43 : Confrontation

« Ça va aller, mon bébé. »

Sam me serra un peu plus fort la main alors que je lui jetai un regard angoissé. Cette rencontre serait désastreuse et par-dessus tout inutile, j'en avais désormais la conviction. Mais impossible de faire marche arrière. J'inspirai un grand coup en regardant pour la énième fois ma montre. Midi. Dans une minute, il serait officiellement en retard et j'aurais une raison de plus de lui en vouloir. Crevard jusqu'au bout.

Connard.

Les paroles de Maya m'avaient beaucoup fait réfléchir. Pour vaincre son passé, elle disait qu'il fallait à certaines personnes l'affronter. Alors, rencontrer Lou était-elle une si mauvaise idée ? Ma tête me l'assurait, mais mon cœur avait une véritable envie d'un semblant... d'explications, peut-être ? À vrai dire, je ne savais pas trop moi-même ce que j'attendais de cette rencontre. Un sentiment de délivrance, qui me sortirait de ma hargne d'inachèvement ?

C'était Agathe qui m'avait permis de contacter Lou. Enfin, contacter était un gros mot ; à vrai dire, elle avait fait les démarches pour moi en revenant vers lui, et en disant qu'il me devait quelque chose. Je n'arrivais pas trop à réaliser ce qui allait se passer tant c'était immense.

« Bonjour. »

Je relevai la tête. Un garçon d'un bon mètre quatre-vingt nous observait d'un air hésitant.

Je ne savais pas trop ce que j'avais imaginé ressentir. Haine, colère, tristesse ? Mais là, j'avais l'impression de faire face à un parfait inconnu. Je ne l'aurais même pas reconnu si je l'avais un jour croisé.

Je le détaillai sans me gêner de haut en bas. Contrairement à ce que j'avais imaginé, il était très svelte, avec une énorme touffe de boucles blondes sur la tête qui lui donnaient un air enfantin et innocent. En sachant ce qu'il m'avait fait, la situation était presque comique.

« Je peux m'assoir ? demanda t-il.
- Non, répondis-je du tac au tac, sans réfléchir. »

Sam me donna un petit coup sur l'épaule et je me repris :

« Euh... enfin, si, j'imagine. »

Il s'assit et je le détaillai davantage. Soudain, son regard croisa le mien et je fus prise d'un haut-le-cœur. Ces yeux... je m'en souvenais, maintenant. Je fermai les yeux pour enlever de mon esprit les terribles images qui se compilaient dans mon cerveau. J'étais passée au-dessus de tout ça. C'était la dernière étape. Pas le moment de reculer.

« Pourquoi tu as fait ça ? demandai-je d'une voix calme et contrôlée. »

En réalité, tout en moi voulait hurler, mais je me forçais à garder un calme apparent, au moins pour que cet entretien ne soit pas vain. Encore une fois, je devais prendre sur moi.

« Je... commença t-il d'une voix mal assurée.
- Pas la version tout prête, tranchai-je. La vérité, putain. »

Ça y est, je commençais à ébouillanter. Je ne pouvais pas bien retenir ma nature très longtemps.

« J'étais très paumé... »

Je levai les yeux au ciel. Sam me glissa un regard qui m'intimait très clairement « prends sur toi, et essaie d'être compatissante ». Pour lui, je pouvais le faire.

« Agathe a dû te raconter, j'étais toujours tout seul, harcelé à l'école et mes parents étaient toujours au travail. »

Le regard de Sam trahissait toute sa peine.

« Alors, chez Agathe, j'ai commencé à être mieux. Mais mes parents m'ont récupéré. Ils m'ont promis de changer, mais ce n'était que des paroles en l'air. Au final, ils m'ont simplement refourgué à un psy avec leur fric. J'entrais dans une haine du monde. À la soirée de Leila... tu sais... les filles étaient toujours celles qui blessaient le plus. Parfois, les garçons me frappaient physiquement, mais les coups psychologiques que m'infligeaient les filles étaient les plus douloureux. Toutes celles dont j'étais amoureux se moquaient de moi. Alors, à la soirée... ok, au début, je te draguais pour déconner. Mais au bout d'un moment, j'ai cru que j'te plaisais vraiment. »

Cette hypothèse me donna envie de gerber. Il était donc con au point de ne pas s'être rendu compte que j'étais complètement torchée ? Connard. Idiot. Crétin des Alpes. Salaud.

Immonde sous-merde.

« Pourtant, j'étais plus naïf, à cette époque. Je me méfiais des gens, et dans le lycée privé où mes parents m'avaient foutu, j'étais le roi. Alors, quand tu m'as recalé au dernier moment, mon ego en a pris un certain coup. J'ai un peu revécu tout ce qui se passait à l'école...
- Pauvre chou. C'est vrai que maintenant, je comprends mieux pourquoi tu m'as violée. C'est totalement justifié. »

Antoine devint rouge pivoine.

« Je n'essaie pas de justifier quoi que ce soit. Je suis un connard, je sais. Désolé de ne pas m'en être rendu compte plus tôt, d'avoir laissé mes parents envoyer ces lettres horribles. Si tu savais combien j'ai passé de nuits à me détester... au début, je m'en fichais. Mais quand Agathe t'a adoptée et qu'elle m'a parlé de tes états, j'ai eu tellement mal. J'ai eu honte aussi, d'avoir besoin de ce genre de récit pour me sentir coupable. Alors, je te le dis maintenant, pas parce que tu me le demandes ou quoi : je suis terriblement désolé. Je m'en voudrais probablement à jamais, et je comprends que tu ne veuilles pas me pardonner. Longtemps, j'ai sous-estimé les conséquences que cet acte avait pu avoir sur toi... et, même si c'est trop tard, je donnerais tout pour revenir en arrière. »

Je lâchai un long soupir. C'était étrange, j'étais persuadée que j'allais craquer après cet entretien, mais j'avais au contraire l'impression de me sentir mieux. Je crois que j'avais besoin d'entendre ça.

« Ok.
- Est-ce que tu vas porter plainte ? demanda Antoine. »

Je m'attendais à percevoir une pointe de panique dans sa voix, et peut-être de menaces. Mais non, il me posait cette question en toute honnêteté, et je compris qu'il accepterait ma décision qu'elle qu'elle soit.

À vrai dire, je savais très bien ce que j'allais faire.

« Non. Pas parce que j'ai pitié de toi. J'enverrais bien les connards de ton genre en taule pour qu'ils ne fassent plus jamais de mal à qui que ce soit. Mais parce que je suis passée à autre chose, aujourd'hui, deux ans plus tard, et porter plainte ne changera rien à ma vie. J'aurais dû faire ça bien avant, mais bref. Je crois fermement que les gens peuvent changer. Et, j'espère pour toi que c'est le cas. Parce que si j'apprends de je ne sais quelle manière que tu as fais du mal à quelqu'un, je viendrai moi-même te couper les couilles. Ok ? »

Sam me regarda avec fierté, l'air de dire « trop badass » . Antoine déglutit avant d'hocher la tête. Il me reste un dernier truc à faire... je peux pas le laisser comme ça.

« Allez, viens, fis-je en lui faisant signe de se lever. »

Hésitant, il se leva. Je le regardai droit dans les yeux. Puis je lui giflai la joue de toutes mes forces.

Et je sortis du bar, la tête haute. Aussi houleuse qu'avait pu s'avérer cet entretien, j'avais enfin l'impression qu'un énorme poids s'étaient enlevé de ma poitrine.

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Et voilà, on y est : Thylane a enfin été confrontée à celui qui a détruit sa vie. Elle en avait besoin. Que penses vous de l'issue de cet entretien ?

/!\ Pour éviter toute confusion, je tiens à préciser que je n'essaie pas du tout de faire passer un message de "il ne faut pas porter plainte" en cas de problèmes. J'essaie simplement de retranscrire ce que peuvent vivre les filles brisées comme Thylane. Surtout, si vous vous retrouvez face à ce genre de situation, il faut en parler. ❤️ Il y aura toujours une personne pour vous aider ❤️

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