45 : Discussions
« Je crois que je vais rompre avec Matth.
-
Quoi ?! »
Nos réactions à Anna, Zoé et moi furent unanimes. Incrédules, nous fixâmes Olenka. La belle blonde avait l'air terriblement perdue et jouait avec une peluche. J'écarquillai les yeux.
« J'espère que c'est un prank.
- Vous êtes au moins le couple le plus mignon du lycée, enchérit Anna.
- Enfin, avec Sam et Thylane, précisa Zoé alors que je prenais un air faussement vexé.
- Je préfère, ouais. »
Nous n'arrivâmes même pas à arracher un sourire à Olenka. Les yeux dans le vague, l'expression torturée, elle paraissait en plein dilemme.
« Qu'est-ce qu'il y a ? reprit sérieusement Zoé.
- Nos orientations sont pas compatibles. »
Mon cœur se serra.
« Ah non, pas cette excuse débile ! s'écria Anna. Si vous vous aimez vraiment, vous trouverez une solution.
- Tu ne comprends pas. Vous ne comprenez pas. Les filles, j'ai été accepté dans une agence de mannequinat.
- Quoi ?! s'étonna Anna. Quelqu'un a bien voulu de ta gueule ? »
À la grande surprise générale, Olenka éclata en sanglots.
« Je rigolais ! se lamenta Anna en prenant son amie dans ses bras. Pleure pas, t'es moins jolie avec les yeux rouges.
- Je vois pas où est le problème, reprit Zoé. Matth veut pas que tu sois mannequin ?
- Pas vraiment, non. Il dit que j'ai un trop bon dossier pour le « gaspiller ». Que c'est un métier pour « petites pétasses naïves et feignantes ». Que le mannequinat n'est pas un métier sûr, que je risque de compromettre mon avenir. Vous savez, il a des problèmes d'argent, j'imagine qu'il sait de quoi il parle...
- Olenka Hilda Baranowski, déclara Zoé d'une voix solennelle, est-ce que tu es sûre que tu veux être mannequin ? Si tu n'écoutais que toi, là, maintenant, qu'est-ce que tu ferais ?
- Je sais pas, admit Olenka en haussant les épaules. La vérité, c'est que j'ai envie de dire que je veux foncer tête baissée, mais je suis ce genre de personne paradoxale qui n'arrive jamais à prendre des décisions et qui veut sortir de sa zone de confort tout en étant terrorisée à l'idée de perdre le contrôle.
- T'es chiante, quoi, conclut Anna. Bref, écoute, bébé, je vais être claire, précise, concise : je t'interdis formellement de t'empêcher de faire ce que tu veux à cause d'un pauvre type - sauf si c'est Mika, dans ce cas, la question ne se posa même pas. Anna vouait une admiration sans borne à ce chanteur. Si tu veux être mannequin et que tu en as la possibilité, et bien tu fonces !
- Mais j'ai peur de regretter ! Et si j'en ai marre au bout de un mois ? Et si plus aucune école ne m'accepte ensuite ? Oh, putain, je me vois déjà frapper aux portes de Pôle Emploi.
- « Et si... », « Et si... », bon sang, et si tu arrêtais un peu de te poser des questions ? C'est comme si t'étais sur un fil perché entre deux montagnes, suspendue au-dessus du vide, et que le fil tremblait. À ce moment, qu'est-ce que tu fais ? Tu peux faire demi tour lâchement, mais tu n'auras pas accompli ce que tu voulais faire. Tu peux rester là, à trembler sur le fil, et tomber. Ou alors, tu portes tes ovaires et tu fonces tête baissée sur ce fil, même s'il y a 99% de chances que tu tombes, vu que t'es hyper maladroite. »
Olenka plissa les yeux en visualisant mentalement la scène. En vain. Néanmoins, un regain de détermination sembla empreindre son regard et elle déclara d'une voix ferme :
« Ok, je vais le faire. Je vais signer ce contrat de merde. Et puis tant pis si finalement on me jette au bout de deux mois ! Je vais signer un autre contrat avec toi, Anna, qui stipule que tu seras obligée de me recueillir sous ton toit si je finis à la rue.
- J'aime quand tu prends des initiatives ! s'écria Anna avant de serrer sa blonde dans ses bras. »
Je regardai Anna avec admiration. Maintenant, je comprenais mieux pourquoi Farah disait toujours tant de bien d'elle et que Zoé en était tombée sous le charme. D'ailleurs, cette dernière l'observa avec des yeux de merlans frits, avant de rejoindre le duo dans ses embrassades.
« Et toi, Thylane ? finit par demander Zoé. Qu'est-ce qu'a dit Sam pour ton projet ? »
Outch.
« Je ne lui en ai pas parlé...
- Mais, c'est sûr ? m'implora t-elle. Tu vas vraiment partir ?
- Ça dépend où je suis acceptée. Si ça se trouve, tous mes chantiers seront refusés et je me retrouverai en fac d'arts, ou un bail dans le genre. Beurk.
- C'est quoi comme chantiers, déjà ?
- Mon premier choix est dans une école togolaise. On aide les enfants. Il dure huit mois. Après, j'en ai plusieurs d'autres, notamment un en Roumanie qui me plait pas mal, aussi dans une école défavorisée. J'irai où le vent me mènera. »
L'idée de partir en année de césure m'était venue tout naturellement et s'était ancrée peu à peu dans mon esprit. Au début, ça me paraissait un simple rêve un peu fou ; mais désormais que j'avais envoyé ma candidature un peu partout dans le monde, je prenais conscience de l'ampleur de la situation. L'année prochaine, au lieu de commencer des études lambda comme tout le monde, j'allais peut-être me barrer à l'aveuglette à l'autre bout du monde.
J'adorais ça.
Et j'en avais besoin. Après tout ce qu'il s'était passé, je ne me voyais absolument pas repartir encore sur plusieurs années d'études. J'avais besoin de faire une pause avec le système scolaire, autant pour en découvrir davantage sur un éventuel projet, sur moi-même. J'avais lu des témoignages, et je rêvais désormais de faire cette aventure enrichissante. Certes, certains diraient que c'était une année de « perdue », mais moi, je voyais toute y gagner. Et on avait qu'une vie, non ? Si je venais à mourir demain, je voulais avoir la certitude de savoir que j'avais au moins essayé de sortir de ma zone de confort et d'avoir fait quelque de bien.
« Sam va te tuer si tu pars sans le prévenir, déclara Anna. T'as intérêt à faire ça vite.
- Mais non ! Je veux pas lui en parler tant que je ne suis pas sûre d'être prise. Imaginez, s'il m'en veut alors qu'au final je me retrouve bien à la fac ?
- Mouais, rétorqua Anna, peu convaincue.
- Ne tarde juste pas trop, enchérit Zoé, dont les yeux noirs reflétaient l'inquiétude. »
J'observai Zoé et Anna. La première avait la tête posée sur les cuisses de la seconde, qui lui massait le crâne avec douceur. Croyez-moi, c'était rare de voir Anna douce. Adorables.
« Et vous ? déclarai-je innocemment.
- Je vais sans doute tenter le concours d'infirmière, déclara Zoé.
- Et moi, aller dans la fac de droit de la ville où sera prise Zoé.
- Vous allez habiter ensemble ? demandai-je, le cœur battant.
- C'est ce qui est prévu, déclara timidement Zoé.
- Arrêtez de faire les timides et embrassez-vous, renâcla Olenka. »
Avant que je n'aie le temps de comprendre quoi que ce soit, Anna attrapa la tête de Zoé entre ses mains et l'embrassa fougueusement. Alors qu'Olenka et moi les fixions, choquées, elles sortirent main dans la main pour aller parler. Qu'est-ce que...
« J'espère que ces deux-là vont finir ensemble, soupira Olenka. Ça me tue de les voir malheureuses. Bref, Thylane, tu me promets de parler à Sam de ton projet, ok ? Une relation se construit à deux. Tu ne peux pas mener ta vie comme tu le souhaites de ton côté en le laissant de faux espoirs. Ou alors, tu romps, ça aura le mérite d'être honnête.
- J'ai déjà essayé d'aborder le sujet, murmurai-je, mais il veut à tout prix que je fasse des études lambdas.
- C'est fou ce que nos mecs sont relous ! Bref, promets-moi au moins que tu arrangeras les choses, ok ?
- Ok. Et toi, qu'est-ce que tu comptes faire ?
- J'aime Matth à la folie. Plus que tout. Mais ce n'est pas à moi de faire quelque chose. C'est à lui d'accepter mes choix. »
J'acquiesçai lentement. Une partie de moi réfléchissait déjà à comment expliquer à Sam que je passerai probablement l'année prochaine loin de lui.
*
« Ça me fait tellement plaisir de faire ça avec toi, déclara Sam en m'embrassant le front.
- Moi aussi, ça me fait plaisir. Mais je t'avoue que je ne sais pas trop comment me comporter. J'ai essayé de m'habiller simplement, tout ça... est-ce que je dois avoir une attitude particulière ?
- Non. Il faut que tu sois naturelle. Tu ne dois pas te comporter avec eux comme s'ils étaient différents.
- Ok, ok. Putain, je stress. »
Sam leva les yeux au ciel avant de prendre ma main. Nous avions avec nous de gros sacs de provisions remplis de nourriture. Sam m'avait expliqué qu'un jour, il ferait le tour de la ville en distribuant à manger à tous les SDF. Comment aurais-je pu ne pas l'accompagner dans ce geste ? Nous avions donc passé le week-end à acheter plein de provisions et à préparer différents sandwichs. On en avait une bonne centaine. J'avais utilisé l'argent de quelques baby-sitting et le tour était joué. Mais j'étais assez anxieuse. D'habitude, je passais devant les SDF avec un air de culpabilité parce que je ne m'arrêtais pas pour leur donner quelque chose. Là, j'étais heureuse de sacrifier mon week-end si c'était pour en venir en aide à ceux qui en avaient vraiment besoin.
« On va aller vers les centres commerciaux, déclara Sam. »
Je le suivis. Je savais qu'en hiver, il faisait régulièrement des collectes pour les gens en difficulté et distribuait couvertures et anciens vêtements à qui en avaient besoin. Je l'admirais tellement ; en l'observant, je me dis que j'étais la fille la plus chanceuse de l'univers.
« Bonjour, madame. Comment allez-vous ? demanda Sam à la première personne que nous croisions. »
Elle avait un petit bonnet devant elle où l'on apercevait quelques maigres pièces. Lorsque nous le lui adressâmes la parole, elle releva la tête d'un air surpris. Elle était visiblement peu habituée à ce qu'on fasse attention à elle. Mon cœur se serra en comprenant que c'était à cause des gens comme moi, qui passaient devant sans rien faire.
« Si vous voulez, nous avons un sandwich pour vous. Vous préférez au jambon, beurre, rillettes ? »
Elle écarquilla les yeux.
« Vous plaisantez ?
- Un conseil : les jambons-beurres sont les meilleurs, chuchota Sam. »
Je sortis le fameux sandwich d'une main tremblante. À ma grande surprise, elle se mit à pleurer. Elle le saisit et je remarquai dans un frisson ses mains frêles et violacées. Le temps était encore rude, alors que nous étions en avril.
« Oh, merci, merci... murmura t-elle.
- Tenez, ne pus-je m'empêcher d'ajouter en lui tendant un billet de cinq euros. »
Elle m'observa avec des yeux ronds, sans trop y croire. J'en avais presque les larmes aux yeux. Était-elle si peu habituée à recevoir de l'attention, de la reconnaissance ? J'étais à deux doigt de l'inviter à dormir chez Agathe.
« Nous devons y aller, l'informa Sam. Bonne journée, madame. »
Elle se contenta de nous répondre par un sourire tordu qui valait des millions de mots. Putain. Comment ai-je pu passer pendant tout ce temps devant ces gens sans rien faire ?
« Thylane, tu as donné les cinq euros que tu devais garder pour Agathe, me tança Sam.
- Je suis désolée... je n'ai pas pu résister.
- Je sais pas si c'était une bonne idée, que tu viennes. T'auras probablement le cœur brisé en rentrant chez toi. Les gens qu'on verra iront de mal en pis.
- Si j'ignore leur malheur, qui s'en préoccupera ? »
Sam m'adressa un sourire pensif.
Au final, nous distribâmes la totalité de nos provisions. À la fin de la journée, nous étions exténués mais j'avais cette douce sensation de me dire que j'avais pu, au moins essayer, d'aider quelques personnes.
« Je suis fier de toi, me chuchota Sam.
- T'as pas à l'être. Ça devrait être considéré comme normal. Je veux refaire ça plus souvent. »
Sam m'embrassa dans un sourire. J'étais heureuse.
Et mon bien-être était tel que j'oubliai complètement de lui parler de mon projet.
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J'espère que vous passez de bonnes vacances !
Vous vous en doutez peut-être, mais la fin de Se Détruire approche 💔 Il reste quelques chapitres histoire de boucler la boucle et de ne pas finir sur quelque chose de bâclé, mais les aventures de Samylane vont bien devoir avoir un terme. Mais promis, je ne les abandonne pas définitivement 😏
Bonne journée !
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