10 ~ Je suis là pour te protéger
— Zede-a, tu m'écoutes ?
Ensommeillée, je me mis à bailler.
— Humm ? Oui oui...
Le beuglement de mon collier me sortit du sommeil. Je sursautai, portai la main à mon cou et lançai un regard coupable à mon interlocuteur qui soupira.
— Je te l'ai déjà dit : réfléchis avant de parler, réprimanda Elkass en se frottant le front. Bon, je vais recommencer.
J'hochai la tête en me forçant à garder les yeux ouverts. Sur le trajet de l'université, mon nouveau propriétaire tentait de m'expliquer ce qu'il attendait de moi, à son école.
Comme j'étais sa seconde, je devais l'accompagner de partout, y compris à ses cours. Et comme l'école était un terrain miné, que les autres anges étaient dangereux pour moi et qu'ils voudraient tous nous compromettre, je devais être très attentive à ses directives. Mais j'avais mal dormis cette nuit et les remous de la voiture m'entraînaient malgré moi dans les vapes du sommeil.
Nous étions montés à bord d'une étrange machine, un carrosse volant tiré par un cheval ailé. Autant dire que pour balancer, ça balançait ! C'était comme le lit, tout balançait par ici. Un monde de berceaux, comme s'ils étaient tous des bébés.
J'avais fini par découvrir ce dont mon père m'avait parlé : la magie. Devant lui, je m'étais promise d'y rester insensible, mais j'avais du mal à m'y tenir.
La porte de ma chambre était fermée par magie, c'était pour cela qu'il n'y avait pas besoin de clé pour l'ouvrir. Les lumières de la maison étaient elles aussi animées par magie. J'avais eu beau chercher en me levant ce matin, il n'y avait pas d'interrupteur —ce qui était très handicapant. Dans les rues, dehors, défilaient toute sortes de machines volantes. De ce que j'apercevais par la fenêtre du carrosse, il n'y avait pas une voiture qui roulait au pétrole ou grâce à une machinerie industrielle, aucun véhicule ne devait même posséder de moteur. Il y avait des tapis volants, des calèches tirées par n'importe quels animaux, connus ou non, mais rien qui n'évoquait de près ou de loin la technologie.
Quand je l'avais fait remarqué à Elkass, en plein trajet, il m'avait répondu que son peuple était en réalité moins évolué que le mien. Grâce à la magie, ils n'avaient besoin d'aucun mécanisme pour répondre à leurs besoins. Mon propriétaire m'avait promis au passage qu'il m'apprendrait comment marchait la magie, un jour. Mais pour l'instant il préférait se concentrer sur le plus urgent : l'école.
— Je fais mes études en classes supérieures, recommença-t-il à expliquer, faisant preuve d'une patience incroyable. C'est ce qui correspond à l'université, chez vous. En règle générale, notre société et la vôtre sont très semblables, tu n'auras donc pas trop de mal à comprendre son fonctionnement.
Il repris son souffle, jouant des mains pour ordonnées ses idées :
— Je suis en deuxième année d'apprentissage des droits. Comme je veux entrer dans la politique après mes études, c'est dès maintenant que je dois faire mes preuves. Chez nous, il existe une hiérarchie à l'université qui influe sur la vie future. Elle est constituée du Premier et de ses aspirants. Ce sont les plus forts de l'école, ils sont respectés et très puissants. Si un tel titre était marqué dans mon dossier, je serais certain d'avoir un post important dès ma sortie de l'école. Seulement, comme mon université est très cotée et que nous sommes nombreux, les nommés sont des gens exceptionnels. Bien que j'ai un pouvoir héréditaire et que mon père travaille au conseil de l'île, je n'ai aucune chance sortir du lot si je n'ai pas de second. Heureusement, maintenant que tu es là, tout est possible ! Si tu te comportes bien, je suis certain de pouvoir grimper les échelons.
Étant donnée la manière dont il se tenait, son discours lui tenait très à cœur.
— Ah ouais ?
C'était tout ce que je trouvais à répondre. Bien me comporter, songeai-je avec une grimace. Il me prenait pour une gamine ?
— Au moins j'ai pas l'impression d'être un animal de compagnie, c'est sympa.
Pour m'accompagner, mon collier se mit à grogner. Mon maître perdit sa bonne humeur. Je n'arrivais pas à me défaire de mon sarcasme et je savais que ça lui déplaisait. Je mentais trop facilement.
Mais en l'occurrence, c'était volontaire. Je croisai les bras et le défiai du regard, trop contente d'avoir de quoi le provoquer. J'allai lui montrer comment je savais bien me comporter.
Mon propriétaire soupira.
— Il m'arrangerait donc que tu arrêtes de mentir à tout bout de champ.
— Oh ? ricanai-je. Oui, je comprends. Tu peux compter sur moi !
Bien entendu, mon collier s'alluma à nouveau. Mais même s'il n'y avait pas de spectacle sons et lumières pour accompagner mes paroles, mon ton sarcastique aurait suffit à faire comprendre le fond de ma pensée.
La veille, j'avais accepté d'écouter Elkass car il me promettait liberté et sécurité. Avec ce qu'il s'était passé la veille puis ce qu'il me demandait maintenant —suivre ses ordres comme une gentille petite fille—, cela bafouait les deux. Je ne voulais pas servir de défouloir pour son père ni de potiche pour le faire monter en grade et je comptais bien le lui faire comprendre.
— Que je sois plus influent est dans mon intérêt autant que dans le tien, insista-t-il.
Ben voyons ! Je ne prévoyais pas de grimper en politique, moi, manquai-je de lui faire remarquer. Je le gratifiais d'un regard ennuyé.
— Plus vite je gagnerai du pouvoir, plus vite nous pourrons nous rendre sur Terre, argua-t-il.
Je me mordis la lèvre. Cette fois encore, sa proposition m'intéressait. Ma vengeance était le point le plus important, je ne devais pas l'oublier. Cependant, disait-il la vérité ?
— Alors je dois me taire, c'est ça ? grognai-je.
Je détournai le regard et fixai un point devant moi, sur la banquette d'en face.
— Tu fais comme tu le sens, répondit-il avec un léger haussement d'épaules. Je sais que je peux te faire confiance.
Je lui lançai un regard sceptique. Me faire confiance ? Il s'essayait à l'ironie, je devais rire ? Je n'avais rien à faire de lui, j'étais bien celle à qui il ne devait pas faire confiance.
Enfin... c'était ce que j'aurais voulu.
Je me mordis la lèvre, détournant le regard. À bien y réfléchir, il avait raison. Cela me contrariait, mais il pouvait me faire confiance. J'étais seule, fébrile, impuissante, il m'avait même passé une laisse autour du cou. Je n'avais que lui, cela ne m'avançait à rien de le trahir. Alors je soupirai et finis par accepter :
— Je ferai en sorte qu'il ne s'allume pas. Autre chose ?
Il se permit un sourire.
— Oui, confirma-t-il d'un hochement de tête. Il faudra que tu restes avec moi.
Est-ce qu'il me voulait la même chose que son père ? Je frissonnais, réfutant cette idée. Ma grimace dû cependant être trop visible.
— Désolé, mais c'est la place d'une seconde, s'empressa-t-il de se justifier.
Je levai les yeux vers lui, constatant qu'il avait l'air gêné. Il avait une jolie frimousse avec cette expression, bien moins effrayante que celle de son père. Il ne me voulait pas de mal, me rappelai je.
Une partie de moi songea que ce n'était pas si mal, de devoir passer tout mon temps avec lui. Du moins, pour le début. Je le connaissais et je savais qu'il avait bon fond, contrairement à toutes les personnes que j'avais rencontrées jusqu'à présent.
— Et puis tu seras plus en sécurité avec moi, poursuivit-il. Comme tu es nouvelle, on va vouloir te tester. Surtout que tu es ma seconde et que je suis déjà un peu connu. On va s'en prendre à toi, tu vas devoir faire attention.
Je me mordis la lèvre. J'allais être mêlée à des affaires qui ne me regardaient pas, c'était ça ? Bah, comme si c'était nouveau.
J'avais hâte qu'on s'occupe de mes affaires, à moi.
— Y a-t-il une seule bonne personne dans ton monde ? soupirai-je.
Il rit avec embarras.
— Je ne sais pas trop, reconnut-il. Mais c'est pareil sur Terre, je suppose.
J'haussai les épaules.
— Hezza et mon père n'étaient pas tant mauvais, si ?
Je frissonnais. Son père ? Je fronçai les sourcils et m'interdis de repenser à la nuit dernière. Peut-être pouvait-il être un bon père pour son fils. Pour moi, il n'était cependant pas différent de la pourriture qui avait fait de ma vie un enfer. Il ne fallait pas faire confiance aux pères.
Je me tournai vers mon maître pour lui dire très sérieusement :
— Ton père est une personne horrible.
Je ne pus empêcher mes lèvres de trembler. Elkass fronça les sourcils, dubitatif, puis son regard s'adoucit. Il ne savait pas, songeai-je. Et je ne voulais pas lui dire. En parler, ce serait raviver mes souvenirs, autant ceux de la veille que les dangereuses brides qui pointaient sous le brouillard. Ce n'était pas un bon plan.
Je baissai les yeux sur mes bras et tirai les manches de ma tenue. Le jeune homme se racla la gorge pour attirer mon attention. Je dirigeai vers lui un regard furieux : je détestais ce bruit. Mais son expression sérieuse me dissuada de parler.
— Si tu as un problème, tu me le diras, d'accord ? s'inquiéta-t-il. Je suis là pour te protéger.
Il y avait assez de sincérité dans ses paroles pour que je le crusse, assez pour que ce fût rassurant. Mon cœur battit plus fort dans ma poitrine. Quelqu'un pour me protéger ? C'était alléchant. Dans ma famille, il n'y avait jamais eut personne pour me protéger. Lui, saurait-il vraiment remplir ce rôle ?
Au fond de moi, je ne pus m'empêcher d'y croire. Je plongeai mon regard dans le sien et esquissai un sourire. Il y avait des choses que je ne pouvais pas lui dire. Néanmoins, j'étais certaine qu'il était de mon côté.
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En carrosse, quittant la demeure d'Elkass, Zede-a prend peu à peu connaissance du monde dans lequel elle a atterrit. C'est un monde magique, où les voitures volent, où les objets bougent et où les lumières s'allument automatiquement. Elkass lui explique encore l'organisation de son université (classe supérieur chez les anges). Il raconte qu'il existe un Premier et des Aspirants, estimés par tous, car ils sont les combattants les plus puissants et les plus ambitieux. Voulant jouer un rôle dans la politique de l'île des anges, Elkass a pour objectif de devenir l'un d'entre eux, d'où la nécessité pour lui d'obtenir une seconde.
Cependant, le jeune homme talentueux s'est déjà fait remarqué par ses congénères. Il met en garde Zede-a : elle devra rester avec lui si elle ne veut pas subir les sales coups des autres anges. Il est là pour la protéger, mais il semble bien être son seul allié dans ce monde remplit d'hostilité.
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