Chapitre 8 : Réalisation, déréalisation?

Lucy Heartfilia

La neige était tachetée de sang. L'air, qui était si frais et pur jusqu'ici, avait soudainement une odeur métallique, forte et envahissante. Je respirais si fort, j'haletais même, à deux doigts de m'étouffer. Je sentais mon cœur battre dans mes oreilles, tellement fort que je pensais qu'il s'apprêtait à rompre ma poitrine. La course avait été si longue, et mes jambes n'avaient pas lâché suite à celle-ci. Combien de temps s'était écoulé depuis que j'avais commencé à courir, comme ça, sans relâche? 

Je n'en avais aucune idée. Je n'arrivais pas à penser ou à raisonner. Je n'avais aucune idée d'où j'étais ou pourquoi j'étais là. Je fronçais les sourcils. Rien de la scène face à moi ne faisait sens.

Je me voyais, frigorifiée, ensanglantée, dans ses bras. Il me tenait fermement, et me fixait lorsque je fini par lâcher mon dernier souffle. Plusieurs émotions s'enchaînèrent sur son visage. Tout d'abord, il semblait surpris, comme si mon soupir ultime avait aussi coupé sa respiration pendant l'espace d'une seconde. Il avait entendu mon cœur battre pour la dernière fois mais semblait ne pas vouloir y croire. Son visage changea d'expression très rapidement ; sa surprise se transforma en déni sous mes yeux. Il refusait d'accepter mon sort. Ce n'était pas possible, je ne pouvais pas mourir dans ses bras, l'abandonner, le laisser seul. Seul alors qu'il avait tant besoin de moi, qu'il vivait pour moi. Pourquoi se battrait-il encore en mon absence? Rien n'aurait plus aucun sens. C'était tout bonnement inconcevable. Il caressa mon visage, me secoua doucement une première fois, mais mon corps ne réagissait pas, il ne réagissait plus. Il serra les dents et réessaya, mais en vain. Je suis morte, j'étais morte ; il en était certain. Il était face à une chose qu'il ne pouvait pas changer. Il aurait beau vouloir retourner le monde entier pour me retrouver, ça n'aurait plus un semblant d'importance ; c'était un fait. C'était la fin.

Puis, finalement, ses traits se déformèrent. La souffrance, le désespoir, le deuil étaient gravés sur son visage. Non seulement plus rien n'avait de sens, mais plus rien n'avait de goût non plus. Le monde semblait être si sombre, si fade, si silencieux tout à coup. Seuls quelques sanglotements résonnaient dans ce méli-mélo d'émotions, et un cri de douleur traversa la tempête de neige. De la colère, de la douleur, de l'incompréhension. Je sentais mon cœur se serrer dans ma poitrine à cette vue. J'aurai tout donné pour le prendre dans mes bras, effacer sa souffrance, le réconforter.

Après quelques minutes, son expression changea une dernière fois du tout au tout. Il essuya ses larmes, se redressa, me portant dans ses bras. Mes lèvres étaient gercées, gelées, violettes. Mon teint était pâle, mes yeux étaient fermés ; je semblais être partie en paix, malgré l'état désastreux de mon corps, ou du moins ce qu'il en restait. Il me fixait, rien ne transparaissait sur son doux visage.

"On rentre à la maison, Hikari."

Le jeune homme semblait calme. Sa voix était abimée, roque mais stable. Plus aucune once de tristesse n'était visible sur son visage. Il semblait vide. Juste...complètement vide, lasse, indifférent. Quelque chose en lui, une chose qu'il pensait acquise, à laquelle il s'était accoutumée, venait de se briser et de disparaître devant mes yeux. Mais il ne savait pas quoi.

Il manquait quelque chose. Toujours et encore, ce bruit incessant, celui de ce néant, retentissait. Il m'était impossible de stopper ce son, pourtant si étouffé, et il le savait aussi désormais. Il savait qu'il serait constamment insatisfait, malheureux. 

Vide. Yukio était à la recherche d'une chose qu'il ne retrouverait plus jamais ; le bonheur.

Ma vision se trouble alors. Je sens une main chaude saisir la mienne et, en un clin d'œil, je me retrouve dans mon lit, chez moi, Natsu à mes côtés.

Ma respiration se stabilise à l'instant où mon regard rencontre ses yeux olives. Tout est calme, il est tard et je n'entends que les grillons dehors, il est sans doute une ou deux heures du matin. Happy est endormi sur le canapé. Tout est absolument normal.

"Tu as fais un cauchemar? Murmure Natsu.
-Oui...c'était vraiment horrible...
-Mais c'est fini maintenant. Tu es en sécurité."

J'acquiesce doucement d'un hochement de tête et me blottie contre lui. Il m'entoure rapidement avec ses bras, puis m'enlace tendrement en caressant ma tête.

"Alors c'est donc ça, ton plus grand rêve?"

La voix de Natsu n'est tout à coup plus la même ; plus roque, posée et grave, je reconnais la voix de Yukio et mes yeux s'entrouvrent. Je relève la tête et voit alors que Yukio me tient dans ses bras, ce n'est plus Natsu.

"Yukio...attends...je suis dans un de tes rêves?
-C'est un peu plus compliqué que ça... Il regarde autour de lui. Disons qu'on était dans un de mes cauchemars et...qu'on est maintenant dans ton plus grand rêve Lucy. Il sourit doucement. Je suis un peu déçu, je m'attendais à quelque chose de plus exceptionnel...mais ton plus grand rêve, c'est de te sentir en sécurité et à l'aise quelque part on dirait."

Je regarde autour de moi, tout semble s'être entièrement figé à part nous deux. L'horloge ne fait plus aucun son, Happy est immobile, je n'entends plus les grillons à l'extérieur. Yukio me tient encore fermement contre lui. Je caresse délicatement sa joue, prenant le temps de détailler son visage vraiment pour la première fois. Il s'agit réellement une copie conforme à celui de Natsu. Qu'il s'agisse des légères blessures sur son visage, de la courbure de ses lèvres, de la forme de ses yeux ou de la douceur de ses cheveux, tout est pratiquement identique. Il est parfait, comme lui-même sorti d'un rêve. Il lui ressemble tellement.

Seul son regard montre une réelle différence ; une profonde tristesse, mélancholie y est cachée.

"Elle est morte dans tes bras... Je chuchote, le serrant plus fort contre moi."

Il expire bruyamment, me regarde quelques secondes, et hoche simplement la tête. 

"Lucy, toi et moi, on est pareils. Il passe délicatement ses doigts dans mes cheveux. Tous les deux, on a besoin de quelqu'un qu'on ne pourra jamais avoir. Parce que le destin cherche seulement à nous séparer de la personne qu'on aime. Mais ensemble Lucy, on peut défier ce destin. On peut être heureux, mais si ça n'a l'air que d'une illusion.
-Je ne comprends pas ce que tu veux dire...
-Lucy....tu aimes ce garçon qui me ressemble, n'est-ce pas?"

Ce garçon? Natsu?

Est-ce que j'aime Natsu..?

"Et ce n'est pas grave si tu ne l'as pas encore réalisé ; lui,  il l'a fait. Il t'aime tellement, tu donnes un sens à ce qui n'en avait pas jusqu'ici. Tu n'as pas idée de tout l'amour qu'il éprouve pour toi. C'est comme moi pour elle, c'est plus fort que tout. Il est l'âme jumelle à la tienne, celui qui peut combler le vide en toi...mais je le peux aussi. Il saisi mon visage de ses deux grandes mains. Et même mieux que lui, mieux que qui que ce soit. Si tu finis par le choisir, il souffrira et toi aussi. Mais avec moi, tu ne seras jamais blessée. Il n'y a rien qui peut nous séparer, même pas notre destinée. Alors choisis moi."

Les informations se bousculent à tour de rôle dans ma tête, je n'ai même pas le temps de traiter les questions qui me traversent l'esprit. Natsu m'aime, cette chose qui tente de nous séparer et nous faire souffrir, les effroyables souvenirs de Yukio, ma mort, la réalité, les rêves ; tout se mélange, tout s'entremêle, s'assemble mais ne fait aucun sens. Rien n'est logique.

Il manque une partie de l'histoire, quelque chose qui m'empêche de comprendre le tout. Quelque chose de plus grand encore que ce simple manque en moi ou le sentiment d'amour que j'éprouve pour le visage de l'homme qui me tient dans ses bras. Un élément digne du mot 'destin', qui donnerait un sens à tout ce qui n'en a pas aujourd'hui.

"Mais je sais que tu n'es pas prête. Tu n'as pas encore trouvé cette chose qui donne un sens à tout, cette chose que tu ne trouveras qu'avec lui. Il caresse de son pouce ma joue, un petit sourire au coin des lèvres. Et moi non plus je ne suis pas prêt. Tu ne peux pas juste être mon pansement, être une autre elle. J'ai besoin d'apprendre à t'aimer pour toi. Et même si je t'aime déjà -parce que je suis fais pour t'aimer-, j'ai besoin de savoir qui tu es. Qui est Lucy Heartfilia? Qu'est-ce qu'elle désire plus que tout? Qu'est-ce qui lui donne envie de se battre? Qu'est-ce qui fait d'elle une femme aussi extraordinaire?"

Il murmure ces dernières questions tout en approchant son visage du mien.

"Tu veux savoir qui je suis? Je l'interroge, la voix basse et il sourit encore un peu plus. J'ai aussi envie de savoir qui tu es, Yukio. Tout à propos de toi est...mystérieux. Comme si tu venais d'un autre monde.
-Si je t'expliquais tout maintenant, tu ne comprendrais pas Lucy...
-Alors expliques moi juste pourquoi tu fais tant de mal aux habitants d'Isenberg....
-Je ne veux pas leur faire du mal...mais ton monde et le mien fonctionnent différemment. Je déborde d'énergie par moments, à tel point que je ne contrôle plus mes propres pouvoirs. Tout explose à cause de mes émotions...quand je suis entré dans tes rêves, dans ta tête, et que j'ai vu ce qu'il s'est passé...
-Ce qu'il s'est passé? Je répète.
-Le baiser.
-Tu es rentré dans ma tête pour fouiller dans mes souvenirs? Je fronce les sourcils.
-Je t'avais promis que je reviendrai te retrouver...mais j'avais besoin d'entrer dans ta tête par tes rêves pour y arriver, pour savoir où tu étais. Tout ce que je fais, je le fais pour toi Lucy. Je ne voulais pas me mêler de tout ça...mais savoir que tu l'as embrassé m'a fait perdre le contrôle. Je suis désolé.
-Tu as blessé des gens... Je souffle bruyamment.
-Je suis vraiment désolé...que ce soit pour les tempêtes, ou pour les cauchemars...il y a certaines choses que je ne contrôle pas. Mais tant que tu es près de moi, je sais que tout ira bien..."

Mes pensées divaguent en l'observant. Je me rappelle de la description de l'affiche que j'avais vue à la guilde, la toute première fois :

"Yukio Tatsuki, 20 ans.
Recherché pour vol, utilisation de magie à des fins malveillantes, meurtre.
TRÈS DANGEREUX.
RÉCOMPENSE ÉLEVÉE."

"Tu es accusé de tellement de choses...
-Mais je n'ai rien fais Lucy. Rien de volontaire du moins.
-Même les meurtres..?
-On m'accuse de beaucoup de choses dont je ne suis pas responsable. Je sais que c'est difficile à croire dis comme ça...mais je ne pense pas être une mauvaise personne Lucy. Je n'ai fais que me défendre quand on s'en prenait à moi."

Son regard semble plus que sincère, mais je n'ai besoin d'aucune preuve pour le croire. Je le sais déjà ; Yukio n'est pas une mauvaise personne. Mon instinct parlait à ma place, et c'était tout bonnement la pire chose à faire. C'était la pire décision à prendre, la moins rationnelle, la moins logique, mais c'était indubitablement celle que j'allais choisir : j'avais décidé de lui faire pleinement confiance. Parce que je savais, tout au plus profond de moi, qu'il manquait une partie à l'histoire, au mythe de Yukio. Ce n'était pas lui qui était responsable, et je le savais. Je ne pouvait juste pas le prouver.

Je souris tendrement.

"Je te crois."

Ses lèvres forment à leur tour un magnifique sourire, puis il m'embrasse sans prévenir.

A l'instant où nos lèvres se décollent, j'ouvre les yeux et me retrouve de nouveau à la capitale d'Isenberg, essoufflée, face à Natsu.

"Tout va bien Lucy? Il me demande, en train d'aider une vieille dame à se lever pour rejoindre le camp de premier secours."

Il accompagne la dame jusqu'à un autre membre de la ville, qui la prend en charge. Il se dirige par la suite vers moi et me prend dans ses bras. Sa chaleur me réconforte immédiatement.

"J'ai vraiment eu peur pour toi...On était coincés par la neige de ce côté de la ville alors je ne pouvais pas venir avant d'avoir pu tout faire fondre et avant d'avoir aider les habitants...
-Tout va bien...j'ai eu aussi peur pour toi...je...q-qu'est-ce qu'il s'est passé déjà..?"

Il desserre son emprise sur moi, puis m'observe, les sourcils froncés.

"J'ai vraiment mal à la tête... Dis-je alors, prise d'une grande douleur.
-On devrait t'emmener avec les autres aussi...juste pour être sûr.
-Non, je n'ai rien de grave...c'est juste...je ne sais même pas si c'est un rêve ou la réalité."

Sans l'air de trop comprendre ce que je dis, Natsu prend ma main.

"C'est réel. Tu sens cette chaleur? Comment ça pourrait être un rêve?
-Juste...tout avait l'air si réel dans ce rêve."

Soudainement, sans me prévenir, il me pince et je grogne de douleur.

"Mais..!
-C'est réel, tu vois? Il rit doucement. On ne ressent pas la douleur dans les rêves. Il m'adresse un doux sourire. Si tu as un doute, pinces toi la prochaine fois."

J'observe le jeune homme rire insouciamment, l'air de ne pas réaliser la catastrophe qui vient de se produire, puis je souris tendrement à mon tour.

Yukio avait raison ; peu importe ce que le destin prévoyait pour Natsu et moi, il était trop tard pour reculer. J'avais tout simplement toujours eu des sentiments très profonds pour Natsu, et en un instant, ils s'épanouissaient enfin. Je n'étais pas tombée amoureuse de Yukio, mais simplement de l'idée que Natsu pouvait m'aimer.

Et le manque avait disparu, j'avais enfin compris ce qu'était cette chose plus grande, plus importante dont il parlait depuis le début, ce qui m'échappait : Je me sentais entière, complète, pour de bon, même s'il me relâchait, je savais qu'il reviendrait toujours.

Mais j'allais tout perdre, et ça m'importait peu parce que j'avais finalement trouvé quelqu'un pour qui j'avais envie de tout perdre, même s'il s'agissait de ma propre vie.

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