Une boule de feu !

Effrayée, je me retournai vers Kalion. Ses mains étaient tendues en avant, encore fumantes, des gants noirs qu'il avait eu le temps de passer autour de ses poignets depuis le moment où je l'avais laissé. C'est lui qui venait de tirer.

Abrutis ! Je serrai les poings. Les joues rouges, de colère autant que de peur, je me dégageai de la poigne d'Arthuro et m'éloignai des deux traîtres. Qu'avais-je imaginé, à leur faire confiance si facilement ? Ce monde était rempli de psychopathes !

Avançant sans les quitter du regard —histoire qu'ils ne me tirent pas encore dessus par derrière—, je m'exclamai :

— Vous êtes des malades !

Kalion fit la grimace. Je m'indignai, le fusillant du regard. Il venait de tenter de m'assassiner et il trouvait un moyen d'être contrarié !

— Arthuro, pourquoi tu l'as prévenue ?

Arthuro ? J'écarquillai les yeux. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit le premier à qui s'adresse Kalion.

— Je t'ai dit que c'était bon, soupira l'intéressé. C'est une humaine.

Son maitre ne sembla pas apprécier sa réponse.

— On ne peut pas en être sûr.

— De quoi tu as besoin de plus ? railla Arthuro. Tu voulais qu'elle te saute à la tête, peut-être ?

Le Premier le fusilla du regard.

— Ça ne risquait pas d'arriver vu que tu m'as fait signe.

Arthuro s'énerva.

— Parce que c'est une humaine !

— Et qu'est-ce qui me dit que c'est vrai ?

Le second garda un instant de silence, puis se frotta les sourcils avec ses doigts.

— Kalion, tu es conscient que tu es ridicule ?

Le Premier s'arrêta, haussa les épaules, puis repris :

— Ça ne change rien, tu as gâché mon test.

Il n'en démordait pas.

— Il n'y avait pas besoin de test !

Je les regardai se crêper le chignon sans bouger, trop absorbée par la dispute. À la fin d'une lutte acharnée de regards, ce fut Arthuro qui remporta la victoire. Kalion baissa la tête en soupirant et l'air devint d'un coup plus respirable. 

Je me détendis, puis me rappelai de ce qu'il venait de se passer. Furieuse, je me tournai pour rejoindre le bâtiment. Quelle idée c'était, d'attaquer les nouveaux pour leur souhaiter la bienvenue ? Ça ne marchait pas avec moi ! Plan ou pas, je n'allai pas rentrer dans leur combine.

— Zede-a ! appela Kalion. Excuse nous !

Il courut à ma poursuite. Las, je finis par m'arrêter. J'imaginai que si j'étais encore en vie, c'était qu'il ne nourrissait plus d'intention meurtrière envers moi. Aussi me retournai je et le fusillai je du regard.

— C'est habituel chez vous, de carboniser les nouveaux ?

Kalion s'immobilisa, d'abord surpris par ma réaction. Puis il passa une main derrière sa tête et rit avec embarras.

— Ha ha non, ne t'inquiètes pas. Désolé, on avait quelques doutes.

— Des doutes ? Sur moi ?

Étonnée, j'aperçus vaguement Arthuro nous rejoindre tout en réfléchissant. Ils avaient des doutes à propos de quoi ? me demandai je. Ils m'avaient semblé s'engueuler pour savoir si j'étais une humaine ou non, à l'instant. Mais que s'imaginaient ils ? Je n'étais pas une extraterrestre ! 

— Il y a possibilité que tu sois une ange, répondit timidement Kalion. Je dois savoir qui sont les membres de mon école, tu comprends ?

Que je fusse une ange ! Plus nerveuse que réellement amusée, je ne pus m'empêcher de pouffer.

— En l'occurrence, ce n'est pas le cas, conclut Kalion.

Bien vu !

— Non mais moi, une ange ? Vous m'avez bien regardée ?

Je n'avais aucune notion de magie, ne connaissais rien à leur monde et ne savais même pas ce que signifiait réellement "être un ange". Je n'étais là que depuis trois jours ! Il voulait juste balancer une boule de feu sur la petite nouvelle pour s'amuser, il pouvait le dire.

— Elle pense comme une humaine, affirma Arthuro en se postant devant moi. Et il n'y a aucune magie en elle.

Comme pour confirmer ses dires, il tapota son bandeau. Kalion prit un air songeur.

— Tu es certain que ce n'est pas une Chasseuse ?

À ce mot, Arthuro fronça les sourcils. Je m'étouffai avec ma salive. Sans doute que "penser comme une humaine" était un reproche et que ne pas posséder de magie était aussi quelque chose de ridicule, mais je m'intéressai surtout à la réflexion de Kalion.

— Si je ne suis pas une Chasseuse ? Ah ça non, je vous jure que j'ai jamais rien tué de ma vie !

Je ricanai. Mais j'avais oublié que je ne devais jamais, au grand jamais, faire de déclarations solennelles avec si peu de sérieux. Pour me le rappeler, mon collier se mit à sonner.

Kalion se raidit, sauta en position d'attaque et me jeta un regard à glacer le sang, je tremblai de tout mon corps.

— Juste... euh... rien d'humain ou d'angélique, je veux dire, m'empressai je de rajouter.

Comme mon collier ne réagit plus, je n'eus heureusement le droit qu'à un sourire embarrassé, de la part d'un garçon bien moins effrayant qu'il ne l'était quelques secondes plus tôt. Kalion ne le montrait au premier coup d'œil, mais il pouvait aborder de ces regards meurtriers ! Cependant, il ne semblait pas non plus capable de balancer des boules de feu à la tête des inconnus dès la première rencontre. Les apparences étaient parfois trompeuses. Moi aussi, on pouvait se tromper sur mon compte. Mais de là à me traiter d'ange...

Ils cherchaient donc des Chasseurs ? Sur Terre, il y en existait des tas, mais il n'y avait rien à craindre d'eux en théorie. Je soupçonnai ne pas avoir la bonne définition du terme.

— C'est quoi "un Chasseur", chez vous ?

Arthuro soupira tandis que les lèvres de Kalion se rassemblèrent en un sourire.

— Ce n'est rien, répondit le rouquin un peu trop sèchement.

C'était donc un secret que je ne devais pas connaître.

— C'est dangereux ? insistai-je. Vous savez, j'aimerais bien savoir dans quoi je mets les pieds avant de mourir de...

— Eh bien ! m'interrompit Kalion, non sans un sourire suffisant en direction de son second. Si elle a d'aussi bons arguments, on doit bien lui expliquer, non ?

— Tu veux qu'elle nous aide, comprit le rouquin avec un air las. Kalion, je refuse. Si Elkass ne lui a rien dit, on ne doit pas s'en mêler.

Son maitre fit la moue comme un gamin de dix ans. On aurait dit qu'il venait de se faire réprimander.. L'élève le plus puissant de l'école, c'était ça ?

— Alors il faut que je demande à Elkass pour avoir ma réponse ? intervins-je.

Kalion sursauta, il agita les mains avec un air catastrophé.

— Surtout pas ! Elkass ne doit pas savoir que tu connais ce mot !

Je fronçai les sourcils. Pourquoi, que se passait-il avec Elkass ? Je sentis que j'avais touché un point sensible. Mon propriétaire devait être mêlé à des affaires étranges pour que ces deux-là m'incitassent à lui mentir. Sans doute Elkass leur en voudrait il de me mettre au courant de son côté obscure, lui qui voulait m'épargner tous les dangers du monde. Etait-ce mal, de vouloir savoir quand même ?

Arthuro eu un reniflement agacé.

— Bon, vu comme c'est parti... se résigna-t-il.

Il se passa la main sur le front et se retourna, laissant la voie libre à son maître, qui se fit un plaisir de se rapprocher pour tout m'expliquer tout bas :

— Je ne sais pas exactement ce que t'as déjà raconté Elkass sur la magie, mais saches que nous tirons nos pouvoir des Dieux. Personnes ne les a jamais rencontrés, on ne sait pas à quoi ils ressemblent, leur nombre, ce qu'ils veulent ou comment ils s'appellent, mais ils ont créé notre monde et nous ont confié la charge à nous, les anges, d'en prendre soin.

Je manquai de lui bailler au visage. Les histoires de Dieux ne m'intéressaient pas, je ne m'étais jamais souciée de la religion et me fichais comme de l'an quarante de ces contes de "missions divines". Et puis ce n'était pas le sujet !

— Et donc ?

Je ne savais pas d'où me venait mon aplomb, mais cela me plut. Cela amusa aussi Kalion qui s'expliqua :

— En bref : il existerait un étrange pouvoir mythique qui permettrait de dominer le monde, et des gens se sont mis en tête de l'acquérir.

J'hochai la tête.

— Ce sont eux, les chasseurs ?

Il confirma d'un mouvement du menton. Je fronçai les sourcils, songeuse.

— Comme c'est original, commentai je.

Mon collier sonna, je l'ignorai. C'était impressionnant comme en l'espace de quelques minutes, il était devenu le cadet de mes soucis. 

Kalion se passa la main derrière la tête.

— Le problème, c'est qu'acquérir ce genre de pouvoirs demande beaucoup de sacrifices. Avant, ceux qui se lançaient dans cette quête n'arrivaient jamais au bout. Mais il y a quelques années, certains ont créé une sorte de secte, les Chasseurs, et ont décidé d'agir en groupe. Ils sont puissants, ils échappent aux autorités et sont très dangereux. Le problème, c'est qu'il faut tuer des gens pour obtenir le pouvoir des Dieux. Et qu'eux, ils ne reculent devant rien.

Des grands méchants qui voulaient dominer le monde et qui n'hésitaient pas à tuer pour atteindre leur but ? Cela ne changeait pas des histoires ordinaires. Pourtant, je trouvais cela étrangement plus effrayant maintenant que je connaissais la magie et les anges. 

Il allait falloir sauver le monde ? Non, je ne mangeais pas de ce pain là. Je tenais trop à la vie. Je devais me venger de mon père et rentrer sur Terre, ce combat n'était pas le mien. Je le laissai volontiers aux gens compétents, comme Elkass ou Kalion.

— D'accord, merci pour l'info. Je ferai attention. Bon courage pour les chopper !

Je frappai dans mes mains avant de m'en aller, ce qui surprit Kalion. Arthuro, lui, devait s'y attendre. En se retournant à moitié, il me lança :

— Tu feras attention à Elkass.

Je m'arrêtai. Des histoires d'héros qui voulaient sauver le monde, j'en connaissais des dizaines. Des histoires d'héros qui sacrifiaient leur vie pour le monde, aussi. S'il voulait aider les anges, Elkass n'hésiterait sans doute pas à traquer et à se battre contre ces Chasseurs au péril de sa vie. Depuis le début de notre collaboration, mon maître n'avait de cesse de me répéter de ne pas me battre, de lui confier tous mes problèmes et de ne pas m'en faire. Maintenant, étais je censée lui rendre la pareil ?

Elkass était une chouette personne. Si je pouvais faire quelque chose pour lui, à ma moindre échelle, je devais essayer.

— Compris, je lui dirai de ne pas se lancer à l'attaque des dangereux méchants.

Ce n'était cependant pas ce que mes deux adversaires voulaient entendre.

— Non, me contredit Arthuro avec un air grave. Tu feras attention à ce qu'il ne les rejoigne pas, ces dangereux méchants.

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Zede-a a failli se prendre une boule de feu dans la tête, provenant... de Kalion. Indignée, la jeune fille s'en va, ce qui n'affole ni ce dernier ni son second. Les deux sont occupés à se disputer à propos d'un certain plan qu'ils ont monté contre elle. Au final, le Premier avoue à Zede-a qu'ils la soupçonnaient d'être une Chasseuse puis, malgré la réserve d'Arthuro, il lui explique qui sont les Chasseurs : groupe de personnalités puissantes et mystérieuses qui cherchent à tuer des anges pour s'emparer du pouvoir des Dieux, un pouvoir donnant la capacité de dominer le monde. Kalion insiste sur le fait que la jeune fille ne doit jamais dire à son maitre qu'elle est au courant. En effet, lui et Arthuro ont des doutes concernant l'innocence d'Elkass dans cette affaire.

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