Chapitre 12 : Le prix à payer

Hikari Kardia

Installée sur le rebord de la fenêtre, j'observais en silence le soleil se lever, le sourire aux lèvres. Il était reposant pour moi de me poser quelques moments, tous les matins, pour admirer ce spectacle qui était devenu beaucoup trop commun à tous, alors qu'il s'agissait de la plus belle chose qui pouvait exister.

Vivre une journée de plus pour voir le soleil se lever.
Vivre une journée de plus pour le voir se coucher.

Peut-être était-ce mon côté optimiste qui m'avait toujours poussée à préférer les levers aux couchers de soleil?

Tout particulièrement au printemps, les premiers rayons de soleil avaient quelque chose de bien plus spécial que pendant les autres saisons. L'air était frais, doux, et on pouvait entendre les oiseaux chanter de bon matin. C'était quelque chose que j'adorais, mais je n'avais jamais fait attention à ce genre de détails idiots avant peu. J'étais contente d'avoir pu apprendre à apprécier les petites choses du quotidien sans avoir à m'inquiéter. Des choses toutes bêtes comme l'odeur des fleurs du jardin, le chant des oiseaux, les îles flottantes tout autour...j'aimais chaque petite chose qui faisait de ma vie ce qu'elle était.

Je ne pouvais juste pas m'arrêter de sourire. Tout était si parfait dernièrement. J'aimais voir Yukio travailler sur lui-même, sur ses pouvoirs et enfin réussir après tant d'années. Être en sa compagnie rendait ma vie un petit peu meilleure chaque jour. J'aimais rester avec lui, et évoluer aussi. J'appréciais la personne que j'étais devenue. J'étais fière de qui j'étais, de mes qualités, de mes défauts. J'avais appris à aimer mon reflet dans le miroir, le son de ma voix, le sourire que je cachais si souvent auparavant. Yukio m'avait aidé, mais j'avais fait le plus difficile moi-même.
Aussi, j'appréciais mon travail. Apprendre des choses chaque jour, rencontrer de nouvelles personnes. J'aimais écouter de la musique, danser et chanter à tue-tête. J'aimais avoir la vingtaine, j'aimais être en pleine forme et pleine de vie. J'aimais aussi mes mauvaises parties, j'aimais me battre pour ce que je pensais être juste, j'aimais broncher, bouder quand quelque chose n'allait pas et tout donner pour le changer. J'aimais tant mes précieux amis. J'aimais tant mes projets, mes rêves. J'aimais tant l'enfant que j'étais, j'aurai voulu lui donner beaucoup plus.
J'adorais ma vie. J'aimais vivre.

Je ne pouvais juste pas m'arrêter de pleurer. Je connaissais déjà le cours des choses, et je savais que je ne pouvais pas l'empêcher, que je devais attendre la prochaine fois. Je mourrais d'envie de reprendre le contrôle de ma vie, qu'elle puisse continuer, encore un peu plus. Encore une fois, encore un jour. Encore un lever de soleil de plus.

Mais aujourd'hui était le dernier : Nous étions le 21 mars, le jour fatidique.

Je sanglotais doucement, le sourire aux lèvres, regardant l'horizon avec appréhension. Je savais tout de mes vies, mais je ne savais rien de la mort. J'étais déjà passée par-là, mais je n'avais jamais connue une fin véritablement heureuse. Pourtant, cette journée semblait commencer comme toutes les autres. Ce lever de soleil n'était pas plus différent que celui de la veille, et pourtant...

Pourtant, il n'y avait pas erreur. C'était aujourd'hui.

Je priais silencieusement les Déesses, je levais les yeux vers le ciel ; je savais pertinemment qu'elles observaient le spectacle en jubilant, comme voir la fin de son film préféré, celui qu'on regarde en boucle et en boucle, en connaissant pourtant toujours comment il se termine.

"Juste cette fois...je vous en prie, juste cette fois, accordez moi une chance...laissez moi avoir cette vie..."

Un grand silence, comme toujours.

Je savais qu'elle souriait en m'observant souffrir. Elle appréciait ce qu'elle voyait : ma malédiction était sa plus grande œuvre.

J'attendais patiemment que Yukio se réveille, regardant le vide sous mes pieds, tentant en vain de me calmer. Je pensais à ce qu'il deviendrait quand je partirai. Je me demandais ce qu'il faisait à chaque fois que je mourrais, comment il allait se sentir juste ensuite, puis quelques années après. Allait-il m'oublier, se reconstruire, fonder une nouvelle famille?

Plus j'y pensais, plus j'étais en colère.

C'était si injuste. Tout ce que j'avais fait, c'était l'aimer, et j'avais tout perdu. Peut-être qu'au fond, elle avait raison? Il ne souffrait pas, lui. Il n'avait pas à mourir. Il avait l'occasion de retomber amoureux. Il avait l'occasion de vivre. Il pouvait vivre alors que moi, je ne pouvais tout bonnement pas, et ce, peu importe ce qu'il se passait : j'étais destinée à le rencontrer et à mourir.

Par sa faute, j'allais tout perdre. Et encore et encore, le cycle allait recommencer, sans même que je puisse y mettre fin. Me réincarner...pour lui.

Notre amour avait toujours été si fort, mais sa haine encore plus, et je n'en pouvais plus. Elle aurait pu nous laisser vivre au moins une vie heureuse, mais rien à faire...elle souhaitait, plus que tout encore, me tourmenter et m'arracher la vie que j'avais toujours voulu avoir.

Une vie avec lui...

*-*-*-*-*

Une lame entre les mains, je regardais les rayons du soleil se poser sur son doux visage endormi. Observant ses fins traits, je maudissais les Cieux de l'avoir fait si beau. Je l'aimais tant que cela faisait mal. Je n'arrivais plus à penser correctement.

Même maintenant, il semblait si paisible, alors que c'était le dernier jour. Nous l'avions toujours si longuement ignorer, connaissant notre destin, que j'aurai pu croire qu'il l'avait oublié. Nous avions prévu de passer notre dernière journée au lac, le temps d'un pique nique, en espérant que je tienne jusqu'ici, mais je venais de décider de changer nos plans cette fois-ci.

Sans trop que je réalise comment cela s'était produit, j'étais au dessus de lui, prête à enfoncer ma lame pour qu'il puisse s'arrêter le même jour que le mien, au moins une fois.

J'étais restée là quelques secondes à réfléchir, puis il ouvrit lentement les yeux, me regardant avec incompréhension. Juste le temps qu'il réalise ce qu'il se passe, je tente de le poignarder mais il réagit beaucoup trop vite, ses mains tenant les miennes pour arrêter la lame avant qu'elle ne le transperce.

"Hikari, qu'est-ce que tu fais..?"

Sa voix est remplie de doutes, d'incompréhension. Son regard se perd dans le mien, mais ses mains tiennent toujours fermement les miennes tandis que j'essaye désespérément de terminer ce que j'ai voulu commencer.

Mes doigts s'agrippent fortement au couteau de cuisine, et je sens la température de la pièce chuter dangereusement pendant qu'il perd le contrôle de ses émotions : il a saisi ce qu'il se passait, et pourquoi ça se passait comme cela.

Sans surprise, il se reprend en main et réussi à me repousser sans trop de difficulté. Je tombe en arrière, l'arme m'échappant des mains. Il se redresse et la prend pour le déposer loin de moi, avant de s'approcher pour me prendre dans ses bras.

Emplie de colère et de tristesse, je le repousse, les poings serrés. Son regard est brisé ; il ne voulait pas que les choses se passent de cette façon, il voulait que je parte en paix, une fois encore, pour lui revenir dans une prochaine vie.

"Tout va bien se passer Hikari...
-C'est facile à dire pour toi. Tu pourras continuer à vivre comme bon te semble dès demain. De toute façon, tu es sûr que je te reviendrai dans une autre vie. C'est tellement simple pour toi, et c'est si injuste pour moi Yukio.
-Tu penses que c'est facile pour moi? Il fronce les sourcils, il monte d'un ton sous le coup de l'émotion. Devoir te voir mourir en boucle pendant des siècles et des siècles...tu penses que c'est juste pour moi aussi? De t'aimer et de mourir intérieurement le jour où tu dois disparaitre, encore une fois? Se sentir si vide, si incomplet, mort? Lucy-
-Ne m'appelles pas par ce nom. Je le coupe sèchement. N'utilises pas ce nom ici.
-Hikari...
Reprend-t-il, se rapprochant de moi, s'asseyant sur le sol. Je ne vais pas prétendre savoir à quel point il est difficile pour toi de mourir à cause de cette malédiction...et je sais que la vie qu'on a eu ici a vraiment été belle, vraiment marquée par de beaux souvenirs...mais tu l'as vu, tout comme moi...ce n'est pas ici, ni maintenant que nous pourrons nous aimer en paix. Pas de ce monde, pas maintenant. Il saisit ma main, cherchant à attraper mon regard, mais je regarde ailleurs. Tu es mon âme sœur.
-Et si je n'avais juste plus envie de l'être? Et si je voulais mettre fin à la malédiction?"

Je le regarde droit dans les yeux, et encore une fois, ceux-ci dégagent de la tristesse. Il sait aussi bien que moi ce que cela signifie. Pour mettre fin à cette malédiction, il faut que je le tue de mes propres mains. De cette façon, nous nous réincarnerons plus jamais et nos souffrances cesseront.

Je me retiens de pleurer en y pensant davantage.

"Je n'aurai jamais dû t'aimer. Elle avait raison. On le sait tous les deux...on devrait y mettre fin.
-Non...
Il secoue la tête, la voix faible, avant d'embrasser fortement ma main, larmoyant en silence. Je ne peux pas cesser de t'aimer Hikari...je suis désolé d'être si égoïste...
-Je vais le faire, et je vais profiter de ma vie. Laisses moi avoir ça... Il secoue encore la tête et les larmes coulent toutes seules le long de mes joues. Je t'en prie...
-Ma vie n'a aucune importance...mais je ne peux pas te laisser mettre fin à la malédiction alors qu'il y a une possibilité que plus tard, ailleurs, nous puissions enfin y mettre fin et vivre ensemble."

Envahie d'émotions négatives, je le repousse une fois encore et me redresse, saisi le couteau, puis cours jusqu'à la sortie : il neige dehors, le sol est blanc, la température a drastiquement chuté en si peu de temps.

Mes pensées ne tournent plus qu'autour d'une seule idée : vivre, peu importe le prix que cela pourrait me coûter. Et fuir loin de lui pour l'avoir sur mon terrain ; la forêt. 

Je traverse rapidement notre jardin, puis m'enfonce dans la forêt et cours à en perdre haleine. L'air frais rentrait et sortait de mes poumons à une vitesse phénoménale, je n'entendais plus que mes pas, ma respiration saccadée et le son de mon cœur battre dans mes oreilles. Je traverse alors une plaine au centre de la forêt, près du lac où nous comptions aller aujourd'hui. Dans ma course, mes pieds s'emmêlent et je tombe la tête la première sur le sol. J'entends la voix de Yukio s'approcher, et je me cache au mieux, cherchant à le prendre par surprise.

Il entre dans la plaine enneigée, regardant aux alentours, puis au moment où je sens qu'il relâche son attention, je me redresse et capte son regard, faisant une chose que je ne lui avais encore jamais fait auparavant :

"Ne bouge plus."

En une seconde, il devient immobile, mais son regard reflète sa surprise. Je m'approche de lui, toute tremblante, mais déterminée.

"Hikari, tu...pourquoi?
-Je sais que je t'avais promis que je n'utiliserai jamais mon pouvoir de manipulation sur toi...mais Yukio...tu sais que je ne suis pas assez forte pour te battre autrement...
-Tu n'es pas obligée de faire ça...
-Mais j'en ai marre...je n'en peux plus...je ne peux plus supporter de perdre la mémoire, perdre ceux que j'aime, perdre la vie en boucle, tu comprends?"

Je me sens faiblir, mais tente tant bien que mal de maintenir mon pouvoir en place. Je viens caresser son visage.

"Je suis vraiment désolée...
-Ne fais pas ça...
-Je t'aimerai toujours...tu le sais?"

Je le prends dans mes bras, puis nous pleurons quelques secondes en silence. J'y réfléchis encore une dernière fois, puis hésite. Plus que tout, je l'aime et je l'aimerai toujours. Envisager une vie sans lui me semblait si fade et triste, tant que je sentais mon pouvoir m'abandonner le temps de quelques instants, rongée par le désespoir.

A nouveau capable de mouvement, il cherche à me reprendre l'arme des mains mais je suis bien plus rapide et lui enfonce dans l'épaule. Il hurle de douleur alors que je la retire pour viser son torse cette fois-ci. Nous nous débattons quelques instants, mais il reprend rapidement le contrôle de la situation et...et...

M'enfonce lui-même le poignard en plein cœur.

Mon sang tache la fraiche neige au sol. Yukio semble s'arrêter de respirer en se rendant compte de ce qu'il vient de se passer. Je tombe. Je ne ressens que de la douleur, partout, et chaque respiration est un supplice.

"Non...non, je ne voulais pas, je...je suis désolé... Ses mains sont pleines de mon sang, il tremble, son regard a complètement changé."

Il me prend contre lui, dans ses bras. Son parfum, familier et rassurant, se mélange à l'odeur métallique de mon sang. Je sens ma respiration me lâcher, j'ai mal partout. J'ai tellement tellement froid.

Depuis toujours, depuis le premier jour où nous nous étions rencontrés, nous avions toujours détester le destin, lui et moi. Mais une fois encore, aujourd'hui, il avait gagné.

Je le regardais droit dans les yeux ; j'avais perdu, et j'allais me réincarner. Ma haine s'était évaporée, j'étais toujours triste mais bizarrement, moins. Au final, je l'aimais toujours. C'était lui, c'était la raison de tout. Je ressentais une fois de plus la souffrance dans son regard ; celle-ci encore plus que les autres fois, était particulièrement puissante.

Il se haïssait tellement pour ce qu'il venait de faire, mais au fond, ce n'était pas sa faute. La personne qui avait mis fin à mes jours cette fois-ci, celle qui tenait le couteau, ce n'était pas Yukio ; c'était elle

"On se retrouvera...ne t'en fais pas...et cette fois, je me battrais de ton côté...ensembles...okay?"

Il hoche la tête, mais mes paroles ne semblent pas percuter immédiatement. Il a déjà vu cette scène tant de fois, et il semble toujours aussi surpris à chaque fois...c'est presque drôle.

Je lui souris doucement, sachant que ça ne sera pas la dernière fois, puis ferme les yeux.

C'était difficile, mais cette fois aussi, je partirai en paix. Et nous nous retrouve-

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top