Chapitre 2


Il y avait des mois que ça ne lui était pas arrivé. Se réveiller dans une chambre inconnue, dans des draps qui ne portaient pas l'odeur de sa lessive. Loin du silence. Des voix s'élevaient, sans tenir compte de la probabilité que quelqu'un soit en train de dormir.

Il n'était pas chez lui. Et à travers la douleur qui lui vrillait le crâne tandis qu'il roulait sur le dos, il tentait de saisir la situation. Ses souvenirs n'étaient pas les bienvenus, assurément. De l'alcool, trop de choses qui étaient passées par son estomac puis par les toilettes de la boite de nuit durant la trop longue soirée. Théo avait eu la main lourde sur les pichets, ce connard, profitant que, pour une fois, ce n'était pas le grand brun tatoué qui était derrière le bar. Et Sofian, pour l'occasion, avait revu ses dosages sur certains verres. Le bâtard.

Un plafond blanc. Des murs recouverts d'une tapisserie claire à motifs, de ceux que sa sœur aurait probablement mis un peu partout si elle avait son propre appartement.

Il roula de nouveau, jusqu'à pouvoir laisser tomber ses jambes hors du lit. Il détestait ces lendemains de fêtes, qu'il s'était pris à éviter s'il ne s'agissait pas du travail. Son estomac fit une envolée, menaçant de se retourner au moindre mouvement.

Il tuerait Théo la prochaine fois qu'il le verrait.

Quand il s'assit sur le bord du lit, il remit en question quelques-uns de ses choix de vie durant de longues minutes, jusqu'à pouvoir se lever, lourd et encore nauséeux. Il savait que le corps humain avait toujours une étonnante capacité de régurgitation, mais il devait avouer que même après tous les passages qu'il avait fait au-dessus de la cuvette la veille, il était étonné de sa capacité à avoir envie de gerber toujours plus. Inspire, expire, crétin.

La porte de la chambre était entrouverte. Les voix ne portaient pas fort. Etrangement, elles lui semblaient familières, et il se leva lentement, réajustant son caleçon. Il glissa une main dans ses cheveux, tentant d'arranger les mèches qui attestaient d'une nuit mouvementée.

Pas trop mouvementée cependant, il l'espérait. Et il en doutait, quand il voyait les draps, le second oreiller qui était suffisamment maltraité pour être la preuve d'une autre présence dans ce lit durant la nuit.

Quand il tira la porte, ce fut pour seulement l'écarter suffisamment et voir ce qu'il se cachait de l'autre côté. De la lumière. Et un courant d'air froid, qui le fit frissonner. Il tira un peu plus. Il connaissait définitivement ces types, reconnaissait leurs voix, sans parvenir à y poser de noms dans l'immédiat.

Il y eut un petit grincement. Et les voix s'arrêtèrent. Il eut à peine le temps de comprendre ce qui se passait, où il se trouvait, que déjà deux paires d'yeux étaient rivées sur lui, l'une plus que familière. Il se frotta la nuque, perplexe.

-Putain, Guillaume ? Qu'est-ce que tu fous là ? marmonna-t-il.

Parler était plus gênant que prévu. Il avait la bouche pâteuse. Le petit brun qui officiait au restaurant du Manoir Pourpre lui dédia un regard compatissant, et avant qu'il ne saisisse pourquoi, se tourna vers la silhouette à ses côtés.

-Oh meeeeeerde, Kyle, t'as quand même un tout petit peu déconné, là...

L'autre type était nu comme un ver, une grande couverture traînant à ses pieds à même le sol. Une tasse entre les mains. De grands yeux clairs le fixaient sans discontinuer.

Kyle ?

Un frisson le traversa.

Il ne lui en fallait pas plus pour comprendre comment la nuit s'était finie.

Kyle, qui riait presque à l'accusation de son ami.

-Boulette.

Sur la peau pâle du jeune homme debout aux côtés de Guillaume, il pouvait voir les marques que ses propres mains et sa bouche avaient laissé. Sur son ventre, sur ses hanches, sur ses cuisses. Peut-être ailleurs, aussi, mais il ne pouvait pas le dire, dans l'immédiat.

Merde. Merde. Merde.

Tout ce qu'il voulait éviter.

-Ne me dites pas que j'ai fait ça..., grogna-t-il.

Presque aussitôt, un reniflement dédaigneux s'éleva, et Kyle, des doigts minces s'enfonçant dans ses boucles blondes pour dégager son front dans un geste insolent, eut un sourire en coin.

-Quoi ? Tu te transformes en prude quand le soleil se lève ? demanda-t-il.

-J'fais pas dans le twink, répliqua Thomas.

Oh que si, il faisait volontiers dans le twink s'il le fallait. Mais pas ce twink, bordel.

-Ce n'est pas tellement l'impression que tu donnais...

Le blond avait arqué un sourcil surpris, le nez plongé ensuite dans sa tasse pendant quelques secondes. Ses joues s'empourprèrent, mais à cause de la gêne ou de l'eau encore fumante, il l'ignorait. Il n'avait pas démenti, en revanche, leurs activités de la nuit. Et Thomas, les idées soudain terriblement claires, se souvenait. Sa bouche, ses hanches, ses cuisses, ses fesses, qui faisaient disparaitre son sexe en une fraction de seconde et l'avait empêché de penser pendant une partie de la nuit. Sur l'autre oreiller, c'était cette gueule d'ange aux boucles d'or, qui avait dormi.

Les boules.

Entre eux, Guillaume semblait effroyablement mal à l'aise, et il avait probablement de quoi : c'était lui, qui se retrouvait au centre de ce réveil saugrenu alors qu'il n'avait rien à voir avec tout ça.

-Calmez-vous, les gars, marmonna-t-il. Thomas, tu bois un truc ?

-Non.

L'idée même de boire un verre d'eau lui donnait des envies de se ruer dans les toilettes les plus proches pour les ruiner. Cependant, il n'en dit rien, se redressant autant que possible, puis il disparut de nouveau dans la chambre. La lumière enfin allumée, il regarda autour de lui, jusqu'à trouver le chemin de ses vêtements qui avaient visiblement volé dans tous les sens. Il n'avait aucun souvenir de cette partie, le déshabillage. Pourtant ce qu'il préférait, quand la tension montait, montait, montait, et que l'instant, enfin, se rapprochait. Que ce soit un compagnon ou une aventure d'un soir.

Ses chaussettes, son pantalon. Son tee-shirt était presque sous le lit, et il le récupéra avec un geste rageur.

Kyle, répéta son esprit.

Il devait être dans un état pitoyable pour avoir succombé à ce type.

Kyle, ce type qui errait dans le sillage de Guillaume, qui connaissait certainement mieux la taille du sexe de la moitié de la ville plutôt que la tête des gens. Ce type qui était étonnamment ami avec Théo, avec Eric, qui était trop proche de Guillaume, encore une fois. Ce type qu'il avait vu à plusieurs reprises, dans des circonstances où le petit blond ne faisait pas de vagues. Ce type dont il savait pourtant la réputation et le comportement.

Ce type, encore, qui n'hésitait pas à foncer dans le tas quand il voulait quelque chose, quitte à ouvrir les yeux à l'hôpital. Il avait entendu toutes ces histoires, quand le jeune serveur se pointait en soupirant en fin de service, avec un nouveau potin à raconter.

Alors, se réveiller dans ce lit inconnu et se rendre compte qu'il s'agissait du type qui faisait le concours du plus grand nombre de queues dans son cul ?

Il y avait de quoi être refroidi pour un moment.

Il devait être ivre-mort pour avoir fini comme ça. Où étaient les autres pour l'en dissuader quand il l'aurait fallu ?

Grommelant, Thomas ouvrit de nouveau la porte de la chambre. La lumière du salon était toujours aussi aveuglante, mais le froid au moins était plus supportable une fois habillé. Guillaume avait disparu de la pièce, et le bruit d'une douche résonnait d'un peu plus loin derrière une autre porte. Sur le canapé bleu qui trônait au milieu de la pièce, Kyle était emmitouflé dans un plaid. Son attention était portée sur la télévision allumée, un programme pour enfants passant sur l'écran. Ses mains dépassaient de la couverture, juste assez pour tenir sa tasse brûlante.

Le regard brillant se porta brièvement sur lui, tandis qu'un petit sourire ourlait les lèvres de Kyle.

- Ça y est, t'as fini de faire la gueule ?

-J't'ai rien demandé.

-Et je n'ai pas demandé à me faire insulter, répliqua aussitôt Kyle. C'est quoi, ton problème ?

Mon problème, c'est toi, voulut rétorquer Thomas. Mais face à l'expression agacée de cet homme enfoncé dans un canapé trop grand pour lui seul, il tourna sa langue plusieurs fois dans sa bouche, leva les yeux au plafond. Quelques enjambées, et il s'effondrait à l'autre bout, évitant scrupuleusement les pieds de Kyle, qui trainaient sur le coussin du milieu. Puis, il s'enfonça dans le dossier, le blond le suivant des yeux avec cet air goguenard absolument insupportable. Comment arrivait-il à foutre le tout Bordeaux dans son lit, déjà ?

-C'est juste que ce n'est pas dans mes habitudes de...

Thomas hésita une seconde. Comment est-ce qu'on disait ce genre de chose sans être passablement insultant, déjà ?

-...De baiser tout ce qui passe ?

La voix de Kyle était amusée en terminant la phrase de Thomas. Le brun grimaça. Ah, d'accord, ça se disait donc bien de cette façon, dans le meilleur des cas.

Et ça le faisait sourire, ce type. En coin, quelque chose de contenu et d'amusé.

-On dirait que tu vas dégobiller, continua-t-il.

-Je n'avais pas prévu de me réveiller dans ton lit.

Kyle haussa une épaule.

-Ce sont des choses qui arrivent, dit-il.

Il y avait un côté si nonchalant en lui, que Thomas, soudain, n'arrivait plus à retrouver la colère qui l'avait agité en ouvrant la porte de la chambre la première fois. Même s'il était encore moite de la nuit, même s'il se sentait sale de leurs activités. Un coup d'œil un brin moqueur, un sourire mince et il frissonnait, à mi-chemin entre l'agacement et le dégoût de ce qu'il avait fait. Mais c'était tout.

-Je ne savais pas que Guillaume avait un colocataire, marmonna Thomas après un moment.

-C'est récent. J'ai emménagé y'a deux mois.

Des rires retentirent dans le téléviseur, et les images capturèrent presque instantanément l'attention de Kyle. Ça tombait à pic. Thomas n'avait pas tant envie que ça d'en savoir plus sur ce type. Il en connaissait déjà trop, à commencer par la couleur de ses fesses. Et du reste. Mais le fait qu'il vive avec Guillaume était un problème en soi.

Guillaume était la plus grosse pipelette du Manoir Pourpre. Il ne donnait pas cher de sa réputation si les autres apprenaient qu'il avait couché avec ce mec. Peu importait que ce soit avec autant de bouteilles dans le nez.

-Comment t'as réussi à me convaincre ? soupira Thomas.

Kyle arqua un sourcil et délaissa son écran pendant quelques secondes, puis y revint.

-Tu rigoles ? dit-il. J'obtiens toujours ce que j'ai envie d'avoir.

Thomas s'étrangla presque. Kyle ajouta, taquin :

-Et j'avais envie de toi. C'est aussi simple que ça.

Thomas soupira profondément.

-Putain...

-Un truc à dire ?

Thomas grogna.

-Je n'ai pas envie que ça se sache.

-Quoi, qu'on a baisé comme des lapins toute la nuit ?

L'odeur du thé lui montait aux narines et le rendait nauséeux de nouveau. Comment est-ce que Kyle pouvait avaler quoi que ce soit comme si de rien n'était, au juste ? Il avait l'air beaucoup trop frais, ses cernes mis à part, pour s'être tapé la même cuite que lui. Et pourtant, Thomas se souvenait très bien de tous les verres et bouteilles qu'il s'était enfilé. Au premier sens du terme, il l'espérait.

-T'es au courant que t'es un sale type ?

Kyle retint un rire, se contentant de souffler brièvement par le nez, la bouche pincée. Visiblement, l'idée l'amusait. Cependant, son regard s'était légèrement étréci. Les dessins animés qui passaient ne l'intéressaient plus à présent, son attention entièrement sur Thomas.

-Tout le monde ne se plaint pas d'avoir bouffé mon cul, répliqua-t-il.

Kyle avait un regard vif et calculateur. Celui du chasseur dont la main s'est déjà refermée sur la gorge de sa proie. Et qui hésitait à serrer plus fort ou à la rouvrir.

Finalement, il ouvrit de nouveau la bouche. Son ton était acide.

-Mais vu que toi, ça a l'air de te déranger, sois sans crainte : je ne parle jamais de mes aventures. Les autres le font bien mieux que moi.

Donc, Guillaume serait l'instigateur de la rumeur. Qui n'en serait pas une, par ailleurs. C'était la merde. Ne pas avoir le contrôle sur ce qu'il faisait, c'était le genre de chose qu'il n'aimait pas. Il devrait

-Et autre chose...

Surpris que la conversation n'en reste pas là, Thomas tourna les yeux sur Kyle de nouveau. Son cerveau, aussitôt, décréta qu'il détestait la façon dont Kyle le regardait, alors qu'il continuait d'une voix traînante et indéniablement fatiguée :

-Je ne donne pas dans le second round. Avec personne. Alors sois tranquille en ce qui te concerne. 

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