plan sente bon. Toujours est-il qu'Ery l'amène à bon port. Voilà alors notre jeune héroïne faisant face à la redoutable sorcière Craraca (pas si redoutable que ça, en fait) lors d'un entretien privé. Et les questions qu'elle lui pose ne sont pas banales !

Sur-ce, je vous souhaite une très bonne lecture.

****

— Ah.

Elle venait de me demander de tuer Elkass. Tuer Elkass. Je ne parvenais pas à réaliser.

Elkass était un bloc, un saillit rocheux, il était intouchable. L'idée même de le tuer était de la plus grande absurdité. Le cœur battant dans ma poitrine, je ne me rendis compte que je retenais ma respiration que lorsque je suffoquai. Des frissons m'agitèrent. Caraca avait perdu la tête, m'affolai-je. Qu'est-ce que qui lui prenait ?

— Je ne veux pas ! m'exclamai-je.

Lorsque ma respiration s'apaisa, je pris le temps de réfléchir. En y songeant, je ne connaissais Elkass que depuis quelques jours. Il n'était rien pour moi. Il se donnait du mal pour me protéger, certes, mais c'était parce qu'il avait besoin de moi. J'étais déjà décidée à tuer mon père, alors ça ne devrait pas me poser problème de commencer par un inconnu.

Et pourtant, mon collier ne sonnait pas lorsque je niais.

La vérité, je m'en rendais compte, c'était qu'Elkass était devenu important à mes yeux. Réellement important. Si, à me maintenir dans l'ignorance, il avait érigé une cage autour de moi, c'était une cage confortable dans laquelle je me plaisais. J'avais peur de beaucoup de chose, des autres comme du monde qui m'entourait, mais je n'avais pas peur d'Elkass. Je serrai les poings. J'avais confiance en Elkass, me répétai-je. Je ne voulais pas tuer Elkass.

L'expression de la sorcière s'assombrit.

— On n'a rien sans rien, ma fille. Tu veux retourner sur Terre, oui ou non ?

Sa question resta en suspend. Je pris sur moi pour ne pas répondre trop vite. Devant cette femme malicieuse, j'avais compris que je devais surveiller mes paroles.

— Ekass peut m'amener sur Terre, lui aussi, répliquai-je.

— Ah oui ?

Je n'aimais pas le sourire suffisant qu'elle abordait. Elle se recula sur sa chaise, croisa les bras sur sa poitrine et pris un air las.

— Et tu pense qu'il va tenir parole ?

Je ravalai ma salive. Elle avait raison, je n'étais sûre de rien.

— Les anges n'aiment pas la Terre, c'est à peine s'ils sont une dizaine par an autorisés à descendre, révéla la sorcière. Tu penses que ton maître est capable de devenir aussi important ?

Elkass avait du potentiel, j'en étais persuadée. Mais les paroles de Caraca immiscèrent un doute dans mon esprit. Une dizaine d'anges autorisés à descendre ? Rien qu'à l'université, ils étaient des centaines. Même si Elkass passait aspirant, rien n'indiquait qu'il pourrait un jour monter plus haut dans la société. D'autant que si j'avais bien compris, sa situation financière ne laissait rien présager de bon. Mais peut-être que si je le soutenais...

Je me mordis la lèvre. Le soutenir ? J'en étais incapable. Je ne savais pas me battre, je ne connaissais rien de ce monde et je n'étais pas diplomate pour deux sous. Sans compter que je ne pensais qu'à moi-même. Comment pourrais-je être une assez bonne seconde pour lui permettre de grimper si haut ?

Et au fond, avais-je envie de me battre pour  lui ?

Je serrai les poings, détournant le regard. La vérité, c'était que je ne voulais pas aider Elkass. Il avait beau être gentil —du moins pour ce que j'en savais—, ses affaires n'étaient pas les miennes. J'avais vécu dix-huit ans de ma vie sur Terre, alors qu'est-ce que j'en avais à faire, de ces histoires d'anges ? Ce qui me concernait, c'était ma survie. C'était l'objectif qui trônait dans ma tête, qui martelait dans mon crâne dès que je fermais les yeux : c'était retourner chez moi pour me venger. Rien d'autre ne comptait.

Je me concentrai sur les reliefs de la table, finissant par jauger la sorcière qui attendait ma réponse. Je pris conscience que deux chemins s'offraient à moi : un long et sinueux, risqué, avec plus de chance d'aboutir à la défaite qu'à la réussite. Et l'autre direct, rapide, sans aucun ange louche et destin incertain dans l'équation. Le deuxième, c'était enfin un plan que je pouvais contrôler : il me suffisait de tuer quelqu'un et le tour serait joué.

Je serrai les dents. Ma vengeance était toute puissante, je devais le garder en tête. Qu'est-ce que c'était, tuer un ange, lorsque je voulais tuer mon père ?

Peut-être que la difficulté venait de l'identité précise de cet ange. Elkass était celui qui m'avait sortie de l'enfer, celui qui veillait sur moi, c'était mon soleil et mon filet de sécurité. Mon collier avait raison, je disais la vérité : je tenais à Elkass plus qu'il ne le faudrait.

— Je ne veux pas le tuer, lui, avouai-je. Mais je suis prête à tuer n'importe qui d'autre !

Ma proposition sembla amuser la sorcière.

— Sauf que justement, c'est sa vie qu'il me faut.

Je fronçai le nez. Elkass, que m'avait-il caché ? songeai-je, non sans une légère pointe d'inquiétude.

— Pourquoi, il a fait quelque chose de particulier ?

La sorcière s'empressa de mettre fin à mes doutes :

— Pas à ma connaissance, je ne sais absolument rien de lui. Mais tu tiens à lui.

Elle bascula sur sa chaise pour mieux m'expliquer :

— Vois-tu, ma fille, c'est ce qui fait toute sa valeur. Il faut tuer un proche pour obtenir une antre.

Sa confidence me laissa muette. C'était donc ça, la fameuse méthode ? Je ne savais comment réagir. À vrai dire, je ne parvenais pas à distinguer ce qui était le plus dramatique : le fait que de prétendus dieux aient demandé d'assassiner un proche pour gagner leurs puissance, ou le fait qu'Elkass fut considéré comme quelqu'un de proche pour moi. Pourtant, ces deux faits étaient bien réels. Quel plus grand sacrifice que de tuer un proche pour posséder le pouvoir des dieux ? Et puis mon maître était l'individu auprès duquel je me sentais le plus en sécurité sur terre. C'étaient des réalités effrayantes et cruelles : Elkass était important pour moi, alors je devais tuer Elkass.

Cette idée me fit monter le rouge aux joues et le cœur dans ma gorge. Je tenais à Elkass. Mon camp était en fait tout désigné.

— Je ne le tuerai pas.

La sorcière n'abandonna cependant pas le combat.

— Je peux t'aider à t'en séparer, proposa-t-elle. Tu es trop gentille, je suis certaine qu'il n'est pas celui que tu imagines. Je peux t'assurer qu'il te ment sur un bon nombre de points.

Je manquai de ricaner, même si c'était plus nerveux qu'autre chose. Elkass, me mentir ? Comme si je ne m'en étais pas déjà rendue compte !

— Oui, c'est vrai, concédai-je. Mais c'est pour mon bien, il veille sur moi.

Son monde était dangereux, il était normal qu'il veuille me préserver de ses plus sombres secrets.

— Et s'il t'exploitait ?

Caraca leva un sourcil intéressé. Je n'étais pas dupe, elle cherchait mes failles. Elle me sondait, elle tentait de trouver le moyen de me faire basculer de son côté pour obtenir l'antre d'Elkass. Mais on ne mord pas la main qui nous nourrit : je ne comptais pas trahir mon maître.

— Je l'exploite aussi, répondis-je en haussant les épaules.

Elle fronça les sourcils.

—- Tu lui fais donc absolument confiance ? Tu es bien naïve.

Je n'aimais ni son ton, ni ses paroles. Naïve ? m'indignai-je. Au contraire, j'étais très réfléchie. Pour qui me prenait-elle ? J'avais pris une décision et je n'aimais pas ceux qui voulaient me faire changer d'avis. Je me levai et frappai mes mains sur la table, foudroyant la sorcière du regard.

— C'est si compliqué à comprendre ? Oui, je lui fais confiance. Il n'est pas parfait, mais au moins, il fait attention à moi. Personne n'est comme lui ! Il me protège de votre monde, il me protège de mon père. Vous ne pouvez pas comprendre à quel point il est précieux pour moi !

D'abord énervée, la sorcière pris alors un air très sombre.

—Détrompe-toi, je comprends bien, chuchota-t-elle.

C'était de toute évidence un sujet sensible, à n'aborder qu'avec extrême prudence. Mais je n'étais pas d'humeur, ce fut pourquoi je mis les pieds en plein dans le plat :

— Ah ouai ? la provoquai-je. Pourtant ça ne vous dérange pas de ne plus avoir de maître, pas vrai ?

J'avais visé juste. Mais comme attendu, ce fut la provocation de trop. L'étincelle d'intelligence que j'avais déjà aperçu chez elle refit surface pour embraser son regard. L'incendie s'empara de son visage, de toute son aura, elle devint plus effrayante que jamais. Sur le lustre au plafond, deux bougies s'éteignirent. De peur, je me rassis sur ma chaise.

— Je ne l'ai pas tué, tonna-t-elle, sa voix ayant chuté de quelques octaves.

Elle enleva un gant et leva le bras devant elle, montrant à la lumière une main reconstituée, à moitié faite de chair et de métal. Je manquai une respiration, effrayée par l'horreur du spectacle.

Je lui ai sauvé la vie... lâcha-t-elle, dans un soupire presque inaudible.

Aussi vite qu'elle eût pris de l'importance, elle la perdit toute entière. Dévastée par une immense vague de tristesse, trop grande pour que je pusse en saisir l'ampleur, elle s'affala sur sa chaise et se pris la tête dans les mains. Assaillie par la détresse, elle s'agita de frissons. Surprise, je restai muette. Assise sur ma chaise, stoïque, à la regarder combattre ses sanglots.

Je ne connaissais que trop bien cette attitude : elle aussi, elle avait des souvenirs à fuir. Les seconds bénis acquièrent des pouvoirs en se sacrifiant pour sauver leur maître, me souvins-je. Mais leur sacrifice est extrêmement dangereux, il laisse bien souvent des séquelles importantes. Pour réussir l'opération, il faut faire preuve d'un attachement exceptionnel envers son maître.

Caraca était une seconde bénite, compris-je. Et le fait qu'elle n'eut plus son maître près d'elle devait lui causer la pire des souffrances.

Mais moi aussi, j'avais mes fantômes.

-— Je pense que l'on m'a fait subir d'horribles choses quand je suis arrivée ici, avouai-je à mi-voix, lorsque que ss sanglots s'apaisèrent.

J'avais peur de poursuivre, mais je me forçai :

— Mes souvenirs m'échappent, mais les seuls que je conserve sont extrêmement douloureux. Je sais que c'est Elkass qui m'a sortie de là.

Ma voix tremblait, mais je me forçai à poursuivre :

— J'ai été vendue, je ne suis plus rien. Mais lui, il me considère encore comme un être humain. Il n'y a que dans ses yeux que j'existe. Vous devez comprendre, il est tant pour moi !

La sorcière grogna. Pendant un instant, je crus qu'elle allait me rembarrer. Mais après avoir pris un moment pour réfléchir, elle retrouva tout son calme. Elle se leva contre le dossier de sa chaise.

-— Excuse-moi, demanda-telle.

Elle passa les mains sur ses yeux puis pris le temps de me regarder, la tempête était passée.

— Donc, des souvenirs t'échappent ?

Je n'osai pas changer de sujet de conversation, alors je confirmai d'un signe de tête. L'étincelle d'intelligence refît surface dans son regard, plus contrôlée cette fois. Je retint ma respiration.

— Tu les as perdus ? insista-t-elle.

Je secouai la tête.

— Non, je les sens, décrivis-je. C'est comme s'ils étaient pris au piège.

Un sourire vint germer sur ses lèvres. Elle n'eut soudain plus rien à voir avec la femme fragile et torturée que je venais d'apercevoir à l'instant, pétrie par la douleur.

— Tu sais, chez les anges, il existe un pouvoir capable d'effacer les souvenirs, révéla-t-elle.

Je me mordis la lèvre, sentant le coup fourré arriver à plein nez. Elle voulait me monter contre Elkass, me rappelai je. Je ne devais pas me faire avoir.

Mais c'était trop tard.

— Tu ne penses pas que ton précieux maître puisse l'avoir utilisé contre toi ?

La pierre tomba et troubla l'eau du lac. Je vacillai, prenant sur moi pour garder la tête droite.

— Et alors ? renchéris-je.

Dommage, ma voix tremblait. La sorcière souria et s'engouffra aussitôt dans la brèche :

-— Il cherche à te protéger, pas vrai ? Et s'il te les avais enlevés pour ne pas que tu en souffres ?

Je serrai les dents. Dit comme ça, ça prenait sens. Les battements de mon cœur s'accélérèrent : ça collait parfaitement avec le personnage d'Elkass. Mon interlocutrice savait cerner les gens, elle était redoutable.

— Mais tu ne peux pas savoir, poursuivit-elle en prenant l'air de réfléchir. Ce serait bien pratique, de supprimer les choses qui dérangent. S'il contrôle tes souvenirs, il contrôle aussi tes pensées. Dis moi, tu penses qu'il avait des choses à te cacher ?

Ça y était, elle attaquait. Et moi, je me prenais au jeu. Mes souvenirs manquants, Elkass avait-il vraiment un intérêt à les cacher ?

— Il m'a sauvé de l'enfer, il ne veut que mon bien, insistai-je.

— C'est ce qu'il veut te faire croire, argua-t-elle. Dis-moi, tu peux me certifier qu'il ne t'a rien fait durant la période que tu as oubliée ?

Je me relevai brusquement. C'était une idée immonde ! Non, Elkass était mon sauveur, il n'était pas mon bourreau !

-— Oui !

J'en étais persuadée.

— Je me souviens de lui, je me souviens du moment où il est venu me chercher.

Je me répétais mes arguments dans ma tête. C'était certain, Elkass était le gentil de l'histoire. Il m'avait toujours aidée et protégée, il n'avait pas pu me faire de mal. Dans le cas contraire, je ne me sentirais pas si tranquille avec lui.

Et pourtant...

— Et si ce n'était qu'une mise en scène ?

Lentement, au fond de moi, les fissures s'agrandissaient. Mes résolutions flanchaient, comme si je subissais un tremblement de terre.

Attentive, la sorcière s'approcha et plaça une main sur ma joue.

— Les anges sont prêts à tout pour s'attirer notre fidélité, chuchota-t-elle.

Je levai les yeux vers les siens, bruns et sincères. J'y lus toute une vie.

Elle avait vu des choses difficiles, elle était une seconde bénite. Elle était de celles qui avaient donnée leur vie à celui qu'elles devaient protéger, elle avait aimé et tenu à cet être plus que tout au monde. Alors si elle me disait de me méfier de mon maître, c'était qu'elle avait de bonnes raisons.

Elle savait de quoi elle parlait. Je pouvais la croire, je devais la croire. Sans compter qu'au fond de moi, je savais que son raisonnement était juste.

-— Pour eux, nous ne sommes que des outils, murmura-t-elle. S'il te plaît, ma fille, ne te fais pas avoir.

Elle me regarda dans les yeux pour finir, avec une voix vieille de cent ans :

-— Plus un ange te cache de choses, plus il y a de chances pour que ce soient des trahisons.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top