36 : Pour oublier le mal
Des mains, des mains, des mains partout.
« Non... »
Des rires, des rires, des rires.
Des voix, des voix, des voix.
La douleur, la douleur, la douleur.
Le vide, vide, vide...
J'ouvris précipitamment les yeux en me redressant d'une traite. Où sont-ils ? Paniquée, je jetai des regards furtifs tout autour de moi.
Ils n'étaient pas là.
Trois heures du matin. Trempée de sueur, le cœur battant à tout rompre, je boitillai vers la salle de bain. Sans trop réfléchir à ce que je faisais, j'entrai encore vêtue de mon pyjama nounours dans la douche.
Je mis l'eau à fond, appréciant la sensation de m'évaporer vers un autre monde. Les gouttes défilèrent sur mes joues et je ne sentis même pas mes larmes s'y mêler, quoiqu'un goût amer s'infiltra en moi. J'essayai de me nettoyer. J'essayai d'oublier.
Mais ils étaient toujours là.
Alors, dans un geste désespéré, je mis l'eau au maximum de sa chaleur. Elle me brûlait la peau, que je ne frottais qu'encore plus fort, dans l'espoir d'oublier la douleur intérieure qui me rongeait à travers une nouvelle. Se faire mal pour oublier le mal. Je m'écorchai la peau jusqu'au sang, étrangement apaisée par cette sensation. Mais au fond, j'étais toujours sale. Je le serai toujours. Aucune blessure superficielle ne serait assez puissante pour me faire oublier celle qui me bouffait de l'intérieur.
De nouvelles larmes dévalèrent sur mes joues, et cette fois-ci, elles furent si nombreuses que je ne pus les ignorer, ni même les arrêter.
Sam, Sam, Sam...
Sam.
S a m.
Samuel.
Et je recommençai à me frotter énergiquement, telle une boule de fureur. Je grinçai les dents sous la douleur, sans pour autant interrompre mon geste. Et je me remémorai la scène qui avait suivi sa déclaration, le cœur déchiré.
Et quelque chose a changé en moi.
Lentement, je me suis décalée, sans pour autant quitter ses yeux. Toute tremblante, j'ai soufflé d'une voix inaudible :
« C'était toi... »
Sam a baissé la tête, alors qu'un étrange rire m'a étreint la gorge. Il avait eu exactement la même réaction avant de fuir lâchement à la soirée, me laissant seule, alcoolisée, sans doute même droguée, à la merci de ces sales brutes. Ce regard faible, désolé et empli de remords. Je m'étais souvenue très bien de son visage, que je m'étais pourtant toujours efforcée d'oublier, comme cette terrible scène. Je m'étais souvenue très bien de cette façon dont il avait baissé la tête avant de se barrer comme un lâche. Si les souvenirs qui m'étaient restés de cette soirée étaient confus, je m'étais toujours rappelée de ce moment. Il avait été l'espoir dans le noir, la lumière dans l'obscurité. La déception dans l'espoir.
Avais-je toujours su que c'était lui ? À vrai dire, j'avais toujours senti que quelque chose m'échappait, entre lui et moi. Mais je m'étais simplement arrangée pour fourrer mes mauvais souvenirs aux tréfonds de ma mémoire pour ne pas qu'ils interfèrent avec la nouvelle vie, refusant de foutre en l'air notre relation pour une simple intuition. Ils ne faisaient que me rappeler comme les choses auraient changé si Sam avait eu le courage de m'aider. Et voilà où j'en étais, maintenant.
Soudain, je me suis relevée brutalement, en m'éloignant le plus possible de lui. Mes yeux avaient brûlé de hargne.
« C'ÉTAIT TOI ! »
Mon hurlement avait résonné comme s'il n'était pas sorti pas de ma gorge. Je crois que je n'avais pas été réellement conscience de ce qu'il se passait. Ce n'était plus Sam en face de moi. Il n'était plus qu'une silhouette, un démon complice de mes malheurs. La douleur que me provoquait désormais sa vue était insupportable. J'ai croisé son regard, et de nouveau, tous les souvenirs de cette soirée ont ressurgi.
Des mains, des mains partout...
Complément hors de contrôle, je me suis mise à le frapper en criant de toute mon âme.
« Dégage ! DÉGAGE ! Va t-en, avant que je ne fasse une putain de connerie !
- Thylane... m'avait suppliée Sam, en larmes. »
J'avais arrêté de le frapper, comme envoûtée par sa voix qui avait un tel pouvoir sur moi.
Non ! Non ! Je ne voulais plus le voir !
Ce n'était pas le moment de faiblir. J'ai relevé mon regard mauvais pour le planter dans le sien en grognant :
« Casse-toi, Samuel. Je ne rigole pas. »
Les larmes continuaient de glisser sur ses joues alors qu'il était sorti d'une démarche anéantie. Je m'étais alors jetée sur mon lit en fourrant ma tête dans mon oreiller, le noyant à l'occasion de larmes. Je ne saurais dire si l'absence de Sam avait décuplé ou amoindri la douleur qui incendiait mes veines. Tout ce que je savais, c'était que je n'en pouvais plus. Je voulais m'enfuir. Loin d'ici, et par-dessus tout, loin de moi-même.
Cela faisait désormais deux jours que je restais cloîtrée dans ma chambre. Quand Agathe m'avait demandé ce qui n'allait pas, je lui avais fermement conseillé de ne pas m'approcher. Elle était étrange, en ce moment. Étonnamment, elle avait obéi.
Je me nourrissais à présent exclusivement de mal bouffe que j'avais toujours stockée dans un tiroir. Chocolat, bonbons,... De toute façon, je n'avais plus faim. J'étais complètement vide de sensations. Je ne sentais plus rien, pas même quand mon estomac criait à l'agonie suite aux sévices que je lui faisais subir.
Quand ma peau fut totalement rouge de frottements, je sortis enfin de la douche en retirant mon pyjama. Critique, je m'observai dans le miroir. Je contemplai ces yeux creux, sans vie. Ce teint terne, sans vie. Ces cheveux ébouriffés et gras, sans vie. Cette peau rougie, saignant ici et là. J'étais laide, laide. Tu es moche, tu me mérites pas. Je déglutis en me rhabillant, ne supportant plus de voir la boule vide reflétée par ce miroir. Ensuite, j'appuyais mes mains sur le lavabo. Je restai peut-être bien plusieurs minutes tête basse, à fixer le sol, dans un silence morbide.
Puis je me mis à hurler.
*
« Thylane... il y a quelqu'un, pour toi. »
Encore groggy, je relevai la tête de mon oreiller - toujours gorgé de larmes, soit dit en passant.
« Dis que je suis pas là, grognai-je.
- Je... je vais la laisser entrer. Je crois que ça te fera du bien.
- T'as pas intérêt ! Je veux voir personne ! »
Alors que j'enfouissais de nouveau ma tête sous mon oreiller, la porte grinça. Putain. Si c'est Sam, je jure que...
« Thylane... »
Oh, putain... je connais cette voix...
Interdite, je me détournai lentement, sans me préoccuper de ce que penserait mon invitée de mon accoutrement. Je la dévisageai.
« Oh, putain... Julia ? »
Ma surprise n'était pas feinte.
Devant mon lit se trouvait une immense rousse à tomber par terre. Je détaillais son apparence alors que le choc me clouait les bec. Ses anciens cheveux courts et ondulés roux tombaient désormais lisses dans une teinte plus foncée au niveau de son nombril. Si ses yeux avaient toujours cette forme amande et douce, le vert pur et clair qui les colorait jadis semblait davantage foncé et donnait de la profondeur à son regard. Sa peau autrefois imparfaite était désormais rayonnante et si ses taches de rousseur étaient plus nombreuses, elle n'embellissait que davantage le rendu total. Quand un sourire se dessina sur son visage, je restai interdite devant ces lèvres rosées et ces dents blanches, autrefois recouvertes de bagues dentaires. Elle devait avoisiner le mètre quatre vingt mais loin de lui donner un air haut perché, cela ne faisait qu'accentuer ce charme et cette grâce naturelle.
Sans y réfléchir à deux fois, je me levai et je me jetai dans ses bras minces en la serrant de toutes mes forces. L'espace d'un instant, je fis transportée d'une manière bien plus efficace que la douleur sur une autre galaxie. Mais alors que je savourais ce moment, les yeux clos, une terrible envie de vomir incontrôlable me saisit. Ces journées à me goinfrer de chocolat commençaient à se faire sentir, alors que mon organisme devait être au supplice. Je me rassis en grimaçant.
« Ça ne va pas ? s'inquiéta Julia. »
Si sa voix avait mûri, elle avait gardé cette douceur inégalable. Julia grimaça en voyant les emballages des cochonneries sur mon lit, mais ne dit pas de commentaires. Fidèle à son éternelle générosité, au lieu de m'assaillir de questions, elle se précipita dans la salle de bain et me rapporta un grand verre d'eau.
« Est-ce-que ça va ? me demanda t-elle prudemment en me le rendant. Je t'ai ramené des fraise, ajouta t-elle après une hésitation. Je sais que c'est ton fruit préféré. »
Aussi banale et ridicule que fut être attention, elle me toucha au plus profond de mon être. Même si je n'avais absolument pas faim, des fraises ne pourraient pas me faire de mal, non ?
Je bus de nombreux verres d'eau avant de commencer à me sentir mieux. Une fois chose faite, je me rendis compte que Julia m'observait avec angoisse. Et je réalisai enfin la situation irréaliste dans laquelle je me trouvais. J'étais là, avec mon ancienne meilleure amie que j'avais envoyé paître il y a... deux ans ?
Mon dieu, cela fait tellement longtemps...
Je saisis sa main dans la sienne, et ce contact me provoqua la même sensation de bonheur qu'auparavant. Je tremblais de tous mes membres alors que je murmurai :
« J'ai cru que je ne te reverrai jamais...
- Mon non plus, avoua t-elle en baissant les yeux. Mais je suis là, maintenant. »
Elle me serra dans ses bras comme si j'étais un petit bébé. Autrefois, c'était moi qui faisait ça. Je m'efforçais toujours d'être forte pour Julia, qui, au collège, souffrait des moqueries de nos camarades. Et maintenant, c'était moi qui était en position de faiblesse ; les rôles s'étaient inversés.
« Thylane, qu'est-ce-que tu as ? s'inquiéta t-elle en désignant les marques rouges qui striaient désormais ma peau. »
J'haussai les épaules, ne voulant pas revenir sur ces blessures qui en refermaient d'autres. J'avais juste envie de penser à autre chose.
« Rien.
- Arrête. Thylane, putain, j'ai cru que je ne te reverrai jamais après ce qui s'est passé et quand j'ai appris que tu as déménagé. Et là, je te revois, et, et... je ne trouve que ton fantôme. Il faut que tu m'expliques. »
Comme une sœur, elle déposa un baiser sur mon front, alors que mon cœur battait à tout rompre. Je me rappelais très bien de la façon dont j'avais quitté Julia.
Après le... viol, ils m'avaient laissée dans l'herbe, nue, en pensant que je me relèverai de moi-même. Je me rappelais m'être endormie en position fœtale alors qu'ils partaient enfin, laissant derrière eux leur œuvre macabre sans réfléchir aux conséquences. Quand j'ai rouvert les yeux, dans un premier temps, j'ai oublié ce que je faisais là. Je savais juste que j'avais terriblement froid et que j'étais seule. Je n'entendais plus rien, à part peut-être le bourdonnement constant de la musique qui devait continuer de résonner comme si de rien n'était dans la maison. Alors je me suis rendormie, en espérant m'échapper.
Quelqu'un m'a réveillée. Ce quelqu'un, c'était Julia. Il faisait nuit, cette fois, et plus un chat ne rôdait dehors. Quand j'ai rouvert les yeux, Julia me regardait en pleurant. Elle ne savait pas ce qu'il s'était passé, et elle s'est contentée de me rhabiller pour me protéger du froid. J'avais le teint blafard mais rougi de larmes à certains endroits et mes lèvres violacées faisaient peur à voir. Julia m'a remise sur pieds, et c'est là que tout m'est revenu en tête. Alors je me suis écartée et j'ai vomis.
Je me rappelais que Julia continuait de pleurer alors que je rendais mes tripes. Les effets de l'alcool ou de la drogue retentissaient encore en moi. Quand je me suis enfin assise sur le banc, l'air sonné, Julia m'a rejointe. Elle m'a demandé ce qu'il s'était passé. Bien sûr, elle ne pouvait pas savoir. Elle aurait pu penser que j'étais devenue une telle fêtarde que je m'étais foutue à poil dans un parc sans raisons, mais non. Julia me connaissait mieux que moi-même et me demandait "ce qu'on m'avait fait". Sans savoir exactement comment, elle avait compris qu'on m'avait blessée. Elle était paniquée et a commencé à m'expliquer que Leila lui avait envoyé un message en lui donnant l'adresse et en lui expliquant qu'elle venait de me retrouver "ivre morte" dans le parc, qu'il était six heures du matin et qu'elle ne savait pas quoi faire. Je ne disais rien. Face à mon mutisme, désespérée, elle a fini par appeler mes parents en leur expliquant que j'avais "un peu trop bu" et que je voulais rentrer. Mon père a débarqué aussitôt. Mais, en voyant mon état, au lieu de s'inquiéter, il a préféré me hurler dessus en gueulant que c'était la dernière fête à laquelle j'irai et que j'étais irresponsable. Je n'avais même plus de larmes pour pleurer.
Avant de partir, j'ai déclaré à Julia fermement : Je ne veux plus jamais vous voir. Ne m'adresse plus la parole. Ce sont les ultimes mots que je lui ai prononcés. J'étais incapable de la regarde dans les yeux.
Et là voilà à mes côtés, deux ans plus tard... quand je pris conscience de l'absurdité de la situation, je ne pus m'empêcher de demander :
« Qu'est-ce que tu fais là ?
- J'ai longtemps essayé de te joindre, après la soirée. Tu n'as jamais répondu. Sa voix se brisa légèrement et elle cligna rapidement des yeux, comme pour y chasser des larmes. Je me suis dit qu'il avait dû t'arriver quelque chose de grave et qu'il fallait mieux que je te laisse - à moins que tu ne voulais simplement plus de moi. Tu sais, Thylane... j'ai toujours rêvé de retrouver notre amitié d'antan, et quand j'ai appris que tu as déménagé subitement, j'ai bien cru avoir perdu ta trace pour toujours. Mais un mec m'a contactée il y a peu. J'sais pas comment il m'a trouvée, mais il a simplement dit que tu étais au plus bas et qu'il pensait que j'avais besoin de toi. Quand j'ai compris qu'il parlait de toi, il m'a donné l'adresse et je suis venue aussitôt. Je n'avais aucune idée de ce que je verrai ni comment se passeraient nos retrouvailles.
- Tu n'imaginais pas retrouver mon fantôme ? tranchai-je d'un rire jaune.
- Non. Mais, même si je doute que ma présence ne changera rien à ton état, je veux juste que tu saches que tu n'es pas seule et que je suis là pour toi, qu'elles que soient les raisons de ton malheur. »
J'acquiesçai lentement, ne réalisant toujours pas sa présence. Combien de fois avais-je également rêvé de la retrouver ?
« J'ai appris que tu étais en terminale L, enchaîna habilement la rousse. C'est fou, je ne sais pas comment tu fais pour supportée toutes ces matières littéraires ! Moi, je suis en S, et j'ai l'impression de faire une overdose de philo alors que l'on en a "seulement" quatre heures. »
Julia me connaissait décidément trop bien. Elle savait que lorsque j'étais mal, il fallait me parler de tout et de rien pour me vider l'esprit. Quand je lui répondais par monosyllabes, elle s'empressait de changer de sujet en enrichissant chacun de ses propos. Quand je me mettais à divaguer, elle repartait aussitôt sur une nouvelle discussion, parfois futile.
Elle me donna aussi des nouvelles de mes anciens amis, dont je ne gardais des souvenirs que très brefs - Julia avait toujours été la seule que je portais véritablement dans mon cœur.
Quand elle commença à évoquer Leila et Suzanne, je m'attendais à ressentir une terrible déchirure au cœur à l'entente de ces noms qui m'avaient rendue si dépravée. Et pourtant, je compris que je n'éprouvais plus de rancœur envers elles. Jadis, elle m'avait tant bouffée que maintenant, je pouvais parler d'elles sans que la colère ne gronde en moi. C'était une petite victoire personnelle. J'avais enfin tourné la page sur certaines choses.
Julia m'apprit que Leila avait beaucoup changé. Apparemment, elle était devenue très sérieuse, ne sortait quasiment plus et parlait à peine à Suzanne, qui, elle, était toujours aussi peste.
Je finis par poser la question qui me tracassait le plus.
« Comment ont réagi les gens après mon départ ? »
Julia se rembrunit, et je compris que sa réponse ne me plairait pas. Hésitante, elle commença :
« Depuis que tu trainais avec Leila et Suzanne, tu t'es mise beaucoup de monde à dos... »
Mon cœur se serra, et je m'en voulus de prêter autant attention à ce que les autres pensaient de moi. Une vieille manie du collège, j'imaginais.
« Quand tu as arrêté de venir au lycée, il y a eu les rumeurs. Certaines disaient que t'avais fait un coma éthylique, ce genre de conneries. Un jour, j'ai pété un câble en entendant Inès dire un truc de ce genre - tu te rappelles d'elle ? »
Bien sûr, que je me souvenais d'elle. Inès était une espèce de fausse miss parfaite qui nous avait beaucoup critiquées au lycée. Quand j'avais commencé à traîner avec Leila et Suzanne, les critiques avaient redoublé, elle me reprochait d'avoir lâché Julia - je ne prétendais pas que c'était faux, mais elle n'avait aucune preuve et disait ça juste pour me faire passer pour une sale conne. Pour davantage mettre en lumière sa petite personne.
« Elle disait que ton absence était une véritable bouffée d'air, ce genre de trucs, que t'avais trop fait la folle. À l'époque, je n'avais plus de nouvelles de toi et je ne savais pas ce qu'il t'était arrivé. Mais je savais une chose : tu avais souffert, et il m'était inconcevable d'entendre ces abrutis s'en réjouir. À part cette conne, tout le monde se posait simplement des questions. Et puis, petit à petit, ils ont arrêté d'en parler, comme s'ils oubliaient. Mais moi, je n'ai jamais oublié. Les jours passaient, et ma tristesse ne faisait que s'accroître. Je ne comprenais pas comment tout avait lu basculer si vite, comment nous avions pu en arriver là. Je n'étais plus la même, selon mes amis. C'est vrai que j'avais tendance à avoir des sauts d'humeur, je passais du rire aux larmes, de l'euphorie au désespoir. Parce que je ne savais pas ce qu'il t'était arrivé. L'ignorance a été ma pire souffrance. Imaginer tous les soirs ce qu'il avait pu se passer. Je t'ai envoyée beaucoup de messages, mais tu as changé de numéro, comme tes parents. Et j'ai perdu toute trace de toi, même si tu es restée dans mon cœur. »
Julia me prit la main. Les larmes faisaient briller ses beaux yeux verts, débordant de désespoir. Dans un souffle, Julia me demanda :
« Je n'ai jamais compris pourquoi tu ne m'as jamais rappelée. Cette ignorance a été véritablement douloureuse. Thylane, il faut que je comprenne... que s'est-il passé à cette soirée ? »
Mon souffle s'accéléra. J'avais déjà mis des mots dessus, couchés sur le papier. Mais étais-je capable de le dire à voix haute ?
« Je... je... »
Julia me serra un peu plus la main. Je relevai la tête vers elle. La douleur et la compréhension qui émanait de son regard me redonna un peu de force. Julia avait toujours été ma confidente, celle à qui je disais tout. Je peux le faire... je dois passée au-dessus. Tourner la page.
Il est temps.
« J'ai beaucoup bu à cette soirée... ma gorge se serra, comme au souvenir des saloperies que j'avais ingurgitées. J'étais seule. Leila et Suzanne étaient avec tous leurs autres potes, en comité privé. »
Julia fronça les sourcils, et je surpris l'éclat de haine qui embrasa ses prunelles. Je commençai à m'emmêler un peu, n'arrivant pas à mettre les mots juste sur ça.
« Une bande de mecs complètement torchés a commencé à me tourner autour. Puis je suis allée dans la chambre, mais j'ai dis non ! Je te promets que j'ai dis non ! »
On y était. Je recommençais à divaguer et paniquer. Une peur sans nom me tordit, et mon cœur se mit a battre à tout rompre. Julia me prit dans ses bras et me massa le cuir chevelu pour tenter de me calmer. Ce geste me propulsa quelques années plus tôt, où elle me faisait le même geste pour calmer mes pleurs. Je peux le faire ! Me forçant à me calmer, je repris d'une voix incertaine :
« Il a voulu aller plus loin, alors je suis partie. Après, j'avais peur, tellement peur... je suis allée voir Leila, qui m'a vivement conseillée de ne pas traîner dans ses pattes et m'a refilée un verre "pour me détendre". Je ne savais pas ce que c'était, mais je lui ai fais confiance et suis partie. Après, je me sentais mal, tellement mal... et je suis allée dehors. J'avais pas les idées claires, alors ça me paraissait être une bonne idée de prendre. Je... j'suis allée dans le parc abandonné, sur un banc... »
Julia me serra un peu plus contre elle-même, comme si elle sentait le danger venir. J'éclatai en sanglot, reniflant à m'en couper le souffle.
Et je lui racontai tout.
Sauf la partie avec Sam. Je ne pouvais me résoudre à lui expliquer el garçon dont j'étais tombée follement amoureuse était celui qui ne m'était pas venue en aide quand j'avais été victime du viol.
Quand ce fut enfin fini, je n'étais plus qu'une boule de larmes affalée contre Julia, qui pleurait à son tour.
« Tout va bien, tout va mieux, ma belle, tu es forte, tellement forte... »
Elle me répéta ces mots jusqu'à ce qu'ils s'inscrivent en moi. Et nous restions longtemps là, sans rien dire, mêlant nos peines et chagrins.
« Thylane, lève la tête, regarde-moi. »
Saisissant mon visage dans ses mains, je fus contrainte de relever péniblement les yeux, malgré moi.
« Tu es forte, Thylane, tellement forte. Je n'ai jamais rencontré de personne aussi fabuleuse que toi dans ma vie. Tu es forte, courageuse, magnifique, tu es la meilleure. Tout va bien, tout va mieux, tout ira mieux. Tu es extraordinaire, extraordinaire ! »
Elle continua bien de me dorloter de ses douces paroles pendant une heure. Et, à la fin, je me sentais presque plus forte.
« Merci, chuchotai-je faiblement. Merci d'être là, malgré tout. »
Julia ne m'en enserra qu'un peu plus. Il n'y avait pas besoin que je dise d'autres mots ; derrière mon silence s'en cachaient des milliers.
« Il faut qu'on sorte, finit-elle par m'annoncer. On va se dégoter une pizzéria et aller s'acheter une bonne pizza - avec plein de fromages, comme à l'ancienne ! »
J'esquissai un sourire. Je me rappelais bien de ces journées passées avec Julia où, qu'importait le temps, nous finissions par une bonne pizza quatre fromages.
« Allez, viens. Il faut qu'on se change les idées. »
J'aurais plutôt voulu restée cloîtrée dans mon lit toute la journée. Mais je savais que Julia, une fois de plus, savant ce qui était le mieux pour moi ; alors j'acquiesçai et la suivis dans la salle de bain.
Une fois de plus, je fus horrifiée par l'image que me renvoyait la glace. Julia resplendissait à côté de mon teint terne et de...
« J'ai les cheveux gras, et je suis dégueulasse ! Je vais pas sortir comme ça ! me plaignis-je.
- Va prendre une douche, convint Julia. On sait jamais, si on tombe sur de beaux mâles... »
Elle m'adresse un clin d'œil gênant, à la suite duquel je levai les yeux au ciel, le cœur serré. Si elle savait qu'il n'y en avait qu'un qui comptait à mes yeux...
En souvenir à ce qu'il m'avait avoué, une flamme furieuse s'alluma en moi. Je ne savais pas si ma colère était légitime ou non - tout ce que je savais, c'était que je me sentais terriblement mal. Dans l'espoir d'évacuer ma rage avant qu'elle n'explose, je me pressai de prendre ma douche.
L'eau dévalait sur ma peau abîmée, et une grimace me déforma le visage. Je ne comptais plus les raclures et égratignures parsemés sur mon corps... Je me lavai avec douceur, mais c'était peine perdue, la douleur était trop forte.
« Julia... soufflai-je, les larmes aux yeux. »
Aussitôt, mon amie entra dans la salle de bain pour voir ce qui n'allait pas, sans se préoccuper de ma probable nudité. À travers le rideau de larmes qui incombait mes pupilles, je vis son visage se crisper tandis qu'elle contemplait les marques sur ma peau. Je compris qu'elle voulait me poser des questions, mais sa générosité sans bornes reprit le dessus et elle se mit à chercher avec vigueur du désinfectant. Elle me fit signe de m'approcher, et j'obtempérai, tête basse.
« Tout va bien, répéta encore Julia. »
La détresse qui émanait de sa voix ne me trompa pas, mais je lui étais infiniment reconnaissante qu'elle dissimule sa panique et son horreur devant ma peau brûlée. Avec douceur, elle commença à désinfecter les plus grandes plaies. Je grimaçai mais me forçai à rester stoïque. Bien fait pour moi... c'est mérité, mérité... Je suis bien trop faible.
Quand ce fut enfin fini, Julia déposa un baiser glacé sur ma joue. Quant à moi, je me sentais quelque peu revigorée, bien que la douleur n'était pas partie.
« Va t'habiller, m'ordonna Julia. »
Son teint était livide, et je devinai qu'elle se retenait de me poser un tas de questions.
Une fois que j'étais habillée, Julia me refit une beauté. Elle avait toujours été une experte en maquillage, comparé à moi ; à un tel point qu'elle refusait que je la maquille, sachant d'avance que tout serait plus beau plutôt que mes productions. Je farfouillai dans mon armoire et finis par sortir un gros pull noir avec jean boyfriend déchiré, sous lequel je mis des collants en résille et que j'accessoirisai de mes Doc noires montantes. Même si je faisais toujours pâle mine à côté d'une Julia éclatante de beauté, j'arrivais désormais à me regarder dans la glace sans détourner le regard.
Quand nous descendîmes en bas, Agathe s'écria :
« Comme vous êtes belles ! Je vais vous prendre en photo. Vous allez à la pizzeria du coin ? »
Nous acquiesçâmes, amusées, avant de prendre une pose caricaturale de post bad. La photo était vraiment drôle et réussit à m'arracher un sourire.
« On est bien, là, murmura Julia alors que nous dégustions une succulente pizza aux fromages.
- C'est clair, approuvai-je en retirant mon manteau. Il fait super chaud ici, ça change du pôle nord dehors ! »
Julia grimaça, avant d'éclater de rire, me laissant perplexe. Qu'est-ce-que j'ai dis, encore ?
« Quoi ?
- Euh... je disais ça parce que, fin, tu m'as manquée... j'suis contente qu'on soit ensemble, quoi...
- Mon dieu ! »
Et nous éclations de plus belle en fou rire. Quand je finis par reprendre mon calme, je m'exclamai :
« Oui, on est super bien ! Je suis désolée, je suis vraiment une quiche ! Si tu savais comme tu m'avais manquée aussi... putain, Julia, je suis tellement désolée de la façon dont je me suis comportée avec toi en seconde.
- N'en reparlons plus. Ça fait longtemps que je t'ai pardonnée, j'étais incapable de t'en vouloir. »
Je lui décochai un sourire avant de serrer sa main dans la mienne. C'était fou comme sa simple présence avait le don de me mettre du baume au cœur et d'oublier l'horrible situation dans laquelle je me trouvais.
Alors que nous prenions une pelletée de cookies en dessert, Julia finit par me demander d'une voix douce et sérieuse :
« Dis-moi, Thylane... qu'est-ce qu'il s'est passé pour que je te retrouve dans un tel état ? Quelque chose d'autre est arrivé, dernièrement ?
- Oui, avouai-je faiblement - après ce qu'elle avait fait pour moi, Julia avait le droit de savoir. Tu vois, quand je suis rentrée au lycée, j'ai rencontré ce garçon, Sam - enfin, Samuel. Malgré nos hauts et nos bas, je me suis très - trop - rapidement attachée à lui. À vrai dire, à l'heure d'aujourd'hui, je ne me vois pas continuer ma vie sans lui. »
Julia pencha la tête, attentive.
« Mais voilà... l'autre jour, il est venu à la maison, pour mon anniversaire. J'étais sortie, et en attendant mon arrivée, il a lu le journal dans lequel je confiais ce qu'il m'était arrivé... tu vois, pendant le moment, il y a un type qui a débarqué et qui a vu ce qu'il se passait - du moins, qui l'a deviné. Il aurait pu intervenir, mais il a pris peur et s'est barré. Eh bien, c'était Sam, ce type. »
Julia laissa échapper un hoquet de stupeur.
« Quoi ?! Mais... c'est tellement irréaliste... c'est le genre de coïncidence qui n'arrive que dans les films...
- Ma vie est un putain de drame, alors, marmonnai-je en me forçant à garder la tête haute, dissimulant ma peine sous un faux sourire.
- Bordel, Thylane, je sais que mes mots sonnent faux et clichés, mais je suis tellement désolée de ce qu'il t'arrive ! Tu ne le mérites pas, putain ! C'est tellement injuste ! »
Julia se mit à jurer en allemand - la langue natale de ses parents, alors que je gardais la tête basse. Une peine sans nom menaçait de m'engloutir. Mais je devais être forte. J'avais surmonté cette putain d'épreuve, alors il était hors de question que je rechute. Même si c'était à cause de quelqu'un. Même si c'était à cause d'un garçon. Même si c'était à cause du garçon dont j'étais inexorablement amoureuse.
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bonnes révisions (ou pas lol) à tous ceux qui passent des examens ❤️
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