37 : Aidez-moi
« J'ai besoin de voir les filles. »
Julia fronça les sourcils. Cela faisait deux jours qu'elle était à la maison, et comme elle améliorait considérablement mon humeur et m'aidait à tenir le coup, Agathe l'avait officiellement autorisée à rester le temps qu'elle souhaite. Nous avions donc passées ces dernières journées ensemble, comme au bon vieux temps. C'était fou comme notre complicité d'antan s'était recréée si vite ; comme quoi, les véritables amitiés ne disparaissaient jamais vraiment, elles se contentaient de s'arrêter pour mieux repartir.
Je découvrais ainsi une nouvelle facette de Julia. Avant, elle était véritablement réservée et craignait le jugement des autres ; désormais, elle vivait pour elle-même et comme elle disait, "fuck les rageux, j'ai pas leur temps". Pour tout vous dire, elle avait accepté de sortir chercher le pain en pyjama avec moi après un cap ou pas cap qui avait mal tourné. Je devrais peut-être être triste de constater que nous ne sommes pas matures, mais ces quelques moments précieux d'insouciances me procuraient bien trop de bonheur pour les remettre en question. Enfin, j'arrêtais de réfléchir à mes actes et agissais sur des coups de tête.
« Pourquoi ? demanda t-elle d'une voix neutre, bien que je crus y déceler un soupçon de jalousie.
- J'ai besoin de leurs avis. Elles me connaissent, connaissent Sam. Et... il faut que leur raconte tout. Elles méritent au moins ça. Elles ne savent pas ce qui m'est arrivé, pas même Farah. Je ne sais pas quoi faire, Julia... ce n'est pas que tu ne me suffis pas, mais j'ai besoin d'elles, tu comprends ? Et comme ça, tu pourrais les rencontrer.
- Ouais, répliqua t-elle nerveusement. Tu sais, Thylane, je ne resterai pas ici éternellement ; bientôt, je vais repartir. Tu ne veux pas plutôt profiter ? Qu'on reste ensemble, comme avant...
- Oh, Julia... ces derniers jours étaient merveilleux. Mais j'ai besoin de sortir et d'affronter la réalité. J'ai été violée. J'ai besoin de me libérer de ça. Et Sam... mon dieu, il me manque.
- Je ne peux pas dire que je comprends, mais je te soutiens, ok ? Dis-moi juste, tu comptes reprendre ta relation avec Sam ?
- Je ne sais pas si j'en suis capable, soufflai-je. Tu vois, cette nuit, j'ai beaucoup réfléchi à tout ça. J'essaie de comprendre son point de vue, après tout, il a beaucoup souffert lui aussi. Mais en le voyant, j'ai peur que ça me rappelle tous ces mauvais souvenirs et que je n'arrive jamais à avancer. Je... j'ai besoin de tourner la page, pas seulement de faire semblant, comme au cours de ces dernières années. »
Je ne m'en étais pas rendue compte, mais ma voix tremblait. Julia me fit un câlin pour me frictionner chaleureusement le dos en signe de soutien.
« Ça va aller, ma belle. Quoi que tu décides de faire, je serai avec toi, ok ? Tu... tu es ma meilleure amie. »
Pour toute réponse, je la serrai davantage, touchée. Je tenais tant à cette fille.
*
Julia trépignait sur place, anxieuse.
Aujourd'hui, nous devions retrouver les filles - Farah, Zoé, Olenka et même Anna - au bar. J'avais ignoré leurs messages dernièrement tant je voulais me détacher de tout ce qui me reliait à Sam, mais il fallait que je les vois. Je ne savais pas si c'était une bonne idée d'en parler aux quatre en même temps, ainsi qu'en présence de Julia, mais elles étaient toutes résolument différentes et maintenant que j'étais prête à repartir sur un nouveau pied, j'avais besoin de leurs divers avis. Ils comptaient énormément pour moi. La folie de Farah, la douceur de Zoé, l'honnêteté d'Olenka, l'arrogance d'Anna...
J'avouais être un peu anxieuse aussi à l'idée de revoir cette dernière, à laquelle je n'adressais désormais que brièvement la parole. Mais malgré tout, j'avais besoin d'avoir ma petite bande au complet, et quelque manquait quand Anna n'était pas là. Même si nous n'avions jamais été proches, j'avais toujours admiré comme elle était extravertie, authentique et franche - quoiqu'un peu blessante parfois. J'ignorais également ce qu'il était advenu de sa relation avec Zoé, mais actuellement, et je me sentais très égoïste de le dire, Sam accaparait mes moindres pensées et sentiments, alors je ne m'en préoccupais pas. Zoé m'en parlerait quand il serait temps.
« Tu peux me parler d'elles davantage, histoire que je ne sois pas trop paumée ? répéta pour la énième fois Julia. »
Ainsi donc, une partie de sa réserve d'antan était toujours là - ce qui n'était pas pour me déplaire, j'appréciais découvrir une nouvelle Julia mais davantage encore retrouver celle avec qui j'avais tant partagé. J'esquissai un sourire en pensant à mes amies.
« Farah est celle à laquelle j'ai parlé en première. Ce sera la grande métisse avec des tresses. Elle est devenue un véritable soleil dans ma vie. Elle a toujours de bonnes idées et est pleine de vie. Mais, ces derniers temps, elle a l'air moins épanouie, à cause de... »
Devais-je évoquer Léo ? Non, Farah n'apprécierait pas que j'avoue sa faiblesse à une inconnue.
« Bref, ensuite, Zoé est aussi marrante que Farah mais elle est bien plus timide et réservée avec ceux qu'elle ne connaît pas. Ce sera la fille à la peau mate, très petite et mince. Après, Olenka est celle que j'aimais le moins au début. Elle avait l'air froide et austère, mais en réalité, j'ai découvert qu'elle était surtout blessée et manquait terriblement de confiance en elle. Une fois qu'on la connaît, elle est vraiment gentille, sincère et manie ironie et sarcasme comme des armes. C'est une grande blonde magnifique, stylé mannequin, avec de grands yeux verts et une peau parfaite. Ensuite, y'a Anna... c'est celle avec qui j'ai toujours le moins été proche, le genre de fille ultra populaire et sociable que tout le monde adore. À cause d'une embrouille, elle s'est éloignée du groupe mais j'espère que ce rendez-vous arrangera les choses, en quelque sorte. Elle est franche, parfois brutale, mais surtout passionnée, ambitieuse et prête a beaucoup pour ses amies. Tu la reconnaîtras vite, c'est une grande brune juste splendide, avec d'épais cheveux bruns, de grands yeux noirs, des lèvres pulpeuses et des traits harmonieux. »
Julia acquiesça lentement, se faisant mentalement un portrait de ce que devaient être mes amies. Alors qu'elle s'apprêtait à me poser une question, un hurlement me vrilla les tympans.
« Thylane ! »
Une Farah débordante d'excitation me prit alors dans ses bras comme si ne nous étions pas vues depuis des mois. Je respirai son parfum, comblée, incapable de prononcer le moindre mot. Ma vie était résolument plus vide sans son adorable bouille d'ange.
« Farah ! m'écriai-je en la serrant davantage.
- Putain, j'ai l'impression de ne pas t'avoir vue depuis des siècles ! Ta famille d'accueil est hyper reloue, un mec vénère m'a ouverte l'autre jour et quand je lui ai demandé de te voir, il m'a tej.
- Stéphane ? répétai-je, écœurée. Quel con ! Je suis désolée, ça n'allait pas du tout, je ne savais pas que tu étais venue... sinon, je t'aurais faite entrée...
- C'est pas grave petite fleur. Tu vas tout nous expliquer, on est là pour toi maintenant. »
Zoé et Olenka me serrèrent à leur tour chaleureusement, et quand vint le tour d'Anna, je ressentis son appréhension. Elle se contenta de me faire la bise, avant de toiser Julia en plissant les yeux.
« T'es Julia, toi ?
- Euh, oui, répondit Julia, un peu intimidée par la prestance d'Anna - j'avais oublié comme son ton pouvait être cassant quand on la connaissait mal.
- Ravie de te rencontrer, enchaîna habilement Farah en lui faisant la bise. Bon, on y va, dans ce bar ? Il caillasse, on est en janvier, je vous rappelle !
- Vraiment ? ironisa Olenka. Ça alors, je pensais qu'on était en août... »
Farah lui donna une tape sur l'épaule en riant, puis nous pénétrions dans le petit bar de la ville. Il n'y avait pas trop de monde, et j'imaginai avec amusement la dégaine que l'on devait avoir, emmitouflées dans d'épais pulls, bonnets et écharpes.
Une fois installées, je commençai à me sentir mal à l'aise. Il était presque « facile » d'oublier les problèmes avec la compagnie de Julia en faisant d'autres choses, mais avec toutes les filles autour de moi, je n'étais plus sûre d'être capable de parler sans flancher.
« Thylane, commença Zoé avec sa douceur habituelle, qu'est-ce qu'il ne va pas ? »
Ça y est, j'arrivais à ce moment où je devais raconter ma vie comme un film avec détachement alors que je mourrais d'envie de m'enfuir ? J'inspirai avant d'entamer, en prenant garde à réciter machinalement et à ne pas trop rentrer dans le récit pour éviter de péter un câble. Je leur expliquais tout d'une traite, ma descente aux enfers progressive, la soirée qui avait tout changé, la difficulté à reprendre le cours d'une vie normale, le mal-être qui s'ensuivait, la mort de mes parents et la dépression qu'elle avait engendrée chez moi, puis la découverte du passé de Sam et sa demie-responsabilité du viol. C'était difficile de rester déconnectée face à l'histoire de ma propre vie, mais il fallait que je reste de marbre. Je ne voulais pas avoir l'air d'une faible.
Je voulais être forte.
Au moins une fois.
Quand je relevai enfin la tête, je constatai qu'Anna m'observait d'un air incrédule et horrifié alors que Zoé et Olenka avaient les larmes aux yeux. Mon récit avait-il été si prenant, leur faisait-il tant de peine ?
Julia gardait la tête basse, mais c'était la réaction de Farah qui m'inquiéta le plus : elle fixait un point dans le vide, les yeux brûlants de colère, comme si elle envisageait de commettre un meurtre. Anna finit simplement par attraper ma main pour la serrer dans la mienne, avant de chuchoter :
« Tu es si forte, Thylane.
- Non, je ne suis pas forte, articulai-je, la gorge serrée. Je fais juste semblant. Mais, quand je suis seule, je suis brisée... »
Farah éclata brutalement en sanglots, avant de venir me serrer dans ses bras. Elle ne pipa mot, et se contenta de pleurer dans mes bras. Je n'avais même pas la force de la rassurer. Les autres filles n'allaient pas tarder à éclater à leur tour, en prenant conscience de la véracité de ce récit, alors je repris calmement :
« C'est bon, tout va bien... si j'ai tenu à vous voir, c'est parce que... enfin, ce n'est pas pour que vous vous apitoyez sur mon sort. Je l'ai déjà assez fait, mais là, j'ai besoin de repartir, de tourner la page. Mais je ne sais pas comment faire, et Sam... Sam... »
Ma voix se brisa. Je me rappelai son regard empli de désespoir la dernière fois que je l'avais vu. Même si une partie de moi le haïssait, une autre réclamait sa présence et pleurait son manque. Mais pouvais-je passer outre ? En réalité, après avoir réfléchi à cette sordide situation avec Julia, j'avais davantage pris en compte les circonstances atténuantes qui l'entouraient. En sa présence, je n'avais pensé qu'à moi, mais désormais, je me rappelais le récit de son horrible enfance et adolescence et je n'avais plus la force de lui en vouloir. Lui aussi, il avait souffert. Et ce n'était pas sa faute si ils avaient fait ça. Moi-même, à sa place, avec son mal-être, aurais-je eu le courage de m'interposer ? Étais-je vraiment en bonne position pour lui en vouloir ?
« Tu l'aimes ? demanda gentiment Zoé.
- Je suis amoureuse de lui, murmurai-je. Je ne m'en suis jamais aussi rendue compte qu'aujourd'hui. Mais je ne sais pas si je suis capable de passer au-dessus de tout ça... quand je le verrai, je penserai à... »
Ma voix s'étouffa alors que Julia pressait ma main dans la sienne.
« Si tu veux mon avis, commença Anna avec le peu de douceur dont elle savait faire preuve, tu ferais mieux de tourner la page. C'est un mal pour un bien...
- Elle ne peut pas tourner la page comme ça ! répliqua Farah avec férocité. On voit que tu n'as jamais été amoureuse ! »
La détresse émanait de sa personne et je compris qu'elle faisait indirectement référence à sa relation déchue avec Léo. Mon cœur se serra. De cette relation aussi, je ne savais pas ce qu'il se passait. Je m'étais enfermée dans une bulle, alors que l'état de Farah s'était visiblement dégradé. Quel genre d'amie étais-je ?
Anna plissa les yeux avec froideur. Puis elle lâcha :
« Qu'est-ce que tu en sais ? »
Un silence morbide suivit sa déclaration, et Anna ne parut plus aussi sûre d'elle, prise d'une certaine fragilité. Je remarqua le regard insistant dont Zoé la couva, ce qui m'amena à me demander si Anna avait bel et bien des sentiments pour Zoé - et s'ils étaient réciproques.
Olenka brisa le silence en revenant sur mon cas :
« Thylane... je pense que l'on fait tous des erreurs dans la vie. Elle faisait sûrement référence à la tromperie de Matth. Mais, personne n'est parfait. Si Sam est sincère et essaie de se racheter, alors tu devrais lui redonner une chance. Votre relation est si fusionnelle... alors, même si au début, le voir pourra te procurer une certaine souffrance, il est peut-être ta seule chance de te reconstruire. Tu as le droit au bonheur, Thylane. Sa voix tremblante commença à monter dans les aigüs. Tu dois être heureuse, tu le mérites tant. Si tu tiens à Sam, et que vous vous accrochez, vous pouvez vous reconstruire l'un l'autre. Enfin, je sais que c'est facile de dire ça... la vérité, c'est que je n'arrive pas à me mettre à ta place. C'est beaucoup trop irréaliste, et... mon dieu, Thylane, je suis tellement désolée que l'on ne se soient pas aperçu plus tôt de ton mal-être ! Putain, qu'est-ce que je suis conne... »
Nous fixâmes Olenka, étonnées. Si je ne m'attendais pas à une réaction de sa part, c'était bien celle-ci. Elle avait su trouver les mots justes. Un nouveau silence se profila, alors que je pesais ses paroles.
« Elle a raison, finit par trancher Anna. On est nulles, Thylane. On aurait dû t'aider bien avant. Sam est peut-être le seul à en être réellement capable.
- Lui aussi a terriblement souffert, acquiesça Zoé. Vous avez besoin l'un de l'autre. Vous êtes faits l'un pour l'autre. »
Olenka leva les yeux au ciel suite à ces mots romantiques, mais je surpris Anna dévisager Zoé avec intensité. Que se passait-il vraiment entre ces deux-là ?
Inquiète, je remarquai que Farah fixait toujours son verre silencieusement, alors que sa poigne serrait la nappe. J'avais l'impression qu'elle allait exploser. La dernière fois que je l'avais vue comme ça, c'était avec Léo.
Je secouai la tête, ébranlée par toutes les tensions silencieuses qui nous entouraient, et finis par chuchoter :
« On ferait mieux d'y aller. Merci d'être venues, les filles. Je sais pas ce que je ferai sans vous... »
Cette fois, Olenka ne fait aucun commentaire ironique. Elle me prit l'épaule en me rassurant :
« Ne nous remercie pas, Thylane. On est là pour toi, appelle-nous quand tu veux. Est-ce-que tu vas revenir au lycée ?
- Oui, rétorquai-je sans trop réfléchir. Je... je crois que j'en ai besoin.
- On sera là pour t'aider, conclut Zoé dans un sourire. »
Nous nous en allions enfin mais je retiens Farah avec moi, pendant que Julia m'attendait dehors. Il fallait à tout prix que je sache comment elle allait. Pour Farah, j'étais capable de mettre mes soucis de côté pour me concentrer sur les siens.
« Farah... commençai-je.
- Est-ce-qu'ils ont payé ? demanda t-elle, les yeux dans le vague.
- De quoi ?
- Est-ce que ces enculés ont payé ? répéta t-elle d'une voix plus froide, dure. »
Elle faisait référence à ceux qui m'avaient violée. Et je baissai la tête en imaginant ce qui allait suivre.
« Non.
- Quoi ?! éructa Farah, les yeux écarquillés. Putain, Thylane, dis-moi qu'ils ont mordu la poussière parce que je vais commettre un meurtre. »
Je frissonnai devant l'intensité de ses mots. Farah avait l'air complètement métamorphosé, sur les nerfs, prête a éclater à tout moment.
« Je n'ai pas porté plainte, chuhotai-je, presque honteuse.
- Quoi ?! Mais Thylane, t'es complètement conne ou quoi ?! »
Ses paroles me blessèrent et je ne répondis rien. Farah sembla se rendre compte de la brutalité de ses mots et s'excusa, toujours d'un air hagard.
« Désolée, c'est pas ce que je voulais dire... comment ça se fait, Thylane ?
- J'étais dans le déni, expliquai-je faiblement. Je refusais d'admettre ce qui s'était passé et je n'en ai parlé à personne.
- Et tes parents ?
- Ils ne savaient rien... mais... »
Ma gorge se noua et je fus incapable de continuer. Farah sembla se radoucir et me chuchota :
« ...Mais ?
- Il y a eu les lettres, articulai-je. Je ne sais pas qui étaient ces types, mais je crois que c'était des sales bourges dont les parents ne savaient rien des activités nocturnes. Enfin, c'est ce que j'en ai conclu. Les lettres nous intimaient de garder le silence, et si mes parents pensaient à une erreur, ils ont fini par me demander s'il m'était arrivé quelque chose. Je niais en bloc. Je te jure, Farah, je ne vivais déjà plus, une partie de moi était déjà éteinte, et... j'avais terriblement honte. C'est mal, je sais, mais je me sentais sale. Une petite voix ne cessait de me rappeler que c'était en partie de ma faute, que si je n'avais pas mis peut-être cette robe, si je ne m'étais pas maquillée, si je n'avais pas bu, si j'avais été plus ferme... rien ne serait arrivé.
- Oh, petite fleur, murmura Farah en me serrant encore contre elle. Rien de ces saloperies n'est de ta faute, OK ? Tu n'y es pour rien ! »
Je me dégageai, mal à l'aise. Je savais qu'elle avait raison mais je restais gênée. Je n'avais pas besoin de la pitié de Farah. J'avais besoin de forces.
« Enfin... un jour, une lettre a explicitement parlé du viol, et mes parents m'ont faite craché le morceau. Je te jure, je ne les avais jamais vus si choqués. Ils n'y croyaient pas. Je ne leur en voulais pas de n'avoir rien vu... tu sais, ce sont des immigrés, considérés comme des étrangers dans ce pays et ils avaient bien d'autres soucis, j'imagine. Mais maintenant qu'ils savaient, si extérieurement je ne laissais rien paraître, je voulais qu'ils m'aident. Je voulais qu'ils prennent les choses en main, qu'ils m'aident à le sortir de cet enfer et, oui, je voulais que l'on fassent les démarches pour porter plainte. Je voulais que justice soit faite. C'était une idée qui me maintenait la tête hors de l'eau et me laissait espérer en un futur meilleur, où j'aurais tourné la page.
- Putain, Thylane, gronda Farah, ne me dis pas que tes parents n'ont pas accepté de porter plainte. »
Je secouai faiblement la tête, les yeux embués.
« Au début, ils m'ont réconfortée, puis ils ont fini par conclure qu'il fallait que je passe à autre chose et que j'oublie ce qu'il s'était passé. Ma mère m'a aussi fait passer un test de grossesse, soufflai-je. Heureusement, je n'avais rien. Alors, elle a dit que maintenant, je devais être forte, oublier et avancer. »
Je me mis à trembler, prise d'une rage folle. Je me rappelais très bien de cette scène.
« Je ne sais pas quoi faire, pleurai-je.
- Le test est négatif, débita mécaniquement ma mère. C'est bon. On va pouvoir passer à autre chose. Tout va s'arranger, ma fille. »
Une petite flamme d'espoir se donna l'autorisation de naître en moi, et je relevai la tête en chuchotant :
« Maman... il faut qu'on aille porter plainte. Je ne me sentirai pas bien tant que je ne les saurais pas entre les carreaux. Je n'y arrive plus, je n'arrive pas à avancer. J'ai l'impression d'étouffer... il faut qu'ils paient.
- On ne peut pas, trancha ma mème.
- Quoi ? »
Je me redressai lentement. Ma mère n'arrivait même pas à me regarder dans les yeux. Elle alla s'appuyer contre la fenêtre pour regarder le jardin, l'air abattu.
« Et pourquoi pas ? demandai-je avec fureur.
- ON NE PEUT PAS ! Bon dieu, Thylane, cesse d'être aussi égoïste ! Tu ne vois pas que l'on a d'autres problèmes ? Le monde ne tourne pas autour de toi ! »
Je n'avais jamais eu des liens maternels avec ma mère, mais sa réaction dépassait l'entendement. J'eus envie de me boucher les oreilles face à ces paroles que je jugeais monstrueuses. Même si je ne voulais pas qu'elle me voit dans cet état, une nouvelle fois, je fondis en larmes.
« Maman, je t'en supplie... je... »
Et se produisit l'impensable : ma mère fit volte-face et me prit dans ses bras. L'espace d'un instant, j'espérais qu'elle revienne sur sa décision et me promette de m'aider.
« Thylane, je suis désolée... un jour, tu comprendras. Du moins, je l'espère.
- Comment tu peux me faire ça ? hurlai-je en m'écartant d'elle comme si je fuyais la peste. Tu ne sais pas ce que j'ai vécu ! Tu ne sais rien de moi, parce que tu n'en as rien à foutre ! Oh, putain, comme j'ai pu espérer que tu veuilles m'aider ? Vous êtes des incapables ! »
Je ne vis pas la gifle arriver. Lorsqu'elle s'abattit sur ma joue, je me tus aussitôt. Je n'avais pas mal. La seule chose qui m'importait était le comportement de ma mère. Loin de se sentir coupable, elle finit par grogner :
« Tu vas arrêter de te lamenter sur ton sort, maintenant. Des gens souffrent de la guerre ou de la faim dans ce monde, et tu te plains de tes broutilles ?! Remets-toi en question, et aide tes parents, pour une fois. Il est temps que tu arrêtes de ruminer et de te voiler la face. Remue-toi, arrête de te laisser mourir ! »
Je ne savais pas quel impact elle espérait que me ferait sa grande tirade. Peut-être pensait-elle qu'on aidait une dépressive en lui disant de bouger le cul. Non, on ne l'aidait pas, on ne l'enfonçait que davantage.
Elle attendait visiblement que je réagisse. Face à mon mutisme, elle finit par s'en aller en claquant la porte, une expression torturée sur le visage.
Je retournais sur le lit, et sortis le paquet de chocolat. Je ne tardais pas à le vider.
« Mais quelle salope ! cria Farah, furieuse suite à mon récit. Bordel, je n'arrive pas y croire !
- Arrête, Farah, la suppliai-je faiblement. Je n'ai pas besoin de ta colère...
- Je viens d'apprendre que tes parents étaient des sales lâches, comment tu veux que je réagisse !? hurla t-elle encore.
- Tu ne les connais pas. Ils devaient avoir des raisons.
- Quelles raisons ? persifla Farah. Tu n'y crois pas toi-même, arrête de leur chercher des excuses !
- Il y avait quelque chose. Je parie que c'était en rapport avec ces lettres, insistai-je. Et ça ne sert plus à rien de les insulter, ajoutai-je d'une voix morne. Ils sont morts, je te rappelle. N'aie pas une mauvaise image d'eux... même s'ils n'étaient pas exemplaires, ils avaient beaucoup de problèmes d'argent et avec leur boulot. Mais, après quelques semaines, quand ils se sont rendus compte que je broyais du noir, ils ont essayé de m'aider, tu sais. Ils étaient davantage présents... et, un jour, je ne sais pour quelles raisons, mais ils ont décidé d'aller porter plainte. J'y suis allée tôt le matin à pied, parce que j'avais besoin de prendre l'air, et... ils devaient me rejoindre en voiture. Ils ne sont jamais arrivés.
Il a suffit d'une seconde pour que ma mère perde le contrôle et fonce dans un fossé. Un fossé, putain. Un putain de fossé. Peut-être qu'ils roulaient trop vite, aussi. Je ne sais pas.
- Mon dieu... souffla Farah. Thylane... désolée de te poser ce genre de questions, mais... tu ne trouves pas ça louche ?
- De quoi ? reniflai-je.
- Les lettres. Tes parents changent d'avis du jour au lendemain. Accident. Bordel, Thy, on dirait une putain de série thriller.
- On n'est pas dans un film, tentai-je de me convaincre alors que les paroles de Farah germaient dans ma tête.
- Et si ça avait été un piège ?
- Non. Ce n'est pas ça. Il y a autre chose, mais je ne sais pas encore quoi. »
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hello ! j'espère que vous allez bien, que vos cours/vacances/examens se passent bien (omg j'ai enfin passé le bac de sciences, j'aurais plus de sciences de toute la vie et c'est beau ptn)
Bon... j'ai l'impression que plus j'avance dans l'histoire, plus il y a d'emmerdes mdrr 😭 Des avis sur ce chapitre ? Ah et je voulais savoir, que pensez-vous de la relation Samylane ? Après ces révélations, on garde ou on jette ? 😂
Et je voulais vous remercier de lire mon histoire, vous êtes beaucoup trop géniaux ❤️ bonne journée sous ce beau soleil
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